AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Mobil Oil française, dont le siège social est Tour Septentrion, 20, avenue André Prothin, Courbevoie (Hauts-de-Seine), en cassation d'un arrêt rendu le 26 novembre 1991 par la cour d'appel de Paris (16e chambre A), au profit :
1 / de la société Z..., société à responsabilité limitée dont le siège est ... (Hauts-de-Seine),
2 / de M. François Y..., demeurant ... (Yvelines),
3 / de Mme Ernestine Y..., née X..., demeurant ... (Yvelines), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 1er mars 1994, où étaient présents :
M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Curti, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grimaldi, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société Mobil Oil française, de la SCP Lesourd et Baudin, avocat de la société Z... et des époux Y..., les conclusions de M. Curti, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 26 novembre 1991), qu'en exécution d'un contrat conclu avec la société Mobil Oil française (société Mobil Oil), les époux Z... ont exploité, à compter du 27 septembre 1982, une station-service à Aulnay-sous-bois, après avoir créé la société à responsabilité limitée
Z...
(la société) ; que cette exploitation a cessé le 29 janvier 1983, date à partir de laquelle la société, en exécution d'un contrat conclu avec le même raffineur, a exploité une station-service à Villeneuve-la-Garenne ;
qu'après la fin des relations contractuelles, le 29 janvier 1986, la société Mobil Oil a assigné la société en paiement du solde du compte de gérance ;
Sur le premier moyen
:
Attendu que la société Mobil Oil reproche à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la demande de la société en annulation des contrats des 27 septembre 1982 et 29 janvier 1983, annulation qui n'avait pas été sollicitée en première instance, alors, selon le pourvoi, qu'est irrecevable la prétention nouvelle distincte de la contestation faisant l'objet de la demande originaire et ne faisant pas échec directement à celle-ci ; que, pour résister à la demande en paiement de la créance de Mobil résultant de la différence entre la valeur des fournitures livrées et non payées par la société Z..., exploitante de la station-service, et le montant des commissions auxquelles elle avait droit, cette société s'était contentée en première instance de demander la compensation entre cette dette non contestée et la créance qu'elle prétendait tirer d'une indemnisation par Mobil de ses pertes d'exploitation sur le fondement de l'article
2000 du Code civil ; qu'en déclarant recevable en cause d'appel une demande en nullité qui ne faisait aucunement échec au droit de Mobil d'obtenir paiement de sa créance, fût-ce au titre des restitutions subséquentes à l'annulation du contrat, l'arrêt a violé l'article
564 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la société ayant demandé en première instance la compensation entre les sommes dont la société Mobil Oil la disait débitrice à son égard et celles dont elle-même se disait créancière sur le fondement de l'article
2000 du Code civil, la cour d'appel, après avoir relevé que la société poursuit également devant elle la compensation, retient à bon droit que "la demande tendant à la nullité du contrat de location gérance pour indétermination du prix de vente des lubrifiants ne constitue pas une demande nouvelle en appel, dès lors qu'elle est seulement destinée à faire écarter les prétentions adverses et tend aux mêmes fins que les défenses soumises aux premiers juges, même si son fondement juridique est différent" ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen
, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Mobil Oil reproche encore à l'arrêt d'avoir assigné à l'expert une mission déterminée alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état où elles étaient auparavant ; que, la cour d'appel ayant prononcé la nullité du contrat, chacune des prestations exécutées par les contractants devait donner lieu à restitution, fût-ce par équivalent ; qu'en se contentant de prescrire d'un côté le remboursement des pertes et la rémunération du travail de la gérante de la station-service et d'un autre côté la restitution des commissions perçues par elle au titre du mandat ainsi que le reversement des sommes encaissées à l'occasion de la vente des carburants, sans prescrire de restitution au titre de la location du fonds de commerce, l'arrêt a violé l'article
1234 du Code civil ; alors, d'autre part, que dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état où elles étaient auparavant ; que, la cour d'appel ayant prononcé la nullité du contrat, chacune des prestations exécutées par les contractants devait donner lieu à restitution, fût-ce par équivalent ; qu'en prescrivant le remboursement des pertes et la rémunération du travail de la gérante de la station-service, sans prescrire la restitution des marges
bénéficiaires faites sur la revente de tous les produits autres que les carburants, l'arrêt a violé l'article
1234 du Code civil ; et alors, enfin, qu'il n'est pas permis au juge de prononcer simultanément l'exécution et l'annulation du contrat ; que l'arrêt attaqué a prévu un remboursement des seules pertes liées au mandat de distribution des carburants, et a demandé à l'expert de ventiler les charges d'exploitation relatives à ce mandat et celles relatives à la distribution des autres produits non soumis au mandat ; qu'en décidant ainsi de déterminer les créances respectives des contractants au regard des règles du mandat, après avoir annulé dans son ensemble le contrat qui unissait Mobil à la société Z..., la cour de Paris a violé derechef l'article
1234 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt énonce exactement, en conséquence de la nullité des conventions, que les parties devront être remises dans l'état antérieur à la signature de ces accords et désigne un expert avec la mission de "faire le compte entre les parties", en prenant en considération non seulement un certain nombre d'éléments qu'il énumère à titre indicatif mais encore "tous autres qui pourraient se révéler à l'examen" et qui pourront être librement discutés devant la cour d'appel statuant en ouverture de rapport ;
Attendu, en second lieu, que, loin de faire produire effet aux conventions annulées, l'arrêt se borne à inviter l'expert à tenir compte des diverses activités exercées en fait par la société Z... ;
D'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Et
sur le troisième moyen
:
Attendu que la société Mobil Oil reproche enfin à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité des conventions successives passées entre les parties pour l'exploitation d'une station-service Mobil entre le 27 septembre 1982 et le 29 janvier 1986 alors, selon le pourvoi, que les jugements qui ne comportent pas de motifs doivent être déclarés nuls, et que des motifs hypothétiques équivalent à un défaut de motifs ; que, pour décider, outre l'annulation du contrat du 29 janvier 1983, celle d'un contrat antérieur du 27 septembre 1982 qui n'avait pas été produit aux débats, les juges d'appel ont estimé qu'il résultait sans équivoque des écritures des parties et du rapport de l'expert, que l'économie de ce contrat était semblable à celle des contrats postérieurs, examinés dans les débats ; qu'en se fondant sur cette seule considération pour prononcer la nullité d'un contrat dont le contenu ne leur a jamais été soumis, l'arrêt a méconnu les exigences de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'"il résulte sans équivoque des écritures des parties et expressément du rapport de l'expertise judiciaire" ordonnée par le juge des référés, que l'économie du contrat du 27 septembre 1982, pour l'exploitation de la station-service d'Aulnay-sous-Bois depuis cette dernière date jusqu'au 29 janvier 1983, était semblable à celle du contrat du 29 janvier 1983 pour l'exploitation de la station-service de Villeneuve-la-Garenne entre le 29 janvier 1983 et le 28 janvier 1986 ; qu'en l'état de ces constatations et dès lors que le moyen n'allègue la dénaturation ni des conclusions des parties, ni du rapport de l'expert, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen est sans fondement ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mobil Oil française, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du trois mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.