Chronologie de l'affaire
Cour d'appel de Paris, 11ème chambre 02 mars 1998
Cour de cassation 22 juin 1999

Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 juin 1999, 98-83114

Mots clés travail · comité d'entreprise · délit d'entrave · eléments constitutifs · projet de réduction des effectifs · consultation · modalités · service · comité · entreprise · licenciements · condamnation · nullité

Synthèse

Juridiction : Cour de cassation
Numéro affaire : 98-83114
Dispositif : Rejet
Textes appliqués : Code du travail L432-1 et L483-1
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 11ème chambre, 02 mars 1998
Président : Président : M. GOMEZ
Rapporteur : Mme Karsenty conseiller

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris, 11ème chambre 02 mars 1998
Cour de cassation 22 juin 1999

Résumé

null

Texte

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Philippe,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 2 mars 1998, qui l'a condamné, pour entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, à une amende de 25 000 francs, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 11 mai 1999 où étaient présents dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Géronimi ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle Jean-Jacques GATINEAU et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GERONIMI ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen

de cassation, pris de la violation des articles 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 de la loi d'amnistie du 3 août 1995, 551, 565, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation ;

"aux motifs que si l'acte de poursuite fait référence aux multiples aspects de la procédure de licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés ou de plus de dix salariés, alors qu'en l'espèce, les mesures envisagées devaient se traduire par le licenciement, d'une part, de trois personnes au service NAD/ESU, d'autre part, de cinq salariés au sein du service SDU, c'est-à-dire de moins de dix personnes , ces considérations explicatives sur la stratégie supposée de l'entreprise quant au recours réitéré à la pratique des licenciements successifs de moins de dix salariés dans le but d'éluder les dispositions de l'article L. 321-2, dernier alinéa, du Code du travail ne sont pas de nature à vicier la citation, les causes précises de la poursuite n'en demeurant pas moins bien définies dans la citation ; que, par ailleurs, le visa, dans l'acte introductif d'instance, d'une condamnation amnistiée, s'il est susceptible, le cas échéant, de donner lieu aux poursuites et à la condamnation prévues par l'article 23 de la loi du 3 août 1995, n'est pas davantage de nature à entacher de nullité ledit acte ;

1 / "alors, d'une part, que toute personne accusée d'une infraction a droit à être informée d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle ; qu'il s'ensuit que l'acte initial des poursuites est nul lorsqu'il est rédigé en des termes qui ne permettent pas à la personne poursuivie de savoir précisément quelle infraction lui est imputée ; qu'en l'espèce, la citation reprochait à Philippe X... d'avoir procédé à plusieurs reprises, et notamment dans les services NAD et SDU, à des licenciements de moins de dix salariés afin d'éluder l'application de l'article L. 321-2 dernier alinéa du Code du travail, en même temps qu'elle formulait des critiques relatives à la consultation du comité d'entreprise préalablement à la réduction des effectifs dans les deux services précités ; que cet amalgame entre plusieurs aspects de la procédure de licenciement collectif pour motif économique ne permettait pas à Philippe X... de savoir précisément quelle infraction lui était reprochée ; qu'il en résultait nécessairement une atteinte aux droits de la défense ; que par voie de conséquence la citation était nulle ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

2 / "alors, d'autre part, que l'amnistie a un caractère d'ordre public ; qu'en outre, le rappel des condamnations amnistiées est expréssement prohibé par la loi ; qu'il s'ensuit qu'une citation qui fait état d'une condamnation amnistiée antérieurement prononcée à l'encontre du prévenu est entachée d'une nullité d'ordre public ;

qu'en l'espèce il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la citation à comparaître mentionnait une condamnation amnistiée dont avait fait l'objet antérieurement Philippe X... ; que dès lors la citation était nulle ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes visés au moyen" ;

Sur le deuxième moyen

de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, 7.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, L. 483-1 du Code du travail, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception fondée sur l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 483-1 du Code du travail et des dispositions des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"aux motifs que, s'il ne donne pas la liste (impossible à dresser) de chacun des innombrables comportements pouvant caractériser l'infraction, l'article L. 483-1 du Code du travail n'en incrimine pas moins des agissements précis à connotation négative qui sont, par exemple, les actes de nature à empêcher la constitution ou le fonctionnement régulier du comité d'entreprise ou la libre désignation de ses membres ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l'article L. 483-1 précité offre des garanties suffisantes quant à la notion de prévisibilité des poursuites, et ce, d'autant, que l'acte saisissant la juridiction répressive doit, conformément aux prescriptions de l'article 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, informer de façon détaillée le prévenu quant aux faits précis qui lui sont reprochés ;

1 / "alors que le principe de légalité a pour corollaire l'obligation pour le législateur de définir les infractions en des termes suffisamment précis pour exclure toute incertitude quant au champ d'application de la loi pénale ; que l'article L. 483-1 du Code du travail, qui incrimine "toute entrave" apportée à la constitution ou au fonctionnement régulier d'un comité d'entreprise, sans définir la notion d'entrave et en se bornant à indiquer que celle-ci consiste notamment en la méconnaissance des articles L. 433-13 et L. 436-1 à L. 436-3 du même Code, est source d'incertitude dans la mesure où les autres agissements constitutifs d'entrave ne sont pas déterminés par la loi ; qu'en raison de cette imprécision, l'article L. 483-1 méconnaît le principe de légalité consacré par les conventions internationales susvisées et ne peut recevoir application, les traités ayant une autorité supérieure à celle des lois ; qu'il s'ensuit qu'aucune condamnation ne pouvait être prononcée sur le fondement de ce texte ;

2 / "alors, en outre, qu'en se fondant sur la circonstance, totalement étrangère à l'exigence de précision des textes répressifs, que l'acte saisissant la juridiction répressive doit informer de façon détaillée le prévenu des faits précis qui lui sont reprochés, ce qui procurait une sécurité juridique suffisante, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de la citation prise de son imprécision, ainsi que le grief tiré de l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 483-1 du Code de travail avec celles des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel énonce à bon droit que les causes de la poursuite, précisément définies dans cet acte, sont fondées sur les dispositions de l'article L. 483-1 du Code précité, lequel offre des garanties suffisantes quant à l'exigence de prévisibilité au sens de l'article 7 de la Convention précitée, et qu'enfin le visa d'une condamnation amnistiée figurant dans la citation, n'est pas de nature à entacher cet acte de nullité, cette mention pouvant seulement donner lieu à des poursuites sur le fondement de l'article 23 de la loi du 3 août 1995 ;

D'où il suit que les moyens doivent être rejetés ;

Sur le troisième moyen

de cassation, pris de la violation des articles L. 321-2, L. 321-4, L. 431-5, L. 432-1 et L. 483-1 du Code du travail, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Philippe X... coupable du délit d'entrave au fonctionnement régulier d'un comité d'entreprise et l'a condamné à des sanctions pénales ainsi que, solidairement avec la société AIG EUROPE, à des réparations civiles ;

"aux motifs que la convocation adressée aux membres du comité d'entreprise en vue de la réunion du 24 juin 1996, mentionnait l'annonce de la consultation envisagée pour les licenciements envisagés en raison notamment de la diminution de la charge de travail au sein du SDU (support à la clientèle), service comportant en mai 1996 trente-sept salariés et chargé de la rédaction, de l'administration et de la gestion des polices d'assurance ; que dans la note explicative jointe par la direction à la convocation, il a été noté :

- que le nombre de polices dressées avait diminué de 60,67 % depuis la fin de l'année 1990 et que la charge de travail de cette unité avait baissé ;

- que pour réajuster les effectifs aux besoins réels, il était envisagé des licenciements au mois de juillet 1996 ;

que les membres élus du comité d'entreprise ont appris pour la première fois les difficultés de l'emploi dans ce service, et que ce point n'avait pas été préalablement abordé aux réunions précédentes du comité, entièrement réservées au service NAD ; que les dispositions de l'article L. 321-2 du Code du travail prévoient que, dans les entreprises où sont employés habituellement au moins cinquante salariés, les employeurs qui projettent un licenciement pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de 30 jours, sont tenus de réunir et de consulter le comité conformément aux dispositions de l'article L. 432-1 du Code du travail ; qu'en application du deuxième alinéa de ce dernier texte, le comité d'entreprise est obligatoirement saisi en temps utile des projets de compression des effectifs et qu'il émet un avis sur l'opération projetée et les modalités d'application ; que tel n'a pas été le cas en la cause pour le service SDU, Philippe X... ayant seulement fait connaître au comité d'entreprise, lors de sa séance du mois de juin 1996, que des licenciements économiques étaient envisagés au sein du service en cause ; que le prévenu n'a pas mis le comité en mesure d'émettre en temps voulu un avis ni sur le projet de compression des effectifs ni sur ses modalités d'application, et que la consultation opérée (...) n'a pas été une consultation utile au sens de l'article L. 321-2 précité, et ce en dehors de l'incidence éventuelle de tout projet de réorganisation ;

"et aux motifs éventuellement adoptés que l'effectif du service SDU était de 37 personnes au 1er mai 1996 et que trois salariés de ce service ont été licenciés en juillet 1996 ; que les élus n'ont été informés que mi-juin du projet de réduction des effectifs devant intervenir courant juillet 1996 ; qu'il ressort pourtant de la note explicative en date du 12 juin 1996 que la charge de travail de ce service avait diminué de façon progressive mais constante depuis 1990, sans que ce problème ait été abordé lors des réunions des 27 mars, 17 avril, 25 avril et 7 juin 1996 ; qu'en outre, la note explicative du 12 juin 1996 ne détaille pas le nombre des postes supprimés au SDU ; qu'en conséquence l'information exigée par la loi n'a pas été donnée ni en temps suffisant ni en quantité ou qualité satisfaisantes ;

1 / "alors que la consultation préalable du comité d'entreprise ne s'impose à l'employeur que lorsque les mesures envisagées sont importantes et ne revêtent pas un caractère ponctuel ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations des juges du fond que le projet de licenciement visait seulement cinq salariés parmi les 37 que comptait le service ; qu'ainsi la réduction des effectifs ne revêtait pas une importance telle que la consultation du comité d'entreprise fût requise ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes visés au moyen ;

2 / "alors, en toute hypothèse, que l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif n'est pas tenu de communiquer au comité d'entreprise la liste nominative des salariés concernés ; que, dès lors, en se fondant sur la circonstance que la note explicative adressée au comité ne détaillait pas les postes supprimés au SDU et, en conséquence, que l'information donnée n'était satisfaisante ni en quantité ni en qualité, les juges du fond ont méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen ;

3 / "alors qu'il résulte des énonciations des juges du fond que la citation délivrée à la requête des parties civiles dénonçait la consultation prétendument insuffisante du comité d'entreprise "sur le projet relatif au SDU et qui envisageait le licenciement de cinq personnes" ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, déclarer que Philippe X... n'a pas informé le comité d'entreprise du nombre de licenciements projetés ;

qu'il s'ensuit que la décision attaquée n'est pas légalement justifiée ;

4 / "alors que la résolution adoptée par le comité d'entreprise à l'issue de la réunion du 24 juin 1996 fait état d'un projet de suppression de cinq postes au SDU ; que, dès lors, les juges du fond ne pouvaient, sans dénaturer les pièces du dossier, déclarer que le comité d'entreprise n'avait pas été informé du nombre de licenciements envisagés dans le service en cause ;

5 / "alors que l'employeur satisfait à son obligation légale lorsque les informations communiquées au comité d'entreprise permettent à celui-ci de se prononcer en connaissance de cause sur la mesure envisagée ; que, dès lors, en déclarant le délit établi sans rechercher quelles informations (hormis celles relatives au nombre et au détail des postes supprimés) auraient manqué au comité d'entreprise pour que celui-ci pût donner un avis éclairé sur les licenciements projetés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;

6 / " alors que l'employeur n'est tenu de consulter le comité d'entreprise que dans les cas spécifiés par la loi et notamment lorsqu'il envisage de réduire les effectifs ; qu'un projet de licenciement économique non encore définitif ne nécessite pas la consultation du

comité d'entreprise ; que, dès lors, en faisant grief à l'employeur de n'avoir pas informé le comité d'entreprise, lors des réunions tenues entre le 27 mars et le 7 juin 1996, de la baisse régulière d'activité dans le service depuis 1990, sans rechercher si à la date des réunions précitées, le principe de la réduction des effectifs avait d'ores et déjà été arrêté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;

7 / "alors que l'employeur satisfait à son obligation en consultant le comité d'entreprise dans un délai qui permette à celui-ci de se prononcer en temps utile sur la mesure envisagée ;

qu'il s'ensuit que les juges du fond ne peuvent considérer que la consultation du comité d'entreprise n'a pas été valablement faite sans rechercher le délai dont a disposé ledit comité pour formuler son avis avant les décisions effectives de licenciement ; qu'en l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, d'une part, que le comité a été informé du projet de réduction des effectifs par la note explicative du 12 juin 1996, d'autre part, que les licenciements sont intervenus au mois de juillet 1996, sans que la date de ces licenciements ait été indiquée de manière plus précise ; qu'en l'état de ces seules énonciations, la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si le délai d'examen dont a disposé le comité d'entreprise était ou non suffisant ; qu'ainsi la décision attaquée manque de base légale" ;

Attendu qu'en retenant, au terme de l'analyse des éléments de fait contradictoirement débattus devant elle, que le prévenu n'a pas mis le comité d'entreprise en mesure d'émettre en temps voulu un avis sur le projet de réduction des effectifs et sur ses modalités d'application, et qu'ainsi la consultation opérée n'a pas été une consultation utile au sens de l'article L. 321-2 du Code du travail, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;


REJETTE le pourvoi ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;