Cour d'appel de Lyon, Chambre 8, 11 septembre 2018, 17/08493

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2020-01-30
Cour d'appel de Lyon
2018-09-11

Texte intégral

N° RG 17/08493 Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON Référé du 27 novembre 2017 RG : 17/01617 Société GINET COURTAGE D'ASSURANCES C/ X... RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE LYON 8ème chambre

ARRET

DU 11 SEPTEMBRE 2018 APPELANTE : S.A.S. GINET COURTAGE D'ASSURANCES représentée par ses dirigeants légaux [...] Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON (toque 475) Assistée de la SCP BALAS & METRAL, avocat au barreau de LYON INTIME : M. Jacques Bernard X... [...] Représenté par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON (toque 1983) Assisté de la SCP DECOSTER CORRET DELOZIERE LECLERCQ, avocat au barreau de SAINT-OMER INTERVENANT : M. Régis Y... [...] Représenté par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON (toque 475) Assisté de la SCP BALAS & METRAL, avocat au barreau de LYON ****** Date de clôture de l'instruction : 04 Juillet 2018 Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Juillet 2018 Date de mise à disposition : 11 Septembre 2018 Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Agnès CHAUVE, président - Dominique DEFRASNE, conseiller - Catherine ZAGALA, conseiller assistés pendant les débats de Marine DELPHIN-POULAT, greffier A l'audience, Agnès CHAUVE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile. Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Agnès CHAUVE, président, et par Marine DELPHIN-POULAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire. **** M. Régis Y... et M. Jacques X... ont conclu un contrat de travail de chargé de clientèle entreprise le 11 décembre 2001. Il était chargé de rechercher toutes affaires nouvelles d'assurances et suivi des contrats en cours. Ce contrat comporte une clause selon laquelle il ne devra pas, dans un délai de trois ans, en cas de cessation de ses fonctions, reprendre un ou des contrats du cabinet X..., ni travailler directement ou indirectement dans un rayon de 50 km autour de Lille. M. Y... a démissionné de son emploi le 30 octobre 2012. Il a été embauché le 1er janvier 2013 par la SAS Ginet Courtage d'Assurances (la société Ginet Courtage) qui exerce une activité de courtage. Par ordonnances sur requête des 15 octobre 2013 et 4 juillet 2014 rendues par le président du tribunal de grande instance de Lyon, M. X... a obtenu la désignation d'un huissier pour constater que certains clients sont clients de la société Ginet Courtage par l'entremise de M.Y..., en contravention de la clause de non concurrence. M. X... a initié une procédure en concurrence déloyale à l'encontre de son ancien salarié, M. Y..., actuellement pendante devant le conseil des prud'hommes de Boulogne sur Mer étant suspendue dans l'attente de la décision à intervenir sur la validité des constats. Par acte en date du 17 août 2017, la société Ginet Courtage a assigné en référé M. X... pour voir rétracter les deux ordonnances des 15 octobre 2013 et 4 juillet 2014, ordonner la destruction des éléments saisis par l'huissier et des procès-verbaux de constat établis en exécution de ces ordonnances et faire interdiction à M. X... de faire état ou usage des constats et des pièces prélevées, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée. Par ordonnance de référé en date du 27 novembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Lyon a : déclaré recevables les demandes en rétractation des ordonnances, rejeté les demandes de la société Ginet Courtage, condamné la société Ginet Courtage aux dépens, condamné la société Ginet Courtage à payer à M. X... la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Pour cela, le juge des référés a relevé que : la société Ginet Courtage a un intérêt à agir dès lors que les investigations litigieuses ont été menées dans ses locaux, les ordonnances sur requête ne sont pas expressément motivées, mais font référence aux requêtes, lesquelles comportent une motivation, et par là même adoptent leur motivation ; les requêtes précisent la qualité d'ancien salarié de M. Y..., font état de la clause de non concurrence qui le liait à son employeur M. X..., de sa démission de l'entreprise fin 2012, de sa reprise des contrats d'assurances du cabinet de M. X..., de la nécessité d'agir non contradictoirement pour établir les faits et concurrence déloyale suspectés et éviter les man'uvres adverses, l'urgence est établie dès lors qu'il s'agit d'éviter la poursuite des difficultés financières liées aux résiliations de contrats d'assurance au préjudice du requérant, et les mesures ordonnées sont suffisamment limitées dans leur objet pour permettre l'établissement des fraudes dénoncées tout en préservant la poursuite des activités légales de la société Ginet Courtage. Par déclaration reçue au greffe le 6 décembre 2017, la société Ginet Courtage a régulièrement interjeté appel de cette décision, dont elle sollicite la réformation. M. Y... intervient volontairement aux débats devant la cour. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 1er mars 2018, la société Ginet courtage d'assurances et M. Y... demandent à la cour d'appel de : dire et juger recevables ses demandes et celles de M. Y..., rétracter les deux ordonnances des 15 octobre 2013 et 4 juillet 2014, ordonner la destruction de l'intégralité des éléments saisis par l'huissier, des procès-verbaux de constat établis en exécution des deux ordonnances, ainsi que de toute copie et en interdire toute communication procédurale, faire interdiction à M. X... de faire état ou usage des constats et de toute pièce annexée ou prélevée sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée à compter de la décision, rejeter l'appel incident de M. X... et le débouter de l'ensemble de ses demandes, condamner M. X... à payer à chacun des appelants une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que : M. Y... est cité devant le conseil des prud'hommes, procédure dans laquelle son ancien employeur, M. X..., a versé aux débats les deux constats d'huissier litigieux; il a donc valablement qualité pour agir et est recevable dans ses demandes formulées au titre de son intervention volontaire, ni les ordonnances, ni les requêtes ne contiennent des moyens et motivations propres à justifier qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, la qualité d'ancien salarié et la clause de non concurrence ne pouvaient justifier les intrusions au sein de son fichier client au mépris du secret des affaires puisque la clause n'interdisait pas de signer un contrat de travail chez un concurrent, et ne comportait pas de contrepartie financière ; elle lui était en cela inopposable, tout comme elle était inopposable à M. Y...; la nullité de cette clause de non concurrence rendait sans fondement la mesure d'instruction et disproportionnée ; le procédé intrusif utilisé est déloyal, il n'a pas pour objet de servir une procédure mais bien un développement commercial et de faire pression sur M. Y..., ancien salarié, M. X... a attendu un an pour le premier constat d'huissier à l'issue de la rupture du contrat, puis presque cinq ans pour l'assigner au fond ; l'urgence n'est donc pas établie, M. X... ne démontre pas l'existence d'un motif légitime à établir ou conserver la preuve de faits nécessaires à la solution du litige, M. X... ne démontre pas le risque de dépérissement des documents sur lesquels devraient porter les opérations de constat ; la seule énonciation de la nécessité de prévenir le risque de toute disparition ou falsification des documents ne correspond pas à une motivation pour déroger au principe du contradictoire ; la requête de M. X... avait pour objectif initial de recueillir des informations contre son ancien salarié, mais M. Y... n'avait pourtant aucun moyen d'agir directement sur les fichiers clients de son nouvel employeur et ne pouvait ainsi pas faire disparaître ni falsifier les documents. En réponse, M. X..., intimé et appelant incident, par ses dernières conclusions notifiées le 1er février 2018, demande à la cour d'appel de : confirmer l'ordonnance du 27 novembre 2017, à titre subsidiaire, se déclarer incompétente au profit du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer pour la société Ginet Courtage et du conseil des prud'hommes de Saint-Omer pour M. Y..., afin que ceux-ci statuent sur la recevabilité des procès-verbaux de constat, condamner la société Ginet Courtage et M. Y... à lui payer chacun la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les condamner in solidum aux dépens. A l'appui de ses prétentions, il expose que : les requêtes ont été signifiées à la société Ginet Courtage le 3 décembre 2013 et le 7 août 2014 ; elle a donc attendu trois ans pour agir en rétractation des ordonnances rendues sur requête, ce qui ne correspond pas à un délai raisonnable, il a adressé à la société Ginet Courtage une mise en demeure le 11 juillet 2017, non pas pour lui demander la rupture du contrat de travail de M. Y..., mais pour lui signifier qu'elle s'est elle aussi livrée à des actes positifs de concurrence déloyale en sa qualité d'employeur de M. Y..., dont il est la victime, il a assigné la société Ginet Courtage devant le tribunal de commerce dans le délai légal, faute d'avoir pu solder amiablement le différend, la question de l'illégalité de la clause de non concurrence relève de la compétence du conseil des prud'hommes saisi, et non pas du juge des référés, les deux requêtes sont parfaitement motivées, tout comme les ordonnances sur requête, qui expliquent clairement pourquoi il convient de déroger au principe du contradictoire, à savoir d'éviter les man'uvres adverses pour faire échec à la démonstration de la concurrence déloyale dont se rend coupable M. Y... ; ces requêtes et ordonnances démontrent également le risque de disparition des documents sur lesquels portent les opérations de constat et donc de la nécessité de conserver ces preuves, l'existence de circonstances urgentes justifiant le recours à une procédure non contradictoire, ainsi que l'existence d'un motif légitime à établir ou conserver la preuve de faits nécessaires à la solution du litige.

MOTIFS

DE LA DÉCISION Aux termes des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, «s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé». Conformément aux termes de l'article 493 du code de procédure civile, «l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.» L'article 812 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal de grande instance peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes «lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement». Il appartient, au vu des dispositions ci-dessus rappelées, au requérant d'expliciter dans sa demande d'ordonnance sur requête les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction et ces mêmes circonstances doivent également résulter de l'ordonnance du juge. En l'espèce, les requêtes à fin de constat présentée par M. Jacques X... indiquent dans leur paragraphe intitulé «A propos de l'urgence», après que les faits aient été exposés et après rappel des dispositions de l'article 802 du code de procédure civile sur l'exigence d'expliciter des circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire, que 'tel est le cas en l'espèce. En effet, il convient d'éviter les man'uvres adverses pour faire échec à la démonstration de la concurrence déloyale dont se rend coupable M. Y...». Elles précisent cependant dans les faits que «pour obtenir cette preuve, M. Jacques X... peut faire délivrer une sommation interpellative à l'intéressé, M. Y..., d'avoir à préciser pour qui il travaille aujourd'hui mais ce serait là éveiller les soupçons et peut être le conduire à man'uvrer de sorte qu'il soit fait échec ultérieurement à la démonstration de la concurrence déloyale dont il se rend coupable.» Si la requête fait état de l'embauche son ancien salarié par une société concurrente, du transfert des contrats d'assurance de clients du cabinet au profit de la société Ginet au cours du préavis, et invoque des faits de concurrence déloyale, d'une clause du contrat de M. Y... lui interdisant de reprendre les contrats an cas de cessation de ses fonctions, elles ne contiennent aucun argumentaire sur la nécessité de déroger au principe de la contradiction pas même de manière générale, et encore moins de manière spécifique à l'affaire. La simple affirmation que tel est le cas en l'espèce ne saurait constituer une quelconque motivation de fait. Il en est de même de l'argumentaire très général sur le fait d'éveiller les soupçons et l'évocation de man'uvres sans plus de précisions. Les requêtes ne sont donc pas motivées sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire, celle-ci ne pouvant se déduire du simple énoncé des faits reprochés à M.Y... et d'une suspicion de parasitisme ou concurrence déloyale. L'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lyon désignant l'huissier ne satisfait pas plus aux exigences de motivation posées par les dispositions du code de procédure civile puisqu'elle se borne à viser la requête et les pièces qui y sont annexées sans comporter aucune référence à la dérogation au principe de la contradiction et encore moins une motivation sur les circonstances justifiant d'y déroger. En conséquence, il convient d'infirmer l'ordonnance rendue le 27 novembre 2017 et de rétracter les ordonnances sur requête du 15 octobre 2013 et 4 juillet 2014, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de contestation soulevés. Dans la mesure où les ordonnances sont rétractées, la cour est compétente pour statuer sur les demandes en découlant, à savoir la demande de destruction de l'intégralité des éléments saisis par l'huissier, des procès-verbaux de constat établis en exécution des deux ordonnances, ainsi que de toute copie et en interdire toute communication procédurale, comme l'interdiction à M. X... de faire état ou usage des constats et de toute pièce annexée ou prélevée. Ces demandes doivent être accueillies dès lors que les ordonnances sont rétractées, les pièces saisies l'ayant été sans titre régulier. Il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner une astreinte pour s'assurer de l'exécution de ces condamnations. M. Jacque X... devra supporter les entiers dépens. Il devra également régler la somme de 1.000 euros à M. Régis Y... et à la société Ginet Courtage d'assurances en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance querellée et statuant à nouveau, Rétracte les ordonnances sur requête rendues le 15 octobre 2013 et 4 juillet 2014 par le président du tribunal de grande instance de Lyon, Annule les opérations de constat et les constats dressés par Me Rafaèle Z... les 3 décembre 2013 et 7 août 2014 en exécution des ordonnances rétractées, Ordonne la destruction de l'intégralité des éléments saisis par l'huissier, des procès-verbaux de constat établis en exécution des deux ordonnances, ainsi que de toute copie et en interdit toute communication procédurale, Interdit à M. X... de faire état ou usage des constats et de toute pièce annexée ou prélevée, Dit n'y avoir lieu à astreinte, Condamne M. Jacque X... à payer à M. Régis Y... et à la société Ginet Courtage d'assurances la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, Condamne M. Jacque X... aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile. LE GREFFIERLE PRESIDENT