Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2024, et des pièces complémentaires, enregistrées les 26 et 31 juillet 2024, M. D E et Mme B E, représentés par Me Deleurme-Tannoury, demandent au juge des référés du tribunal :
1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 5 juin 2024 par laquelle la commission de l'académie de Rennes a rejeté leur recours administratif préalable obligatoire tendant à l'instruction en famille de leur fils A E, né le 23 juin 2009, au titre de l'année scolaire 2024-2025 ;
2°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Rennes d'autoriser, dans l'attente d'une décision au fond du tribunal, l'instruction en famille de leur fils A au titre de l'année scolaire 2024-2025 dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite, en raison de l'imminence de la rentrée scolaire, du caractère déterminant de l'année 2024-2025, année du brevet national des collèges et de l'ASSR2, de l'inscription à venir de A au sein de la section sportive du lycée Le Gros chêne de Pontivy, de la formation en alternance proposée par l'AS Ménimur, du premier examen de coach professionnel et d'une pratique intensive du football, y compris par un accompagnement personnalisé ainsi que de l'atteinte grave et immédiate à l'avenir professionnel de A ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée dès lors, premièrement, que la composition de la commission académique est entachée d'irrégularité en application de l'article
D. 131-11-11 du code de l'éducation ;
- deuxièmement, il n'est pas établi que le quorum prévu par l'article
D. 131-11-12 du code de l'éducation était atteint ;
- troisièmement, la décision de la commission académique leur a été notifiée au-delà du délai de cinq jours ouvrés qui lui était imparti par l'article
D. 131-11-12 du code de l'éducation ;
- quatrièmement, la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit en application des articles
L. 131-5 et
R. 131-11-3 du code de l'éducation ;
- enfin, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2024, le recteur de l'académie de Rennes conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite, dès lors que l'inscription dans un établissement public ou privé d'enseignement ne fera pas obstacle à ce que le jeune A passe le diplôme du brevet national des collèges et l'ASSR2 et ultérieurement l'examen de coach professionnel, que ses projets pour l'année 2025-2026 ne caractérisent pas une situation d'urgence et que le collège Notre-Dame le Ménimur propose une section sportive dans laquelle le jeune A suit déjà des entraînements ;
- les moyens soulevés par M. et Mme E ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.
Vu :
- la requête au fond enregistrée sous le n° 2404186 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal administratif a désigné Mme Grenier, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 1er août 2024 :
- le rapport de Mme Grenier, juge des référés,
- les observations de Me Nadalini, substituant Me Deleurme-Tannoury, qui relève que le jeune A pratique le football au plus haut niveau de sa tranche d'âge. Il suit de nombreux entraînements. L'urgence est satisfaite en raison de l'imminence de la rentrée scolaire et d'une année charnière pour A. Il envisage de rejoindre la section sportive du lycée de Pontivy dès l'année 2025-2026. La question n'est pas celle du brevet des collèges mais de la pratique sportive intensive. Une inscription dans la section sportive du collège Notre-Dame le Ménimur lui imposerait d'être interne, ce qui n'est pas adapté à son caractère. La décision litigieuse porte une atteinte grave et immédiate à son avenir et compromet son projet professionnel. Son programme d'entraînement intensif n'est pas compatible avec une scolarité dans un collège. Il est appelé à faire des essais auprès de clubs professionnels dans les prochains mois. Le coaching fait partie de son entraînement sportif. Il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée en raison de sa notification tardive. La compétence du signataire de la décision de la commission académique n'est pas établie. Il existe une erreur manifeste d'appréciation. A a bénéficié d'une instruction en famille pendant un an qui a donné de très bons résultats. La décision contestée est entachée d'erreur de droit, dès lors que la reconnaissance de la qualité de sportif de haut niveau n'est pas une condition de l'instruction en famille pour pratique d'activités sportives intensives et que la circonstance que la " Foot Breizh académie " soit une structure privée est sans incidence sur l'application des dispositions du code de l'éducation. A joue dans un club de football affilié à la Fédération française de football,
- les observations de Mme C, représentant le recteur de l'académie de Rennes, qui rappelle que A a été instruit en famille l'année dernière sans être muni d'une autorisation à cet effet. La commission académique ne disposait pas d'éléments suffisants permettant d'établir une pratique sportive intensive incompatible avec un suivi scolaire normal et ne disposait pas du renouvellement de la licence pour 2024-2025. Ces pièces ont été fournies postérieurement à la décision du 5 juin 2024. Si l'on tient compte des activités sportives de A et non de ses pratiques annexes, ses entraînements, qui ont surtout lieu en fin de journée, sont compatibles avec une scolarisation dans un établissement d'enseignement. Il a déjà été scolarisé dans un établissement d'enseignement. Il existe une section sportive football au collège de Vannes avec laquelle il s'entraîne déjà,
- et les observations de M. E, en présence de son fils A, qui apporte des précisions sur l'emploi du temps de son fils.
La parole a été donnée, en dernier lieu, à la défense.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
1. Le 24 mars 2024, M. et Mme E ont déposé une demande d'instruction en famille en classe de 3ème pour leur fils, A E, né le 23 juin 2009. Par une décision du 7 mai 2024, le directeur académique des services de l'éducation nationale du Morbihan a rejeté cette demande. Par une décision du 5 juin 2024, la commission de l'académie de Rennes a rejeté le recours administratif préalable obligatoire que M. et Mme E lui ont adressé le 16 mai 2024. M. et Mme E demandent au juge des référés du tribunal la suspension de l'exécution de cette dernière décision sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (). ".
En ce qui concerne l'urgence :
3. Il résulte des dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
4. Il résulte de l'instruction que le jeune A, qui a pour projet de devenir joueur professionnel de football, pratique cette activité sportive de manière intensive au plus haut niveau de sa tranche d'âge. Outre trois entraînements collectifs hebdomadaires en club après 17h30, les lundi, mercredi et vendredi et au sein de la section sportive du lycée Notre-Dame le Ménimur à Vannes, les mardi et jeudi à partir de 16h00 pour l'année scolaire 2024-2025, il bénéficie de deux entraînements individuels " en spécifique attaquant " les mardi et jeudi de 14h30 à 15h30 ainsi que d'un programme individuel complet d'entraînement sur le plan physique, mental, nutritionnel et de l'analyse des performances avec des séances quotidiennes de trente minutes à trois heures, outre des stages de 2 à 7 jours toutes les trois semaines environ. Il est également soutenu, sans que cela ne soit sérieusement contesté, qu'il va effectuer des détections au sein de clubs professionnels en France ou à l'étranger dès la saison 2024-2025. La décision litigieuse ne lui permettra pas de poursuivre son activité sportive au niveau à laquelle il la pratique, alors, en outre, que, compte tenu de l'imminence de la rentrée scolaire, il ne résulte pas de l'instruction qu'il pourrait intégrer l'internat et la section sportive en classe de 3ème du collège Notre-Dame le Ménimur à Vannes, dès la rentrée du mois de septembre 2024, ni même qu'une scolarisation au sein de cette section, laquelle ne dispense que deux entraînements collectifs de football par semaine, les mardi et jeudi, lui permettrait de poursuivre le programme sportif individualisé de haut niveau dont il bénéficie. Par ailleurs, une scolarisation au sein d'un collège à Carnac multiplierait les déplacements entre son domicile situé à Erdeven, Carnac puis Vannes où ont lieu ses entraînements quotidiens, sans système de transport en communs adapté et, induirait ainsi une fatigue importante pour ce jeune déjà très sollicité. En l'état de l'instruction, et alors que A a pour projet d'intégrer la section sportive du lycée " Le Gros chêne " à Pontivy en classe de seconde au titre de l'année scolaire 2025-2026, l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à ses intérêts pour que la condition tenant à l'urgence puisse être regardée comme satisfaite.
En ce qui concerne le doute sérieux :
5. Aux termes de l'article
L. 131-5 du code de l'éducation : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article
L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille () / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : () / 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives (). ". Selon l'article
R. 131-11-3 du même code : " Lorsque la demande d'autorisation est motivée par la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives, elle comprend : / 1° Une attestation d'inscription auprès d'un organisme sportif ou artistique ; / 2° Une présentation de l'organisation du temps de l'enfant, de ses engagements et de ses contraintes établissant qu'il ne peut fréquenter assidûment un établissement d'enseignement public ou privé. ".
6. En premier lieu, d'une part, la commission de l'académie de Rennes a refusé l'instruction en famille du jeune A E au motif qu'il n'était reconnu comme étant un sportif de haut niveau ni par la Fédération française de football (FFF), ni par la Ligue Bretagne de football. Toutefois, la qualité de sportif de haut niveau n'est pas une condition prévue par l'article
R. 131-11-3 du code de l'éducation pour justifier une demande d'instruction en famille au titre des dispositions du 2° de l'article
L. 131-5 du même code.
7. D'autre part, pour refuser l'instruction en famille du jeune A E, la décision litigieuse du 5 juin 2024 relève que la structure " Football Breizh Académie " est une structure privée, non liée à la Fédération française de football. S'il est constant que la " Football Breizh Académie ", qui a notamment des activités d'enseignement et d'éducation sportive ainsi que des prestations de conseils et de management de sportifs amateurs ou professionnels, n'est pas liée à la Fédération française de football, il résulte de l'instruction que le club de l'AS Ménimur de Vannes, dans lequel le jeune A est licencié, s'entraîne plusieurs fois par semaine et participe à l'encadrement des joueurs plus jeunes les mercredi et samedi, est affilié à la FFF, la " Football Breizh Académie " lui offrant seulement un programme complémentaire d'entraînements sportifs et de stages.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'alors même que les entraînements collectifs quotidiens en fin de journée du jeune A au club de l'AS Ménimur et avec la section sportive du lycée Notre-Dame le Ménimur à Vannes ne sont pas incompatibles avec une scolarisation dans un établissement d'enseignement public ou privé, il résulte de l'instruction qu'il bénéficiera également, au titre de l'année scolaire 2024-2025, de deux entraînements individuels de football les mardi et jeudi à partir de 14h30. Il résulte, en outre de l'instruction que, compte tenu de ses bons résultats scolaires de 4ème en 2023-2024 et de ses résultats sportifs, il est admis à poursuivre, en 2024-2025, le programme de suivi personnalisé du centre de formation et de développement de la performance sportive " Pep's football " qui l'accompagne sur le plan du développement physique, mental, nutritionnel et de l'étude de ses performances, par des séances quotidiennes de trente minutes à trois heures. Il résulte ainsi de l'emploi du temps type de A qu'il a divers entraînements physiques ou de préparation mentale, à l'exception du mardi, à partir de 14h00 ou 15h00 avant les entraînements de football. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le jeune A effectue des stages d'entraînement sportif de 2 à 7 jours toutes les trois semaines environ et qu'il sera appelé, au titre de l'année scolaire 2024-2025, à réaliser des déplacements pour des essais en clubs professionnels en France ou à l'étranger. Il résulte de l'attestation du centre de formation " Pep's football " que plusieurs clubs professionnels s'intéressent à lui. Ainsi, en l'état de l'instruction, les contraintes et engagements du jeune A ne lui permettent pas de fréquenter assidûment une classe de 3ème au sein d'un établissement d'enseignement public ou privé.
9. Par suite, en l'état de l'instruction les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation sont de nature à créer un doute quant à la légalité de la décision du 5 juin 2024.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les deux conditions d'application de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative sont satisfaites. Par suite, il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision de la commission de l'académie de Rennes du 5 juin 2024 portant rejet de la demande de M. et Mme E d'autorisation d'instruction dans la famille concernant leur fils et ordonnant sa scolarisation en établissement scolaire pour l'année 2024-2025, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité par une formation collégiale du tribunal.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Eu égard aux motifs énoncés au point 9 de la suspension prononcée par la présente ordonnance, il y a lieu d'enjoindre au recteur de l'académie de Rennes de délivrer à M. et Mme E une autorisation provisoire pour l'instruction en famille de leur fils A, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur requête en annulation par une formation collégiale du tribunal.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 900 euros à verser à M. et Mme E au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de la décision de la commission de l'académie de Rennes du 5 juin 2024 portant rejet de la demande de M. et Mme E d'autorisation d'instruction dans la famille de leur fils A et ordonnant sa scolarisation en établissement scolaire pour l'année 2024-2025 est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité par une formation collégiale du tribunal.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Rennes de délivrer à M. et Mme E une autorisation provisoire pour l'instruction en famille de leur fils A, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation n° 2404186.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme E la somme de 900 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D E, à Mme B E et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée pour information au recteur de l'académie de Rennes.
Fait à Rennes le 5 août 2024.
La juge des référés,
signé
C. GrenierLa greffière d'audience,
signé
I .Loury
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.