AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société INFI, société anonyme, dont le siège est ... au Bois à Viroflay (Yvelines), en cassation d'un arrêt rendu le 19 septembre 1991 par la cour d'appel de Paris (18ème chambre section C), au profit de M. Philippe Y..., demeurant ... (Val-de-Marne), défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 1er février 1995, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Ridé, conseiller rapporteur, MM. Ferrieu, Desjardins, conseillers, M. Chauvy, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Ridé, les observations de Me Vuitton, avocat de la société INFI, les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 1991), que M. Y... a été engagé le 30 octobre 1987 par la société INFI en qualité d'ingénieur d'études pour effectuer des missions d'assistance informatique auprès des clients de la société ;
que sa rémunération consistait en un fixe mensuel et un intéressement sur les recettes des missions qu'il avait accomplies ;
qu'il était précisé au contrat de travail qu'au cas où il abandonnerait une mission en cours d'exécution, l'employeur utiliserait les sommes destinées à son intéressement pour mener à bien la mission inachevée et réparer le préjudice causé ;
que le salarié a démissionné le 6 janvier 1989 ;
que par lettre du 17 janvier 1989, la société a pris acte de sa décision en précisant "vous serez libre de tout engagement à la fin de votre contrat chez le client le 31 janvier 1989" ;
qu'après avoir quitté l'entreprise à cette date, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en paiement de sommes lui restant dues au titre de l'inté- ressement ;
que la société a alors soutenu qu'elle était en droit de retenir ces sommes, M. Y... ayant, selon elle, abandonné la mission qu'elle lui avait confiée pour en poursuivre l'exécution pour le compte du nouvel employeur qui l'avait embauché après sa démission, et que les conditions dans lesquelles était intervenue la rupture du contrat de travail lui avaient causé un préjudice dont elle demandait réparation ;
Sur le premier moyen
:
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à verser un rappel de salaires et de l'avoir débouté de sa demande en dommages-intérêts alors, selon le moyen, d'une part, qu'en omettant de se prononcer sur la complicité de M. Y... et de M. X..., auteur de la lettre du 17 janvier 1989 donnant acte de sa démission à M. Y..., dès lors que M. X... avait également accepté de travailler ultérieurement pour la société ALTEN, société concurrente, cette complicité entachant ainsi de fraude la démission de M. Y... ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse aux conclusions d'appel de la société INFI, violant l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors que, d'autre part, en ne recherchant pas si cette collusion frauduleuse entre M. Y... et M. X... et la mauvaise foi dont avait fait preuve M. Y... dans l'exécution de ses obligations contractuelles envers la société INFI n'étaient pas susceptibles, en vertu de l'adage "fraus omnia corrumpit", de rendre inopposable à la société la lettre du 17 janvier, une telle collusion frauduleuse faisant obstacle à ce que M. Y... puisse se prévaloir des termes de cette lettre pour justifier l'achèvement de sa mission à la date de son départ de l'entreprise, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1135 du Code civil ;
alors que, également, en omettant de rechercher l'objet, le contenu et la durée de la mission d'assistance informatique attribuée à M. Y... par la société INFI afin de pouvoir déterminer si cette mission était effectivement terminée lors de la démission du salarié malgré la poursuite de son activité auprès de la même entreprise (la société SNECMA), pour le compte de la société ALTEN, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, enfin, qu'en s'abstenant de se prononcer sur le contenu de la mission confiée à M. Y... par la société ALTEN, son nouvel employeur, afin de déterminer si cette mission n'était pas la poursuite de la mission précédemment confiée à M. Y... par la société INFI, la cour d'appel, qui se contente d'énoncer que M. Y... a poursuivi "une" activité d'assistance auprès de la SNECMA après avoir été engagé par la société ALTEN, a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté, d'une part, que le salarié n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale ce dont il résultait qu'il n'avait pas achevé au profit d'une société concurrente la mission qui lui avait été confiée par la société INFI et d'autre part, qu'il n'était pas établi que la mission du salarié, à propos de laquelle l'employeur entretenait l'imprécision, n'était pas arrivée à bonne fin à la date du 31 janvier 1989, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, justifié sa décision ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen
:
Attendu que l'employeur reproche encore à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en faisant peser sur la société INFI le fardeau de l'absence de preuve de la fin de la mission effectuée pour son compte par M. Y... du seul fait du caractère équivoque des termes du contrat comme de l'imprécision du contenu de la mission, la cour d'appel a, 1 ) méconnu le principe selon lequel seuls les faits sont matière à preuve à l'exclusion des termes du contrat, et violé, par refus d'application, les articles
6 et
12 du nouveau Code de procédure civile, 2 ) refusé d'interpréter ces termes équivoques du contrat, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article
1134 du Code civil ;
alors que, d'autre part, en énonçant pour rejeter la demande en dommages-intérêts de la société INFI, que M. Y... avait régulièrement démissionné et n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a délaissé les conclusions de la société faisant valoir que cette démission lui avait causé, du fait des circonstances un préjudice justifiant l'octroi de dommages-intérêts, en violation des dispositions de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, reproduisant les termes du contrat qui ne prêtaient pas à interprétation, a relevé que l'employeur ne pouvait prétendre retenir le montant de l'intéressement que si le salarié abandonnait une mission en cours d'exécution ou si la mission demeurait inachevée ou insuffisante ;
Attendu, ensuite, que dès lors que la date à laquelle avait pris fin la mission du salarié résultait d'une lettre émanant d'un représentant de la société, c'est à celle-ci qu'il appartenait d'établir que les mentions de cette lettre étaient inexactes et résultaient d'une collusion frauduleuse entre le salarié et le rédacteur de la lettre ;
Attendu, enfin, que la société ayant fondé sa demande en dommages-intérêts sur une rupture abusive du contrat de travail par le salarié, la cour d'appel qui a énoncé par motifs propres et adoptés, que celui-ci avait démissionné dans des conditions régulières et que l'employeur ne justifiait d'aucun préjudice, a répondu par là -même aux conclusions prétenduement délaissées ;
que le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société INFI, envers M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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