Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2021 et le 11 octobre 2023, la SAS Edunao, représentée par Me Peyret, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner le Centre national d'enseignement à distance (CNED) à lui verser la somme de 524 272,93 euros assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice qu'elle a subi par la divulgation d'informations protégées par le secret des affaires à une société concurrente dans le cadre d'une instance en référé devant le tribunal administratif ;
2°) de mettre à la charge du CNED la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-le CNED a porté atteinte au principe de confidentialité des offres et du secret des affaires en communiquant à son concurrent, lors d'une procédure de référé précontractuel, la décomposition globale du prix forfaitaire et le bordereau de prix unitaire qu'elle avait élaborés dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence qu'il avait lancée ;
- cette communication a procuré un avantage irrémédiable à son unique concurrent pour les procédures de mise en concurrence ultérieures, et notamment dans le cadre de deux procédures lancées en Belgique, que ce concurrent a remportées ;
- la divulgation fautive du détail de son offre tarifaire à son concurrent par le CNED justifie qu'il répare le préjudice qui en a résulté pour elle à hauteur d'un montant total de 524 272,93 euros, correspondant, d'une part, à la perte de chance de se voir attribuer deux marchés conclus en Belgique, pour un montant de 501 172,93 euros, et, d'autre part, aux frais qu'elle a engagés dans le cadre de ces procédures belges, pour un montant de 23 100 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2023, et un mémoire enregistré le 3 novembre 2023, qui n'a pas été communiqué, le CNED, représentée par l'AARPI Fréget Glaser et Associés, conclut au rejet de la requête, et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la SAS Edunao au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dès lors que le contenu des éléments de simulation financière communiqués dans le cadre de la procédure de référé précontractuel ne comportait aucun élément susceptible de causer un préjudice à la société requérante ;
- le lien de causalité entre la communication des éléments de simulation financière et le rejet de l'offre de la société requérante lors des procédures de mise en concurrence lancées en Belgique n'est pas établi ;
- même si la SAS Edunao avait obtenu le nombre maximal de points sur le critère " prix " dans le cadre de la première procédure lancée en Belgique, elle n'aurait pas remporté le marché ;
- elle n'a pas formé de recours à l'encontre de cette procédure en Belgique ;
- en tout état de cause, les sommes que la société requérante demande à titre d'indemnisation ne sont pas justifiées.
Vu :
- l'ordonnance n° 2101116 du 17 mai 2021 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a enjoint au CNED de suspendre l'exécution de l'ensemble des décisions se rapportant à la passation du marché en litige et de reprendre la procédure au stade de l'avis d'appel public à la concurrence, s'il entendait passer ce marché ;
- les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gibson-Théry,
- les conclusions de Mme Bréjeon, rapporteure publique,
- les observations de Me Peyret, représentant la société Edunao, et de Me Glaser, représentant le CNED.
Considérant ce qui suit
:
1. Le CNED a attribué un marché public de services portant sur l'hébergement, l'infogérance et la tierce maintenance applicative de ses plateformes Moodle, à la société Cblue, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres ouvert à laquelle a participé la société Edunao. Par un courrier daté du 6 avril 2021, notifié le 16 avril suivant, le CNED a informé la société Edunao de l'attribution du marché à la société CBlue et du rejet de son offre, au motif que, excédant les crédits budgétaires alloués aux prestations de ce marché, elle était inacceptable, au sens des articles
L. 2152-3 et
R. 2152-1 du code de la commande publique. Par un courrier du 21 avril 2021, la société Edunao a sollicité du CNED la communication des éléments budgétaires ayant conduit à son éviction, et des motifs de choix de l'offre de la société Cblue ainsi que de rejet de son offre. Par une requête en référé précontractuel enregistrée le 26 avril 2021, la société Edunao a demandé au juge des référés d'annuler la procédure de passation du marché et la décision de rejet de son offre, puis d'enjoindre au CNED de reprendre la procédure de passation du marché au stade de la sélection des candidatures. Par une ordonnance n° 2101116 du 17 mai 2021, la juge des référés a enjoint au CNED de suspendre l'exécution de l'ensemble des décisions se rapportant à la passation du marché en litige et de reprendre la procédure au stade de l'avis d'appel public à la concurrence, s'il entendait passer ce marché. Dans la présente instance, la société Edunao demande la condamnation du CNED à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la divulgation de son offre de prix détaillée à son concurrent, pour un montant total de 524 272,93 euros.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. Aux termes de l'article de l'article
L. 2132-1 du code de la commande publique qui dispose que : " L'acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles dont il a eu connaissance lors de la procédure de passation, telles que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires, ou celles dont la communication pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, telle que la communication en cours de consultation du montant total ou du prix détaillé des offres. () ".
3. Il résulte de l'instruction que le 7 mai 2021, le CNED a, au soutien de la communication de son mémoire en défense dans le cadre de la procédure de référé intentée contre lui, transmis au tribunal une simulation financière basée sur la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) et le bordereau des prix unitaires (BPU) remis par la société Edunao lors de la procédure de mise en concurrence, faisant apparaître l'intégralité de la grille de ses tarifs, laquelle a été communiquée par le tribunal à la société Cblue, partie à l'instance de référé. Par un courrier du 10 mai 2021, la société Edunao a formé une demande indemnitaire préalable auprès du CNED, en se prévalant de la communication fautive à la société Cblue dans le cadre de l'instance de référé précontractuel des éléments de simulation financière qu'elle avait remis dans son offre, en contradiction avec le principe de confidentialité énoncé à l'article
L. 2132-1 du code de la commande publique et du secret des affaires.
4. A supposer même que la divulgation en litige soit susceptible de porter atteinte au secret des affaires, la seule circonstance que l'offre de la société CBlue a été retenue par l'Entreprise des Technologies Numériques de l'Information et de la Communication (ETNIC) au terme de deux procédures de passation qui se sont déroulées en Belgique, auxquelles la société Edunao a également participé, ne permet pas d'établir que la connaissance par la société CBlue de la simulation financière divulguée est la cause du rejet de son offre, alors qu'il résulte du rapport d'analyse des offres de l'ETNIC, communiqué à la société Edunao par un courrier du 20 juillet 2021, que la différence de prix entre leurs offres, raisonnable, est due à des frais d'installation moindres pratiqués par la société CBlue, qui héberge déjà des instances gérées par l'ETNIC, et que la société Cblue a également été mieux notée que la société Edunao sur le second critère d'attribution, d'ordre technique.
5. Par suite, la société Edunao n'établit pas le lien de causalité entre la faute qu'elle invoque, qui aurait été commise par le CNED, et les préjudices allégués, nés du rejet de ses offres présentées face à celles de la société CBlue, et tirés de la perte de chance de se voir attribuer les marchés belges et des frais qu'elle a engagés afin de présenter ses offres. La responsabilité du CNED ne peut dès lors être engagée.
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la société Edunao, pour un montant de total de 524 272,93 euros, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
7.Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CNED, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Edunao au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Edunao une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par le CNED et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de la société Edunao est rejetée.
Article 2 : La société Edunao versera au CNED une somme de 1 300 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Edunao et au centre national d'enseignement à distance.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Cristille, président,
Mme Thèvenet-Bréchot, première conseillère,
Mme Gibson-Théry, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 novembre 2023.
La rapporteure,
Signé
S. GIBSON-THERY
Le président,
Signé
P. CRISTILLE
La greffière,
Signé
N. COLLET
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
La greffière,
N. COLLET