Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 août 2021, 6 février 2023, 16 mars 2023 et 24 avril 2023, M. A B, représenté par Me Lelong, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 7 juin 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Camille Claudel a refusé sa demande d'imputabilité au service de sa maladie ;
2°) d'enjoindre au centre hospitalier de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 31 octobre 2019 et d'en tirer toutes les conséquences pour sa situation administrative, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ; subsidiairement, d'enjoindre au centre hospitalier de procéder au réexamen de sa demande ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Camille Claudel une somme de 2 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée de vices de procédure, en raison de l'absence d'information du médecin de prévention de la tenue de la commission de réforme, d'atteinte au principe d'impartialité des membres de cette commission, et d'irrégularités dans l'avis de celle-ci ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur le fait qu'il a demandé un congé longue maladie parallèlement à la demande de reconnaissance de maladie professionnelle ici en litige ;
- elle est entachée d'erreur de droit, de fait et de qualification juridique des faits, aucun fait personnel ne permettant de détacher la maladie dont il souffre du service.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 octobre 2021, 9 février 2023 et 15 mars 2023, le centre hospitalier Camille Claudel, représenté par le cabinet Houdart et associés, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 5 février 2024.
Les parties ont été invitées, en application de l'article
R. 613-1-1 du code de justice administrative, à produire certaines pièces en vue de compléter l'instruction.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duval-Tadeusz,
- les conclusions de Mme Bréjeon, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lelong, représentant M. B, et de Me Depasse, représentant le centre hospitalier Camille Claudel.
Considérant ce qui suit
:
1. Depuis le 1er octobre 2012, M. B exerce au centre hospitalier Camille Claudel en qualité d'infirmier titulaire. Par une décision du 20 décembre 2019, le centre hospitalier a pris à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de cinq mois. Par un jugement du 4 mai 2021, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision. Le centre hospitalier Camille Claudel a alors infligé à M. B un blâme. Ce dernier souffrant d'un syndrome anxio-dépressif, a été placé en congé de maladie à compter du 31 octobre 2019. Par une décision du 7 juin 2021, le centre hospitalier a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie. M. B demande l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : / () ; / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. (). / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article
L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite (), le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / () ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B a fait l'objet en 2019 d'une suspension de fonctions de quatre mois puis d'une exclusion temporaire de fonctions, cette sanction ayant été par la suite annulée par le tribunal administratif. A raison des faits reprochés, le requérant a finalement été sanctionné d'un blâme. En outre, sa notation pour cette année 2019 qui se référait uniquement à ces faits, a également été annulée par le tribunal administratif.
5. A la suite de la procédure disciplinaire, M. B a présenté un syndrome dépressif réactionnel, dont la réalité n'est pas contestée. Si le médecin expert a considéré que la pathologie du requérant ne comportait pas de lien direct et certain avec le service, les médecins qui suivent le requérant considèrent au contraire que ce syndrome est directement lié à la procédure dont il a fait l'objet. La commission de réforme ne s'est pas positionnée sur l'imputabilité au service, de même d'ailleurs que le médecin ayant réalisé une expertise judiciaire. Cependant, il ressort des pièces du dossier que le requérant ne présentait pas de pathologie antérieure, et que si son histoire personnelle pouvait causer une fragilité psychologique, le trouble dépressif dont souffre le requérant est réactionnel à la procédure engagée à son encontre. Au regard de la soudaineté de la suspension dont le requérant a fait l'objet et de la répétition des actes disciplinaires pris à son encontre, le contexte professionnel du requérant peut être regardé comme pathogène et la maladie de M. B doit être regardée comme présentant un lien direct et vraisemblable avec l'exercice de ses fonctions.
6. En deuxième lieu, s'il n'est pas contestable que le requérant a commis une faute, en étant notamment trop familier avec une patiente qu'il a rencontrée dans un cadre personnel en dehors du service, cette faute ne peut être regardée comme présentant une gravité suffisante pour être détachable du service.
7. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le centre hospitalier a commis une erreur d'appréciation en refusant de reconnaître son syndrome dépressif au titre de la maladie professionnelle.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B est fondé à demander l'annulation de la décision du 7 juin 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Camille Claudel a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
9. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du jugement implique nécessairement que soit reconnue l'imputabilité au service de la pathologie de M. B. Il y a donc lieu d'enjoindre au directeur du centre hospitalier Camille Claudel, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, de procéder à cette reconnaissance, laquelle emportera la prise en charge de l'ensemble des soins afférents à cette pathologie. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. Le centre hospitalier Camille Claudel versera à M. B la somme de 1 300 euros sur le fondement au titre des frais d'instance. Les dispositions de l'article
L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B la somme demandée par le centre hospitalier au titre de ces mêmes frais.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du directeur du centre hospitalier Camille Claudel du 7 juin 2021 refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de la pathologie de M. B est annulée.
Article 2 : il est enjoint au directeur du centre hospitalier Camille Claudel de reconnaitre la pathologie de M. B comme étant imputable au service, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : le centre hospitalier Camille Claudel versera à M. B la somme de 1 300 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au centre hospitalier Camille Claudel.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Cristille, président,
Mme Duval-Tadeusz, première conseillère,
Mme Gibson-Thery, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
La rapporteure,
Signé
J. DUVAL-TADEUSZ
Le président,
Signé
P. CRISTILLE Le greffier,
Signé
S. GAGNAIRE
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
La greffière,
N. COLLET