Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Rouen 07 octobre 2014
Cour administrative d'appel de Douai 22 septembre 2015

Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 22 septembre 2015, 14DA01764

Mots clés étrangers · obligation de quitter le territoire français et reconduite à la frontière · risque · considérant · territoire · ressort · obligation · quitter · soutenir · préfet · requérant · rétention · étranger · placement

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro affaire : 14DA01764
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Rouen, 07 octobre 2014, N° 1403316
Président : M. Hoffmann
Rapporteur : M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public : M. Guyau
Avocat(s) : SELARL PASQUIER PICCHIOTTINO ALOUANI

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Rouen 07 octobre 2014
Cour administrative d'appel de Douai 22 septembre 2015

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du 3 octobre 2014 par lesquels le préfet des Yvelines l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a ordonné son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1403316 du 7 octobre 2014, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions du 3 octobre 2014, a enjoint au préfet de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. B...et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 novembre 2014 et le 24 juin 2015, le préfet des Yvelines demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 7 octobre 2014 ;

2°) de rejeter la demande de première instance.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lavail Dellaporta, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que le préfet des Yvelines, à la suite de l'interpellation par les services de la gendarmerie nationale le 3 octobre 2014 de M.B..., ressortissant malien né le 16 décembre 1978, a pris à son encontre le même jour deux arrêtés lui faisant, d'une part, obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant, d'autre part, son placement en rétention ; que ces arrêtés ont été annulés par un jugement du 7 octobre 2014 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen ; que le préfet des Yvelines relève appel de ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé (...) " ;

3. Considérant que si le certificat médical établi le 30 septembre 2014 produit par M. B... mentionne que l'intéressé est atteint d'un syndrome post-traumatique nécessitant une prise en charge médicale et qu'une mesure d'éloignement serait susceptible d'avoir des conséquences très préjudiciables pour son état de santé, il ne ressort toutefois ni de ce document médical, qui ne se prononce pas sur la disponibilité des soins au Mali, ni des autres pièces du dossier, que le requérant serait dans l'impossibilité de bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé au Mali ; qu'en outre, si M. B...allègue qu'il ne pourra supporter la charge financière des soins que requiert son état de santé, ce moyen est inopérant au regard des dispositions précitées de l'article L. 511-4-10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 ; que, par suite, le préfet des Yvelines, qui n'était pas tenu de saisir le médecin de l'agence régionale de santé avant de prononcer une mesure d'éloignement, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;

4. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif et la cour ;

5. Considérant que, par un arrêté du 8 septembre 2014 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Yvelines du 9 septembre 2014, le préfet des Yvelines a consenti à MmeC..., directeur de la citoyenneté, de l'immigration et de l'intégration, délégation à effet de signer tous actes relevant des attributions de l'Etat dans le département à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les mesures concernant les étrangers ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés contestés doit être écarté ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui déclare être entré en France au mois de mai 2012, n'a diligenté aucune démarche auprès des autorités administratives avant son interpellation à la barrière de péage autoroutier de Saint-Arnoult en Yvelines et n'a pas davantage sollicité le statut de réfugié au cours de son audition par les services de gendarmerie ou lors de sa rétention administrative ; qu'il n'est dès lors pas fondé à soutenir que le préfet des Yvelines était tenu de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour prévu par les dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en cas de demande d'asile sur le territoire français ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

7. Considérant que l'obligation de quitter le territoire français, qui n'avait pas à faire état de tous les éléments caractérisant la situation personnelle et familiale de M.B..., comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle est, par suite, suffisamment motivée ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet des Yvelines se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation de l'intéressé ;

8. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 3, que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli ; que si le requérant soutient qu'il pouvait bénéficier de plein droit de la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du même code, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que ce moyen doit également être écarté ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. B...est entré récemment sur le territoire français et ne fait état d'aucune perspective d'intégration particulière ; qu'il ne démontre pas disposer d'attaches personnelles et familiales sur le territoire national ; qu'il ne conteste pas avoir des attaches personnelles dans son pays d'origine où résident son enfant mineur et sa mère ; que dans ces conditions et eu égard aux conditions d'entrée et de séjour en France de M.B..., le préfet des Yvelines n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Sur le refus de délai de départ volontaire :

10. Considérant que la décision précitée comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle est donc suffisamment motivée ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à exciper à l'appui de ses conclusions dirigées contre le refus de délai de départ volontaire de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée ;

12. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) " ;

13. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui est entré en France le 24 mai 2012 avec un passeport muni d'un visa d'une durée de court séjour, est demeuré sur le territoire français à l'expiration de la durée de validité de ce dernier et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; que lors de la période de plus de deux années précédant son interpellation, il n'a diligenté aucune démarche auprès des autorités administratives avant son interpellation et ne saurait sérieusement prétendre qu'il se rendait précisément à la préfecture d'Eure et Loir pour effectuer de telles démarches ; qu'il entrait donc, en l'absence de circonstances particulières, dans le champ d'application des dispositions précitées du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le représentant de l'Etat n'établirait pas l'existence d'un risque de se soustraire à l'exécution d'une mesure d'éloignement doit être écarté ;

14. Considérant qu'en estimant que, dans les cas énumérés au 3° précité du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il existe, sauf circonstance particulière, un risque que l'étranger se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français, le législateur, a, pour définir le risque de fuite prévu par les dispositions précitées de la directive du 16 décembre 2008, retenu des critères objectifs qui ne sont pas incompatibles avec cette directive, notamment avec les objectifs de proportionnalité et d'efficacité poursuivis par celle-ci ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompatibilité de la loi avec la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, doit être écarté ;

Sur le pays de renvoi :

15. Considérant que si la motivation de fait de la décision fixant le pays de destination ne se confond pas nécessairement avec celle obligeant l'étranger à quitter le territoire, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel est, d'ailleurs mentionné dans la décision attaquée ; que, par ailleurs, le préfet a suffisamment motivé en fait sa décision en mentionnant que le requérant n'établissait pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ;

16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la détermination du pays de destination, de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée ;

17. Considérant que si M. B...fait valoir qu'il encourrait des risques de mauvais traitement en cas de retour dans son pays d'origine, il ne produit aucun élément probant de nature à établir la réalité de cette allégation ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu tant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur le placement en rétention administrative :

18. Considérant que la décision attaquée, qui se réfère notamment aux articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique, qu'en l'absence de moyen de transport immédiat, M. B...n'est pas en mesure de quitter immédiatement le territoire français ; qu'elle relève, en outre, qu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet et qu'il ne peut donc pas bénéficier d'une assignation à résidence ; qu'elle comporte, ainsi, l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est, dès lors, suffisamment motivée ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. B... ne peut se prévaloir de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français pour soutenir que l'arrêté ordonnant son placement en rétention administrative est privé de base légale ;

20. Considérant qu'en vertu de la directive du 16 décembre 2008, le placement en rétention n'est possible que si l'assignation à résidence n'est pas suffisante pour éviter le risque que l'étranger ne se soustraie à l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet ; que, toutefois, il résulte des termes mêmes de la directive que, d'une part, le placement en rétention peut trouver à s'appliquer notamment s'il existe un risque de fuite ou si l'étranger empêche la réalisation de la mesure d'éloignement et que, d'autre part, l'assignation à résidence ne doit être privilégiée que dans des cas particuliers et à condition que cette mesure puisse être appliquée efficacement ; qu'il résulte du II de l'article L. 511-1 et de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la rétention administrative de l'étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français n'est possible que s'il s'est soustrait à cette obligation ou s'il existe des éléments objectifs qui, sauf circonstances particulières, permettent à l'autorité administrative de regarder comme établi le risque qu'il s'y soustraie ; que les cas particuliers justifiant que soit prononcé un placement en rétention administrative prévus à l'article 15 de la directive précitée sont définis à l'article L. 561-2 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en outre, l'autorité administrative est tenue d'effectuer, sous le contrôle du juge, un examen de la situation de chaque étranger afin notamment d'examiner si les conditions légales permettant le placement en rétention sont réunies et si l'étranger bénéficie de garanties de représentation effectives ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne méconnaissent pas l'exigence de proportionnalité rappelée par le 4 de l'article 8 de cette directive ainsi que son seizième considérant ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cette exigence doit être écarté ;

21. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, lors de son interpellation pour séjour irrégulier le 3 octobre 2014, M.B..., qui avait vécu plusieurs années dans la clandestinité et se prévalait d'un hébergement chez un tiers dont la stabilité n'était pas avérée, a en outre déclaré qu'il s'opposerait à tout départ volontaire du territoire français ; que dans ces conditions,

et alors même qu'il a produit un passeport en cours de validité, il ne présentait pas de garanties de représentation effectives au sens de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, le préfet des Yvelines n'a pas commis d'erreur d'appréciation en ordonnant le placement en rétention administrative de M. B... ;

22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Yvelines est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 3 octobre 2014 faisant obligation à M. B...de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination et celui, du même jour, ordonnant le placement en rétention administrative de l'intéressé ; que, par voie de conséquence, les conclusions de M. B...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

DÉCIDE :



Article 1er : Le jugement en date du 7 octobre 2014 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B...en première instance et les conclusions d'appel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....

Copie sera adressée au préfet des Yvelines.

''

''

''

''

6

N°14DA01764