Vu la procédure suivante
:
Par un arrêt n°20VE02416 du
17 juin 2021, la cour administrative d'appel de Versailles, saisie d'un appel présenté par la société Acofi Gestion, a annulé l'ordonnance du président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles en date du 23 juillet 2020 et a renvoyé l'affaire au tribunal.
Par une requête et des mémoires enregistrés le 11 octobre 2019 le 28 mai 2020 et le 13 juin 2024, la société Sienna Am France, venant aux droits de la société Acofi Gestion, représentée par Me Sarah Espasa-Mattei, demande au tribunal :
1°) le versement des intérêts moratoires correspondant aux créances de crédit d'impôt recherche de l'association Centre d'Etudes et de Recherches pour l'Intensification du Traitement du Diabète au titres des années 2013, 2014 et 2015, pour un montant de 48 564,59 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de remboursement d'une créance de crédit impôt recherche constitue une réclamation au sens de l'article
L. 190 du livre des procédures fiscales ; dès lors, le retard dans le traitement de cette réclamation ouvre droit au versement d'intérêts moratoires sur le fondement de l'article
L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- la date de réclamation à retenir pour le calcul des intérêts moratoires est celle de la demande formulée par le contribuable ayant cédé sa créance de crédit impôt recherche, et non la demande formée par la société cessionnaire de la créance.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 avril 2020, le 4 octobre 2022 et le 13 mars 2024, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lutz, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cerf, rapporteure publique,
- et les observations de Me Auvray, représentant la société Sienna AM.
Considérant ce qui suit
:
1. Le Centre d'Etudes et de Recherche pour l'intensification du traitement du diabète (CERITD) était titulaire d'une créance de crédit impôt recherche au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par trois actes de cession de créances du 16 novembre 2016 , notifiés à l'administration fiscales le même jour, le CERITD a cédé ces créances au fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020, représenté par sa société de gestion Acofi Gestion. Le CERITD a présenté au service le 28 novembre 2016 une réclamation et les déclarations spéciales tendant à la restitution immédiate de ces créances, demande qui a été rejetée par le service le 2 février 2017 en raison des cessions de créance qui lui avaient été notifiés. Par courrier du 7 décembre 2017, la société Acofi Gestion a sollicité le paiement de ces créances entre ses mains, demande qui a été admise en totalité par le service, qui a versé les sommes correspondantes le 26 février 2018. Par réclamation du 12 mars 2018, la société Acofi Gestion a sollicité le versement d'intérêts moratoires correspondant à ces sommes. Cette demande ayant été rejetée par décision du 30 août 2019, la société Sienna Am, qui vient désormais aux droits de la société Acofi Gestion, demande au tribunal le versement de ces intérêts moratoires, pour un montant de 48 564,49 euros.
2. D'une part, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel () peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année ". Aux termes de l'article 220 B du même code : " Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter B ". Aux termes du I de l'article 199 ter B de ce code : " Le crédit d'impôt () défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période. () ". Le II du même article prévoit que ces créances sont immédiatement remboursables lorsqu'elles sont constatées par des entreprises appartenant à certaines catégories, définies notamment au regard de leur taille ou de la qualification de jeune entreprise innovante.
3. Aux termes de l'article
L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire () ". Aux termes de l'article R. 190 -1 du même livre : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l'imposition ". Enfin, aux termes de son article
R. 198-10 : " L'administration des impôts () statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation () ".
4. Aux termes de l'article
L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article
1727 du code général des impôts ". Aux termes de l'article
R. 208-2 du même livre : " Les intérêts moratoires courent jusqu'au jour du remboursement ".
5. La demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article
L. 190 du livre des procédures fiscales. Un remboursement accordé par l'administration à la suite de l'admission d'une telle réclamation, qui tend à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou règlementaire, n'ouvre pas droit au versement par l'Etat au contribuable d'intérêts moratoires. En revanche, un remboursement de créance de crédit d'impôt recherche qui intervient postérieurement au rejet, explicite ou né du silence gardé par l'administration au-delà du délai de six mois prévu à l'article
R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la demande formée à cette fin a le caractère d'un dégrèvement contentieux de même nature que celui prononcé par un tribunal au sens des dispositions précitées de l'article
L. 208 du livre des procédures fiscales, et ouvre en conséquence droit au versement d'intérêts moratoires à compter de la date de la demande de remboursement.
6. D'autre part, aux termes de l'article
L. 214-169 du code monétaire et financier : " () ()V. - 1° L'acquisition ou la cession de créances par un organisme de financement s'effectue par la seule remise d'un bordereau dont les énonciations et le support sont fixés par décret, ou par tout autre mode d'acquisition, de cession ou de transfert de droit français ou étranger. () / 2° Lorsqu'elle est réalisée par voie du bordereau mentionné au 1°, l'acquisition ou la cession des créances prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs ; / 3° La remise du bordereau entraîne de plein droit le transfert des sûretés, des garanties et des autres accessoires attachés à chaque créance, y compris les sûretés hypothécaires et les créances professionnelles cédées à titre de garantie ou nanties dans les conditions prévues par les articles
L. 313-23 et suivants, de même que l'opposabilité de ce transfert aux tiers sans qu'il soit besoin d'autre formalité () ".
7. Lorsque la cession de créance professionnelle effectuée dans les conditions prévues aux articles
L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier intervient avant la présentation de la demande tendant au remboursement de cette créance devant un tribunal, l'établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l'impôt afin d'obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d'acceptation de cette cession par le débiteur. Dans le cadre de l'instance qu'il a introduite devant le tribunal administratif afin d'obtenir le paiement de sa créance, l'établissement de crédit cessionnaire peut se prévaloir de la réclamation préalable présentée par le cédant à l'administration fiscale.
8. Il résulte de l'article
L. 214-169 du code monétaire et financier que la cession en cause a entraîné le transfert de la créance du CERITD à la société Acofi Gestion et était opposable sans autre formalité à l'administration fiscale. S'il est vrai que la notification de la cession de créance à l'administration fiscale a eu pour effet de lui interdire de procéder au remboursement demandé entre les mains du CERITD, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'elle n'imposait en revanche pas à la société cessionnaire de réitérer une réclamation en son nom propre. Il suit de là que la société Sienna Am est fondée, pour le calcul des intérêts moratoires, à se prévaloir de la réclamation initialement présentée par le CERITD le 28 novembre 2016. Les fonds n'ayant été remboursés que le 26 février 2018, la société Sienna Am a droit aux intérêts moratoires ayant courus entre ces deux dates.
9. Il y a donc lieu de condamner l'Etat à payer à la société Sienna AM une somme correspondant aux intérêts moratoires dus sur la somme de 854 008 euros, sur la période du 28 novembre 2016 au 26 février 2018, et dans la limite de la somme de 48 564,59 euros réclamée par la société requérante dans la présente instance.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre des conclusions présentées par la société Sienna Am sur le fondement de l'article
L. 761-1 du cofde de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Sienna Am la somme correspondant aux intérêts moratoires dus sur la somme de 854 008 euros à compter du 28 novembre 2016 et jusqu'au 26 février 2018, dans la limite de la somme de 48 564,59 euros.
Article 2 : L'Etat versera à la société Sienna Am la somme de 1 800 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Sienna Am et au directeur départemental des finances publiques des Yvelines.
Délibéré après l'audience du26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Mauny, président,
M. Lutz, premier conseiller,
M. Le Vaillant, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.
Le président,
Signé
O. Mauny
Le rapporteur,
Signé
F. Lutz
La greffière,
Signé
C. Benoit-Lamaitrie
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2203048