CJUE, Conclusions de l'avocat général Geelhoed, 27 septembre 2001, 2000/536

Mots clés aides · société · commission · multimedia · entreprise · restructuration · milliards · prêt · investisseur · vente · récupération · capital · actifs · transfert · recours

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : 2000/536
Date de dépôt : 01 septembre 1999
Titre : Recours en annulation - Décision 2000/536/CE - Aide d'État en faveur de Seleco SpA.
Rapporteur : Gulmann
Avocat général : Geelhoed
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:492

Texte

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. GEELHOED

présentées le 27 septembre 2001 ( 1 )

I — Introduction

1.

Le 2 juin 1999, la Commission a adopté la décision 2000/536/CE, relative à l'aide d'État octroyée par l'Italie à Seleco SpA ( 2 ) (ci-après «la décision attaquée»). Cette décision constate l'existence d'aides illégales incompatibles avec le marché commun et qui doivent être récupérées.

2.

Le gouvernement italien a introduit un recours en annulation devant la Cour (affaire C-328/99) contre cette décision. SIM 2 Multimedia SpA (ci-après «SIM 2 Multimedia») a introduit un recours en annulation devant le Tribunal contre cette même décision (affaire T-195/99). Le Tribunal s'est dessaisi de cette affaire par ordonnance du 16 octobre 2000 et l'a renvoyée devant la Cour. Cette affaire a été enregistrée au greffe de la Cour le 31 octobre 2000 sous le numéro C-399/00. Étant donné la connexité entre les deux affaires, le président de la Cour a décidé, par ordonnance du 5 février 2001, de les joindre.

3.

Dans ces affaires jointes, le litige porte sur l'interprétation du principe de l'investisseur privé lors de l'appréciation des aides d'État et sur la possibilité de récupérer les aides auprès de l'entreprise qui, avec une partie des actifs, a partiellement poursuivi les activités de l'entreprise ayant initialement bénéficié de ces aides.

II — Contexte juridique et factuel

Les parties intéressées

4.

Les acteurs principaux de cette affaire sont Seleco SpA (ci-après «Seleco» en tant que destinataire des aides, les deux organismes publics Friulia SpA (ci-après «Friulia») et Ristrutturazione Elettronica SpA (ci-après «REL») en tant qu'adjudicateurs des aides et SIM 2 Multimedia SpA, partie particulièrement concernée par l'obligation de récupération qui a été imposée au gouvernement italien par la décision attaquée.

5.

Seleco exerçait — jusqu'à sa faillite, prononcée le 17 avril 1997 — ses activités dans le secteur de l'électronique grand public, et en particulier dans le segment des téléviseurs couleur, décodeurs de programmes cryptés (télévision à péage), et produits à usage professionnel (vidéoprojecteurs et moniteurs). Au cours des dix dernières années précédant sa faillite, Seleco a régulièrement reçu des aides d'État. La présente affaire concerne des aides de 1994 et de 1996.

6.

La société Multimedia a été constituée en 1995. En mars 1996, les activités les plus rentables de Seleco (vidéoprojecteurs et moniteurs) ont été regroupées au sein de Multimedia et cette dernière est devenue Seleco Multimedia Sri. À ce moment-là, les actions étaient détenues à 100 % par Seleco. En juillet 1996, 33,33 % des actions ont été vendues à Italtel et 33,33 % à Friulia. Les 33,33 % restants ont été transférés à une société appartenant au groupe Seleco. Le lot d'actions Seleco Multimedia Sri par lequel Seleco exerçait le contrôle via cette société a été vendu à une autre entreprise privée au cours d'une vente publique judiciaire qui a eu lieu en décembre 1997. La raison sociale de cette entreprise est aujourd'hui SIM 2 Multimedia.

7.

Les opérations qualifiées par la Commission d'aides d'État ont été réalisées par Friulia SpA et REL.

8.

Friulia est une société financière contrôlée majoritairement par la région du Frioul-Vénétie-Julienne, chargée de promouvoir le développement économique de cette région.

9.

REL est contrôlée par le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat. Cette société publique, constituée en 1992, avait pour mission de réorganiser le secteur de l'électronique grand public grâce à la création de sociétés, à des prises de participations et à l'octroi de crédits en faveur d'entreprises dont elle détenait des participations. Lors de procédures antérieures en matière d'aides, il apparaît que la Commission avait demandé au gouvernement italien de liquider REL. La Commission avait pris acte de l'engagement des autorités italiennes de céder à des actionnaires privés les participations que cet organisme détenait dans les entreprises du secteur, avant la fin de 1995. Cette décision du 20 mai 1992 (JO C 166, p. 6) indique en outre qu'aucune autorisation ne sera dorénavant accordée pour de nouvelles aides.

Objet de la décision attaquée

10.

À la fin de 1993, les pertes de Seleco étaient devenues si importantes que les actionnaires d'alors (la société privée SOFIN, Friulia et REL détenant respectivement 37 %, 3,7 % et 59,3 %) ont été contraints par la législation italienne d'opter soit pour la liquidation, soit pour la recapitalisation de celle-ci. En effet, le total des pertes dépassait considérablement le capital social. Dans ces circonstances, les actionnaires ont opté dans un premier temps pour la liquidation, puis, après l'intervention des autorités italiennes provoquée par les troubles sociaux que la décision de liquidation engendrait, ils ont finalement choisi de procéder à sa recapitalisation. L'intervention des autorités publiques visait à ce que REL couvre l'ensemble des pertes excédant le capital social, y compris la part qui aurait dû être épongée par les autres actionnaires, et à ce que ces derniers reconstituent le capital de Seleco. REL a donné son accord à la condition que les autres actionnaires reconstituent le capital. L'accord intervenu entre REL et les autres actionnaires a été formalisé par une directive du conseil des ministres italien avant d'être communiqué à la société. C'est ainsi que REL a partiellement abandonné les créances qu'elle avait sur Seleco (16,8 milliards de ITL sur un total de 82 milliards), que Friulia a fait un apport de 13 milliards de ITL (7 milliards de capital neuf et conversion du prêt de 6 milliards de ITL en actions de Seleco), que SOFIN a fait un apport de 19 milliards de ITL et que le restant de 10,5 milliards de ITL a fait l'objet d'un apport par un consortium de banques.

11.

Après ces mesures, le nouveau capital se répartissait comme suit: pour SOFIN 42,64 %, pour Friulia 28,89 %, pour les banques publiques et privées 23,33 % et pour les salariés 5,13 %.

12.

En 1994 et en 1995, Selečo a encore enregistré de lourdes pertes entraînant une nouvelle fois, à la fin de l'année 1995, l'obligation de choisir entre la liquidation ou la recapitalisation. Il a été décidé une nouvelle fois de procéder à la recapitalisation. Un nouvel actionnaire, la société SOREC a apporté 28,8 milliards de ITL. En outre, REL a cédé le reliquat de sa créance de 65,2 milliards de ITL pour un montant de 20 milliards de ITL. Toutefois, vu que cela ne suffisait pas encore à sauver Seleco — du point de vue juridique —, cette dernière a lancé un emprunt obligataire (souscrit par un consortium de banques privées et publiques), et Friulia a accordé un prêt convertible de 12 milliards de ITL et, enfin, de deux tiers des actions que Seleco détenait dans Multimedia Sri ont été vendues pour un montant de 20 milliards de ITL.

13.

À la suite de cette recapitalisation, la répartition se présentait comme suit: SOREC 87,91 %, SOFIN 5,22 %, Friulia 3,49 %, les banques 2,82 % et les salariés 0,56 %.

14.

Seleco a finalement été déclarée en faillite le 17 avril 1997. L'administrateur judiciaire a entamé une action révocatoire à l'encontre du rachat par Seleco de la dette restante de 65,2 milliards de ITL qu'elle avait envers REL pour un montant de 20 milliards de ITL. Le Tribunal a supprimé le caractère privilégié de la dette de 13 milliards que Seleco avait contractée auprès de Friulia. Cette dernière a reçu 1 milliard de ITL à titre de compensation pour la perte du gage sur les quatre marques industrielles de Seleco qui lui avaient été données en garantie.

La décision attaquée

15.

La Commission a décidé, le 27 septembre 1994, d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE. Les autorités italiennes ont été informées de l'ouverture de la procédure par lettre du 10 octobre 1994. Cette procédure a été entamée lorsque la Commission a appris que l'aide accordée à Seleco, qui avait initialement fait l'objet d'une notification par la région autonome du Frioul-Vénétie-Julienne, avait déjà été mise en œuvre et que REL avait partiellement renoncé aux créances qu'elle détenait sur Seleco, en raison d'un accord conclu en 1994 en vue de couvrir les pertes relatives à l'exercice 1993. Par une publication au Journal officiel du 29 décembre 1994, la Commission a invité les intéressés à lui présenter leurs observations.

Par décision du 3 février 1998, la Commission a étendu la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE. Elle y a été amenée lorsqu'elle a appris par la presse qu'entre-temps d'autres interventions publiques avaient été accordées à Selečc. En outre, la Commission voulait examiner de plus près la reprise d'une partie des actions de Seleco-Multimedia par Friulia et Italtel. Une lettre du 18 février 1998 en a informé les autorités italiennes. Dans le Journal officiel du 20 mai 1998, les tiers intéressés ont été invités à présenter leurs observations.

16.

La Commission a examiné les mesures suivantes:



l'abandon partiel des créances que REL détenait sur Seleco (16,8 milliards de ITL sur un total de 82 milliards en 1994);



la conversion du prêt de 6 milliards de ITL en actions de Seleco et l'apport par Friulia de 7 milliards de ITL de capital neuf dans le cadre de la recapitalisation intervenue en 1994;



la participation, à concurrence de 10,5 milliards de ITL, d'un consortium de banques, dans la recapitalisation de Seleco intervenue en 1994;



le rachat par Selečo, en juin 1996, de la dette de 66 milliards de ITL qu'elle avait encore envers REL, pour un montant de 20 milliards de ITL;



le prêt convertible de 12 milliards de ITL octroyé en avril 1996 par Friulia, garanti par les quatre marques industrielles de Selečo et accordé pour une période de cinq ans au taux de 7 %;



le prêt obligataire convertible de 12 milliards de ITL accordé en 1996 par un consortium de banques, en majorité privées, pour une période de quatre ans et dix mois au taux de 5 % par an;



l'achat par Friulia et Italtel, respectivement, d'un tiers des actions de la société Multimedia pour un montant de 10 milliards de ITL chacun.

17.

En ce qui concerne la participation d'un consortium de banques, la Commission a d'une part constaté qu'il s'agissait en partie de banques privées dont l'intervention ne relève pas du champ d'application de l'article 87, paragraphe 1, CE et, d'autre part, que leur intervention était inévitable et visait surtout à la sauvegarde de leurs créances et qu'il en était de même pour les banques publiques qui avaient imposé les mêmes conditions (mesures de 1996) que les banques privées. C'est pourquoi ces mesures n'ont pas été considérées comme des aides.

18.

La Commission a également conclu que les investissements de Friulia et d'Italtel dans Multimedia ne constituaient pas des aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE. À cet égard, le fait qu'Italtel (dont 50 % des actions sont détenues par Siemens et 50 % par l'entreprise publique Stet) ait dû obtenir l'accord de son actionnaire privé et le fait qu'il s'agissait d'une participation dans une entreprise active dans un secteur particulièrement dynamique et très prometteur ont joué un rôle.

19.

Pour ce qui est des autres mesures mentionnées ci-dessus, la Commission a constaté qu'elles constituaient une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.

20.

Pour autant que de besoin, le dispositif de la décision est le suivant.

L'article 1er dispose:

«Les aides d'État suivantes, mises en œuvre par l'Italie en faveur de Selečo SpA, sont incompatibles avec le marché commun:

a)

la renonciation en 1994 de la part de Ristrutturazione Elettronica SpA à 16,8 milliards de lires sur une créance de 82 milliards de lires;

b)

le rachat par Selečo SpA en 1996 de la créance de 65,2 milliards de lires que Ristrutturazione Elettronica SpA détenait encore sur elle, pour un montant de 20 milliards de lires;

c)

la conversion en actions, par Friulia SpA, d'un prêt de 6 milliards de lires que cette société avait octroyé en 1992;

d)

l'apport de 7 milliards de lires en capital effectué par Friulia SpA en 1994;

e)

l'octroi par Friulia SpA en 1996 d'un prêt convertible de 12 milliards de lires au taux de 7 %, garanti par quatre marques industrielles de Selečo SpA.»

L'article 2, paragraphe 1, dispose:

«L'Italie prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides visées à l'article 1er et déjà mises illégalement à la disposition des bénéficiaires, auprès de Selečo SpA et, pour la partie qui ne pourrait pas être récupérée auprès de Selečo SpA, auprès de la société Selečo Multimedia Sri et de toute autre entreprise au profit de laquelle ont été transférés des actifs de sorte à priver la présente décision de ses effets.»

21.

La Commission a qualifié d'aides les mesures mentionnées à l'article 1er de sa décision en raison du fait que tant l'intervention de Friulia que celle de REL ne sont pas conformes à l'intervention d'un investisseur privé normal. La Commission a également apprécié ces mesures au regard des critères des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté ( 3 ), afin de juger si l'aide pouvait bénéficier de la dérogation au sens de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE et a décidé que ces critères n'étaient pas respectés. C'est pourquoi, la Commission a considéré que ces aides étaient incompatibles avec le marché commun.

22.

La Commission ayant considéré que ces mesures d'aide étaient illégales et par conséquent incompatibles avec le marché commun, en a exigé la récupération. Elle a en outre décidé que, dans la mesure où l'aide ne pouvait pas ou pas totalement être récupérée auprès de Seleco, elle devrait l'être auprès de Seleco Multimedia.

23.

En ce qui concerne cette partie du dispositif, la Commission a indiqué dans les considérants de la décision attaquée que, pour éviter que la décision ne perde son effet utile et que la distorsion de concurrence ne continue, elle peut être amenée à exiger que la récupération ne se limite pas à l'entreprise de départ, mais qu'elle s'étende à l'entreprise qui en assure la pérennité grâce aux moyens de production qui lui ont été transférés. Les éléments importants à cet égard sont l'objet du transfert (actifs et passifs, maintien de la force de travail, actifs groupés), le prix du transfert, l'identité des actionnaires ou des propriétaires de l'entreprise acquéreuse et de l'entreprise de départ, le moment où le transfert a lieu (après le début de l'enquête, l'ouverture de la procédure ou la décision finale) ou encore la logique économique de l'opération.

24.

Dans ce contexte, la Commission mentionne la restructuration que Seleco a connue en mars 1996, et en particulier l'apport des actifs et des activités y attenant dans la société Multimedia constituée auparavant. Cet apport a eu lieu après l'ouverture de la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE. Peu après, en juillet 1996, cette opération a été suivie par la vente de deux lots d'actions.

III — Moyens des parties

25.

Comme indiqué dans l'introduction des présentes conclusions, tant le gouvernement italien que SIM 2 Multimedia ont introduit un recours contre cette décision.

26.

Dans l'affaire C-328/99, le gouvernement italien a demandé à titre principal l'annulation de la décision, à titre subsidiaire l'annulation de la décision dans la partie relative à l'intervention de REL en 1996 et à titre plus subsidiaire l'annulation de cette même décision dans la partie dans laquelle elle dispose la récupération des sommes auprès de Seleco Multimedia Srl et de toute autre entreprise à qui Seleco a transféré les actifs. Enfin, le gouvernement italien demande la condamnation de la Commission aux dépens.

27.

Dans l'affaire C-399/00, SIM 2 Multimedia demande l'annulation de l'article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée et la condamnation de la Commission aux dépens.

28.

La Commission a conclu qu'il plaise à la Cour déclarer non fondé le recours tendant à obtenir l'annulation dans l'affaire C-328/99 ainsi que le recours tendant à obtenir l'annulation partielle dans l'affaire C-399/00 et condamner, respectivement, la République italienne et SIM 2 Multimedia aux dépens.

29.

Les principaux arguments que le gouvernement italien a présentés à l'appui de ses griefs concernent l'application inexacte des articles 87 CE et 88 CE, l'insuffisance de motivation et la violation des règles de procédure au sujet de la récupération de l'aide.

30.

Les moyens que SIM 2 Multimedia présente à l'appui de son recours ont trait à la violation des droits de la défense, à l'application inexacte des articles 87 CE et 88 CE, à la violation de l'article 253 CE et à la motivation inexacte.

IV — Analyse

31.

Deux questions centrales se posent dans ces affaires. La première question est de savoir si, eu égard au principe de l'investisseur privé, il peut être en l'espèce question d'une aide d'État. Le gouvernement italien conteste ce point et la Commission est d'une opinion opposée.

La deuxième question qui se pose est de savoir si la récupération d'une aide d'État illégale peut s'étendre à une autre personne morale que la société ayant initialement bénéficié de l'aide.

32.

Dans un premier temps, j'examinerai ci-dessous la première question, le premier moyen dans l'affaire C-328/99. J'examinerai la deuxième question lors de l'examen du deuxième et du troisième moyen dans l'affaire C-328/99 et des moyens soulevés dans l'affaire C-399/00.

A — La demande principale du gouvernement italien (affaire C-328/99)

33.

Le gouvernement italien a ainsi souligné, se référant aux lignes directrices relatives aux participations des autorités publiques dans les capitaux des entreprises ( 4 ), que les opérations réalisées par REL et Friulia étaient conformes à celles d'un investisseur privé et que, par conséquent, il ne pouvait être question d'une aide d'État. Le gouvernement italien affirme que, si les deux opérations de recapitalisation de 1994 et de 1996 comportaient certes une marge de risque, elles présentaient à priori des perspectives raisonnables de succès. Dans ce contexte, le gouvernement italien relève qu'en 1994, les interventions publiques auraient été de l'ordre de 30 milliards de ITL et les interventions privées d'environ 32 milliards de ITL. En 1996, les interventions de Friulia se seraient élevées à 12 milliards de ITL et celles de REL à 45 milliards de ĪTL, tandis que les personnes privées auraient apporté 40,8 milliards de ITL. Cette importante intervention en capital avec un nombre relativement important d'investisseurs privés permettrait de démontrer que les deux opérations qui avaient en vue la relance des activités de Selečo, étaient considérées comme raisonnables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché.

34.

L'argument de la Commission selon lequel les investisseurs privés auraient été incités à intervenir n'est pas partagé par le gouvernement italien. Ce dernier soutient que ce sont les entités publiques qui ont décidé de n'intervenir que dans la mesure où des personnes privées y étaient également disposées.

35.

Concernant l'opération effectuée par REL en 1994, le gouvernement italien fait observer que la créance de 82 milliards de ITL n'était assortie d'aucune garantie et que, en cas de liquidation de Selečo, REL n'aurait pratiquement eu aucune chance de recouvrement, même partiel. C'est la raison pour laquelle il ne serait pas anormal que REL ait, pour la cinquième fois, mais à la condition que d'autres investisseurs assurent la totalité de la recapitalisation pour leur part, apporté une contribution sous la forme d'une remise partielle de ses créances. En procédant de la sorte, elle pouvait se retirer du capital de Selečo tandis que la chance de recouvrement du reliquat de ses créances demeurait intacte. De même, en cédant le solde de la créance de 65,2 milliards de ITL pour un montant de 20 milliards de ITL, REL aurait agi pour les mêmes motifs.

36.

En ce qui concerne les interventions de Friulia, le gouvernement italien soutient que, pour ce qui est de l'intervention de 1994, Friulia aurait pu, en cas de liquidation, réaliser tout au plus 50 % de sa créance de 6 milliards de ITL. S'agissant de l'octroi en 1996 par Friulia du prêt convertible de 12 milliards de ITL au taux de 7 %, garanti par les quatre marques de Selečo, le gouvernement italien considère qu'il s'agit d'une opération conforme au marché, vu que la valeur des marques était manifestement considérable. Le fait que, au stade de la faillite, les marques aient été cédées pour seulement 1 milliard de ITL serait dû à la diminution importante de leur valeur après la faillite. D'autre part, le gouvernement italien souligne que la Commission a autorisé un prêt obligataire du même montant accordé par des banques, y compris des banques publiques, en dépit du fait que ce prêt était octroyé à un taux moins élevé et n'était assorti d'aucune garantie. Contrairement à ce qu'aurait soutenu la Commission au point 91 de la décision attaquée, la loi italienne ne permettrait pas, lors de la liquidation d'une société en faillite, que les créances relatives à un prêt obligataire soient prioritaires par rapport aux autres créances chirographaires.

37.

La Commission, se référant aux lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté ( 5 ), considère que les mesures accordées à Seleco ne correspondent pas à la logique d'un investisseur privé normal. Selon elle, les aides accordées à Seleco auraient pour seul objectif de retarder le plus possible sa disparition et d'éviter les conséquences sociales qui découleraient d'un plan de licenciement.

38.

La Commission souligne en substance la situation financière critique et déjà ancienne de Seleco et l'absence d'un quelconque plan de restructuration crédible. Le plan de restructuration proposé en 1994 aurait été dépourvu des moyens financiers et de mesures d'assainissement ou de réorganisation nécessaires. La faiblesse de ce plan serait en outre confirmée par un rapport établi par KPMG (Peat Marwick Corporate Finance, ci-après «KPMG»). Il en est de même du plan de restructuration présenté en 1996, lequel serait entièrement basé sur celui de 1994 et dépourvu d'une quelconque modification ou actualisation dignes de ce nom.

39.

La Commission soutient que la décision de ne pas procéder à la liquidation de Seleco prise en 1994 et de la prise de participation d'investisseurs privés dans la recapitalisation de celle-ci a en réalité été dictée par les autorités italiennes. Elle ne correspondrait pas à une décision prise par un investisseur privé agissant selon les principes usuels du marché. Le fait que les investisseurs privés aient pris part aux deux recapitalisations ne pourrait, selon la Commission, pas automatiquement justifier l'intervention des autorités publiques. Ces dernières ne devraient pas se laisser impliquer dans des investissements téméraires et injustifiés, effectués à tort par des investisseurs privés mal avisés.

Analyse

40.

Dans les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté ( 6 ), la Commission a défini les critères qu'elle utilise pour déterminer si une participation de l'État doit être considérée ou non comme une aide d'État. Les lignes directrices communautaires pour les aides d'État stipulent qu'une prise de participation des pouvoirs publics au capital d'une entreprise ne constitue pas une aide d'État lorsque cette opération se réalise dans des circonstances qui seraient acceptables pour un investisseur privé opérant dans les conditions normales d'une économie de marché. Par contre, le point 3.3 de ces lignes directrices dispose qu'il s'agit bien d'une aide d'État lorsque tel n'est pas le cas.

41.

Le point 3.3 précise ensuite qu'il s'agit bien d'une aide d'État lorsque:

«—

la situation financière de l'entreprise et notamment la structure et le volume de l'endettement sont tels qu'il ne paraît pas justifié d'escompter un rendement normal (en dividendes ou en valeur) des capitaux investis dans un délai raisonnable;



l'entreprise ne serait pas, du seul fait de l'insuffisance de sa marge brute d'autofinancement, en mesure d'obtenir sur le marché des capitaux les moyens financiers nécessaires pour effectuer un programme d'investissements;



la prise de participation est une participation temporaire dont la durée et le prix de cession sont fixés d'avance, de telle sorte que le rendement qui en résulte pour l'apporteur de capital est sensiblement inférieur à la rétribution qu'il aurait été en droit d'attendre d'un placement pour une durée comparable sur le marché des capitaux;



la prise de participation publique concerne la reprise ou la poursuite totale ou partielle de l'activité non viable d'une entreprise en difficultépar le biais de la création d'une nouvelle entité juridique;



lors d'un apport de capital des entreprises dont le capital est partagé entre des actionnaires privés et publics, la participation publique atteint une proportion sensiblement supérieure à celle de la distribution d'origine et le désengagement relatif des actionnaires privés est essentiellement imputable aux mauvaises perspectives de rentabilité de l'entreprise;



le montant de la participation dépasse le montant de la valeur réelle (actif net y compris éventuellement valeur de goodwill ou know-how) de l'entreprise bénéficiaire [...]»

42.

Les lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration contiennent un certain nombre de conditions qui doivent être respectées pour qu'une aide puisse être autorisée. Il est ainsi précisé que la condition sine qua non à tout plan de restructuration est que ce dernier permette de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité et la santé à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes au sujet des conditions d'exploitation futures. Cela signifie qu'il doit s'agir d'un plan de restructuration détaillé qui, si l'aide doit être autorisée, doit être présenté à la Commission, et qui doit rétablir dans un délai raisonnable la compétitivité de l'entreprise, étant entendu que l'amélioration de la viabilité doit résulter principalement de mesures inhérentes à ce plan et ne saurait être basée sur des facteurs externes, tels que des variations de prix ou de la demande, que si les hypothèses quant à l'évolution du marché sont largement admises. En outre, une restructuration doit impliquer l'abandon des activités qui sont structurellement déficitaires.

43.

Ces données de référence constituent en fait une codification de la jurisprudence antérieure de la Cour. Elles ont été confirmées par la jurisprudence plus récente. Selon cette jurisprudence, pour examiner si la mesure en question constitue une aide d'État, il y a lieu de tenir compte des possibilités qu'a l'entreprise bénéficiaire de la mesure d'obtenir des moyens financiers en recourant au marché normal des capitaux. Si les actions sont principalement détenues par les autorités publiques, il y a lieu alors d'examiner si, dans des circonstances similaires, un actionnaire privé aurait fait un tel apport en capital ( 7 ) sur la base des prévisions de rentabilité et sans égard à de quelconques considérations de nature sociale ou de politique régionale ou sectorielle. Si tel est le cas, le principe du traitement égal des entreprises privées et publiques implique que l'apport en capital en question ne peut être qualifié d'aide ( 8 ). Si cela n'est pas le cas, il s'agit d'une aide.

44.

Le comportement de l'investisseur public doit donc être comparé à l'intervention de l'investisseur privé, mais pas nécessairement au comportement de l'investisseur ordinaire qui souhaite obtenir rapidement une rentabilisation; mais le comportement de l'investisseur public doit néanmoins être semblable à celui d'un holding privé ou d'un groupe privé d'entreprises poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle, et guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme ( 9 ). Un apport de capital nécessaire pour assurer la survie d'une entreprise qui connaît des difficultés passagères, mais qui, le cas échéant, après une restructuration, serait en mesure de retrouver sa rentabilité, ne constitue pas forcément une aide. Toutefois, lorsque les apports de: capitaux d'un investisseur public font abstraction de toute perspective de rentabilité, même à long terme, ils doivent être considérés comme des aides au sens de l'article 87 CE ( 10 ).

45.

Les parties intéressées ne contestent pas le principe de l'investisseur privé tel qu'il est visé dans diverses réglementations communautaires. Toutefois, dans le présent cas d'espèce, elles n'interprètent pas de la même manière les faits et les circonstances pertinents. C'est pourquoi il y a lieu d'examiner si la Commission a pu constater raisonnablement que le comportement de REL et de Friulia ne correspondait pas à celui d'un investisseur privé au moment où elles ont pris ces décisions d'investissement.

46.

En outre, l'appréciation de la qualité d'un investisseur privé, en d'autres mots la question de savoir si l'État a agi «comme un entrepreneur normal» et donc s'il s'agit d'une mesure d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, nécessite une étude économique de fond. Pour cela, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation, ce qui, d'après la Cour de justice, implique que le contrôle juridictionnel de l'exercice d'un tel pouvoir doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir ( 11 ).

47.

Partant, selon nous, il y a lieu de tenir compte en particulier de la situation financière de l'entreprise et de ses perspectives de rentabilité à long terme. S'il s'agit comme en l'espèce d'une entreprise en difficultés, il y a lieu d'exiger un plan de restructuration suffisamment élaboré, crédible et réaliste. À défaut d'un tel plan, aucun investisseur rationnel ne voudrait investir dans une telle entreprise.

48.

L'argument du gouvernement italien selon lequel REL et Friulia ont agi dans le respect du principe de l'investisseur privé normal est difficile à accepter compte tenu à la fois de la situation financière dans laquelle se trouvait Selečo et des perspectives de retrouver une rentabilité à un niveau acceptable. À l'exception des années 1991 et 1992, au cours desquelles un profit modeste a pu être enregistré, cette entreprise n'a pu, au cours de la décennie précédant l'année 1994, que cumuler les pertes. Elle a, au cours de cette période, obtenu régulièrement des aides publiques sans que de substantielles améliorations apparaissent. On peut affirmer, en fait que Selečo était totalement dépendante des aides publiques. À la fin de 1993, la situation était même devenue si critique — les pertes cumulées atteignaient 1,5 fois le capital social — que la liquidation semblait dans un premier temps être la seule solution rationnelle.

49.

Un investisseur privé normal ne fera un apport en capital que s'il y a une chance raisonnable que son patrimoine investi devienne rentable dans un délai raisonnable, ou, s'il s'agit d'une entreprise en difficultés telle qu'en l'espèce, s'il y a un espoir raisonnable que l'entreprise, après restructuration, puisse à nouveau être rentable. Pour cela, il est essentiel qu'il existe un plan de restructuration bien élaboré, crédible et réaliste. Dans le cas d'espèce, il n'y avait aucun plan respectant ces critères.

50.

Le rapport de KPMG — rédigé à la demande de Friulia — relatif au plan de restructuration 1993-1996 conclut en effet que le plan de restructuration était trop ambitieux en raison à la fois de la situation de l'entreprise et des hypothèses sur lesquelles il s'appuyait. Au vu de la situation du marché (saturation, puissance et pouvoir de négociation des acteurs du côté de la demande), la Commission a pu arriver à la conclusion que les prémisses sur lesquelles le plan d'entreprise se fondait n'étaient pas réalistes et que le comportement de Friulia ne correspondait pas à celui d'un investisseur privé rationnel.

51.

C'est sur la seule base de ces données que l'on peut supposer qu'un investisseur privé rationnel n'aurait pas décidé d'investir une nouvelle fois dans Selečo.

52.

En conclusion: Selečo est une entreprise qui s'est trouvée dans de sérieuses difficultés. Selon les lignes directrices communautaires citées ci-dessus, une intervention financière des autorités constitue dans ce cas presque toujours une aide d'État.

53.

L'argument du gouvernement italien selon lequel il y aurait eu également des investisseurs privés qui auraient participé aux deux mesures d'aide en 1994 et de 1996 ne change rien au fait qu'il s'agissait bien ici d'une aide. Il a déjà été mentionné ci-dessus qu'aucun investisseur privé n'aurait, ex ante, investi du capital dans cette entreprise. On peut concevoir ainsi que ces investisseurs privés n'aient été disposés à intervenir qu'après que les autorités ont décidé d'accorder de nouvelles aides. Le fait que ces investisseurs privés soient alors disposés à intervenir en même temps n'est plus pertinent. Par contre, il se pose bien plus la question de savoir ce qu'aurait fait un investisseur particulier si REL et Friulia n'avaient pas été disposées à de nouvelles interventions financières. La réponse est qu'elles n'auraient rien fait, ce qui à nos yeux est confirmé par la décision initiale de ne pas procéder à la recapitalisation, mais de liquider l'entreprise. L'argument du gouvernement italien se réfère à un moment postérieur à l'annonce de la décision par les autorités italiennes de leur intention d'accorder une aide financière. Toutefois, le déroulement des faits se présente autrement.

54.

Nous relevons en outre qu'on ne saurait simplement déduire, de l'implication d'investisseurs privés dans une opération de financement d'une entreprise se trouvant à l'évidence en difficultés, que l'autorité publique intéressée a agi selon les critères d'un investisseur privé.

55.

L'argument du gouvernement italien selon lequel la Commission applique deux poids deux mesures selon qu'il s'agit d'investisseurs privés ou publics est, à notre avis, non fondé. C'est à juste titre que la Commission a considéré que les crédits accordés par les banques publiques et privées intéressées ne constituaient pas des aides, car ils ont été décidés après que les autorités italiennes intéressées ont pris l'initiative d'une mesure de sauvetage. Cela leur a donné une nouvelle chance de préserver provisoirement leurs créances qu'elles auraient perdues dans l'hypothèse d'une liquidation immédiate. Les banques publiques et privées intéressées ont par ailleurs accordé les crédits supplémentaires dans les mêmes conditions.

56.

L'argument du gouvernement italien tend à montrer qu'il y a une différence d'appréciation entre, d'une part, le crédit accordé par Friulia en 1996 considéré comme une aide et, d'autre part, les crédits des banques qui ne sont pas considérés comme tels. Cette différence d'appréciation est, selon nous, justifiée par le fait qu'à ce moment-là, Friulia ne disposait pas encore de créances vis-à-vis de Seleco et que par conséquent, en lui accordant ce crédit, elle a pris un risque très important, alors que les banques, qui se trouvaient déjà dans une situation fragile, pouvaient espérer qu'en accordant ce crédit additionnel elles pourraient recouvrer une partie de leurs créances. Tandis que le comportement des banques s'expliquait par leur souhait de sauvegarder le plus possible leurs intérêts, on ne peut pas en dire autant au sujet de Friulia. En 1996, celle-ci savait, comme le souligne à juste titre la Commission, qu'elle ne pourrait jamais obtenir un rendement acceptable du prêt convertible de 12 milliards de ITL, vu la situation pénible de Seleco. En outre, Friulia savait que la plupart des activités rentables de Seleco venaient d'être regroupées au sein de Multimedia. Le fait qu'au début elle a, en tant qu'actionnaire de Seleco, décidé de procéder à sa liquidation et qu'en fin de compte la décision a été retirée vraisemblablement sous la pression des autorités italiennes ne plaide pas en faveur d'un comportement conforme au marché que l'on peut attendre d'un investisseur privé.

57.

Dans ces circonstances, la Commission a pu conclure que les interventions publiques en question ne pouvaient être assimilées au comportement d'un investisseur privé normal et que, par conséquent, il s'agissait d'une aide d'État. La Commission a également suffisamment démontré — quoique ce point soit absent des débats — que l'aide en l'espèce n'était pas conciliable avec le marché commun, vu qu'elle ne respectait pas les conditions des lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté et qu'elle n'était donc pas conforme à l'article 87, paragraphe 3, CE.

B — Demande subsidiaire du gouvernement italien (affaire C-328/99)

58.

Le gouvernement italien a demandé, à titre subsidiaire qu'il plaise à la Cour annuler la décision attaquée dans la partie dans laquelle elle se réfère à l'aide accordée par REL en 1996.

Le gouvernement italien souligne que l'obligation imposée à REL de rembourser la somme de 20 milliards de ITL qu'elle avait reçue en échange du renoncement à sa créance de 65,2 milliards de ITL et de réclamer plutôt la totalité de sa créance, n'a pas de sens. Un tel remboursement ne servirait aucun intérêt légitime.

59.

Nous pouvons être bref à ce sujet. Une fois constaté que l'aide constituée principalement par le renoncement de REL au reliquat de ses créances vis-à-vis de Seleco a été accordée de manière illégale, il y a lieu de la rendre non avenue. Selon la jurisprudence constante ( 12 ), la suppression d'une aide illégale est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Il n'y a aucune raison de déroger à ce principe dans une procédure de faillite où les intérêts des parties concernées semblent être quelque peu différents.

C — La demande plus subsidiaire du gouvernement italien (affaire C-328/99) et la demande de SIM 2 Multimedia (affaire C-399/00)

60.

Dans cette partie de nos conclusions, nous examinerons dans un premier temps, après avoir brièvement rappelé les arguments des parties, la question de savoir si une récupération peut être étendue à l'entreprise qui a poursuivi les activités de l'entreprise ayant bénéficié des mesures à l'origine. Ensuite, nous examinerons si SIM 2 Multimedia peut être considérée comme «ayant droit» de Seleco Multimedia/Seleco et enfin, nous examinerons les autres points, qui sont principalement des questions procédurales.

Récupération auprès de Multimedia

61.

SIM 2 Multimedia et le gouvernement italien prétendent que les droits de la défense n'ont pas été respectés à leur égard, en raison du fait que, lors de la procédure administrative, la Commission n'a jamais laissé entrevoir une possibilité de récupération auprès de Multimedia. Le débat contradictoire entre la Commission et les autorités italiennes n'aurait concerné que les prises de participation d'Italtel et de Friulia dans Multimedia. C'est la raison pour laquelle Multimedia n'aurait jamais pu prévoir qu'elle aurait pu être la destinataire d'une demande de récupération des aides accordées à Selečo. Du reste, si un débat contradictoire avait eu lieu à ce sujet, SIM 2 Multimedia et/ou le gouvernement italien auraient pu faire valoir que le prix qui avait été payé pour la branche Multimedia de Seleco était conforme au marché.

62.

SIM 2 Multimedia fait valoir en outre que la Commission n'a pas démontré que les secteurs d'activités séparés de Seleco et regroupés dans Seleco Multimedia ont bénéficié des aides. Une responsabilité solidaire de Seleco et de Seleco Multimedia serait même contraire à l'esprit des articles 87 CE et 88 CE, étant donné le fait qu'un remboursement d'une aide illégale ne constitue pas une sanction mais une obligation de droit privé. Il serait même impossible qu'elle ait pu bénéficier des opérations qui ont eu lieu en 1996 dès lors que la société Multimedia était déjà constituée avant la date de la recapitalisation en 1996. Un plan de restructuration élaboré en 1995, «Plan de restructuration septembre 1995» — pour les activités Multimedia — aurait pu établir que la branche multimédia n'avait pas profité des aides de 1994. SIM 2 Multimedia souligne en outre que Seleco Multimedia ne peut pas être considérée comme une filiale de Seleco, mais constitue plutôt un projet développé avec d'autres intervenants dans un nouveau segment du marché. Dans ce contexte, SIM 2 Multimedia a expliqué dans son mémoire en réplique que, au début de l'année 1995, Seleco avait élaboré un nouveau plan industriel — dans le but de relancer la société — qui prévoyait de concentrer les activités de celle-ci sur le secteur «téléviseurs» et de séparer l'activité multimedia par la création d'une société autonome en partenariat avec d'autres associés. Une recherche de nouveaux investisseurs aurait abouti à une déclaration d'intention datée du 12 décembre 1995 avec Italtel en l'élargissant ultérieurement à Friulia. Dans ce contexte, une assemblée générale extraordinaire de Seleco Multimedia aurait décidé de procéder à l'augmentation du capital de la société à 30 milliards de ITL. Le 13 février 1996, le conseil d'administration de Seleco aurait décidé de souscrire à cette augmentation du capital en cédant sa branche multimedia. À la suite des accords que les intéressés avaient conclus au sujet de la répartition des actions, Italtel et Friulia auraient chacune acheté un tiers des actions de Seleco Multimedia tandis que le tiers restant aurait été acquis par une société contrôlée par Seleco. Dans le cadre de ces transactions, Seleco Multimedia aurait été transformée en une société par actions. À la suite de la faillite de Seleco, cette dernière aurait reçu sa dénomination actuelle, à savoir SIM 2 Multimedia.

63.

SIM 2 Multimedia insiste en troisième lieu sur le fait qu'un prix conforme au marché a été payé pour la branche multimédia, à savoir 23,415 milliards de ITL, et que ce prix a été fixé par un expert indépendant. Quand bien même la branche multimédia aurait profité des aides attaquées, elles auraient été répercutées sur le prix des actions de Multimedia et, seraient ainsi revenues à Seleco.

64.

Enfin, SIM 2 Multimedia relève que la mesure de récupération est disproportionnée en raison du fait qu'elle est tenue de rembourser la totalité des aides reçue alors que la branche multimédia ne constitue que 10 % des activités du groupe Seleco.

65.

Quant à la question de savoir si la branche multimédia a bénéficié des aides, la Commission a ajouté que, jusqu'au 18 juillet 1996 à tout le moins, cette branche a totalement fait partie du groupe Seleco. La Commission étaye ses propos en se référant à une lettre des parties concernées du 28 juin 1996 destinée à l'autorité italienne de la concurrence dans laquelle il est mentionné que Selečo Multimedia faisait partie — en tout cas encore à ce moment-là — de Seleco et était totalement sous son contrôle. En outre, la Commission renvoie à l'arrêt Boch II (arrêt précité à la note 7), dans lequel la Cour a dit pour droit qu'il était indifférent qu'une entreprise ait comporté deux divisions, dont l'une a de meilleurs résultats d'exploitation que l'autre et pouvait même faire apparaître des bénéfices très modestes pour l'année au cours de laquelle l'apport en capital litigieux a été effectué. Les deux divisions faisaient partie de la même entreprise, et c'est par rapport à cette entreprise unique qu'il faut apprécier le caractère de l'apport litigieux.

66.

La Commission fait valoir que le «plan de restructuration septembre 1995» ne lui a jamais été communiqué au cours de la procédure formelle de telle sorte que sa recevabilité est douteuse. Elle considère que ce plan ne respecte pas non plus les exigences inhérentes à un plan de restructuration et qu'il ne contient pas de mesures permettant de garantir une politique de rentabilité pour l'avenir.

67.

La Commission soutient que Seleco Multimedia a reçu les principaux actifs de Seleco qui ont profité des aides de 1994 et de 1996 et qui ont été transférés avec l'ensemble des dettes et des créances. Bien que, formellement, les aides aient été accordées à Seleco, concrètement, ce serait l'ensemble du patrimoine de l'entreprise qui en aurait tiré avantage. En regroupant au sein de Multimedia les activités les plus rentables (décodeurs, moniteurs et vidéoprojecteurs), Selečo se serait séparée à la fois du capital et des actifs. Selon la Commission, cette branche fonctionnait bien et avait des perspectives de rendement remarquables. Compte tenu du transfert à la société filiale Seleco Multimedia de la partie la plus importante du patrimoine de l'entreprise avec tous les avantages obtenus grâce aux aides, cette société devrait évidemment pouvoir répondre en lieu et place de la société mère Seleco.

68.

La Commission ajoute que ce transfert a eu lieu au cours de la procédure formelle d'enquête et avant la conclusion de celle-ci. Si l'on permettait à une entreprise en difficulté sur le point d'être déclarée en faillite de créer une filiale au cours de la procédure formelle d'enquête afin qu'ensuite, avant la conclusion de celle-ci, elle lui transfère les actifs les plus rentables, on admettrait la possibilité pour toute société de soustraire ces actifs du patrimoine de la société mère lors de la récupération des aides.

69.

Le démantèlement de l'entreprise au moyen de la vente des actifs enlèverait également aux créanciers et/ou aux entreprises concurrentes la possibilité de réaliser les moyens de production ou d'acquérir ceux-ci pour les utiliser de manière plus efficace. C'est la raison pour laquelle, selon la Commission, on ne peut pas permettre qu'une société tenue de rembourser les aides indûment perçues soustraie une partie des actifs de son propre patrimoine industriel afin de les transférer dans une filiale appartenant au même groupe.

70.

La Commission suppose ensuite que le prix de la cession de la branche multimedia est influencé et dicté par les circonstances. En d'autres mots, lors de la fixation du prix de vente et de la valeur des actifs concernés, les parties n'auraient certainement pas pu ignorer qu'elles risquaient d'encourir une procédure au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE et de devoir à terme rembourser les aides qualifiées d'illégales. Il s'agissait d'une possibilité connue, que l'on ne pouvait négliger et dont les parties étaient conscientes vu que l'ouverture de la procédure d'enquête avait été communiquée dans le Journal officiel (JO 1994, C 373, p. 5) et que Selečo en avait déjà été informée précédemment.

71.

Quoi qu'il en soit, la Commission relève que le montant du prix de vente n'est pas pertinent dans le cas d'espèce, vu qu'il s'agit d'une opération relative aux actions.

72.

Quant à la disproportion alléguée entre la demande de récupération et l'importance de la branche multimedia, la Commission prétend que, à partir d'une analyse détaillée, il est impossible techniquement de chiffrer et d'identifier dans quelle mesure les différentes activités d'une entreprise ayant une structure unitaire et une direction commune ont pu bénéficier des aides indues. À cet égard, on ne devrait pas sous-estimer le risque d'un retard intolérable du travail administratif de la Commission, car celle-ci ne disposerait pas de pouvoirs d'enquête à l'égard des entreprises pour obtenir les documents nécessaires.

73.

Quant à l'argument du non-respect des droits de la défense, la Commission fait observer en premier lieu que ni les autorités nationales ni les entreprises intéressées n'ont rempli leur obligation de coopération loyale. En second lieu, la Commission considère que Multimedia qui, d'un point de vue économique et organisationnel, s'identifiait à Seleco ne pouvait ignorer qu'elle était, elle aussi, exposée à l'éventualité du remboursement de ces aides. En troisième lieu, la Commission soutient que Multimedia était directement citée dans la communication publiée en 1998 relative à l'extension de la procédure d'enquête la visant. La Commission relève enfin que la violation des droits de la défense n'entraîne l'annulation que si, en l'absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

Analyse

74.

Il est de jurisprudence constante que la récupération des aides illégales auprès de l'entreprise bénéficiaire vise au rétablissement de la situation antérieure ( 13 ). Cet objectif est atteint lorsque le bénéficiaire a restitué, avec des intérêts de retard, ladite aide. Par ce remboursement, le bénéficiaire perd ainsi l'avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents, et la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie ( 14 ).

75.

Cet objectif, à savoir le rétablissement dans la situation antérieure pourrait ainsi être mis en péril si une entreprise bénéficiaire de ces aides mettait «en sûreté» les éléments les plus rentables de son patrimoine lorsqu'une procédure administrative — dont on prévoit une issue défavorable — est introduite ou lorsqu'une décision négative a été rendue.

76.

La question qui se pose alors est de savoir si oui ou non et, dans l'affirmative auprès de qui, l'aide peut être récupérée lorsque l'entreprise est «cédée». Différentes situations peuvent se présenter.

77.

S'il s'agit d'une opération sur les actions, la réponse est relativement simple. En effet, il résulte de la jurisprudence qu'en cas de cession d'actions la demande de restitution suit «l'entreprise». En d'autres mots, la demande de restitution de l'aide doit être diligentée auprès de l'entreprise qui a effectivement perçu les aides ( 15 ). Le fait de savoir qui détient les actions n'a aucune importance à ce sujet. Cette solution est logique vu qu'il s'agit de la même entreprise ayant seulement de nouveaux actionnaires, qu'elle poursuit ses activités financées par des aides d'État et bénéficie des avantages liés aux aides illégales avec pour conséquence une distorsion de sorte que les conditions de la concurrence sont faussées.

78.

Nous sommes d'avis que, lors d'une cession totale ou partielle d'une entreprise par des transferts d'actifs (passifs), les règles suivantes s'appliquent.

79.

S'il s'agit d'un groupe de personnes morales (holding) qui forment une unité économique, et donc une entreprise, les aides dont elles ont bénéficié peuvent être récupérées tant en amont qu'en aval des liens de société mère à filiale existant à l'intérieur de cette unité économique, et donc pas uniquement auprès de l'entité «bénéficiaire» dans le groupe. Qu'il y ait une restructuration au sein de cette unité économique n'est pas pertinent à cet égard ( 16 ). En outre, nous observons que si, au moment d'une restructuration, une partie d'une activité économique est insérée dans une nouvelle entité juridique alors qu'il y a continuité d'exploitation («going concern») et qui est à son tour juridiquement et fonctionnellement séparée de l'entité de départ, l'entité nouvelle garde néanmoins la qualité de «bénéficiaire» dans certaines conditions, en particulier s'il est probable que les activités qu'elle poursuit ont bénéficié antérieurement de ces aides. S'il en était autrement, il serait facile de se soustraire à l'effet utile du contrôle des aides et de la récupération des aides d'État indûment perçues en procédant (au cours de la procédure d'enquête ou après conclusion de celle-ci) à une restructuration à l'intérieur du groupe.

80.

Enfin, la situation peut également se présenter que l'intégralité ou une partie de l'entreprise bénéficiaire soit cédée à des tiers en dehors du groupe.

81.

Selon la jurisprudence récente, en principe, lorsqu'une société bénéficiaire des aides a été vendue au prix du marché, ces aides antérieures se répercutent sur le prix de vente et c'est le vendeur de ladite société qui conserve le bénéfice de ces aides. Dans ce cas, le rétablissement de la situation antérieure doit, en premier lieu, être assuré par le remboursement des aides par le vendeur ( 17 ). La jurisprudence antérieure a déjà statué dans le même sens dans l'hypothèse où seuls des actifs spécifiques ont été cédés et à condition que le prix payé soit conforme au marché ( 18 ).

82.

Par contre, nous sommes d'avis que des situations peuvent se présenter dans lesquelles, selon les circonstances, il peut être demandé à l'acquéreuse de rembourser les aides dont il a bénéficié. Cette situation peut se présenter lorsque la cession a lieu au cours de la procédure formelle d'enquête. Si l'entreprise est transférée alors qu'il y a continuité d'exploitation («going concern»), les actifs et les passifs seront normalement transférés et l'acquéreur de cette entreprise devra répondre des dettes et obligations. Dans une telle hypothèse, il peut naître une obligation de remboursement des aides illégales ou non conformes au marché commun précédemment accordées à l'entreprise cédée. Si, avec les actifs cédés, les activités de l'entreprise ayant à l'origine bénéficié des aides sont poursuivies, beaucoup d'éléments plaident pour qu'ici encore on applique un critère économique et l'on s'efforce de faire le lien avec l'entité qui poursuit les activités économiques. Ici aussi, il est requis que les activités subsidiées par des moyens publics, avec toutes les conséquences que cela comporte, soient maintenues. Cela est particulièrement le cas lorsque les recettes tirées du démembrement vont à l'entreprise dont il est probable qu'elle sera en faillite à court terme. Dans une telle situation, le prix de vente est influencé par cette perspective et une partie au moins des avantages inhérents aux aides est maintenue en faveur de l'entreprise devenue autonome, alors que le propriétaire cédant n'en tire pas un avantage correspondant et selon toute vraisemblance permanent. Dans d'autres circonstances, comme le moment où une telle transaction a lieu, par exemple, au cours d'une procédure d'enquête ou non, l'identité des parties intéressées et l'objet de la transaction peuvent également jouer un rôle à cet égard.

83.

Si nous examinons le cas d'espèce, il apparaît que Seleco, à tout le moins son actionnaire le plus important, a, dans un premier temps (en juillet 1995), constitué une nouvelle entité juridique. Ensuite Seleco, devenue entre-temps actionnaire à 100 %, a transféré à cette entité ses activités les plus rentables (février/mars 1996). Les activités en perte, quant à elles, ont été transférées ailleurs au sein du groupe. Ces deux opérations ont encore eu lieu à l'intérieur du groupe Seleco. Enfin, quelques mois plus tard, en juillet 1996, deux lots d'actions sont vendus, le premier à Friulia (également actionnaire de Seleco) l'autre à Italtel. Le troisième lot reste en mains de Seleco via une filiale contrôlée par elle. Cette deuxième opération concerne une cession d'actions par laquelle Seleco Multimedia est séparée du groupe Seleco.

Il résulte de cette constellation de faits que Seleco, dans la perspective presque certaine d'une faillite, a séparé les activités rentables des activités déficitaires, en plaçant ces dernières dans ce qu'il est convenu d'appeler une structure de cantonnement.

84.

Ainsi, un plan de restructuration a d'abord été mis en place au sein du groupe prévoyant que les parties saines de celui-ci soient transférées dans une entité juridique distincte. La Commission a, selon nous, apporté suffisamment d'éléments permettant de croire qu'il s'agissait d'un transfert des actifs et des activités au sein d'un même groupe. Ces mêmes activités ont été poursuivies sur les mêmes sites de production et en utilisant les mêmes moyens de production, personnels et administration.

Il convient de relever à cet égard que, contrairement au droit communautaire de la concurrence où des personnes physiques et morales autonomes formant une unité économique sont considérées comme étant une seule et même entreprise, en matière d'aides d'État, cela n'est pas automatiquement le cas. Cette question, à savoir s'il s'agit d'une unité économique, se pose en matière d'aides d'État notamment lors de la détermination du bénéficiaire des aides. La Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer si des sociétés qui font partie d'un holding doivent être considérées comme formant une unité économique ou bien plutôt comme des entreprises juridiquement et financièrement autonomes. Dans le présent cas d'espèce, la Commission a apporté suffisamment d'éléments permettant de croire que, même après l'apport des activités dans une société distincte, il s'agissait bien encore d'une et une seule entreprise de telle sorte que même cette société fait en principe partie des bénéficiaires. Quand bien même les conclusions iraient dans un autre sens, ce que nous avons indiqué au point 79 ci-dessus reste d'application dans le présent cas d'espèce.

85.

Une deuxième opération a eu lieu à la suite de cela, à savoir le transfert des actions. À partir de ce moment-là, le contrôle de la société a été cédé aux nouveaux actionnaires.

86.

Vu la nature de ces opérations [transfert des actifs et des activités en continuité d'exploitation («going concern») et opérations sur les actions qui en résultent], et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu, nous considérons que, conformément à la jurisprudence, SIM 2 Multimedia doit restituer les aides dont elle a bénéficié. Nous nous référons ici à la jurisprudence antérieure selon laquelle les aides d'État accordées au sein d'un groupe doivent faire l'objet d'une récupération auprès de l'ensemble du groupe et que la vente des actions n'a aucune influence sur les aides dont a bénéficié l'entreprise en tant que telle. Ce qui importe dans cette affaire, c'est qu'il y soit question de la poursuite ininterrompue des activités et que les deux opérations ont eu lieu à un moment où une procédure formelle sur la base de l'article 88, paragraphe 2, CE était en cours au sujet des aides accordées au groupe Seleco dans son ensemble.

87.

Le gouvernement italien et SIM 2 Multimedia ont fait référence à l'arrêt Alfa Romeo ( 19 ). Il s'agissait ici aussi d'un transfert à des tiers et le prix de celui-ci avait été déterminé par un expert indépendant. L'opération concernait une petite partie de la société. Dans cette affaire, les aides avaient fait l'objet d'une demande de récupération non pas auprès de l'acheteur, mais auprès de la partie venderesse. Le parallèle avec la présente affaire n'est donc pas possible. S'il est vrai que, dans cette affaire là, la Cour avait dit pour droit que Finmeccanica, en tant que holding dont faisait partie la société Alfa Romeo au moment des faits litigieux, devait être considérée comme le bénéficiaire des aides attaquées et que sur cette base elle était tenue de rembourser les aides, les circonstances dans lesquelles ces opérations ont eu lieu étaient différentes. En premier lieu, ces opérations ont eu lieu avant que la Commission n'ait ouvert une procédure, de telle sorte que la dimension de «contournement» de la récupération n'est pas apparue. En deuxième lieu, le déroulement de la vente s'est fait en toute transparence et un prix raisonnable a été payé pour les actifs cédés. La vente d'Alfa Romeo avait généré suffisamment de revenus pour payer les dettes résultant des aides illégales. Au surplus, dans cette affaire, seuls certains éléments d'actifs ont été cédés, tandis que les autres actifs et passifs étaient maintenus auprès de Finmeccanica.

88.

C'est la raison pour laquelle nous considérons que, dans certaines circonstances, la récupération des aides peut s'effectuer auprès du cessionnaire et cela est précisément le cas lorsque, par la création d'une structure de cantonnement au cours d'une procédure d'enquête au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE ou sa conclusion, les parties les plus rentables de la société en sont séparées afin d'être cédées aussitôt.

89.

Dans le cas d'espèce, la Commission a apporté suffisamment d'éléments en ce sens.

Les droits de la défense

90.

Les parties soutiennent que les droits de la défense n'ont pas été respectés à leur égard, parce qu'elles n'ont pas été entendues, que la Commission n'a pas établi que Multimedia avait effectivement bénéficié des aides et en raison du fait que la récupération est disproportionnée.

91.

Il est de jurisprudence constante que les droits de la défense constituent un élément essentiel dans les procédures d'aides d'État ( 20 ). Ces droits appartiennent en premier lieu à l'État membre intéressé vu qu'il s'agit d'une procédure engagée entre la Commission et ce dernier. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas tenir compte des autres intéressés. L'article 88, paragraphe 2, CE stipule que la Commission prend une décision «après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations». Il est de jurisprudence constante que la publication d'un avis au Journal officiel est suffisante ( 21 ). C'est la raison pour laquelle nous ne partageons pas l'argument de SIM 2 Multimedia selon lequel il y a eu à son égard une violation des droits de la défense. Elle a eu la possibilité d'être entendue. D'abord elle aurait pu réagir à l'occasion des communications publiées au Journal officiel. Elle appartenait en effet au cercle des intéressés. En deuxième lieu, elle aurait pu prendre l'initiative de produire des pièces ou faire des observations qui auraient pu aider la Commission au moment où elle prenait sa décision finale. Elle n'a fait usage d'aucune de ces possibilités.

92.

L'argument de SIM 2 Multimedia selon lequel la Commission aurait dû lui envoyer une copie de la décision relative à l'extension de la procédure d'enquête ne peut être accueilli. SIM 2 fait entre autres référence aux règles de procédure qui sont d'application en droit communautaire de la concurrence et selon lesquelles les parties ont la possibilité de faire valoir leurs points de vue sur la «communication des griefs». La procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE stipule, comme déjà indiqué ci-dessus, que la Commission prend une décision relative aux mesures d'aides «après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations». L'article 88, paragraphe 2, CE n'exige pas de mise en demeure individuelle des intéressés. Une communication au Journal officiel suffit en vue de faire connaître à tous les intéressés l'ouverture d'une procédure. Le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE ( 22 ) n'a apporté aucune modification à ce sujet. S'il est vrai que l'article 20 de ce règlement stipule que tout destinataire d'une mesure d'aide individuelle (ou toute partie intéressée qui a présenté des observations) reçoit une copie de la décision prise par la Commission, cela concerne uniquement la décision finale («décisions prises conformément à l'article 7») et non la décision d'ouvrir la procédure. C'est pourquoi nous ne partageons pas la conception de SIM 2 Multimedia selon laquelle la Commission aurait dû l'informer séparément.

93.

L'argument selon lequel elle ne pouvait prévoir qu'elle aurait éventuellement à rembourser les aides ne peut pas être accueilli. Il est notoire que les aides qui sont considérées comme illégales ou incompatibles avec le marché commun peuvent être récupérées. L'ensemble des parties était en outre informé qu'une procédure formelle d'enquête était en cours à la suite des aides accordées à Seleco en 1994. Cela ne s'applique pas uniquement à la République italienne mais aussi à l'entreprise bénéficiaire de ces aides, Seleco, devenue plus tard Seleco Multimedia (élément du groupe Seleco), et en fin de compte à SIM 2 Multimedia, ainsi qu'aux actionnaires de SIM 2 Multimedia, à Friulia (également actionnaire de Selečo) et à Italtel. Si toutefois Italtel n'en était pas informée dès le début, on peut certainement présumer qu'elle en a été informée au cours des négociations relatives au groupement d'entreprises ou que cela est apparu au cours de l'enquête préliminaire («due-diligence») inhérente à de telles opérations. Chaque partie savait donc qu'un recours était possible. Cette enquête a été étendue en 1998 aux aides accordées en 1996 à Seleco. Cela a également fait l'objet d'une communication au Journal officiel dans laquelle il a une nouvelle fois été explicitement indiqué que toute aide illégale pouvait faire l'objet d'une récupération auprès de l'entreprise bénéficiaire. En tout état de cause, aucune des parties intéressées n'a présenté des observations de sa propre initiative ou pris contact avec les services de la Commission ni en 1994, ni en 1998.

94.

En conclusion, comme le relève la Commission, une éventuelle violation des droits de la défense ne peut conduire à une annulation que si, sans cette irrégularité, la procédure aurait conduit à un autre résultat. Les pièces que SIM 2 Multimedia a présentées et commentées ne permettent pas de conclure que le résultat aurait été différent.

95.

C'est la raison pour laquelle nous considérons que le moyen déduit du non-respect des droits de la défense est non fondé.

Concernant la proportionnalité

96.

SIM 2 Multimedia a soutenu, d'une part, que la Commission n'avait pas établi qu'elle avait bénéficié des aides et que, d'autre part, même au cas contraire, il ne serait pas juste qu'elle soit tenue de rembourser l'ensemble des aides perçues par Seleco.

97.

Nous considérons que la Commission a apporté suffisamment d'éléments permettant de croire que «les activités Multimedia» ont bénéficié des aides. En premier lieu, et comme la Commission l'a observé, Seleco Multimedia a fait partie de Seleco, en tout cas jusqu'au 18 juillet 1996. Jusqu'à cette date, elle a donc bénéficié pleinement des aides accordées à Seleco. On pourrait même dire qu'elle doit son existence aux aides car, sans la recapitalisation de 1994, elle aurait été, elle aussi, mise en liquidation. Le fait que les chiffres de cette division donnent une meilleure image ne change rien à l'affaire. L'argument de SIM 2 Multimedia selon lequel elle n'est pas bénéficiaire des aides de 1996, car le prêt convertible a été accordé en mai 1996 et la recapitalisation a eu lieu en juin 1996, ne peut être accueilli. Comme l'a relevé la Commission à juste titre — sans que SIM 2 Multimedia le conteste —, ces mesures d'aide visaient à couvrir les pertes comptabilisées en 1994 et en 1995. Il s'agit donc d'aides accordées a posteriori pour l'époque où Seleco ne s'était pas encore séparée des activités multimédia, et non pas d'une aide pour l'avenir tel que cela peut être le cas, par exemple, des aides à l'investissement.

98.

SIM 2 Multimedia soutient qu'il est disproportionné qu'elle doive rembourser la totalité des aides, car la branche multimédia n'aurait généré que 10 % du total du chiffre d'affaires.

99.

Comme cela a déjà été exposé ci-dessus, nous avons affaire en substance à une structure de cantonnement grâce à laquelle la plupart des éléments les plus viables ont été séparés des éléments non viables pour ensuite, aussitôt, laisser mourir ces derniers. Dans une telle situation, le transfert ne concerne pas que les actifs mais aussi les activités rentables. La Commission a ici aussi apporté suffisamment d'éléments à l'appui de sa position. Dans cette hypothèse, la Commission est en droit d'exiger que l'ensemble des aides accordées à ces entreprises soient récupérées.

100.

Enfin, le fait, comme l'affirment les parties, qu'elles ont payé un prix raisonnable pour l'acquisition des actions de cette société n'est pas pertinent dans la présente espèce, car il s'agissait d'une opération sur les actions et non d'une opération sur les actifs ou sur les actifs et passifs.

Obligation de l'État italien de procéder à la récupération

101.

Nous souhaitons enfin examiner l'argument présenté par le gouvernement italien et par SIM 2 Multimedia relatif à la compétence de la Commission d'exiger de la République italienne qu'elle procède à la récupération des aides auprès de «Seleco Multimedia ou toute autre entreprise dont les actifs ont été cédés». Le gouvernement italien a également indiqué que, selon le droit italien, il ne disposait d'aucun titre lui permettant de récupérer des sommes dont il n'a pas été tenu compte dans les conditions de la vente. Il soutient en outre qu'il s'agit en l'espèce d'une dette de droit privé.

102.

Nous sommes d'avis qu'il résulte de ce qui précède que, dans certaines circonstances, l'ordre de remboursement ne se limite pas à l'entreprise initialement bénéficiaire, mais peut être étendu à l'entreprise qui a poursuivi les activités à la suite de la cession des moyens de production. Par conséquent, pour éviter que l'exécution de l'ordre de récupération ne soit menacé, la Commission peut ordonner que l'État membre prenne toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides auprès «du premier bénéficiaire» et, au besoin, auprès de son «successeur». Autrement dit, elle peut donner instruction à un État membre d'agir non seulement contre Selečo, mais également contre l'entreprise qui a poursuivi les activités au moyen des actifs cédés.

103.

Ensuite, l'État membre en question est dans l'obligation de procéder immédiatement à la récupération des aides illégales. À cette fin, il doit faire usage de tous les moyens juridiques dont il dispose. Cela ne résulte pas uniquement de la jurisprudence, mais a également fait l'objet d'une codification dans le règlement n° 659/1999.

Il n'y a aucune violation de l'article 14 du règlement n° 659/1999, contrairement aux affirmations de SIM 2 Multimedia et de la République italienne. La Commission a uniquement décidé que les sommes devaient être récupérées et que, dans l'éventualité d'un solde insuffisant de Seleco, il y avait lieu, à titre subsidiaire, de les récupérer auprès de Seleco Multimedia Sri (aujourd'hui SIM 2 Multimedia) ou de toute autre entreprise à laquelle les actifs ont été cédés, et que (voir les points 113 et 115 de la décision attaquée) la République italienne devait, à ces fins, intervenir vigoureusement comme un créancier privé diligent et prudent, en recourant à tous les moyens juridiques possibles.

104.

Quant à l'observation du gouvernement italien selon laquelle le droit italien ne lui permettait pas de réclamer les sommes auprès de SIM 2 Multimedia, il convient d'observer que, selon une jurisprudence constante, des difficultés éventuelles de procédure ou autres quant à l'exécution de l'ordre de récupération contesté, ne sauraient influer sur la légalité de celui-ci ( 23 ). La Cour a par ailleurs dit pour droit que, même si en droit italien on ne peut pas récupérer des sommes qui n'ont pas été prises en considération dans les conditions de vente de l'entreprise, cela ne saurait faire obstacle à la pleine application du droit communautaire et est, dès lors, sans incidence sur l'obligation de procéder au recouvrement des aides en question ( 24 ).

V — Conclusion

105.

Pour ces motifs, nous concluons au rejet des recours et à la condamnation solidaire des requérants aux dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.


( 1 ) Langue originale: le néerlandais.

( 2 ) JO 2000, L 227, p. 24.

( 3 ) JO 1994, C 368, p. 12. Ces lignes directrices ont entre-temps été remplacées par une nouvelle communication publiée dans le JO 1999, C 288, p. 2.

( 4 ) Bulletin des Communautés européennes, 9-1984.

( 5 ) Voir note 3.

( 6 ) Voir notes 4 et 3.

( 7 ) Voir, entre autres, les arrêts du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission (296/82 et 318/82, Rec. p. 809); du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, dit «Meura» (234/84, Rec. p. 2263); du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, dit «Boch II» (40/85, Rec. p 2321), et du 14 février 1990, France/Commission, dit «Boussac», (C-301/87, Rec. p. I-307).

( 8 ) Arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, dit «ENI-Lanerossi» (C-303/88, Rec. p. I-1433, point 20).

( 9 ) Arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, dit «Alfa Romeo» (C-305/89, Rec. p. I-1603, point 20).

( 10 ) Voir l'affaire «ENI-Lanerossi», points 21 et 22 (voir note 8).

( 11 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 29 février 1996, Belgique/ Commission (C-56/93, Rec. p. I-723, point 11), et la jurisprudence citée; le jugement du Tribunal du 12 décembre 1996, Air France/Commission (T-358/94, Rec. p. II-2109, point 71), et l'arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C-288/96, Rec. p. I-8237, point 26), et la jurisprudence citée.

( 12 ) Arrêts du 24 février 1987, Deufil/Commission (310/85, Rec. p. 901); du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit «Tubemeuse» (C-142/87, Rec. p. I-959, point 66), et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission (C-169/95, Rec. p. I-135, point 47).

( 13 ) Voir arrêts du 14 septembre 1994, Espagne/Commission (C-278/92 à C-280/92, Rec. p. I-4103, point 73), et du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-350/93, Rec. p. I-699).

( 14 ) Arrêt Commission/Italie, précité à la note 13, point 22.

( 15 ) Arrêt ENI-Lanerossi, point 57 (voir note 8).

( 16 ) Arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (323/82, Rec. p. 3809) et ENI-Lanerossi, précité à la note 8.

( 17 ) Arrêt du 20 septembre 2001, Banks (C-390/98, point 78 Rec. p. I-6117).

( 18 ) Arrêt Alfa Romeo, précité à la note 9.

( 19 ) Arrêt Alfa Romeo, précité à la note 9.

( 20 ) Voir, entre autres, les arrêts Boussac, précité à la note 7; Boch II précité à la note 7, et du 11 novembre 1987, France/Commission (259/85, Rec. p. 4393).

( 21 ) Voir, entre autres, l'arrêt Intermills/Commission, précité à la note 16, points 16 et 17.

( 22 ) JO L 83, p. 1.

( 23 ) Arrêt Tubemeuse, précité à la note 12.

( 24 ) Arrêt ENI-Lanerossi, précité à la note 8.