Cour d'appel de Poitiers, 1ère Chambre, 23 mai 2023, 21/02228

Mots clés Demande formée par le propriétaire de démolition d'une construction ou d'enlèvement d'une plantation faite par un tiers sur son terrain · rapport · propriété · expertise · mur · préjudice · rejet

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel de Poitiers
Numéro affaire : 21/02228
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Président : M. Thierry MONGE

Texte

ARRET N°257

N° RG 21/02228 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKMQ

[A]

[A]

[I]

C/

[J]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 23 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02228 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKMQ

Décision déférée à la Cour : jugement du 08 juin 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP des SABLES D'OLONNE.

APPELANTS :

Monsieur [M] [A] agissant es qualités d'héritier de son père Monsieur [G] [A].

né le 14 Avril 1955 à [Localité 11] (37)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Madame [N] [A] agissant en son nom personnel et es qualités d'héritière de Monsieur [G] [A].

née le 17 Septembre 1933 à [Localité 10] (85)

[Adresse 5]

[Localité 2]

Madame [R] [I] es qualités d'héritière de Monsieur [G] [A].

née le 23 Décembre 1990 à [Localité 9] (37)

[Adresse 1]

[Localité 4]

ayant tous les trois pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me Anne-sophie LERNER de la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS

INTIME :

Monsieur [F] [J]

né le 25 Août 1959 à [Localité 12]

[Adresse 6]

[Localité 7]

ayant pour avocat Me Geoffroy DE BAYNAST, avocat au barreau des SABLES D'OLONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

[G] et [N] [A] et [F] [J] étant propriétaires de deux maisons avec terrain voisines respectivement au [Adresse 6], sont en litige depuis 2008 à la suite de la construction d'une extension de l'habitation sise au n°73.

Saisi par les époux [A], le juge des référés du tribunal de grande instance des Sables d'Olonne a ordonné le 16 décembre 2008 une expertise au contradictoire de M. [J] en désignant pour y procéder [S] [Z],qui s'est avéré décédé et en remplacement duquel une ordonnance du 27 juillet 2010 a désigné [E] [H], géomètre.

M. [H] a déposé le 29 décembre 2010 un rapport définitif concluant d'une part, à l'empiétement sur le fonds [A] de la part de M. [J] de tuiles de rive relevant d'un parti pris constructif contingent et qui pouvaient aisément être remplacées par un autre dispositif moyennant un coût évalué à 2.850euros TTC, et d'autre part à la présence d'ouvrages secondaires ne constituant pas une construction mais un dispositif destiné à assurer l'étanchéité des ouvrages tant existants appartenant aux époux [A] que récemment créés par M. [J].

Les époux [A] ont fait assigner par acte du 26 octobre 2012 [F] [J] devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne pour voir ordonner sur le fondement des articles 544, 545 et 1382 du code civil la destruction des ouvrages portant atteinte à leur propriété et être indemnisés des préjudices qu'ils affirmaient subir en raison de ces ouvrages.

Par jugement du 7 mars 2014, le tribunal, considérant que le préalable nécessaire à la définition de l'empiétement était de connaître de façon certaine les limites séparatives des deux fonds, et d'autre part qu'il convenait de rechercher la cause de l'humidité du mur de séparation, a ordonné un complément d'expertise en désignant pour y procéder M. [X], géomètre, et M. [H], expert en bâtiment, à charge pour eux de déposer un rapport unique.

M. [H] ayant refusé d'intervenir de nouveau, a été remplacé en vertu d'une ordonnance du 24 avril 2014 par M. [W], lequel s'est récusé et a lui-même été remplacé selon ordonnance du 13 mai 2014 par M. [L].

Les deux experts ont tenu une réunion commune le 8 octobre 2014, après quoi M. [X] a déposé seul un rapport le 24 avril 2015 tandis que M. [L], interrogé sur la situation par le juge chargé du contrôle, a indiqué avoir mis le dossier de côté afin de prendre du recul en raison de l'ambiance détestable dominant la procédure et ne voir qu'avantage à être remplacé, sur quoi le juge chargé du contrôle des expertises a commis pour le remplacer selon ordonnance du 5 avril 2016 [B] [K].

M. [K] a déposé son rapport définitif le 30 novembre 2016.

Par conclusions déposées le 25 mai 2018, les époux [A] ont repris la procédure en demandant au tribunal saisi de condamner sous astreinte M. [J] à détruire les empiétements objectivés par le rapport de M. [K], à leur verser 2.470,68 euros TTC au titre du coût des travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres, et à leur verser à titre de dommages et intérêts 5.000 euros pour leurs frais de déplacement et le temps consacré à ce litige, 18.000 euros à parfaire pour préjudice de jouissance, 5.000 euros de préjudice moral et 30.000 euros pour moins-value de leur bien, outre 6.000 euros d'indemnité de procédure.

M. [J] a sollicité à titre principal l'annulation de l'expertise au motif que les deux experts n'avaient pas déposé un rapport unique comme le leur prescrivait leur mission ; subsidiairement le rejet des prétentions adverses; et plus subsidiairement si la destruction demandée était ordonnée, la destruction, reconventionnellement, des empiétements de l'immeuble [A] sur son propre fonds.

[G] [A] est décédé en cours d'instance, et sont volontairement intervenus en qualité d'ayants-droit son fils [M] [A] et sa petite-fille [R] [I] venant par représentation aux droits de sa mère, [T] [A] fille prédécédée de M. [A].

Par jugement du 8 juin 2021, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a :

* donné acte à [M] [A] et à [R] [I] de leur intervention volontaire

* débouté [F] [J] de sa demande en nullité de l'expertise judiciaire menée par M. [K]

* débouté Mme [N] [A], M. [M] [A] et Mme [R] [I] de l'ensemble de leurs demandes

* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

* condamné les consorts [A]/[I] aux dépens

* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire .

Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu, en substance,

-que les demandes en remplacement d'expert, et les refus de mission, avaient empêché le dépôt d'un rapport conjoint ; qu'il n'était rapporté la preuve d'aucun grief à l'appui de la demande en nullité du rapport d'expertise ; qu'aucun manquement au contradictoire dans le cadre de la mesure n'était établi, ni allégué ; que l'intervention comme sapiteur de M. [D] n'était pas démontrée

-qu'il était désormais acquis aux débats que le mur séparatif des fonds des parties est un mur privatif, propriété des consorts [A]

-que les experts avaient constaté des empiétements allant de quelques millimètres à une dizaine de centimètres, sur la propriété des consorts [A],

-qu'il se révélait aussi de menus empiétements par les consorts [A] sur le fonds [J], quand bien même certains seraient couverts par la prescription

-qu'en raison du caractère minime et réciproque de ces empiétements, et de l'utilité de certains d'entre eux notamment s'agissant de la bande à froid d'étanchéité mordant un peu sur les tuiles de la maison d'habitation [A], solin le long de la cheminée [J], leur démolition, a fortiori sous astreinte, telle que sollicitée, serait disproportionnée

-que les préjudices matériels allégués par les consorts [A] étaient dus aux intempéries elles-mêmes et non aux empiétements ; que leurs préjudices moral et financier n'étaient pas davantage établis.

Les consorts [A]-[I] ont relevé appel le 15 juillet 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 11 mars 2022 par les consorts [A]-[I]

* le 15 décembre 2022 par M. [J].

Les consorts [A]-[I] demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de rejeter l'appel incident, de dire que les ouvrages construits par M. [J] constituent une atteinte à leur droit de propriété, de condamner [F] [J] sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai à les détruire dans les deux mois de la signification de l'arrêt à intervenir suivant ce qu'indique le rapport de M. [K], et à leur verser

-la somme indexée valeur 4ème trimestre 2016 de 2.470,68 euros TTC au titre des travaux

-3.000 euros à [N] [A] et 2.000 euros à [M] [A] pour leurs frais de déplacement

-2.700 euros pour le temps passé

-23.400 euros à parfaire au titre de leur préjudice de jouissance

-5.000 euros au titre de leur préjudice moral

-30.000 euros pour la perte de valeur de leur bien

de débouter M. [J] de toutes ses demandes et de le condamner aux dépens de première instance, incluant les dépens de référé et les frais d'expertise, et aux dépens d'appel, ainsi qu'à 8.000 euros d'indemnité de procédure.

Ils récusent la demande d'annulation de l'expertise en objectant que l'intimé ne prouve pas subir le moindre grief de l'irrégularité dont il argue, et ils ajoutent que c'est en connaissance de cause que le juge a désigné M. [K] puisqu'à cette date, M. [X] avait déjà déposé son rapport de son côté depuis plus d'un an, de sorte qu'il ne pouvait être question de maintenir la prévision d'un rapport unique.

Ils font valoir que le rapport [H] recense quatre empiétements de leur voisin, trois dus aux ouvrages d'étanchéité qu'il qualifie de 'secondaires' et un au débordement de la rive de toiture, tandis que M. [K] en recense cinq, sans adopter la notion d'ouvrages secondaires.

Ils contestent empiéter quant à eux aucunement sur la propriété voisine.

Ils soutiennent que l'article 544 du code civil est appliqué par la Cour de cassation de façon drastique aux empiétements ou appuis de solins, si petits soient-ils.

Ils qualifient ces empiétements d'atteintes intolérables à leur propriété, et tiennent pour totalement inopérant qu'il puisse en exister de semblables dans les environs.

Ils indiquent que l'expertise [K] a établi que la construction réalisée par M. [J], en ce qu'elle est jointive et que les ouvrages d'étanchéité sont défectueux, a créé de l'humidité dans leurs murs, qui sont gorgés d'eau, ce que confirment les photos qu'ils produisent. Ils s'étonnent que le tribunal ait pu dans ces conditions, en dénaturant ces conclusions, retenir que l'humidité provenait des intempéries et non des mauvais raccords d'étanchéité réalisés par M. [J], dont M. [K] dit qu'ils présentent un défaut de professionnalisme déconcertant.

Ils tiennent pour non probant le rapport [C] produit par l'intimé, en fustigeant la méthode suivie pour l'établir.

Ils estiment que leur demande n'a rien de disproportionné puisqu'ils sollicitent non pas la démolition de la maison voisine mais la suppression des débords et la réalisation des réparations qu'elle nécessitera.

Ils détaillent leurs chefs de préjudices.

[F] [J] demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter les consorts [A]-[I] de l'ensemble de leurs demandes, y ajoutant de les condamner à lui payer 15.000 euros de dommages et intérêts ainsi que 10.000 euros d'indemnité pour frais irrépétibles et aux dépens.Très subsidiairement, il sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande en nullité de l'expertise judiciaire, l'annulation de l'ensemble des opérations exécutées par M. [K] et de son rapport du 30 novembre 2016, avec désignation d'un nouveau technicien qui devra oeuvrer avec M. [X] comme co-expert, et il demande en ce cas à la cour de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise commun à intervenir.

Il approuve le tribunal d'avoir tranché le litige en appliquant le principe de proportionnalité, qui requiert d'apprécier si la démolition demandée ne serait pas disproportionnée eu égard à son intérêt pour les demandeurs et son coût pour le défendeur. Il fait valoir à cet égard que l'empiétement allégué est dérisoire, et qu'il porte sur un ouvrage secondaire d'étanchéité qui profite aussi à la préservation de l'immeuble [A]. Il rappelle la réprobation exprimée par l'expert [L] face à l'absurde intransigeance des époux [A].

Il considère que le litige doit être tranché au vu des seules conclusions de M. [X], en soutenant que M. [K] n'était missionné que sur la seule question de l'humidité du mur de séparation, et qu'il n'avait pas les compétences professionnelles et techniques requises pour donner un avis sur la question des prétendus empiétements.

Il fait valoir que M. [X] avait déjà conclu à l'absence d'empiétement du bardage de la maison [J] sur les bâtiments [A], et s'agissant de la partie contournant le mur de clôture, à l'absence d'empiétement à son extrémité Nord au contact des appentis [A] et à l'existence d'un empiétement d'1 cm à l'extrémité Sud mais sur un autre fonds, ce qui ne concerne donc pas les consorts [A].

Il approuve le tribunal d'avoir rejeté la demande en paiement du prix de travaux, en indiquant que le premier juge s'est appuyé sur le rapport de M. [H], qui écrit que les demandeurs se trompent sur la nature des eaux incriminées, qui sont bien de l'eau de pluie venant du ciel qu'il incombe aux [A] de recevoir et évacuer, sans incidence aucune de la présence de la nouvelle construction.

Il conclut au rejet des demandes indemnitaires, en faisant valoir qu'il n'a causé aucun préjudice à ses voisins, et que ceux-ci n'ont simplement jamais admis qu'il réalise une extension de sa maison, ce qui n'a rien d'anormal en milieu urbain densément bâti.

Pour le cas où la cour ne rejetterait pas purement et simplement les demandes adverses, il forme appel incident du rejet de sa demande en nullité de l'expertise judiciaire menée par M. [K], en indiquant que sa mission impliquait d'oeuvrer en co-expertise alors qu'il a agi seul, et il indique que le grief que cette irrégularité lui a causé est précisément que M. [K] a conduit ses analyses sans les confronter à celle de M. [X], géomètre désigné pour apprécier la réalité des empiétements allégués, lequel concluait à l'absence de tout empiétement sur le fonds [A] alors que M. [K], commis uniquement pour rechercher la cause de l'humidité du mur de séparation et sans compétence sur les limites de propriété, s'autorise à en retenir plusieurs. Il ajoute que M. [K] a indûment exigé des parties qu'elles fassent réaliser par des architectes des études et des devis qu'il lui incombait d'établir ou susciter lui-même, qu'il n'a eu de cesse de dénigrer l'expert -par ailleurs expert de justice- qui assistait et conseillait M. [J], et qu'il a procédé à des constatations dans l'habitation [A] qui n'entraient pas dans sa mission, de sorte que ses opérations sont irrégulières.

Il justifie sa demande de dommages et intérêts en exposant que le procès abusif qui lui est fait depuis des années l'empêche de vendre sa maison alors qu'il a quitté la Vendée et souhaite la mettre en vente.

L'ordonnance de clôture est en date du 6 février 2023.


MOTIFS DE LA DÉCISION :


Bien que la demande de M. [J] -formulée à titre principal en première instance- d'annulation de l'expertise et du rapport de M. [K] soit présentée en cause d'appel à titre subsidiaire et éventuel, pour le cas où la cour ne confirmerait pas purement et simplement le rejet des prétentions des consorts [A], son examen s'impose néanmoins à titre liminaire, puisque l'appréciation du bien ou mal fondé des prétentions des consorts [A] dont l'intimé sollicite à titre principal la confirmation du rejet a nécessité, depuis l'assignation introductive d'instance en 2008, de recourir à plusieurs mesures d'expertise en vue d'éclairer la juridiction, et que cette appréciation ne peut toujours se faire qu'au vu d'expertises, dont il convient donc d'examiner préalablement la régularité quand elle est déniée.

* sur la demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire [K]

La mission que le juge qui l'a commis en remplacement de M. [L] a confiée à M. [K], selon ordonnance du 5 avril 2016, est 'celle définie par le jugement rendu le 7 mars 2014'.

Ledit jugement énonçant dans son dispositif que les deux experts désignés devraient donner 'leur avis au terme d'un rapport unique', il est certain que cette modalité n'a pas été respectée puisque M. [K] a oeuvré seul et déposé seul un rapport personnel.

Pour autant, il ne pouvait faire autrement, puisqu'à cette date du 5 avril 2016 où il a été commis, l'autre technicien désigné dans le jugement, M. [X], géomètre, avait remis depuis quasiment une année soit le 24 avril 2015 son rapport définitif, dont le dépôt l'avait ainsi dessaisi, et l'ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise qui commet M. [K] n'a par ailleurs pas prévu que cette désignation impliquait la réouverture des opérations menées par M. [X] et closes par le dépôt de son rapport.

Les parties à l'instance, qui étaient assistées, ont participé sans protestations ni réserves aux opérations conduites par le seul M. [K].

Les opérations et le rapport de M. [K] n'encourent pas d'annulation à ce titre.

Quant aux griefs articulés par M. [J] sur la façon de procéder de l'expert, ils ne sont pas davantage de nature à justifier une telle annulation, l'expert ayant réalisé personnellement ses constatations et analyses, selon une méthode et avec des commentaires dont l'appréciation relève de la force probante qui peut être conférée à ces opérations et à ces conclusions, et non de leur régularité.

* sur la demande d'enlèvement des empiétements formulée par les consorts [A]

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.

Selon l'article 545, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Il résulte de ces textes que le propriétaire d'un fonds sur lequel un autre propriétaire empiète est, compte-tenu de ce caractère absolu et perpétuel du droit de propriété, fondé à en obtenir la démolition, sans que cette action puisse donner lieu à abus ni que puisse lui être opposé le caractère disproportionné de la mesure de remise en état (cf Cass. 3° civ. 23.11.2022 P n°22-19200).

Le jugement déféré, qui constate l'existence d'empiétements mais déboute les parties de leurs demandes respectives en suppression au motif qu'ils sont minimes et réciproques, ne peut ainsi être en cela confirmé.

Devant la cour, où M. [J] n'a pas formé d'appel incident du rejet de sa propre demande en suppression de prétendus empiétements adverses sur son fonds, et où il sollicite la confirmation du jugement, seuls sont en cause les empiétements dont arguent les appelants.

Le premier expert commis, M. [H], qui est géomètre, a conclu, et après réception de dires a maintenu dans son rapport définitif,

-qu'il existait un empiétement de quelques centimètres, sur la propriété [A], d'une rive de toit posée sur la maison de M. [J] ; que cet aménagement pouvait être moyennant des travaux d'un coût de 2.500 euros TTC remplacé sans difficulté par 'toute autre solution ne créant pas de dépassement', dont la mise en oeuvre nécessitera de passer sur le fonds [A]

-qu'au vu de l'imprécision de l'ordre d'un centimètre inhérente à la détermination de la limite entre deux propriétés constituée par le parement d'un mur de pierre ancien, le panneau de cannexel argué par les consorts [A] de dépassement sur leur propriété ne pouvait être regardé comme y empiétant, dès lors qu'il est positionné entre 1 et 10 millimètres de la limite autour de cette limite elle-même imprécise à 1 centimètre près

-qu'empiétaient de quelques centimètres sur la propriété [A] des 'ouvrages secondaires' posés sur la maison [J], selon lui dans le plus grand intérêt des deux parties du fait de l'étanchéité qu'elle procure à leurs immeubles respectifs, s'agissant de trois joints d'étanchéité constitués chacun d'une feuille de plomb avec barre métallique de fixation et résine étanche

.l'un situé entre la construction neuve et le mur de clôture, qui empiète de quelques centimètres

.l'autre situé entre la construction neuve et le mur de l'appentis, qui empiète d'une dizaine de centimètres

.le troisième situé entre la construction neuve et le mur de la maison, qui empiète de quelques centimètres

et qu'il estime même toujours réalisés, en vertu d'un usage constant, à cheval sur la ligne séparatrice des bâtiments, ligne qui est aussi la limite de propriété quand les constructions sont édifiées en limite de propriété.

S'agissant de l'eau que les époux [A] déploraient recevoir sur leur habitation depuis l'édification par M. [J] d'une extension, M. [H] indiquait, et maintenait sur dires, que la construction neuve apportait en effet une plus grande quantité d'eau de pluie venant ruisseler sur le mur de clôture des [A] , et qu'elle affectait le revêtement du mur de façon plus importante qu'avant où une partie devait être poussée par le vent vers le fonds [J], mais il estimait que s'agissant d'eau du ciel, il incombait aux [A] de les recevoir et de les évacuer vers le réseau public.

Ces conclusions sont circonstanciées, argumentées et convaincantes.

Si le tribunal a commis deux experts le 7 mars 2014 après avoir pris connaissance du rapport de M. [H], il ne s'agissait nullement d'une contre-expertise mais d'une mesure complémentaire, parce que l'expert avait indiqué que la limite définie par le parement d'un mur en pierre ne saurait être d'une rectitude parfaite et que son emplacement ne pouvait être défini au centimètre près, de sorte que le positionnement du panneau de cannexel pouvait ou non empiéter, à quelques millimètres près ou pas.

Le complément d'expertise a aussi porté sur la question de l'humidité du mur de séparation.

Ainsi, à ce stade, étaient avérés l'empiétement de la rive de toit et des trois joints d'étanchéité.

Ils le sont toujours, ni les rapports déposés ensuite, ni aucun autre élément n'ayant réfuté ce constat matériel.

S'agissant du mur en pierre dont l'examen restait à faire au millimètre près pour savoir si le cannexel empiétait ou pas sur la propriété [A], l'expert [P] [X] -dont le rapport a été établi à l'issue d'opérations qui s'étaient ouvertes par un transport contradictoire sur les lieux réalisé le 8 octobre 2014 avec celui qui était alors son co-expert, spécialisé en bâtiment, [O] [L] (cf rapport p. 2) même s'il l'a ensuite déposé seul son rapport après le retrait de ce dernier- a conclu une fois opéré le bornage de la limite commune qu'il lui avait été demandé de réaliser :

-à un empiétement d'1 centimètre du cannexel à l'extrémité Sud du mur privatif, reconnu par M. [J] dans son dire, cet empiétement se faisant bien sur la maison [A] et non sur le fonds d'un tiers, comme le soutient aujourd'hui M. [J]

-à la persistance d'un empiétement de la rive de toit, ramené après rabotage en cours d'expertise d'une dizaine à 3 ou 4 centimètres

-à la réalité et à la persistance du minime empiétement des trois joints d'étanchéité déjà relevé par M. [H] dans son 'bon rapport', M. [X] exprimant lui aussi l'opinion que ces éléments, 'qui empêchent toute infiltration entre les ouvrages, étaient indispensables', indiquant laisser son collègue [L] rechercher et dire s'il pouvait en être autrement

-à l'absence d'empiétement du bardage de la maison [J] sur la partie Nord confrontant la maison et l'appentis des [A].

Ces constatations et conclusions argumentées, maintenues après la diffusion de dires, sont convaincantes et ne sont pas réfutées.

Elles ne le sont, notamment, pas, en tout cas de façon probante, par le rapport de M. [K], qui avait été nommé à la suite de M. [L] en tant qu'architecte pour la question de la présence d'eau et d'humidité entre les bâtiments ; qui devait d'autant plus se tenir à cette seule recherche qu'il oeuvrait seul et que la question, distincte, des empiétements, avait été traitée par l'autre expert, M. [X], dans un rapport définitif ; et qui retient de toute façon cinq empiétements comme M. [X] en avait retenu cinq :

-celui de la rive de toit

-celui du cannexel

-et les trois des joints d'étanchéité.

S'agissant de la question de l'humidité, M. [K] en confirme la réalité sur le mur [A], et de l'autre côté dans une petite partie basse de 60 x 80 cm de la chambre du premier étage, et l'attribue au fait que le bardage posé sur son extension par M. [J] est totalement étanche à l'eau, avant de décliner, et chiffrer, d'importants travaux destinés à remédier à ce qu'il qualifie de vices de conception et d'exécution de l'immeuble [J] et à faire en sorte que l'eau de pluie ne ruisselle plus sur le mur [A].

Ces conclusions, dont les appelants se prévalent pour demander à la cour d'ordonner sous astreinte à l'intimé de mettre fin à ses empiétements selon ce que préconise M. [K], n'emportent pas la conviction, en ce qu'elles méconnaissent l'objet du litige, qui tient à des empiétements que ces travaux ne tendent nullement à faire cesser et qui peuvent l'être sans les mettre en oeuvre, en ce qu'ils incriminent la conception et la réalisation des travaux réalisés par ou pour M. [J] sur son fonds, qui sont dépourvus de lien de causalité avec les empiétements, et en ce qu'ils visent à faire cesser une réception de l'eau de pluie sur le mur [A] dont les experts [H] et [X] ont pertinemment dit qu'elle résultait de la situation des lieux et qu'elle constituait pour ceux-ci une obligation.

La modification du sens voire de l'intensité de la réception de l'eau de pluie sur le fonds [A] par l'extension [J] ne crée, pour celui-ci, aucune obligation d'y mettre fin ou d'en traiter les effets, étant relevé que sa construction n'est pas arguée d'illicéité et qu'il n'est ni justifié, ni véritablement soutenu, que l'édification et désormais la présence de l'extension, en ce lieu densément urbanisé, constitueraient, pour les [A], un trouble excédant la mesure admissible des inconvénients normaux du voisinage.

Il n'existe donc aucun motif de mettre en oeuvre les travaux prônés par M. [K] pour traiter les conséquences de la réception de l'eau de pluie sur le fonds [A], étant observé que les appelants persistent à réclamer en vertu du caractère absolu, sacré et inviolable de leur droit de propriété, la suppression de quatre dispositifs empiétant de façon dérisoire sur leur fonds et dont deux experts judiciaires leur ont successivement affirmé la très grande utilité d'étanchéité pour leur propre fonds.

Il y a lieu, dans des conditions, d'ordonner à [F] [J] de supprimer par tout moyen à sa convenance, évidemment respectueux de la propriété de ses voisins, les cinq empiétements avérés de son bien sur le fonds [A].

L'absence d'urgence à ôter des dispositifs qui ne causent aucun dommage justifie de ne pas assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sa réalisation justifie, vu la configuration des lieux et les indications expertales, de prévoir que les consorts [A] seront tenus, il est nécessaire, de laisser pénétrer sur leur fonds le ou les professionnels chargés de procéder aux travaux de suppression de ces empiétements et de mise en place des dispositifs, respectant les propriétés, qui les remplaceront, à charge pour M. [J] de les aviser de la venue du professionnel par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au moins dix jours à l'avance.

Ces modalités suffisent à mettre fin aux empiétements constatés, et le surplus des demandes de travaux sera rejeté.

De même, M. [J] supportant la charge du coût de ces travaux destinés à faire disparaître ces cinq empiétements, il n'y a pas lieu de le condamner à verser aux consorts [A] la somme indexée de 2.470,68 euros TTC que ceux-ci lui réclament.

* sur les demandes indemnitaires formulées par les consorts [A]

Les consorts [A] ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que les empiétements tels qu'ils viennent d'être recensés, leur aient causé le moindre préjudice, tant de jouissance que moral ou financier.

Il a été dit que deux experts ont successivement insisté sur l'utilité pour les deux fonds de quatre d'entre eux, et pour ce qui est du cinquième, le dépassement sur 3 à 4 centimètres de tuiles en rive sur le fonds [A] n'est constitutif d'aucun préjudice autre que symbolique, et le fait que le respect du caractère absolu du droit de propriété justifie de le faire cesser ne postule nullement qu'il s'en évincerait par ailleurs un préjudice nécessaire.

Aucune moins-value n'est a fortiori susceptible d'être résultée, pour l'immeuble [A], de l'un ou l'autre de ces cinq empiétements, étant rappelé que pour ce qui est de l'eau reçue sur cet immeuble, il s'agit d'eau de pluie dont il incombe aux seuls appelants de traiter la réception et les conséquences.

Il n'est pas justifié d'un préjudice qui tiendrait au temps consacré au suivi du procès, ni à des déplacements.

Les appelants seront ainsi déboutés de ces demandes indemnitaires.

* sur la demande de dommages et intérêts formulée par M. [J]

M. [J] est convaincu de cinq empiétements, et ne peut soutenir abusive l'action des consorts [A] visant à y mettre fin.

Le procès s'est en outre nourri, au moins à ses débuts, de sa prétention à discuter le caractère privatif du mur de séparation, qu'il a fini par reconnaître.

Il n'est pas fondé en sa demande de dommages et intérêts formulée contre les consorts [A], dont il n'établit pas en quoi ils auraient commis une faute qui lui aurait au surplus préjudicié.

* sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les expertises, qui incluent un bornage, ont présenté un intérêt commun; elles ont porté sur des empiétements qui s'avèrent caractérisés, mais ont aussi été alimentées par des griefs formulés par les consorts [A] au titre de la réception de l'eau et de l'humidité qui ne l'étaient pas.

Les dépens, incluant ceux de référé, seront supportés par M. [J], en ce qu'il succombe quant aux empiétements, sauf à dire que les frais d'expertise seront supportés

-par M. [J], seul, s'agissant de l'expertise [H]

-par les consorts [A], seuls, s'agissant de l'expertise [K]

-par moitié entre les appelants et l'intimé, s'agissant de l'expertise [X].

L'équité justifie de n'allouer aucune indemnité de procédure de première instance ni d'appel.

PAR CES MOTIFS



la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a pris acte des interventions volontaires, en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'expertise menée par M. [K], et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure

statuant à nouveau des chefs infirmés :

ORDONNE à M. [F] [J] de supprimer les cinq empiétements de son fait sur la propriété voisine des consorts [A] [Adresse 6], tenant

-à la présence sur 1 centimètre du cannexel à l'extrémité Sud du mur privatif

-au dépassement sur 3 à 4 centimètres de la rive de toit de l'extension de sa maison

-à trois joints d'étanchéité constitués chacun d'une feuille de plomb avec barre métallique de fixation et résine étanche respectivement situés l'un entre la construction neuve et le mur de clôture, l'autre entre la construction neuve et le mur de l'appentis, et le troisième situé entre la construction neuve et le mur de la maison décrits dans les rapports d'expertise judiciaire établis par M. [H] et par M. [X]

DIT n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte

ENJOINT à M. [J] de prévenir par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au moins dix jours à l'avance les consorts [A] de la venue de ou des personnes qui viendront procéder aux travaux nécessaires pour supprimer ces empiétements

DIT que les consorts [A] devront en tant que de besoin laisser pénétrer sur leur propriété la ou les personnes en charge de ces travaux

DÉBOUTE les consorts [A] de leurs autres demandes de travaux

LES DÉBOUTE de leur demande en paiement de la somme indexée de 2.470,68 euros TTC

LES DÉBOUTE de leurs demandes indemnitaires

DÉBOUTE [F] [J] de sa demande de dommages et intérêts

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE [F] [J] aux dépens de première instance, qui incluront ceux de référé, et aux dépens d'appel

DIT que les frais d'expertise seront supportés :

-par M. [J], seul, s'agissant de l'expertise [H]

-par les consorts [A], seuls, s'agissant de l'expertise [K]

-par moitié entre les appelants et l'intimé, s'agissant de l'expertise [X].

REJETTE les demandes formées au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à Me CLERC, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,