Vu la procédure suivante
:
Par une requête, des pièces et des mémoires enregistrés les 2 juillet 2021, 26 novembre 2021, 1er avril 2022, 17 mai 2022, 14 septembre 2022, 18 janvier 2023, 20 janvier 2023 et 9 février 2023, M. B D, représenté par Me Soltner, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision de la commission de recours de l'invalidité du 28 avril 2021 en tant qu'elle a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité, au titre d'une infirmité nouvelle ;
2°) de fixer son taux d'invalidité au titre de l'infirmité nouvelle en relation avec l'accident de service qu'il a subi le 9 octobre 1987 à 40% ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la procédure devant la commission de recours de l'invalidité est entachée d'irrégularité dès lors que le rapporteur s'est abstenu de lui transmettre sans délai ses observations, le privant ainsi de la possibilité de faire valoir ses remarques devant la commission de recours de l'invalidité dans un délai de 15 jours ;
- la présomption d'imputabilité de son infirmité nouvelle aux conséquences de l'accident survenu le 9 octobre 1987 n'est pas renversée ;
- ses acouphènes relèvent d'une infirmité de type " blessures " ;
- son infirmité nouvelle, constituée " d'un état psychiatrique invalidant comprenant ruminations anxieuses, phobies, troubles du sommeil et éléments dépressifs " est en relation certaine, directe et déterminante avec l'aggravation de ses acouphènes ;
- elle doit être évaluée, conformément au guide barème du CPMIVG, à un taux de 40 % d'invalidité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre 2021, 22 août 2022, 4 janvier 2023, 17 janvier et 20 janvier 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. D comme non fondée.
Par une lettre du 17 mai 2023, les parties ont été informées, en application de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, que le tribunal était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de l'irrégularité de la procédure devant la commission de recours de l'invalidité, ce moyen présenté après l'expiration du délai de recours contentieux dans un mémoire enregistré le 1er avril 2022 étant fondé sur une cause juridique distincte des moyens de légalité interne invoqués dans la requête.
Le ministre des armées a produit des observations sur ce moyen relevé d'office par une correspondance enregistrée le 22 mai 2023 qui a été communiquée.
M. D a été admis au bénéfie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 juillet 2021.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martha,
- les conclusions de M. Houssais, rapporteur public,
- et les observations de Me Soltner, représentant M. D.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B D, né le 16 novembre 1966, a servi dans l'armée de terre du 6 octobre 1987 au 11 mars 1988, date à laquelle il a été rayé des contrôles. A la suite d'une blessure reçue à l'occasion du service le 9 octobre 1987, il s'est vu attribuer une pension militaire d'invalidité définitive, concédée par un arrêté de concession de pension du 16 septembre 1997, au taux global de 10 %, à compter du 21 juin 1993, pour une infirmité liée à des acouphènes droits. Par des demandes des 29 mai 2018 et 21 septembre 2018, l'intéressé a sollicité la révision de sa pension militaire d'invalidité pour aggravation de l'infirmité " acouphènes droits " et pour prise en compte d'une infirmité nouvelle au titre " d'un état psychiatrique invalidant comprenant ruminations anxieuses, phobies, troubles du sommeil et éléments dépressifs ". Par un arrêté du 12 octobre 2020, M. D s'est vu reconnaître une aggravation de 10 % de son infirmité " acouphènes droits " entrainant une revalorisation de sa pension d'invalidité au taux de 20 % tandis que par une décision du 20 octobre suivant, le service des pensions a retenu que le syndrome anxio-dépressif chronique dont se prévalait M. D au titre d'une infirmité nouvelle et évalué à 30 %, ne pouvait ouvrir droit à pension dès lors que son imputabilité au service n'était pas établie par défaut de preuve et de présomption. M. D, par recours administratif préalable obligatoire, a contesté cette décision devant la commission de recours de l'invalidité (CRI) le 11 janvier 2021. Par une décision en date du 28 avril 2021, dont l'intéressé demande l'annulation, cette commission a rejeté ce recours.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, la requête présentée par M. D ne contenait que des moyens relatifs à la légalité interne de la décision contestée. Si, dans son mémoire en réplique enregistré le 1er avril 2022, l'intéressé a soulevé un moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la CRI, ce moyen, relatif à la légalité externe de la décision du 28 avril 2021 et énoncé dans un mémoire enregistré après l'expiration du délai du recours contentieux, est irrecevable.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : () 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service (). ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service :1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; 2° Toute blessure constatée durant les services accomplis par un militaire en temps de guerre, au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure mentionnée à l'article
L. 4123-4 du code de la défense ou pendant la durée légale du service national et avant la date de retour sur le lieu d'affectation habituelle ou la date de renvoi dans ses foyers ; 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles
L. 461-1,
L. 461-2 et
L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux ; 4° Toute maladie constatée au cours d'une guerre, d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure mentionnée à l'article
L. 4123-4 du code de la défense ou pendant la durée légale du service national, à compter du quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant la date de retour sur le lieu d'affectation habituelle ou la date de renvoi du militaire dans ses foyers. En cas d'interruption de service d'une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, la présomption ne joue qu'à compter du quatre-vingt-dixième jour suivant la reprise du service actif. ". Aux termes de l'article L.121-5 du même code : " La pension est concédée : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse :a) 30 % en cas d'infirmité unique ; b) 40 % en cas d'infirmités multiples. "
4. Il résulte des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans leur rédaction applicable au litige, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques. Par ailleurs, lorsqu'est demandée la révision d'une pension concédée pour prendre en compte une affection nouvelle que l'on entend rattacher à une infirmité déjà pensionnée, cette demande ne peut être accueillie si n'est pas rapportée la preuve d'une relation non seulement certaine et directe, mais déterminante, entre l'infirmité antécédente et l'origine de l'infirmité nouvelle.
5. De première part, il résulte de l'instruction, notamment de la demande formulée par l'intéressé le 18 septembre 2018, que ce dernier a sollicité la prise en compte de son " état psychiatrique invalidant comprenant ruminations anxieuses, phobies, troubles du sommeil et éléments dépressifs " au titre d'une infirmité nouvelle. Comme le soutient sans être utilement contredit le ministre des armées, cette pathologie qui a fait l'objet d'un début de prise en charge à partir de 2012, relève d'une maladie et non d'une blessure dès lors qu'elle ne peut, contrairement aux acouphènes, être rattachée à une lésion soudaine consécutive à un fait précis. Dans ces conditions, et alors que l'intéressé a été rayé des cadres en 1988, l'infirmité en question qui ne figure pas dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles
L. 461-1,
L. 461-2 et
L. 461-3 du code de la sécurité sociale, n'a pas été constatée au cours d'une guerre, d'une expédition déclarée campagne de guerre, d'une opération extérieure mentionnée à l'article
L. 4123-4 du code de la défense ou pendant la durée légale du service national. Par suite, et en tout état de cause, M. D n'est pas fondé à soutenir qu'il devait bénéficier de la présomption légale prévue par les dispositions citées au point 4 pour la reconnaissance de son infirmité nouvelle comme imputable aux suites de son accident de service du 9 octobre 1987.
6. De seconde part, M. D s'est vu concéder le 16 septembre 1997, une pension militaire d'invalidité au taux global de 10 %, à compter du 21 juin 1993, pour une infirmité liée à des acouphènes droits, laquelle pension a été révisée pour la porter à 20 % le 12 octobre 2020 à la suite de leur aggravation. L'intéressé soutient qu'à la faveur de l'aggravation de ses acouphènes à partir de l'année 2012, il aurait développé des troubles dépressifs comprenant notamment des phobies et des troubles du sommeil.
7. Pour rejeter la demande de l'intéressé de se voir attribuer une pension au titre de cette infirmité nouvelle, la commission de recours de l'invalidité a estimé principalement que, l'imputabilité au service de cette infirmité nouvelle n'était pas établie, dès lors que l'intéressé ne démontrait pas l'existence d'un lien direct, certain et déterminant entre l'aggravation de ses acouphènes en 2012 et son infirmité nouvelle qui n'a nécessité une prise en charge psychiatrique qu'à compter de cette date.
8. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur A du 10 août 2020, qu'à compter de l'année 2012, le requérant a consulté régulièrement un psychiatre, le docteur E pour des ruminations anxieuses, des phobies, des troubles du sommeil et un état dépressif et s'est vu prescrire à cet effet, par ce même médecin, des psychotropes. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur C, médecin psychiatre, du 14 octobre 2019, que l'intéressé aurait consulté un psychiatre avant l'année 2012, alors que ses acouphènes droits se sont révélés dans les suites immédiates de la blessure qu'il a subie en1987. Ensuite, il résulte de l'instruction que l'intéressé n'a formulé une demande de révision de sa pension d'invalidité au titre de son état dépressif que le 18 septembre 2018, soit six ans après la date de l'aggravation des acouphènes alléguée, sans que la période à laquelle est survenue cette aggravation ne ressorte de manière certaine des pièces du dossier, notamment pas des certificats du docteur E, médecin psychiatre qui suit le requérant depuis 2012 ainsi que dit précédemment. Puis, le docteur C, dans son rapport d'expertise du 14 octobre 2019, souligne que l'état dépressif de M. D s'est amélioré avec une reprise de dynamisme et une moindre irritabilité, la disparition de ses problèmes de sommeil et d'idées de suicide. Ce dernier indique également que " la grande sensibilité, une labilité émotionnelle, la peur de tout changement ou de l'échec paraissent très ancrées chez Monsieur D " avant de conclure que les troubles anxio-dépressifs majeurs d'évolution chronique sont en lien partiel avec ses acouphènes et justifient un taux d'imputabilité de 10 %. La commission consultative médicale, dans un avis rendu le 9 septembre 2020 fondé sur ces différents éléments médicaux ainsi que sur un avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 25 août 2020, a considéré quant à elle, qu'en l'absence de continuité évolutive chez le requérant et eu égard à sa " grande sensibilité avec labilité émotionnelle " le syndrôme anxio-dépressif développé par ce dernier n'était pas imputable à l'aggravation de ses acouphènes.
9. En égard à ces différents éléments médicaux, et alors au demeurant que la reconnaissance d'une aggravation de 10 % de son infirmité " acouphènes droits " entrainant la revalorisation de sa pension d'invalidité au taux de 20 % par un arrêté du 12 octobre 2020 a tenu compte des troubles du sommeil et de l'humeur développés par l'intéressé depuis une expertise remontant à 2010, M. D n'apporte pas la preuve que l'aggravation des acouphènes dont il a souffert, quand bien même elle a eu une influence sur son état psychologique, aurait été à l'origine, de manière déterminante, des troubles dépressifs pour lesquels il est suivi depuis 2012.
10. Il résulte de ce qui précède que M. D n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la commission de recours de l'invalidité du 28 avril 2021 rejetant sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité, au titre d'une infirmité nouvelle.
Sur les conclusions aux fins de fixer le taux d'invalidité au titre de l'infirmité nouvelle à 40 % :
11. Il ne résulte pas de l'instruction que la commission de recours de l'invalidité, qui s'est notamment basée sur l'avis du 9 septembre 2020 de la commission médicale, aurait, en fixant à 30 % et à titre documentaire, le taux d'invalidité au titre de l'infirmité nouvelle dont se prévaut M. D, retenu un taux insuffisant. Par suite, les conclusions présentées par l'intéressé aux fins de voir fixer son taux d'invalidité au titre de cette infirmité nouvelle à 40 % doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des frais d'instance :
12. L'Etat n'étant pas dans la présente instance la partie perdante, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. D présentées au titre des frais d'instance.
D E C I D E :
Article 1er: La requête de M. D est rejetée.
Article 2:Le présent jugement sera notifié à M. B D et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 où siégeaient :
- M. Artus, président,
- M. Martha, premier conseiller,
- M. Boschet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2023.
Le rapporteur,
F. MARTHA
Le président,
D. ARTUS
Le greffier,
G. JOURDAN-VIALLARD
La République mande et ordonne
au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
Pour expédition conforme
Pour le Greffier en Chef
Le Greffier
G. JOURDAN-VIALLARD
mf