CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 272 FS-B
Pourvoi n° A 21-21.106
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023
La Caisse de garantie immobilière du bâtiment, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 21-21.106 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Georges Gras, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société MJ de l'Allier, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [B] [G], prise en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Georges Gras,
3°/ à M. [O] [W],
4°/ à Mme [C] [M], épouse [W],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
5°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Caisse de garantie immobilière du bâtiment, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [W], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, Mme Farrenq-Nési, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Delbano conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article
R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 6 juillet 2021), M. et Mme [W] ont conclu avec la société Georges Gras, assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP) au titre de la garantie décennale, un contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture du plan.
2. La société Georges Gras a obtenu le 10 février 2006 la garantie de livraison de la Caisse de garantie immobilière du bâtiment (la CGI BAT). Une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la SMABTP.
3. La livraison de l'ouvrage est intervenue avec réserves.
4. M. et Mme [W] ont, après expertise, assigné la société Georges Gras et la CGI BAT en paiement du coût de démolition et de reconstruction de l'immeuble et en indemnisation de différents préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner le garant au titre des travaux réservés par les maîtres de l'ouvrage et des travaux connexes
Enoncé du moyen
5. La CGI BAT fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Georges Gras, au paiement de sommes au titre des travaux réservés par les maîtres de l'ouvrage et des travaux connexes réalisés en pure perte, alors « que la garantie de livraison couvre le maître de l'ouvrage, à compter de la date d'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus ; que par suite, l'objet de la garantie de livraison est limité au coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction, sans pouvoir s'étendre à l'indemnisation de préjudices distincts ; qu'en condamnant la société CGI BAT, en sa qualité de garante de livraison, à indemniser les maîtres de l'ouvrage du coût de travaux de finition et de coût de travaux connexes, tout en constatant que ceux-ci avaient été réalisés en pure perte, ce dont il résultait qu'ils n'étaient pas nécessaires à l'achèvement de la construction, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article
L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
Vu
l'article
L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation :
6. Selon ce texte, la garantie de livraison couvre le maître de l'ouvrage contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus. En cas de défaillance du constructeur, le garant prend à sa charge le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction.
7. Il en résulte que, sauf stipulation contraire, cette garantie ne s'étend pas à l'indemnisation de préjudices distincts.
8. Pour condamner le garant à payer une somme au titre du coût de travaux de finition réservés par les maîtres de l'ouvrage et de travaux connexes qui ont été réalisés en pure perte, l'arrêt retient
, par motifs propres et adoptés, que le constructeur a été défaillant tant dans le respect du délai de livraison que dans la levée des réserves, que l'ouvrage doit être démoli et reconstruit et que le garant doit prendre en charge toutes les réparations nécessaires.
9. En se déterminant ainsi
, sans préciser en quoi les coûts mis à la charge du garant correspondaient à un dépassement du prix convenu nécessaire à l'achèvement de la construction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le premier moyen
, pris en sa seconde branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner le garant au titre des frais de déménagement et de location.
Enoncé du moyen
10. La CGI BAT fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Georges Gras, au paiement des frais de déménagement et de location, alors « que et de la même manière, en condamnant la société CGI BAT à indemniser M. et Mme [W] au titre de leurs frais de déménagement et de location, quand la garantie de livraison n'a pas vocation à couvrir ce type de préjudices, la cour d'appel a violé l'article
L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
Vu
l'article
L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation :
11. Selon ce texte, la garantie de livraison que doit souscrire le constructeur de maison individuelle couvre le maître de l'ouvrage, à compter de la date d'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus. En cas de défaillance du constructeur, le garant prend, notamment, à sa charge le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction.
12. Sauf clause contraire contenue dans le contrat de garantie, le garant n'est pas tenu de prendre à sa charge les dommages-intérêts dus par le constructeur en réparation de préjudices distincts du coût d'achèvement de l'ouvrage.
13. Pour condamner le garant à payer une somme au titre de « frais de déménagement et de location », l'arrêt retient
, par motifs propres et adoptés, que le constructeur a été défaillant tant dans le respect du délai de livraison que dans la levée des réserves, que l'ouvrage doit être démoli et reconstruit et que le garant doit prendre en charge toutes les réparations nécessaires.
14. Il ajoute que le garant produit uniquement les conditions particulières de son engagement mais pas les conditions générales, de sorte que sa demande de réformation du jugement au titre des frais de déménagement et de location ne peut prospérer.
15. En statuant ainsi
, alors qu'elle avait constaté que l'engagement de la société CGI BAT était conforme au cautionnement solidaire visé par l'article
L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation, de sorte qu'il ne couvrait pas les frais de déménagement et de location d'un logement de substitution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
16. La CGI BAT fait grief à l'arrêt d'écarter le caractère décennal des désordres allégués et de rejeter ses demandes en garantie formées contre la SMABTP, alors « que constituent des désordres de nature décennale les dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination ; qu'en l'espèce, les juges ont constaté que la charpente avait nécessité l'implantation de pièces de soutien supplémentaires, que les murs n'étaient pas d'aplomb, qu'il existait des distorsions géométriques du sol au plafond, que le gros-oeuvre avait été réalisé de façon très approximative, que ces multiples désordres n'avaient pas pu être atténués par les travaux de reprise, qu'il existait en outre une anomalie d'appareillage des murs porteurs, que ces défauts apparaissaient affecter la structure de la maison, et que celle-ci était complètement bancale et de guingois ; que l'expertise judiciaire sur laquelle s'est appuyée la cour d'appel concluait elle-même qu'« Il est constant que, dans tous les cas, la pérennité de l'ouvrage ne pourra pas être garantie. » ; qu'en excluant néanmoins le caractère décennal de ces désordres pour ne retenir qu'une simple non-conformité contractuelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles
1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu
l'article
1792 du code civil :
17. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
18. Pour écarter le caractère décennal des désordres, l'arrêt retient
, par motifs propres et adoptés, qu'en l'absence de démonstration d'une atteinte réelle à la solidité de l'ouvrage ou de son impropriété à destination, nonobstant les défauts qui paraissent affecter sa structure, les malfaçons constatées sur l'immeuble ne relèvent pas de l'article
1792 du code civil, mais résultent d'une exécution défectueuse et non conforme au contrat, de sorte que la SMABTP ne peut intervenir ici à aucun titre.
19. En statuant ainsi
, après avoir retenu que la maison, « complètement bancale et de guingois », ne pouvait être réparée sans être démolie puis reconstruite, ce dont il résultait que les désordres étaient de la gravité de ceux prévus à l'article
1792 du code civil et que l'assureur de dommages-ouvrage pouvait avoir à en répondre sur le fondement de l'article
L. 242-1, alinéa 10, du code des assurances, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
20. En application de l'article
625 du code de procédure civile, il n'y a lieu de mettre hors de cause ni la SMABTP ni M. et Mme [W], dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS
, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que :
- il condamne la Caisse de garantie immobilière du bâtiment (CGI BAT) à payer à M. et Mme [W] la somme de 61 796,50 euros au titre du coût des travaux de finition réservés par le maître de l'ouvrage et des travaux connexes qui ont été réalisés en pure perte ;
- il condamne la Caisse de garantie immobilière du bâtiment (CGI BAT) à payer à M. et Mme [W] la somme de 28 980,64 euros au titre du déménagement et de la location ;
- il écarte le caractère décennal des désordres allégués et rejette les demandes de garantie formées par la Caisse de garantie immobilière du bâtiment (CGI BAT) contre la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) ;
l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Rejette les demandes de mise hors de cause ;
Condamne M. et Mme [W] et la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.