CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs, 27 janvier 2000, C-443/98
Mots clés
Normes et réglementations techniques · Obligations de notification et de report d'adoption · Applicabilité dans des procédures civiles. · directive · technique · membre · commission · exigences · recours
Synthèse
Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-443/98
Date de dépôt : 07 décembre 1998
Titre : Demande de décision préjudicielle: Pretore di Milano - Italie.
Rapporteur : Gulmann
Avocat général : Jacobs
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2000:57
Texte
Avis juridique important
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61998C0443
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 27 janvier 2000. - Unilever Italia SpA contre Central Food SpA. - Demande de décision préjudicielle: Pretore di Milano - Italie. - Normes et réglementations techniques - Obligations de notification et de report d'adoption - Applicabilité dans des procédures civiles. - Affaire C-443/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-07535
Conclusions de l'avocat général
1 Dans le cadre d'une procédure civile opposant des particuliers en matière contractuelle, y a-t-il lieu pour une juridiction nationale d'écarter une règle technique nationale communiquée à la Commission conformément à la directive 83/189/CEE (1), mais adoptée avant le terme du délai de «statu quo» prévu par cette directive? Telle est la question qui se pose en l'espèce, dans le sillage de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire CIA Security (2).
La réglementation communautaire
2 La directive 83/189 impose le respect de certaines procédures lorsqu'un État membre envisage d'adopter des règles techniques. Comme le fait apparaître son préambule, ces procédures visent à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en prévenant les restrictions à la libre circulation des marchandises qui pourraient apparaître si les États membres avaient toute latitude pour adopter diverses exigences techniques applicables aux produits commercialisés ou utilisés sur leur territoire. En substance, un État membre qui envisage d'adopter de telles dispositions est tenu de les communiquer au préalable et de s'abstenir ensuite de les adopter pendant un délai de statu quo déterminé, afin de mettre la Commission et les autres États membres en mesure de présenter leurs observations concernant d'éventuels obstacles aux échanges avant qu'il ne soit trop tard pour les prendre en considération et de permettre au législateur communautaire, le cas échéant, de légiférer en la matière. Les dispositions pertinentes de la directive 83/189, telle que modifiée, sont les suivantes.
3 L'article 1er comporte, entre autres, les définitions suivantes:
«1) `produit', tout produit de fabrication industrielle et tout produit agricole;
2) `spécification technique': une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d'essai, l'emballage, le marquage et l'étiquetage, ainsi que les procédures d'évaluation de la conformité.
Le terme `spécification technique' recouvre également les méthodes et procédés de production relatifs aux produits agricoles ..., aux produits destinés à l'alimentation humaine et animale, ainsi qu'aux médicaments ..., de même que les méthodes et procédés de production relatifs aux autres produits, dès lors qu'ils ont une incidence sur les caractéristiques de ces derniers (3);
...
9) `règle technique': une spécification technique ... dont l'observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État ...
10) `projet de règle technique': le texte d'une spécification technique ... qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d'y apporter des amendements substantiels».
4 L'article 8 dispose, entre autres, que:
«1. Sous réserve de l'article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique ... Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.
...
La Commission porte aussitôt le projet de règle technique et tous les documents qui lui ont été communiqués à la connaissance des autres États membres ...
2. La Commission et les États membres peuvent adresser à l'État membre qui a fait part d'un projet de règle technique des observations dont cet État membre tiendra compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique.
...»
5 L'article 9 comporte les dispositions suivantes:
«1. Les États membres reportent l'adoption d'un projet de règle technique de trois mois à compter de la date de la réception par la Commission de la communication visée à l'article 8 paragraphe 1.
2. Les États membres reportent:
...
- ... de six mois l'adoption de tout ... projet de règle technique,
à compter de la date de la réception par la Commission de la communication visée à l'article 8 paragraphe 1 si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée présente des aspects pouvant éventuellement créer des obstacles à la libre circulation des marchandises dans le cadre du marché intérieur.
L'État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu'il a l'intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction.
3. Les États membres reportent l'adoption d'un projet de règle technique de douze mois à compter de la date de la réception par la Commission de la communication visée à l'article 8 paragraphe 1 si, dans les trois mois qui suivent cette date, la Commission fait part de son intention de proposer ou d'arrêter une directive, un règlement ou une décision conformément à l'article 189 du traité sur ce sujet.
...»
Conformément à l'article 9, paragraphe 7, ces exigences de statu quo ne s'appliquent pas «lorsqu'un État membre, pour des raisons urgentes tenant à une situation grave et imprévisible qui a trait à la protection de la santé des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux ou à la sécurité, doit élaborer à très bref délai des règles techniques pour les arrêter et les mettre en vigueur aussitôt, sans qu'une consultation soit possible».
6 L'article 10, paragraphe 1, de la directive 83/189 dispose que les articles 8 et 9 ne sont pas applicables aux dispositions techniques par lesquelles les États membres, entre autres, «se conforment aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques».
7 Comme cela fut souligné à l'audience, la directive 83/189 a été transposée en droit italien par la loi n_ 317 du 21 juin 1986 (4). L'article 1er de cette loi, telle que modifiée (5), définit les termes d'une manière analogue, quoique pas identique, aux dispositions précitées de la directive. L'article 9 transpose en substance les articles 8, 9 et 10 de la directive. Il prévoit en particulier que des règles techniques ne peuvent être mises en vigueur avant le terme d'un délai de trois mois suivant leur communication à la Commission, que, en cas de présentation, dans ce délai, d'observations circonstanciées de la Commission ou d'observations d'un État membre concernant d'éventuelles entraves techniques aux échanges, leur entrée en vigueur doit être reportée de quatre ou de six mois selon le cas et que, si la Commission fait part de son intention de proposer un acte communautaire dans ce même délai de trois mois, la mise en oeuvre doit être reportée de douze mois.
8 Le 1er octobre 1986, la Commission a publié une communication concernant le non-respect de certaines dispositions de la directive 83/189 (6). Dans cette communication, elle a souligné l'utilité des exigences de communication et de statu quo figurant dans la directive aux fins d'empêcher la formation de nouvelles entraves techniques aux échanges. Elle a conclu que:
«Les obligations des États membres sont donc claires et sans équivoque:
1. ils doivent communiquer tous les projets de règles techniques relevant de la directive;
2. ils doivent reporter l'adoption des projets de règles techniques de trois mois automatiquement, sauf dans les cas particuliers repris au paragraphe 3 de l'article 9 (7);
3. ils doivent reporter l'adoption des projets de règles techniques de trois à neuf mois supplémentaires, selon que des objections ont été émises ou qu'un texte législatif communautaire est envisagé.
Il est clair que si l'État membre ne respectait pas les obligations qui lui incombent au titre de la procédure d'information précitée, cela entamerait sérieusement le dispositif d'achèvement du marché intérieur avec le risque d'effets négatifs sur les échanges.
La Commission considère donc que, si un État membre adopte une règle technique tombant sous le coup des dispositions de la directive 83/189/CEE sans communiquer le projet à la Commission et sans respecter l'obligation de statu quo, la règle ainsi adoptée ne peut pas être rendue exécutoire à l'égard de tiers en vertu du système législatif de l'État membre considéré. La Commission estime donc que les parties en litige ont le droit d'attendre des tribunaux nationaux qu'ils refusent la mise en application de règles techniques nationales qui n'ont pas été communiquées comme l'exige la législation communautaire».
9 Le 30 avril 1996, dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire CIA Security (8), la Cour de justice a examiné le point de vue adopté par la Commission dans cette communication et elle a dit pour droit, entre autres, que «les articles 8 et 9 de la directive 83/189 ... doivent être interprétés en ce sens que les particuliers peuvent s'en prévaloir devant le juge national, auquel il incombe de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive».
La réglementation italienne en cause et la procédure de communication
10 La loi italienne n_ 313 du 3 août 1998 (9) prévoit des dispositions en matière d'étiquetage d'origine de l'huile d'olive extra-vierge, de l'huile d'olive vierge et de l'huile d'olive.
11 L'article 1er, paragraphe 1, de cette loi prévoit, en résumé, que ces huiles ne peuvent être mises sur le marché avec une mention indiquant qu'elles ont été «produites» ou «fabriquées» en Italie que si l'ensemble du cycle de récolte, de production, de transformation et de conditionnement s'est déroulé en Italie. L'étiquetage de l'huile obtenue en Italie, en tout ou en partie, au départ d'huiles originaires d'autres pays doit attester ce fait en indiquant les pourcentages concernés ainsi que le ou les pays de provenance (article 1er, paragraphe 2); toute huile de ce type n'affichant pas lesdites indications doit être écoulée dans les quatre mois suivant l'entrée en vigueur de la loi ou, après cette date, retirée du marché (article 1er, paragraphe 4). Les dispositions des articles 2 à 4 ne présentent pas de pertinence directe en l'espèce, mais l'article 2 concerne l'entreposage séparé des diverses huiles d'olive par les établissements de raffinage et l'article 4 les contrôles effectués par les douanes et autres autorités. L'article 5 prévoit cependant des sanctions en cas infraction; notamment, quiconque produit, détient pour la vente ou met sur le marché de l'huile d'olive vierge ou extra-vierge en violation de l'article 1er est passible d'une amende administrative de 800 000 ITL par 100 kilogrammes d'huile.
12 Il appert de certaines mentions figurant dans la GURI que le projet afférent à la loi n_ 313 a été soumis pour la première fois au parlement italien le 27 janvier 1998; le sénat a procédé à sa lecture en février et en mars de cette même année et la chambre des députés en avril et juin; celle-ci l'a définitivement approuvé le 28 juillet et celui-là le 29 juillet 1998.
13 Entre-temps, la Commission ayant été informée de l'existence du projet, elle avait invité les autorités italiennes à le communiquer en application de la directive 83/189, ce qu'elles ont fait le 4 mai 1998. La Cour n'a pas été informée sur le point de savoir si, conformément à l'article 8, paragraphe 1, de la directive 83/189, elles ont également notifié les raisons pour lesquelles son établissement est nécessaire. Rien n'indique non plus que la procédure accélérée prévue à l'article 9, paragraphe 7, a été actionnée.
14 La Commission a ensuite porté le projet de loi à la connaissance des États membres et, le 10 juin 1998, elle a publié une communication au Journal officiel des Communautés européennes (10), selon laquelle le délai de statu quo de trois mois prévu par l'article 9, paragraphe 1, de la directive 83/189 - spécifiquement décrit comme la «période durant laquelle le projet ne peut être adopté» - courait jusqu'au 5 août 1998 (quoique l'on puisse se demander si la date du 4 août n'aurait pas mieux convenu, étant donné que la communication est intervenue le 4 mai).
15 Dans un texte joint à la communication au Journal officiel, la Commission a attiré l'attention sur le fait que, conformément à l'arrêt CIA Security, il incombe au juge national de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive 83/189, si bien que les règles techniques concernées deviennent inopposables aux particuliers.
16 Le 23 juillet 1998, dans le délai de trois mois mentionné ci-dessus, la Commission a informé les autorités italiennes de son intention de légiférer dans la matière couverte par le projet de loi et les a invitées à reporter son adoption de douze mois à compter de sa communication - c'est-à-dire jusqu'au 4 mai 1999 - conformément à l'article 9, paragraphe 3, de la directive 83/189.
17 La loi n_ 313 fut néanmoins adoptée - c'est-à-dire signée par le président, le premier ministre et le ministre de l'Agriculture après approbation définitive des deux chambres du parlement italien - le 3 août 1998, à savoir deux jours avant le terme du délai de statu quo initial de trois mois tel qu'indiqué dans la communication au Journal officiel. Le jour suivant, la Commission a fait savoir au représentant permanent de la République italienne qu'elle engagerait une procédure au titre de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) si la loi était publiée dans la GURI et a déclaré que cette loi serait inopposable aux particuliers si elle était publiée avant le 4 mai 1999.
18 Le 4 août 1998, toujours dans le délai initial de trois mois, la Commission a reçu des gouvernements espagnol et portugais des avis circonstanciés, au sens de l'article 9, paragraphe 2, de la directive 83/189, concernant le projet de loi et, le 5 août, elle a reçu du gouvernement néerlandais des observations au sens de l'article 8, paragraphe 2.
19 Le 29 août 1998, la loi n_ 313, telle qu'adoptée le 3 août, a été publiée dans la GURI et est entrée en vigueur le jour suivant.
Développements ultérieurs
20 Les points précédents résument la situation telle qu'elle se présentait lors de la survenance du litige au principal. Toutefois, certains développements ultérieurs méritent d'être mentionnés afin de donner une image un peu plus complète du cadre pertinent.
21 Le 22 décembre 1998, la Commission a adopté la réglementation qu'elle avait annoncée aux autorités italiennes, sous la forme du règlement (CE) n_ 2815/98 (11). Ce règlement impose des normes régissant la désignation de l'origine sur les étiquettes ou sur les emballages des huiles d'olive vierges et extra-vierges, et interdit de recourir à une telle désignation pour les huiles d'olive et de grignons d'olive. S'agissant des huiles d'olive vierges et extra-vierges, cette désignation peut recouvrir soit une appellation d'origine protégée enregistrée ou une indication géographique protégée enregistrée (12), soit le nom d'un État membre, de la Communauté européenne ou d'un pays tiers. Lorsque la désignation de l'origine correspond au nom d'un État membre, il doit s'agir de celui de l'État où l'huile a été «obtenue»; en d'autres termes, le pressoir qui a permis l'extraction de l'huile doit y être situé. Les coupages doivent être indiqués en tant que tels mais, si plus de 75 % de l'huile a été obtenue dans un même État membre, il peut être fait mention de ce fait tout en faisant apparaître le pourcentage concerné.
22 Le règlement n_ 2815/98 est entré en vigueur le 1er avril 1999.
23 Le 27 janvier 1999, la Commission a notifié à l'Italie un avis motivé au titre de l'article 169 du traité CE, faisant valoir que l'adoption et l'entrée en vigueur de la loi n_ 313 violaient l'article 9 de la directive 83/189. Il semble que cette procédure n'ait pas encore débouché sur la saisine de la Cour.
24 Le 17 mars 1999, le gouvernement italien a toutefois saisi la Cour de justice d'un recours contre la Commission, dans l'affaire C-99/99, tendant à l'annulation du règlement n_ 2815/98. Il fait valoir en substance qu'une indication d'origine a pour objet d'informer le consommateur des caractéristiques propres au produit fini, qui, d'une part, dépendent bien davantage de la zone d'origine des olives que du lieu où elles ont été pressées et qui, d'autre part, sont tout aussi présentes dans l'huile d'olive ordinaire que dans les huiles d'olive vierges et extra-vierges.
25 En outre, on a pu apprendre à l'audience qu'un projet de loi abrogeant les articles 1er et 2 de la loi n_ 313 était actuellement à l'étude.
Les faits de l'espèce au principal
26 Le 25 septembre 1998, Central Food SpA, défenderesse au principal, a commandé 648 litres d'huile d'olive extra-vierge «Dante» auprès de Van den Bergh, un département d'Unilever Italia SpA. Cette huile a été livrée à Central Food le 29 septembre. Il ressort des déclarations faites à l'audience qu'il s'agissait d'une huile dont une certaine proportion provenait d'Espagne et de Grèce. Le 30 septembre 1998, Central Food a écrit à Unilever Italia, affirmant que l'huile fournie n'était pas étiquetée conformément aux dispositions de la loi n_ 313 et qu'elle n'était donc pas en mesure de régler la facture correspondante. Elle a invité Unilever Italia à reprendre l'huile et à en fournir une dont l'étiquetage serait conforme à la loi.
27 Le 2 octobre 1998, Unilever Italia a répondu à Central Food que la Commission avait enjoint à la République italienne de ne pas appliquer de nouvelles dispositions nationales en matière d'étiquetage de l'huile d'olive jusqu'au 4 mai 1999 compris. Les dispositions de la loi n_ 313 ne pourraient donc s'appliquer avant cette date, et l'huile fournie serait tout à fait conforme à la réglementation en vigueur.
28 Central Food refusait toujours d'accepter ou de payer l'huile, arguant de la conformité de sa position avec celle d'importants groupes du secteur de la distribution. En conséquence, Unilever Italia a formé un recours devant la Pretura Circondariale di Milano en vue d'obtenir à l'encontre de Central Food une injonction de payer.
29 Le 6 novembre 1998, avant d'avoir entendu les arguments de Central Food, cette juridiction a adopté une ordonnance saisissant la Cour de justice de la question préjudicielle suivante:
«Le juge national appelé à rendre une ordonnance portant injonction de payer relative à une livraison d'huile d'olive extra-vierge étiquetée de façon non conforme aux dispositions de la loi interne, promulguée et entrée en vigueur (loi n_ 313 du 3 août 1998) peut-il écarter cette loi alors que, à la suite de la notification et de l'examen subséquent d'un projet de loi national relatif à l'étiquetage d'origine de l'huile d'olive extra-vierge, de l'huile d'olive vierge et de l'huile d'olive, la Commission européenne, sur la base de l'article 9, paragraphe 3, de la directive 83/189/CEE (en matière de procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques) a adressé une mise en demeure à l'État, auteur de la notification afin qu'il ne légifère pas, en fixant un délai (jusqu'au 14 septembre 1999 (13)), concernant les règles de commercialisation de l'huile d'olive, dans l'attente de l'adoption d'une réglementation communautaire en la matière?»
Procédure
30 Unilever, les gouvernements belge, danois, italien et néerlandais ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites à la Cour. Central Food, bien qu'invitée à le faire, n'a pas usé de son droit de présenter des observations. Unilever, le gouvernement italien et la Commission ont plaidé à l'audience.
Recevabilité de la demande
31 Une question débattue à l'audience est celle de l'identification des dispositions précises de la loi n_ 313 qui étaient en cause en l'espèce - à savoir, concrètement, s'il s'agissait de celles qui concernent le recours aux expressions «fabriqué (ou produit) en Italie» figurant à l'article 1er, paragraphe 1, ou de celles qui concernent l'étiquetage des huiles originaires, en tout ou en partie, d'autres États membres figurant à l'article 1er, paragraphe 2. L'agent du gouvernement italien a fait valoir que la demande de décision préjudicielle était irrecevable au motif qu'elle ne précisait pas clairement quelles dispositions étaient en cause.
32 Nous ne sommes pas d'accord. Il ressort manifestement de l'ordonnance de renvoi et du dossier national qui l'accompagnait que le litige dont la juridiction nationale est saisie dépend de l'applicabilité des exigences d'étiquetage de la loi n_ 313 et qu'elle souhaiterait obtenir une décision sur l'applicabilité de ces exigences au regard de la directive 83/189. La circonstance qu'il n'est pas précisé laquelle de ces deux exigences apparemment liées est concernée par la violation invoquée dans le cadre de la procédure nationale ne devrait pas empêcher la Cour de saisir la portée du litige et de fournir à la juridiction nationale une réponse appropriée.
La version applicable de la réglementation communautaire
33 Une autre question préliminaire qui mériterait peut-être que l'on s'y attarde brièvement consiste à savoir quelle version de la réglementation communautaire il convient d'examiner en l'espèce.
34 La directive 83/189 a été abrogée et ses dispositions ont été consolidées et étendues par la directive 98/34/CE (14), qui est entrée en vigueur le 10 août 1998 (15). C'est après cette date que la loi n_ 313 est entrée en vigueur et que toutes les circonstances à la base du litige au principal sont intervenues. Toutefois, il semble manifeste que c'est au regard de la directive 83/189 qu'il faut apprécier l'applicabilité de la loi, car elle était en vigueur tout au cours du processus d'examen du projet de loi par le législateur italien, au moment de son adoption, pendant toute la période de statu quo initiale de trois mois et au moment, à la fois, de la réception des avis circonstanciés des gouvernements espagnol et portugais, qui ont étendu à six mois le délai de statu quo, et de la communication par la Commission de son intention de légiférer, qui l'a étendu à douze mois.
35 De toute façon, la directive 98/34 n'a apporté aux dispositions concernées de la directive 83/189 aucune modification qui serait pertinente aux questions soulevées en l'espèce. Bien que la première citée de ces directives ait été modifiée par la directive 98/48 moins d'un mois après son adoption, ces modifications - dont l'échéance de transposition n'était de toute façon fixée qu'au 5 août 1999 - ne font qu'étendre le champ d'application des dispositions concernées aux «services de la société de l'information» - c'est-à-dire ceux qui sont demandés et fournis, à distance, par voie électronique - ce qui constitue un domaine tout à fait étranger au litige en l'espèce.
Sur le fond
36 Il existe essentiellement deux questions de fond à examiner pour répondre à la question de la juridiction nationale. En premier lieu, il convient de vérifier si les mesures nationales concernées constituent une règle technique au sens de la directive 83/189, dont la communication est requise à l'état de projet. Si c'est le cas, il y a ensuite lieu de déterminer quelles conséquences peuvent découler du non-respect d'un des délais de statu quo prévus à l'article 9 après avoir observé cette obligation de communication.
37 Dans l'analyse que nous consacrerons à ces questions, nous n'examinerons que les règles relatives à l'étiquetage figurant à l'article 1er de la loi, étant donné que l'ordonnance de renvoi mentionne spécifiquement l'étiquetage et qu'il ressort manifestement du dossier et des documents produits par Unilever Italia que la procédure au principal porte seulement sur cette question-là.
38 Il convient également de ne pas perdre de vue que la directive 83/189 a été transposée en droit italien par la loi n_ 317 du 21 juin 1986, telle que modifiée. Toutefois, étant donné que les questions en l'espèce ont été débattues sans tenir aucun compte - si ce n'est une brève mention à l'audience - de la réglementation italienne de transposition, nous les examinerons, dans la partie principale de notre analyse, du seul point de vue de la directive communautaire.
Les règles d'étiquetage de la loi n_ 313 constituent-elles des spécifications techniques relevant des articles 8 et 9 de la directive 83/189?
39 Il convient de souligner en premier lieu que la question de savoir si les autres règles figurant dans la loi n_ 313 constituent ou non des spécifications techniques ne saurait avoir aucune incidence sur le statut des règles d'étiquetage. Une loi peut regrouper diverses dispositions dont certaines relèvent du champ d'application de la directive 83/189 et d'autres non.
40 Le gouvernement italien fait valoir que i) les règles d'étiquetage sont tout à fait étrangères au champ d'application de la directive 83/189 et/ou ii) qu'elles ont été adoptées en application de la directive 79/112/CEE (16), si bien que, conformément à l'article 10, paragraphe 1, de la directive 83/189, les articles 8 et 9 ne s'appliquent pas.
Les règles d'étiquetage relèvent-elles de la définition figurant dans la directive 83/189?
41 Le gouvernement italien fait valoir que des règles d'étiquetage destinées à protéger le consommateur en exigeant qu'une information précise quant au pays d'origine figure sur l'étiquette ne constituent pas des spécifications techniques au sens de l'article 1er, point 2, de la directive 83/189. Certes, elles concernent «la dénomination de vente, ... l'emballage, le marquage et l'étiquetage», comme le précise le premier alinéa de cette disposition. Cet alinéa ne se rapporte cependant qu'aux produits industriels. C'est le second alinéa, ajouté lors d'une modification ultérieure, qui a étendu la définition de la spécification technique aux «méthodes et procédés de production» relatifs aux produits agricoles, «dès lors qu'ils ont une incidence sur les caractéristiques de ces derniers». Les règles d'étiquetage de la loi n_ 313 ne tendent pas à imposer des exigences techniques applicables à la production de l'huile d'olive, qui sont déjà prévues par les règles communautaires concernant l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses, et elles n'ont pas pour effet d'interdire la commercialisation ou d'entraver la libre circulation des marchandises au sein de la Communauté.
42 La Commission rétorque que les autorités italiennes ont communiqué le projet de loi conformément à la directive 83/189, ce qui permet de déduire qu'il s'agit d'une règle technique. En outre, en application de l'article 1er, point 2, de la directive 83/189, les exigences d'étiquetage sont des spécifications techniques indépendamment du caractère industriel ou agricole des produits auxquels elles se rapportent.
43 Nous estimons que l'argument puisé par la Commission dans la communication effective de la loi ne permet pas d'établir de manière concluante que ces règles constituent des spécifications techniques. La communication a été effectuée à la demande de la Commission et non pas à l'initiative des autorités italiennes, même si l'on aurait pu s'attendre à ce que celles-ci formulent leurs réserves à l'époque de la communication si elles avaient été convaincues que l'une ou l'autre partie de la loi ne relevait pas du champ d'application de la directive, et rien n'indique qu'elles l'ont fait.
44 L'argument du gouvernement italien selon lequel les règles d'étiquetage en cause ne constituent pas des spécifications techniques n'appelle qu'une réponse très simple. La directive, telle qu'elle se présentait à l'époque pertinente, définissait un produit comme «tout produit de fabrication industrielle et tout produit agricole». L'huile d'olive est un produit agricole. Elle définissait en outre la spécification technique comme une spécification définissant «les caractéristiques requises d'un produit, telles que ... l'étiquetage». L'étiquetage constitue l'objet des règles litigieuses en l'espèce.
45 L'argument selon lequel il n'existe pas d'obstacle à la libre circulation des marchandises semble être fondé sur l'affirmation que les règles d'étiquetage en cause n'imposent nullement de mentionner l'origine italienne sur l'étiquette, mais se bornent à prévoir les conditions d'usage de cette mention au cas où l'étiqueteur choisirait d'y recourir. Il n'existerait donc aucune exigence d'étiquetage proprement dite, ni aucune entrave aux échanges intracommunautaires.
46 On ne saurait considérer, selon nous, qu'une règle d'étiquetage ne constitue pas une exigence au simple motif qu'elle interdit, plutôt que d'imposer, certaines mentions dans certaines circonstances. En outre, les règles relatives à l'indication de l'origine non italienne à l'article 1er, paragraphe 2, de la loi n_ 313 - qui s'avèrent pertinentes dans la procédure au principal étant donné que, nous a-t-on dit, l'huile litigieuse est partiellement d'origine grecque et espagnole - affectent spécifiquement les échanges entre États membres (tout comme, par voie de conséquence, celles de l'article 1er, paragraphe 1).
47 C'est donc sans aucune difficulté que nous concluons que les règles d'étiquetage de l'article 1er de la loi italienne n_ 313 constituent des spécifications techniques relevant du champ d'application de la directive 83/189.
Les règles d'étiquetage constituent-elles la mise en oeuvre de la directive 79/112?
48 L'article 10, paragraphe 1, de la directive 83/189 exempte les dispositions par lesquelles les États membres se conforment aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques. Le gouvernement italien fait valoir que les règles en cause mettent en oeuvre une obligation prévue par la directive 79/112, dont l'article 3, paragraphe 1, point 7, impose de mentionner l'origine ou la provenance d'une denrée alimentaire sur son étiquetage dans les cas où l'omission de cette mention serait susceptible en pratique d'induire le consommateur en erreur sur son origine ou sa provenance réelles.
49 La Commission estime que lesdites dispositions de la directive sont rédigées dans des termes généraux, laissant donc aux États membres une certaine marge de manoeuvre, et que c'est précisément cette marge de manoeuvre que la directive 83/189 est destinée à réguler.
50 C'est la première fois que la Cour est appelée à interpréter l'article 10, paragraphe 1, de la directive 83/189 ou de définir ce que signifie se conformer «aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques». Il est cependant manifeste que la directive 79/112 est un acte communautaire contraignant; son article 22 impose aux États membres de modifier leur droit afin de s'y conformer. En outre, comme nous l'avons conclu ci-dessus, les exigences d'étiquetage constituent des spécifications techniques.
51 Conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 79/112, «l'étiquetage des denrées alimentaires comporte ... les seules mentions obligatoires suivantes:
...
(7) le lieu d'origine ou de provenance dans les cas où l'omission de cette mention serait susceptible d'induire le consommateur en erreur sur l'origine ou la provenance réelles de la denrée alimentaire».
52 Si, comme le prétend le gouvernement italien, les règles italiennes litigieuses n'exigent en fait aucune mention de l'origine sur l'étiquetage, on voit difficilement comment elles pourraient transposer cette disposition, qui semble pour sa part exiger une telle mention.
53 En tout état de cause, comme l'a souligné la Commission à l'audience, la directive 79/112 a été transposée en droit italien en 1982, par la voie du décret présidentiel n_ 322 du 18 mai 1982 (17), en vertu de l'article 3, sous g), duquel l'étiquetage des denrées alimentaires doit indiquer «le lieu d'origine ou de provenance». Étant donné qu'elle ne contient aucune autre précision, cette disposition impose vraisemblablement de mentionner ces caractéristiques dans tous les cas, et pas seulement lorsque leur omission serait susceptible d'induire le consommateur en erreur (18). Dans ces conditions, nous ne voyons aucun motif de considérer que l'adoption d'autres règles d'étiquetage, comme celles qui figurent dans la loi n_ 313, s'imposait d'une quelconque manière pour parfaire la transposition de la directive 79/112.
54 Enfin, bien que la circonstance que le gouvernement italien a communiqué la loi en application de la directive 83/189, à la demande de la Commission, n'établisse pas de manière concluante que les règles d'étiquetage constituent des spécifications techniques, elle indique néanmoins que le gouvernement italien ne considérait pas à l'époque qu'il adoptait une réglementation transposant des obligations résultant d'un acte communautaire contraignant, dans lequel cas aucune communication n'aurait été requise au titre de cette directive. Il paraîtrait plutôt difficile de croire en un enchaînement de circonstances tel que les autorités italiennes auraient laissé l'article 3, paragraphe 1, point 7, de la directive 79/112 dans un état de transposition insuffisant pendant de nombreuses années, auraient soudain ressenti le besoin de remédier à cette imperfection, en ce qui concerne spécifiquement l'huile d'olive, de manière tellement urgente qu'elles n'avaient d'autre choix que d'ignorer l'injonction de la Commission de ne pas légiférer au cours d'une période limitée, dans l'attente d'une réglementation communautaire imminente, mais auraient omis de mentionner le fait qu'elles transposaient la directive 79/112 lorsqu'elles ont communiqué le projet de loi à la demande de la Commission.
55 Nous concluons que les règles d'étiquetage figurant dans la loi n_ 313 sont des spécifications techniques devant être communiquées à la Commission à l'état de projet, étant donné qu'elles n'étaient pas exemptées au titre de l'article 10, paragraphe 1, de la directive 83/189.
Quels ont été les manquements aux exigences de statu quo et quelles en sont les conséquences?
Manquements aux exigences de statu quo imposées par l'article 9 de la directive 83/189
- Le délai de trois mois
56 En premier lieu, la République italienne a enfreint l'article 9, paragraphe 1, de la directive, qui prévoit que les États membres reportent l'adoption d'un projet de règle technique de six mois à compter de la date de la communication visée à l'article 8, paragraphe 1.
57 Le projet correspondant à la loi italienne n_ 313 a été communiqué à la Commission le 4 mai 1998. Dès lors, le délai de statu quo prévu par l'article 9, paragraphe 1, s'étendait jusqu'au 4 ou au 5 août selon la manière dont il convient de déterminer le terme du délai de trois mois.
58 Le projet de loi en question a néanmoins été adopté le 3 août 1998 et donc de toute façon avant le terme du délai de statu quo. Ce jour-là, le Président, le Premier ministre et le ministre de l'Agriculture ont signé la loi, qui avait été préalablement approuvée par la Chambre des députés le 28 juillet et par le Sénat le 29 juillet 1998.
59 Le fait que la loi n'est entrée en vigueur que le 30 août 1998, à savoir un jour après sa publication dans la GURI, et donc après le terme du délai de statu quo, n'affecte en rien la constatation de la violation par la République italienne de l'article 9, paragraphe 1. La raison en est, en premier lieu, qu'il résulte clairement du libellé de cette disposition que c'est l'adoption du projet de règle technique qui constitue l'acte déterminant, et non pas son entrée en vigueur. En deuxième lieu, l'article 9, paragraphe 1, se réfère à l'adoption d'un «projet de règle technique». En vertu de l'article 1er, point 10, de la directive, une règle technique n'est à l'état de projet que lorsqu'elle se trouve «à un stade de préparation où il est encore possible d'y apporter des amendements substantiels». Étant donné qu'un projet de loi cesse d'être modifiable, au plus tard, lors de sa signature par les autorités constitutionnelles compétentes, l'«adoption» au sens de l'article 9, paragraphe 1, ne peut pas signifier l'entrée en vigueur par le biais de la publication. En troisième lieu, toute autre interprétation mettrait en péril l'objet de l'article 9, paragraphe 1, qui est de veiller à ce que des règles techniques ne soient pas adoptées et mises en vigueur sans ménager de possibilité effective de formuler des objections et de prendre ces objections en considération au cours de la phase préparatoire. Cet objectif serait contrarié si un État membre adoptait une loi dans sa version définitive peu après sa communication, en se contentant d'en remettre l'entrée en vigueur jusqu'après le terme du délai de statu quo.
- Le délai de douze mois
60 La République italienne a également enfreint l'article 9, paragraphe 3, de la directive, qui impose aux États membres de reporter l'adoption d'un projet de règle technique de douze mois à compter de la date de sa communication si, dans les trois mois qui suivent ladite communication, la Commission fait part de son intention de proposer ou d'arrêter une directive, un règlement ou une décision en la matière. La République italienne a adopté la loi alors que la Commission avait fait part d'une telle intention le 23 juillet 1998.
- Le délai de six mois
61 S'agissant enfin de l'article 9, paragraphe 2, de la directive, nous laisserons ouverte la question de savoir si le délai de statu quo de six mois qu'il prévoit a été déclenché en l'espèce. Pour trancher cette question, il faudrait se pencher sur la notion d'«émission» d'un avis circonstancié au sens de l'article 9, paragraphe 2, et sur le calcul du terme du délai initial de trois mois. Cela nous paraît inutile puisque la loi n_ 313 a de toute façon été adoptée en violation de l'article 9, paragraphes 1 et 3, de la directive.
Conséquences des manquements aux exigences de statu quo prévues par l'article 9 de la directive 83/189
62 Un recours en manquement formé par la Commission ou par d'autres États membres, voire même des demandes de dommages-intérêts, pourraient constituer la première conséquence de ces manquements.
63 En l'espèce, la question posée par la juridiction nationale porte sur une deuxième conséquence possible du manquement par la République italienne aux exigences de statu quo. La juridiction de renvoi demande en substance si, dans le cadre d'une procédure civile opposant des particuliers au sujet de droits et obligations d'ordre contractuel, il y a lieu pour la juridiction nationale d'écarter une règle technique communiquée à la Commission conformément au prescrit de la directive, mais adoptée avant le terme d'un délai de statu quo prévu par cette directive.
64 La question de la juridiction italienne s'inscrit dans le sillage de l'arrêt que la Cour a rendu dans l'affaire CIA Security (19). Cette affaire concernait trois sociétés actives dans la fabrication et la vente de systèmes et réseaux d'alarme. L'une de ces sociétés, CIA Security, commercialisait un système d'alarme qui n'était apparemment pas conforme à la réglementation belge pertinente. Cette réglementation n'avait toutefois pas été notifiée à la Commission en application de la directive 83/189. Deux concurrents (Signalson et Securitel) ayant publiquement affirmé que ce système d'alarme ne répondait pas aux exigences de la réglementation belge, CIA Security a engagé un recours afin de leur faire interdire de formuler de telles allégations au motif que ce comportement constituait une pratique commerciale déloyale et, en tant que telle, interdite. Elle faisait valoir que la réglementation sur laquelle se fondaient ces allégations était inapplicable, car il s'agissait d'une règle technique non communiquée. Par la voie de demandes reconventionnelles, Signalson et Securitel ont revendiqué, en substance, l'application de la réglementation belge à l'encontre de CIA Security.
65 La Cour a dit pour droit, au point 54 de cet arrêt, que «la directive 83/189 doit être interprétée en ce sens que la méconnaissance de l'obligation de notification entraîne l'inapplicabilité des règles techniques concernées, de sorte qu'elles ne peuvent pas être opposées aux particuliers».
66 Compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît que, de cette manière, la Cour a établi deux préceptes: une règle technique adoptée sans communication préalable ne peut pas être appliquée a) par un État membre à l'encontre de particuliers et b) dans le cadre de litiges civils entre concurrents sur la base de dispositions nationales interdisant les pratiques de commerce déloyales.
67 On peut résumer de la manière suivante les motifs sur lesquels la Cour a fondé cette décision.
68 Les articles 8 et 9 de la directive 83/189 imposent aux États membres l'obligation précise de communiquer les projets de règles techniques à la Commission avant leur adoption. Étant par conséquent, du point de vue de leur contenu, inconditionnels et suffisamment précis, ces articles peuvent invoqués par les particuliers devant les juridictions nationales (20).
69 S'agissant de déterminer si des règles techniques non communiquées devraient être inapplicables, l'objet de la directive est déterminant. La directive 83/189 est destinée à protéger la libre circulation des marchandises par un contrôle préventif. L'obligation de communication est essentielle pour la réalisation de ce contrôle communautaire. L'efficacité de ce contrôle sera d'autant renforcée si la méconnaissance de l'obligation de notification constitue un vice de procédure substantiel de nature à entraîner l'inapplicabilité des règles techniques en cause aux particuliers (21).
70 Enfin, l'adoption de règles techniques en vertu de la procédure d'urgence prévue par la directive permet, si nécessaire, de remédier à un vide réglementaire dans l'ordre juridique national découlant de l'inapplicabilité d'une règle technique non communiquée (22).
71 L'espèce se distingue de l'affaire CIA Security à deux égards. En premier lieu, la question de l'inapplicabilité de la règle technique se pose dans le cadre d'une procédure civile opposant des particuliers au sujet de droits et obligations d'ordre contractuel, et non pas dans le cadre d'une procédure opposant des concurrents sur la base de dispositions nationales interdisant les pratiques commerciales déloyales. Ce dernier type de procédure ressemble, à certains égards, à une procédure coercitive engagée par l'État (23). En second lieu, en l'espèce et contrairement aux circonstances de l'affaire CIA Security, la loi italienne en cause a été correctement communiquée à la Commission. Le manquement de la République italienne ne consistait pas en un défaut de notification mais en une méconnaissance des exigences de statu quo imposées par la directive.
72 Les trois questions à examiner sont donc les suivantes.
1) Pour quel motif considère-t-on qu'un État membre ne saurait opposer aux particuliers une règle technique adoptée sans communication préalable?
2) Résulte-t-il de ce motif que les exigences procédurales de la directive, et notamment l'exigence de communication, sont d'une nature telle que leur violation rendrait la mesure inapplicable dans le cadre de n'importe quel type de procédure opposant des particuliers, notamment en matière contractuelle?
3) Dans l'affirmative, un manquement aux exigences de statu quo devrait-il avoir ce même effet?
73 Le contexte factuel de l'espèce pourrait inciter la Cour, qui n'a d'ailleurs pas reçu d'observations de Central Food, à répondre aux deux dernières questions par l'affirmative. Tout d'abord, le législateur italien a méconnu les exigences de statu quo de la directive d'une manière flagrante bien que la Commission l'eût instamment invité à ne pas le faire. Dès lors, sur le plan du contenu, la Cour pourrait avoir la nette impression que les règles d'étiquetage figurant dans la loi n_ 313 engendrent un obstacle injustifiable aux échanges de marchandises et, dès lors, violent également l'interdiction figurant à l'article 30 du traité CE (devenu article 28 CE).
74 Nous estimons toutefois que la Cour devrait répondre à ces deux questions par la négative. L'espèce démontre que, si les affaires aux enjeux potentiellement graves peuvent donner lieu à des résultats jurisprudentiels indésirables («hard cases make bad law»), le même danger se présente parfois dans le cas contraire.
75 Avant de se pencher sur les trois questions énoncées ci-dessus, il y a lieu de préciser la nature de la directive 83/189.
76 Les directives ont généralement pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives dans un domaine déterminé. Elles imposent aux États membres d'adopter des mesures réglementaires dans un délai déterminé et posent des exigences quant au contenu desdites mesures. En principe, elles laissent aux États membres le choix de la forme et des moyens de leur transposition dans l'ordre juridique national.
77 Lorsqu'un État membre ne transpose pas une directive de ce type dans son droit national avant l'échéance du délai, ou ne la transpose pas correctement, l'efficacité et l'uniformité du droit communautaire sont menacées et les particuliers pourraient se voir priver des droits que la directive devait leur conférer.
78 En vue de remédier à ces problèmes, notamment en ce qui concerne les particuliers, la Cour a développé ce que les spécialistes du droit communautaire appellent souvent les principes de l'interprétation du droit national conformément aux directives (24), de l'effet direct vertical des directives (25), et de l'absence d'effet direct horizontal des directives (26). Toutefois, derrière ces expressions toutes faites se cache une réalité juridique plus complexe (27).
79 La directive 83/189, qui s'applique en l'espèce, est d'une toute autre nature. Elle n'a pas pour objet de rapprocher les législations, mais de protéger la libre circulation des marchandises par un mécanisme de contrôle préventif. Elle prévoit une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques. L'obligation des États membres ne consiste pas à légiférer, mais à communiquer les projets de réglementation pour ensuite attendre et prendre en considération les éventuelles réactions d'autres États membres ou de la Commission. En ce qui concerne la procédure prévue par les articles 8 et 9 de la directive, le recours à des concepts tels que la «transposition en droit national» ou le «défaut d'y procéder dans le délai applicable» n'est manifestement d'aucune assistance.
80 En droit communautaire, les règles de la directive 83/189 se prêtent davantage à être comparées avec celles qui figurent, par exemple, dans le règlement n_ 17, qui applique les articles 85 et 86 du traité CE (devenus articles 81 et 82 CE) (28), ou dans le règlement (CE) n_ 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (devenu article 88 CE) (29). Ces règlements prévoient des procédures de contrôle a priori en matière de pratiques restrictives et d'aides d'État. Certaines mesures nationales ou privées envisagées doivent être communiquées à l'avance à la Commission qui décide ensuite (parfois de manière implicite) s'il convient de les autoriser ou non. Ce type de contrôle préventif est destiné à renforcer l'efficacité des interdictions fondamentales figurant dans le traité. En outre, les dispositions de la directive 83/189 auraient pu être adoptées sous la forme d'un règlement plutôt que d'une directive; le fait qu'elle a été arrêtée sous la forme d'une directive est sans incidence, selon nous, sur le plan de l'analyse juridique.
81 Les différences entre la directive 83/189 et les directives «normales», d'une part, et le fait que des procédures comparables à celles qui figurent dans la directive sont prévues dans des actes communautaires d'une nature juridique différente, tels des règlements, d'autre part, montrent clairement, à notre avis, que la jurisprudence précitée consacrée aux conséquences du non-respect de directives «normales» ne présente aucune pertinence pour répondre aux questions en l'espèce. Il est donc nécessaire d'examiner ces questions sur la seule base des principes généraux du droit communautaire.
82 Nous en arrivons à l'examen des trois questions énoncées ci-dessus.
1) Pour quel motif considère-t-on qu'un État membre ne saurait opposer aux particuliers des règles techniques adoptées sans communication préalable?
83 Dans le cadre de l'examen de cette question, il importe de souligner que le défaut de communication d'un projet de règle technique, en tant que tel, n'affecte directement ni l'uniformité du droit communautaire, ni l'efficacité de l'article 30 du traité ni les droits conférés aux particuliers par l'ordre juridique communautaire.
84 En ce qui concerne d'abord l'uniformité, la directive a pour objet d'établir un mécanisme de contrôle et de coordination destiné à empêcher l'adoption de mesures pouvant entraver la libre circulation des marchandises; elle n'a pas pour objet d'harmoniser les dispositions nationales. Ce n'est qu'en dernier recours que la Commission proposera des mesures de rapprochement. L'uniformité n'est donc pas directement affectée lorsqu'une règle technique n'est pas communiquée.
85 En deuxième lieu, en ce qui concerne l'efficacité de l'article 30 du traité, il se pourrait bien qu'une règle technique non communiquée viole l'article 30, mais elle pourrait aussi ne pas le violer. Elle pourrait même éliminer une entrave préexistante aux échanges. La directive ne comporte que des règles de procédure qui, par définition, sont neutres sur le fond. En conséquence, le fait qu'une règle technique n'a pas été communiquée ne permet pas de déterminer avec certitude si les normes qui y figurent sont conformes aux exigences substantielles de l'article 30 du traité.
86 En troisième lieu, la directive 83/189 n'est pas, en tant que telle, destinée à conférer des droits aux particuliers ou à créer des obligations dans leur chef. Elle définit simplement les droits et obligations respectifs des États membres et de la Commission dans le cadre d'une procédure qui ne concerne pas, en principe, les particuliers. Dès lors, le manquement par un État membre à l'exigence de notification n'affecte pas des droits que les particuliers pourraient puiser dans la directive. En ce qui concerne les droits des particuliers au titre de l'article 30 du traité, la compatibilité substantielle des normes en cause avec la libre circulation des marchandises est déterminante. Il y a lieu de garder présent à l'esprit que, si une règle technique constitue une entrave aux échanges entre États membres, les particuliers peuvent se prévaloir directement du traité sans devoir faire appel à la directive.
87 Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que la Cour, lorsqu'elle a dit pour droit dans son arrêt CIA Security que les règles techniques non communiquées ne sont pas opposables aux particuliers, ne s'est fondée que sur l'efficacité du mécanisme de contrôle prévu par la directive.
88 La gravité des menaces qui pèsent sur l'efficacité du contrôle a priori et, indirectement, sur la libre circulation des marchandises justifie-t-elle d'empêcher un État membre d'appliquer aux particuliers des règles techniques non communiquées?
89 Dans l'économie de la directive, la communication des projets de règles techniques est manifestement essentielle, car elle fait apparaître lesdits projets au grand jour. Ce n'est que par le biais de la communication que la Commission et les autres États membres prendront connaissance de l'intention d'un État membre d'adopter de nouvelles règles techniques. Cette connaissance constitue le préalable nécessaire à l'exercice des divers droits prévus par la directive (le droit de présenter des observations, d'émettre un avis circonstancié entraînant la prolongation du délai de statu quo, de faire part de son intention d'adopter des mesures de rapprochement). L'exercice de voies de recours alternatives, en dehors du cadre de la directive, comme le recours en manquement dépend également de la connaissance du fait que l'adoption de telles règles techniques est actuellement à l'étude.
90 Si un État membre sait qu'il n'est pas en mesure d'appliquer aux particuliers des règles techniques non notifiées, il sera fortement incité à les communiquer. Il est toujours possible qu'un opérateur découvre que l'État membre n'a pas communiqué une règle technique et s'oppose à son applicabilité sur cette base. L'absence de communication menacerait alors en permanence, comme une épée de Damoclès, l'applicabilité de la mesure nationale non communiquée.
91 Si en revanche les règles techniques non communiquées devaient demeurer applicables aux particuliers, un État membre pourrait être tenté de s'abstenir de notifier, notamment lorsqu'il a conscience qu'une règle technique envisagée engendrerait effectivement un obstacle aux échanges de marchandises. En l'absence d'une communication, il y a peu de chances que la Commission ou d'autres États membres découvrent l'obstacle aux échanges contenu dans le projet de mesure. Un recours en manquement est donc peu probable; de toute façon, il prendra du temps et ne se débouchera vraisemblablement pas sur des sanctions. Les recours en dommages-intérêts formés par les particuliers ne sont pas sûrs d'aboutir. Les particuliers affectés devront normalement attendre l'adoption et l'application concrète de cette règle technique avant de pouvoir invoquer l'article 30 pour la faire écarter.
92 Pour ces raisons, nous pensons qu'il est correct de considérer, comme l'a fait la Cour dans son arrêt CIA Security, que, pour préserver l'efficacité du mécanisme de contrôle institué par la directive, un État membre ne devrait pas pouvoir opposer aux particuliers une règle technique adoptée sans communication préalable.
93 On pourrait ajouter que l'inapplicabilité de règles techniques non communiquées pourrait avoir pour effet secondaire d'engendrer des avantages inespérés pour certains opérateurs. Ceux-ci pourront invoquer à l'encontre d'un État membre un manquement à une règle de procédure qui n'était pas destinée à leur conférer des droits, que la règle technique en cause constitue ou non un obstacle injustifiable aux échanges au titre de l'article 30 du traité.
94 En outre, dans son arrêt Lemmens (30), la Cour a quelque peu limité les conséquences du défaut de communication. Elle a dit pour droit au point 35 de l'arrêt que l'absence de notification de règles techniques rendait ces dernières inapplicables seulement dans la mesure où elles entravaient l'utilisation ou la commercialisation d'un produit qui n'y était pas conforme. L'arrêt Lemmens pourrait être interprété comme un premier signal en ce sens que, selon la Cour, la jurisprudence CIA Security ne doit être appliquée et étendue qu'avec prudence.
2) Les exigences procédurales de la directive, et notamment l'exigence de communication, sont-elles d'une nature telle que leur violation devrait rendre la mesure inapplicable dans le cadre de n'importe quel type de procédure opposant des particuliers, notamment en matière contractuelle?
95 Selon l'arrêt CIA Security, une règle technique adoptée sans communication préalable ne peut pas être appliquée dans une procédure civile opposant des concurrents sur la base de règles nationales interdisant les pratiques de commerce déloyales. Il s'agit de déterminer s'il y a lieu d'étendre cette règle aux procédures civiles opposant des particuliers au sujet de droits et obligations d'ordre contractuel. Convient-il qu'un opérateur comme Unilever soit en mesure de se prévaloir du non-respect par l'État membre des exigences procédurales de la directive 83/189 dans le cadre d'une procédure l'opposant à un autre opérateur, comme Central Food, afin d'écarter une règle technique nationale comme la loi n_ 313?
96 Les points 68 à 74 des conclusions de l'avocat général Elmer pourraient donner à penser que la Cour a déjà répondu à cette question par l'affirmative dans l'arrêt CIA Security.
97 Nous estimons toutefois que la Cour ne peut pas avoir souhaité l'extension de la sanction de l'inapplicabilité à toute espèce de procédure opposant des particuliers.
98 En premier lieu, l'arrêt de la Cour doit être lu en tenant compte du contexte procédural spécifique de l'espèce. Lorsque des concurrents demandent l'application d'une règle technique sur la base des règles nationales en matière de pratiques de commerce déloyales, l'issue possible de tels recours, comme par exemple une injonction de cessation ou la condamnation à des astreintes, n'est pas très différente du résultat qu'on peut attendre de procédures coercitives engagées par un État membre dans le même domaine lorsqu'il agit par le biais du ministère public ou d'une autorité administrative.
99 En second lieu, il y a lieu de tenir compte de certaines considérations plus fondamentales. Selon nous, le fait qu'un État membre n'a pas respecté les exigences procédurales de la directive ne devrait pas entraîner de conséquences adverses pour les particuliers.
100 La raison en est, d'abord, que ces effets seraient difficiles à justifier au regard du principe de sécurité juridique. Il faut, dans l'intérêt des activités commerciales quotidiennes, que l'on puisse clairement et aisément reconnaître si des règles techniques concernant la vente de marchandises sont applicables ou inapplicables. Bien que le litige en l'espèce concerne une quantité relativement modeste d'huile d'olive en bouteille d'une valeur qui n'affecte sans doute pas radicalement les finances d'Unilever ou de Central Food, on imagine aisément une affaire tout à fait analogue portant sur des produits hautement périssables et des sommes d'argent dont dépendent la prospérité ou la ruine de l'une ou l'autre des parties concernées. Afin d'éviter toute difficulté dans ses rapports contractuels, un opérateur privé devrait être au courant de l'existence de la directive 83/189, connaître l'arrêt CIA Security, identifier une règle technique en tant que telle et établir avec certitude si l'État membre en question a respecté ou non toutes les exigences procédurales de la directive. C'est notamment ce dernier aspect qui pourrait s'avérer extrêmement difficile à cause de l'absence de publicité de la procédure prévue par la directive. La Commission n'a aucune obligation de publier le fait qu'un État membre a communiqué ou omis de communiquer un projet de règle technique déterminé. S'agissant des délais de statu quo prévus par l'article 9 de la directive, les particuliers n'ont aucun moyen de savoir que d'autres États membres ont déclenché le délai de statu quo de six mois en présentant à la Commission des avis circonstanciés. De même, la Commission n'est pas non plus tenue de publier le fait qu'elle a fait savoir à un État membre qu'une réglementation communautaire était envisagée ou en cours de préparation.
101 Le deuxième problème est le risque d'injustice. Si l'absence de communication devait rendre une règle technique inapplicable dans les procédures civiles, un particulier perdrait un procès portant sur une telle règle, non pas en raison de sa propre méconnaissance d'une obligation dérivant du droit communautaire, mais en raison du comportement d'un État membre. La survie économique d'une société pourrait tout simplement être sacrifiée sur l'autel de l'efficacité d'un mécanisme destiné à contrôler les activités réglementaires des États membres. Tel serait le cas indépendamment du fait que la règle technique en cause constitue un obstacle aux échanges, une mesure neutre en terme d'effets sur les échanges, ou même une règle qui favorise les échanges (31). Un opérateur se trouvant dans une telle situation n'aurait d'autre solution que d'engager a posteriori un coûteux et hasardeux recours en dommages-intérêts contre un État membre. Il n'y a aucune raison non plus que l'autre partie à la procédure profite tout à fait fortuitement du non-respect de la directive par un État membre.
102 Il s'ensuit, selon nous, que la réponse correcte dans le cadre de procédures opposant des particuliers s'attachera à la substance. L'applicabilité d'une règle technique dans une procédure opposant des particuliers ne devrait dépendre que de sa compatibilité avec l'article 30 du traité. Si, en l'espèce, la loi italienne n_ 313 est compatible avec l'article 30, nous ne voyons pas pourquoi Central Food, qui s'est logiquement fondée sur les règles inscrites dans les codes italiens, devrait perdre le procès devant la juridiction nationale. Si toutefois la loi italienne n_ 313 enfreint l'article 30 du traité, il incomberait à la juridiction nationale d'écarter la loi pour ce motif.
103 Nous concluons dès lors qu'un particulier ne devrait pas être en mesure de se prévaloir à l'encontre d'un autre particulier du manquement par un État membre aux exigences de la directive 83/189 afin d'écarter une règle technique.
3) À titre subsidiaire: un manquement aux exigences de statu quo devrait-il entraîner l'inapplicabilité d'une règle technique?
104 Si, malgré l'exposé ci-dessus, la Cour devait décider que des règles techniques adoptées en violation des exigences procédurales prévues par la directive sont inapplicables dans n'importe quel type de procédure opposant des particuliers, il reste à déterminer si l'exigence de statu quo constitue une exigence procédurale de cette nature.
105 On pourrait interpréter l'arrêt CIA Security en ce sens que la violation de l'exigence de statu quo constitue «un vice de forme substantiel» dans la même mesure que le défaut de communication. La conclusion qui figure dans cet arrêt fait suite à l'examen des articles 8 et 9 - les obligations de communication et de statu quo - combinés, en tenant compte des buts de la directive. Au point 44, par exemple, la Cour a dit pour droit que «les articles 8 et 9 de la directive 83/189 prescrivent une obligation précise pour les États membres de notifier à la Commission les projets de règles techniques avant leur adoption» et, au point 50, que la directive a «un dessein plus général, d'éliminer ou de restreindre les entraves aux échanges, d'informer les autres États des réglementations techniques envisagées par un État [et] d'accorder à la Commission et aux autres États membres le temps nécessaire pour réagir et proposer une modification permettant d'amoindrir les restrictions à la libre circulation des marchandises découlant de la mesure envisagée ...». Cette conclusion fait également suite à l'examen de la communication de la Commission de 1986 qui faisait le lien entre communication et exigences de statu quo (32).
106 Malgré ces éléments, nous estimons qu'une méconnaissance des délais de statu quo ne devrait pas en soi entraîner l'inapplicabilité de la règle technique concernée. Nous avons fait valoir ci-dessus que la seule considération justifiant l'inapplicabilité d'une règle technique non communiquée pour des motifs de type procédural est le risque de perte d'efficacité du contrôle communautaire. Toutefois, alors que le respect de l'obligation de communiquer un projet de règle technique est essentiel pour l'efficacité de ce contrôle, le respect du délai de statu quo revêt une moindre importance.
107 Lorsqu'un projet de règle technique a été communiqué, il est apparu au grand jour. Les autres États membres et la Commission sont dès lors en mesure de contrôler efficacement le respect des exigences procédurales de la directive et des exigences substantielles de l'article 30 et, le cas échéant, d'engager un recours en manquement.
108 Nous estimons dès lors qu'il serait démesurément sévère d'imposer la sanction de l'inapplicabilité pour des manquements à des exigences procédurales autres que l'obligation de communication au titre de l'article 8, paragraphe 1, de la directive.
109 En conséquence, nous concluons qu'il n'y a pas lieu pour une juridiction nationale, dans le cadre d'une procédure civile opposant des particuliers, d'écarter une règle technique communiquée à la Commission conformément aux exigences de la directive, mais adoptée avant le terme d'un délai de statu quo prévu par cette directive.
Conclusion
110 Bien qu'ils fassent l'objet de la question de de la juridiction nationale, nous ne nous sommes intéressé qu'assez brièvement aux délais de statu quo parce que cette question ne saurait être examinée isolément et soulève forcément la question plus large des conséquences du manquement aux exigences procédurales de la directive en général. En outre, sur le plan pratique, c'est vraisemblablement la question des conséquences du défaut d'un État membre de communiquer une règle technique qui sera de loin la plus importante. La réponse que nous avons proposée pour cette question détermine aussi la réponse à la question de la juridiction nationale.
111 Selon nous, on ne saurait admettre qu'un défaut de communication (événement potentiellement fréquent, étant donné la vaste gamme des mesures pouvant relever du champ d'application de la directive, et qui peut évidemment résulter d'une inadvertance) entraîne des conséquences importantes pour les relations contractuelles entre particuliers. En substance, il en résulterait que les juridictions seraient obligées de constater une inexécution contractuelle au seul motif que des États membres se sont rendus coupables de tels manquements.
112 Des conséquences de ce type se heurteraient à certains principes fondamentaux de nos systèmes juridiques et notamment aux exigences fondamentales de la sécurité juridique. L'incertitude peut porter sur les questions suivantes: la mesure constitue-t-elle une règle technique et devait-elle être communiquée; en l'absence de toute disposition établissant une procédure transparente, a-t-elle effectivement été communiquée; lorsqu'une règle nationale ou des parties de celle-ci sont écartées, quel régime juridique doit remplacer les mesures écartées; quel est le recours approprié en cas d'inexécution contractuelle si aucune des parties n'a commis une faute. En outre, ces conséquences pourraient naître que la règle technique entrave ou non la libre circulation des marchandises, et même si elle la facilite. Nous ne voyons aucune raison d'attacher de telles conséquences à un défaut de communication.
113 Si, comme nous l'avons affirmé, on ne saurait admettre que le défaut de communication par un État membre d'une règle technique affecte les relations contractuelles entre particuliers et justifie une inexécution contractuelle, il est manifeste que tel ne devrait pas être le cas non plus d'un manquement aux exigences de statu quo. Plusieurs arguments valent pour ces deux manquements. En particulier, les arguments tirés de la sécurité juridique, de l'injustice et du défaut de transparence s'appliquent, de manières différentes, à toutes les conséquences d'irrégularités procédurales commises par les États membres.
114 En vérité, le système de procédure établi par la directive est destiné à régir les relations entre la Commission et les États membres. Il n'a pas été conçu pour conférer aux particuliers des droits substantiels et encore moins pour leur porter préjudice. Il ne semble pas non plus qu'il soit nécessaire d'y attacher de tels effets. L'intérêt supérieur de la Communauté qui consiste à assurer la libre circulation des marchandises n'entre pas en ligne de compte avant qu'il ne soit établi que la règle technique entrave effectivement cette libre circulation. Dans des affaires comme celle qui se présente en l'espèce, la possibilité d'invoquer l'article 30 du traité suffit à garantir pleinement l'intérêt de la Communauté.
115 En conséquence, nous estimons qu'il convient de répondre de la manière suivante à la question posée par la Pretura Circondariale di Milano:
Lorsqu'un État membre méconnaît les exigences procédurales prévues par les articles 8 et 9 de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, ce manquement ne saurait être invoqué devant les juridictions nationales dans le cadre d'une procédure opposant des particuliers en matière contractuelle.
(1) - Directive du Conseil du 28 mars 1983 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 109, p. 8), telle que modifiée notamment par les directives 88/182/CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 81, p. 75) et 94/10/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 mars 1994, portant deuxième modification substantielle de la directive 83/189 (JO L 100, p. 30).
(2) - Arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C-194/94, Rec. p. I-2201).
(3) - L'extension de la définition dans le second alinéa de l'article 1er, point 2, ne figurait pas dans la version initiale de la directive; elle a été insérée par les directives 88/182 et 94/10, précitées à la note 1.
(4) - Gazzetta Ufficiale della Repubblica Italiana («GURI») 1986 n_ 151, p. 3.
(5) - En dernier lieu par la loi n_ 52 du 6 février 1996, GURI Supplemento ordinario n_ 24, p. 1, dont l'article 46 met en oeuvre la directive 94/10.
(6) - Communication de la Commission concernant le non-respect de certaines dispositions de la directive 83/189 (JO 1986, C 245, p. 4).
(7) - L'équivalent de l'article 9, paragraphe 7, dans la version reproduite ci-dessus.
(8) - Précité à la note 2; voir points 36 à 55 de l'arrêt et point 2 de son dispositif.
(9) - GURI n_ 201 du 29 août 1998.
(10) - JO 1998, C 177, p. 2.
(11) - Règlement de la Commission du 22 décembre 1998, relatif aux normes commerciales de l'huile d'olive (JO L 349, p. 56).
(12) - C'est-à-dire une appellation d'origine ou une indication géographique enregistrées conformément au règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1).
(13) - Il est constant que la date indiquée ici résulte d'une erreur et qu'il conviendrait de lire «4 mai 1999».
(14) - Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18).
(15) - La directive 98/34 ne comporte aucune échéance de transposition, mais elle maintient celles de la directive 83/189 et des directives qui la modifient.
(16) - Directive du Conseil du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO L 33, p. 1), telle que modifiée.
(17) - GURI n_ 156 du 9 juin 1982, p. 4167. La Cour s'est penchée sur l'article 3, sous h), de ce décret dans son arrêt du 17 septembre 1997, Dega (C-83/96, Rec. p. I-5001).
(18) - L'exigence générale selon laquelle l'étiquetage ne doit pas induire l'acheteur en erreur à cet égard figure toutefois aux articles 2 de la directive 79/112 et du décret présidentiel.
(19) - Voir note 2.
(20) - Voir points 42 à 44 de l'arrêt.
(21) - Voir point 48 de l'arrêt.
(22) - Voir points 51 à 53 de l'arrêt.
(23) - Voir point 98 ci-dessous.
(24) - Voir, par exemple, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I-4135).
(25) - Voir, par exemple, arrêt du 19 janvier 1982, Becker/Finanzamt Münster-Innenstadt (8/81, Rec. p. 53).
(26) - Voir, par exemple, arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325).
(27) - Voir, par exemple, arrêt du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C-72/95, Rec. p. I-5403) et, pour un examen récent de certains des problèmes, les conclusions que l'avocat général Léger a rendues le 11 janvier 2000 dans l'affaire C-287/98, Luxembourg/Linster e.a..
(28) - JO 1962, 13, p. 204.
(29) - JO L 83, p. 1.
(30) - Arrêt du 16 juin 1998 (C-226/97, Rec. p. I-3711).
(31) - C'est ce qui semble découler du raisonnement figurant au point 57 de l'arrêt CIA Security, précité à la note 2.
(32) - Voir point 8 ci-dessus.