Cour de cassation, Chambre sociale, 1 octobre 2003, 02-10.013

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2003-10-01
Cour d'appel de Grenoble (1ère chambre civile)
2001-10-22

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu qu'à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Lacco, qui employait M. X..., un jugement rendu le 12 avril 1994 a arrêté le plan de cession de cette entreprise ; que faisant référence à ce jugement, M. Y..., désigné comme administrateur judiciaire puis commissaire à l'exécution du plan a, d'une part, notifié le 24 avril 1994 à M. X... un licenciement pour motif économique, d'autre part, informé ce dernier en sa qualité de bailleur de son intention de résilier le contrat de bail qu'il avait consenti à la société Lacco ; que le 30 septembre 1996, la cour d'appel de Grenoble a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en reconnaissant le salarié créancier de dommages-intérêts et d'indemnités de rupture ; que le 18 novembre 1997, cette même cour d'appel a confirmé une décision qui condamnait l'administrateur judiciaire au paiement de loyers ; que M. X... a alors engagé une action en responsabilité contre M. Y... ; qu'en cause d'appel, ses héritiers ont repris l'instance, à la suite de son décès ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen

unique :

Attendu qu'il est fait grief à

l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de la demande en paiement de dommages-intérêts qu'ils formaient au titre de la résiliation du contrat de bail alors, selon le moyen, 1 / que la cour d'appel a estimé que M. Y... avait commis une faute en ne sollicitant pas immédiatement du tribunal de commerce de Vienne le complément de sa décision du 12 avril 1994 par la reprise explicite de l'intégralité des éléments de l'offre ; qu'après avoir constaté que ledit jugement souffrait d'une carence qu'on ne pouvait laisser subsister sans faute, en particulier en ce qu'il ne prévoyait ni le licenciement, ni la résiliation du contrat de bail, la cour d'appel a néanmoins estimé que M. Y... avait légitimement pu prononcer cette double résiliation en application dudit jugement, qui l'aurait autorisée implicitement ;

qu'en se déterminant ainsi

, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1382 du Code civil ; 2 / que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que la cour d'appel a estimé qu'il n'existait aucun lien de causalité entre la faute ainsi constatée de M. Y... et le préjudice dont se plaignent les consorts X... ; que ces derniers n'ont jamais reproché à M. Y... d'avoir commis une faute en ne demandant pas une rectification rapide du jugement du 12 avril 1994, et pour cause puisque cette rectification tendait à obtenir, a posteriori la régularisation de résiliations illicites, non plus que de leur avoir causé un préjudice de ce chef ; qu'en se déterminant dès lors ainsi, pour conforter le rejet de la demande relative à la faute commise par M. Y... dans le prononcé des résiliations litigieuses, la cour d'appel a dénaturé les écritures des appelants, en violation des articles 4 et 954 du nouveau Code de procédure civile ; 3 / que le jugement du tribunal de commerce de Vienne du 12 avril 1994 précisait qu'il arrêtait le plan proposé selon les modalités suivantes : "reprise des éléments incorporels pour la somme de 130 000 francs hors taxe payable à la signature de l'acte ; reprise des matériels immobilisés pour la somme de 180 000 francs hors taxe payable comptant à la signature de l'acte ; reprise des stocks pour la somme de 278 000 francs hors taxe payable en huit mensualités, la première intervenant un mois après l'arrêt du plan" ; que ces modalités précises, déterminées, qui définissent le champ d'application du plan, ne comportent aucune réserve relative à la reprise des éléments incorporels, lesquels intègrent le droit au bail ; qu'en donnant dès lors au jugement du 12 avril 1994 un sens restrictif que ses termes évidents ne comportaient manifestement pas, pour exclure le droit au bail et justifier la résiliation opérée par M. Y..., la cour d'appel en a dénaturé les termes, en violant l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu que la cession d'un fonds de commerce n'inclut pas nécessairement celle du bail des locaux dans lesquels il est exploité et qu'il en est de même lorsque cette cession intervient dans le cadre d'un plan arrêté par le tribunal, à moins que celui-ci, par une disposition expresse, ne décide, en vertu de l'article L. 621-88 du Code de commerce, que le contrat de bail est nécessaire au maintien de l'activité de l'entreprise, ce qui emporte alors sa cession ; Et attendu que la cour d'appel, ayant constaté, d'une part, que l'offre de reprise prévoyait la résiliation du contrat de bail, préalablement à la cession, d'autre part, que le jugement arrêtant le plan ne contenait aucune disposition à cet égard, a pu en déduire, sans dénaturation et abstraction faite des motifs critiqués dans les deuxième et troisième branches du moyen, qui sont surabondants, que le contrat de bail n'était pas compris dans la cession ; Que le moyen n'est pas fondé en ses trois dernières branches ;

Mais, sur la première branche du moyen

unique :

Vu

l'article 64 du décret du 27 décembre 1985, ensemble les articles 1382 du Code civil, L. 621-64 et L. 621-65 du Code de commerce ;

Attendu que, pour débouter

les consorts X... de la demande en paiement de dommages-intérêts qu'ils formaient au titre du licenciement de leur auteur, la cour d'appel, tout en constatant que le jugement qui arrêtait le plan n'autorisait aucun licenciement, a retenu que l'offre faite par M. Z... prévoyait de façon expresse que "le contrat de travail de M. X... ne sera pas repris", que les obligations du repreneur sont définies par l'offre de reprise qu'il soumet au tribunal de commerce, que le tribunal était tenu par les termes de l'offre, que s'il n'entendait pas la valider il lui appartenait de l'écarter de façon expresse, qu'en arrêtant le plan de cession au vu de l'offre de M. Z..., le tribunal de commerce a entendu nécessairement retenir l'ensemble des modalités de celle-ci, que, dès lors, M. Y..., même si le jugement du tribunal de commerce ne reprenait pas l'intégralité des modalités de l'offre, pouvait procéder au licenciement de M. X..., qu'il pouvait être reproché au mandataire judiciaire de ne pas avoir sollicité immédiatement le tribunal de commerce de Vienne pour que celui-ci complète son jugement en reprenant dans le dispositif l'intégralité des éléments de l'offre, mais qu'il n'existe entre cette faute et le préjudice dont se plaignent les consorts X... aucun lien de causalité ;

Qu'en statuant ainsi

, alors que des licenciements ne peuvent valablement intervenir en conséquence de l'adoption d'un plan de cession qu'à la condition que le jugement arrêtant le plan indique le nombre des licenciements autorisés, ainsi que les activités et catégories concernées, en sorte que l'administrateur judiciaire qui prononce un licenciement économique sans justifier de cette autorisation commet une faute pouvant engager sa responsabilité personnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les consorts X... de la demande indemnitaire qu'ils formaient au titre du licenciement de M. X..., l'arrêt rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ; Condamne M. Y..., ès qualités aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Y..., ès qualités à payer au consorts X... la somme de 2 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille trois.