SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 11423/85
présentée par Paolo SENIS
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 13 mars 1989 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
F. ERMACORA
G. SPERDUTI
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
J. CAMPINOS
H. VANDENBERGHE
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
M. L. LOUCAIDES
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 5 février 1985 par Paolo SENIS
contre la France et enregistrée le 20 février 1985 sous le No de
dossier 11423/85 ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur
en date du 30 septembre 1986 et les observations produites en réponse
par le requérant le 20 novembre 1986 ;
Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les
parties peuvent se résumer comme suit :
Le requérant, de nationalité italienne, est né en 1946 à San
Antioco et se trouve détenu à la maison d'arrêt de Regensdorf
(Suisse) à la suite de son extradition par la France.
Il est représenté dans la procédure devant la Commission par
Maître A. Lestourneaud et Maître Ch. Dieterle, avocats au barreau de
Nice.
1. A la suite d'un contrôle de police effectué à Nice le
22 novembre 1982, trois personnes furent arrêtées après la découverte,
dans le véhicule qu'ils utilisaient, d'armes, de munitions et d'une
somme d'argent de 10.310 FF. Parmi les personnes appréhendées par les
services de police, figurait Patrick Devineau (1).
Lors de l'enquête de police, l'une des personnes interpellées,
A. P., précisa qu'elle s'était évadée environ un mois et demi
auparavant d'un pénitencier suisse (Thorberg) en compagnie de deux
autres détenus, dont un certain "Paolo". Indépendamment de cette
première circonstance, fut interpellé dans le cadre de l'enquête un
certain A. M. qui confirma s'être évadé d'un pénitencier en compagnie
de Senis Pietro Paolo. Selon sa déclaration, les faits remontaient au
15 octobre 1982. Il insista également sur le fait qu'ils restèrent
quinze jours cachés dans la montagne avant de franchir la frontière
française.
Toujours dans le cadre de l'enquête, une perquisition fut
effectuée dans une villa de Saint-Laurent-du-Var le 22 novembre 1982.
Plusieurs armes, munitions, des affaires personnelles ainsi que des
sommes d'argent en devises furent saisies selon procès-verbal de
saisie et mises sous scellés en date du 23 novembre 1982.
Le requérant fut appréhendé le 28 novembre 1982 à Chamonix
puis déféré devant le procureur de la République de Bonneville en
exécution d'un mandat d'amener du juge d'instruction de Nice.
Il résulte également de l'enquête que le requérant était
signalé en Suisse pour "suspicion de cambriolage".
2. Suivant ordonnance du juge d'instruction, en date du
7 décembre 1982, le requérant fut inculpé d'infractions à la
législation sur les armes : détention irrégulière et transport d'armes
et munitions.
__________
(1) Auteur de la requête No 11424/85.
Le 1er février 1983, l'administration des douanes porta
plainte pour infractions à la législation et à la réglementation des
relations financières avec l'étranger. L'administration des douanes
indiquait dans sa plainte qu'elle agissait par application d'une
présomption légale d'importation en contrebande de marchandises
circulant dans le rayon des douanes (armes et munitions).
L'administration des douanes, dans ses conclusions de première
instance déposées à l'audience du 22 avril 1983, ajoutait que "Attendu
qu'aux termes de l'article
197 du Code des douanes et de l'arrêté du
17 novembre 1969, les marchandises circulant dans le rayon des douanes
doivent être munies d'un passavant ou de justifications prévues par
l'article
198 paragraphe 2 du Code des douanes. Attendu qu'à défaut
de cette justification, les marchandises sont réputées avoir été
introduites en contrebande (article 418 paragraphe 1 du Code des
douanes). Attendu que cette présomption est irréfragable et qu'en
l'absence d'un cas de force majeure les prévenus ne sauraient
bénéficier d'aucune excuse".
Le requérant déposa, lors de l'audience du 22 avril 1983 des
conclusions écrites visant à voir déclarer incompatible avec l'article
6 par. 2 de la Convention la présomption de culpabilité posée par
l'article
418 du Code des douanes. L'administration déposa des
conclusions additionnelles pour l'audience du 4 mai 1983 et le
requérant y répondit par voie de conclusions additionnelles.
3. Parallèlement aux poursuites concernant les armes et sur la
base d'un réquisitoire supplétif en date du 24 janvier 1983, le 4 mars
1983 de nouvelles inculpations furent notifiées au requérant et de
nouvelles mesures d'instruction furent ordonnées pour recels de vols,
recels de malfaiteurs et infractions à la législation et à la
réglementation des relations financières avec l'étranger, sur base de
l'article 5 du décret No 68-1021 du 24 novembre 1968.
Sur le terrain des infractions douanières, l'administration
des douanes reprochait au prévenu, sous la sanction de l'article 459
du Code des douanes et par application d'une circulaire du 9 août
1973, de ne pas avoir cédé contre des francs et auprès d'un
intermédiaire agréé les devises importées et cela, au plus tard dans
le délai d'un mois suivant l'importation.
Dans les conclusions déposées pour sa défense, le requérant
contesta la matérialité de l'infraction douanière reprochée au motif
que le délai d'un mois prévu par la circulaire du 9 août 1973 n'était
pas matériellement expiré entre la date du passage de la frontière
française et la saisie des devises par les autorités. En droit, le
requérant soutenait en outre que l'article
373 du Code des douanes
renversait la charge de la preuve, en violation de la présomption
d'innocence visée à l'article 6 par. 2 de la Convention.
L'affaire fut évoquée dans son ensemble à l'audience du
tribunal de grande instance de Nice le 4 mai 1983.
Par jugement du 11 mai 1983, le tribunal prononça la nullité
de la procédure relative à la réglementation des changes, en
application de l'article
458 du Code des douanes, relaxa le prévenu du
chef de recel de vols (concernant les numéraires saisis en sa
possession ou les objets acquis à l'aide de ces espèces), déclara le
requérant coupable de détention, port et introduction sur le
territoire national sans justification d'origine d'armes et de
munitions et le condamna à un an de prison, 20.000 F d'amende, 5 ans
d'interdiction de séjour et solidairement à 5.000 F d'amende au titre
de l'infraction douanière concernant les armes.
4. Le jour du jugement, soit le 11 mai 1983, l'administration des
douanes, dont la première poursuite venait d'être annulée, déposa une
nouvelle plainte en visant à nouveau l'importation des devises en
France.
L'instruction de cette nouvelle plainte fut confiée au même
magistrat ayant connu de la précédente plainte, dont la procédure
avait été sanctionnée de nullité par jugement précité du 11 mai 1983.
Le 26 mai 1983, le requérant fut entendu lors de l'instruction
sur cette nouvelle plainte et contesta la matérialité des faits liés à
l'infraction douanière reprochée. Il refusa de signer le
procès-verbal d'interrogatoire et contesta également le refus du juge
d'instruction de communiquer à son conseil le procès-verbal de saisie
servant de base aux poursuites aux fins de démontrer l'absence
d'élément matériel.
Le juge d'instruction renvoya à nouveau le dossier devant la
chambre correctionnelle près le tribunal de grande instance de Nice
par ordonnance en date du 8 juin 1983. L'affaire fut évoquée devant
ce tribunal le 6 juillet 1983.
L'administration des douanes déposa des conclusions aux fins
que soient condamnés :
- Senis Pietro Paolo comme auteur d'une infraction à la
législation des changes : importation sans déclaration de moyens de
paiement,
- Devineau Patrick en tant qu'intéressé à la fraude par
application de l'article 399 par. 2 b) du Code des douanes.
Le requérant Senis déposa des conclusions visant à contester
la matérialité des faits reprochés en droit et à voir écartées les
présomptions de culpabilité instituées par les articles 418 par. 1,
392 par. 1, 373 et 399 par.
2 du Code des douanes.
5. Le tribunal de grande instance de Nice, dans son jugement du
16 septembre 1983, déclara les prévenus coupables en application des
articles 5 du décret No 68-1021 du 24 novembre 1968 et 459 du Code des
douanes ainsi que de diverses dispositions du Code pénal et du Code de
procédure
pénale.
Le requérant Senis fut condamné à un mois d'emprisonnement ;
le requérant Devineau fut dispensé de peine. Tous deux furent
conjointement et solidairement condamnés au paiement de la somme de
148 006 F (valeur des devises non saisies) et de la somme de 292 756 F
à titre d'amende. Le tribunal prononça en outre la confiscation des
devises et objets saisis.
Ils relevèrent appel de ce jugement les 20 et 22 septembre
1983. La cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma, par arrêt du 14
décembre 1983, la décision attaquée en retenant, en outre, les
articles
399 et
435 du Code des douanes.
La Cour de cassation, par un arrêt du 19 novembre 1984, rejeta
le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel. La plus haute
instance judiciaire considéra quant aux points soulevés par le
requérant au regard de la Convention que "la preuve de l'introduction
clandestine des devises trouvées dans la villa où résidaient les
prévenus résultant de leurs propres déclarations et non d'une
quelconque présomption de culpabilité, il n'y a pas lieu à
l'annulation des poursuites pour une prétendue violation de la
Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales ; ... qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance
et de contradiction, la cour d'appel, loin d'encourir les griefs
allégués aux moyens, a donné une base légale à sa décision ...".
GRIEFS
1. Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 et 2
de la Convention dans la mesure où il considère que les articles 418
par. 1, 392 par.
1 et
373 du Code des douanes (1), tels qu'ils ont été
appliqués en l'espèce, ne répondent pas aux exigences de l'article 6
de la Convention.
Les dispositions sur la base desquelles il a été condamné,
institueraient de véritables présomptions légales de culpabilité en
matière pénale et inversent la charge de la preuve, ce qui, pour le
requérant, porterait atteinte à l'article 6 de la Convention à un
double titre :
- d'une part, ces présomptions constituent des violations du
principe de la présomption d'innocence visée au paragraphe 2 de
l'article 6 de la Convention.
- d'autre part, elles constituent, dans les rapports du
requérant avec l'administration des douanes, une rupture de "l'égalité
des armes", énoncé au paragraphe 1 de l'article 6.
______________
(1) Article
373 du Code des douanes : Dans toute action sur une
saisie, les preuves de non-contravention sont à la charge du saisi.
Article 392 par. 1 du même Code : Le détenteur de marchandises
de fraude est réputé responsable de la fraude.
2. Le requérant entend encore soulever une violation de l'article
6 par. 1 de la Convention en ce que la cause n'aurait pas été entendue
équitablement par un "tribunal impartial" au stade de l'instruction
pénale.
En l'espèce, l'instruction de la première plainte de
l'administration des douanes, en date du 1er février 1983 fut confiée
au doyen des juges d'instruction à Nice. Le tribunal de grande
instance de Nice saisi annula la procédure visant les infractions
douanières pour violation de l'article
458 du Code des douanes. Le
jour même de ce jugement, l'administration des douanes déposa une
nouvelle plainte visant les mêmes faits, et l'instruction fut confiée
au même juge d'instruction. En dépit des contestations soulevées par
le requérant sur la matérialité des faits reprochés, le magistrat
instructeur renvoya de nouveau le dossier devant le tribunal de grande
instance de Nice.
Sans mettre en cause l'impartialité subjective du magistrat
instructeur, le requérant considère que son impartialité objective est
mise en cause en raison des apparences lesquelles revêtent en l'espèce
une certaine importance.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 5 février 1985 et enregistrée
le 20 février 1985.
Le 12 décembre 1985, la Commission a décidé de donner
connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de
l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter
celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et
le bien-fondé des griefs formulés au titre de l'article 6 de la Convention.
A l'issue de deux prolongations du délai, imparti pour la
présentation de ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé
de la requête, le Gouvernement français a présenté celles-ci en date
du 30 septembre 1986.
Le requérant a fait parvenir à la Commission ses observations
en réponse en date du 20 novembre 1986.
Le 7 octobre 1987, la Commission a décidé d'ajourner l'examen
de la requête jusqu'à l'issue de la procédure dans l'affaire SALABIAKU,
alors pendante devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.
EN DROIT
Le requérant allègue la violation des paragraphes 1 et 2 de
l'article 6 (art. 6-1-2)de la Convention dans la mesure où il
considère que les dispositions du Code des douanes, telles qu'elles
ont été appliquées en l'espèce, ne répondent pas à certaines exigences
de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Cette disposition stipule :
"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. ...
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie.
....."
Le requérant estime qu'il ne peut être soutenu en l'espèce
que le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de
procès équitable, posé au paragraphe 1 de l'article 6 (art. 6-1) de la
Convention, a été respecté lorsqu'est mise à la charge du prévenu une
présomption de culpabilité quasiment irréfragable profitant à
l'administration des douanes, sur la base de la simple détention d'un
objet.
Le requérant estime en outre que l'on ne saurait non plus
soutenir que le principe de la présomption d'innocence, énoncé au
paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) de la Convention, a été
respecté dans la mesure où le renversement du fardeau de la preuve
aboutit à ce que, tout en étant accusé, le prévenu doit apporter la
preuve de sa non culpabilité.
Le Gouvernement conteste cette approche. Il a fait valoir que
les dispositions précitées du Code des douanes, telles qu'elles ont
été appliquées, ne contreviennent à aucun des principes énoncés à
l'article 6 (art. 6) de la Convention.
Pour le Gouvernement ces dispositions n'édictent pas une
présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité qui
n'implique que la recherche de l'imputabilité matérielle de
l'infraction. Il s'agit donc d'un aménagement de la preuve spécifique
au droit douanier. D'autre part, l'allègement de la charge de la
preuve incombant à la partie poursuivante peut s'inscrire dans le
cadre d'un procès équitable, en conformité avec l'article 6 par. 1
(art. 6-1). Au demeurant, la Convention n'exige pas que toute la
preuve soit à la charge de la partie poursuivante.
En l'espèce, la responsabilité du requérant n'avait pas à être
démontrée dès lors qu'il était établi que le prévenu avait introduit
irrégulièrement en France des devises étrangères, encore fallait-il
apporter la preuve de cette introduction frauduleuse. Il appartenait
à la partie poursuivante (l'administration des douanes et le ministère
public) d'y pourvoir.
Enfin, pour le Gouvernement, les présomptions des articles
précités du Code des douanes ne sont pas contraires à la présomption
d'innocence posée à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention et
en aucun cas ne s'y substituent.
A la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention,
l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention ne vise que les accusations
portées contre un individu et non les moyens de preuve utilisés devant
un tribunal.
Présumé innocent, le requérant a conservé ses droits jusqu'à
ce que les juges du tribunal correctionnel de Nice, puis ceux de la
cour d'appel d'Aix-en-Provence l'aient déclaré coupable de contrebande
de devises étrangères, après avoir constaté l'existence des éléments
constitutifs de l'infraction au vu des preuves mises à leur
disposition dans le dossier et à l'audience.
Quant aux constatations matérielles relatées dans le
procès-verbal de douane, l'exactitude et la sincérité des aveux et
déclarations que ce procès-verbal mentionne, le requérant pouvait en
rapporter la preuve contraire conformément aux dispositions de
l'article
373 du Code des douanes.
Le Gouvernement ajoute que le prévenu pouvait s'exonérer de sa
responsabilité en établissant la preuve "d'un cas de force majeure ne
pouvant résulter que d'un événement non imputable à l'auteur de
l'infraction que celui-ci était dans l'impossibilité absolue d'éviter"
ou d'une "erreur invincible", conformément à la jurisprudence de la
Cour de cassation applicable aux articles 418 et 392 du Code des
douanes.
A la lumière de ces considérations, le Gouvernement conclut au
rejet de la requête pour défaut manifeste de fondement.
La Commission relève tout d'abord que l'applicabilité de
l'article 6 de la Convention ne prête pas à controverse en l'espèce.
De toute manière les dispositions répressives du droit douanier
français relèvent de la "matière pénale" tel que l'entend l'article 6
(voir Cour Eur. D.H., arrêt Salabiaku du 7 octobre 1988, série A n°
141-A, par. 24).
En l'espèce, la question qui se pose est de savoir si,
ainsi que le prétend le requérant, l'application faite en l'occurrence
des dispositions précitées du Code des douanes, a engendré une
inégalité des armes entre les parties au procès et porté atteinte au
principe de la présomption d'innocence, en violation de l'article 6
par. 1 et 2 (art. 6-1-2) de la Convention.
Ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt précité (par. 28) :
"Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de
droit ; la Convention n'y met évidemment pas obstacle en
principe, mais en matière pénale elle oblige les Etats
contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil
......
L'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) ne se désintéresse donc pas des
présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les
lois répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans
des limites raisonnables prenant en compte la gravité de
l'enjeu et préservant les droits de la défense."
La Commission recherchera ici si ces limites ont été franchies
au détriment du requérant.
Celui-ci a été poursuivi pour importation illégale de devises
en France sur le fondement des articles 5 du décret No 68-1021 du 24
novembre 1968 et
459 du Code des douanes relatifs à la responsabilité
pénale.
Il était présumé innocent jusqu'à ce que les juges du tribunal
de grande instance de Nice, puis ceux de la cour d'appel
d'Aix-en-Provence l'aient déclaré coupable de contrebande de devises
étrangères et après avoir constaté l'existence des éléments
constitutifs de l'infraction au vu des preuves mises à leur
disposition dans le dossier et à l'audience.
Le tribunal de grande instance de Nice a noté que le
requérant, évadé d'un pénitencier suisse, avait, selon ses propres
dires, vécu un certain temps en Suisse avant de franchir
clandestinement la frontière franco-suisse, qu'il revendiquait la
propriété des devises et reconnaissait avoir, sans déclaration au
service des douanes, introduit en France cinquante mille francs
suisses et deux millions de lires. Le tribunal en a conclu que la
preuve de l'introduction clandestine des devises trouvées en
possession des prévenus résultait de leurs propres déclarations et non
d'une quelconque présomption de culpabilité.
Ce point a été confirmé par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Dans son arrêt du 19 novembre 1984, la Cour de cassation a
relevé que les juges du fond ont exercé leur pouvoir d'appréciation au
vu des éléments de preuve mis à leur disposition dans le dossier et
contradictoirement débattus devant eux, et qu'en tout état de cause la
preuve de l'introduction clandestine des devises résultait des propres
déclarations des prévenus, dont le requérant, et non d'une quelconque
présomption de culpabilité, et qu'il n'y avait pas lieu dès lors à
annulation des poursuites pour une prétendue violation de la
Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales.
Par conséquent, les juridictions françaises n'ont pas, en
l'espèce, appliqué les dispositions invoquées du Code des douanes,
d'une manière portant atteinte à la présomption d'innocence visée au
paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) de la Convention.
Au titre du paragraphe 1 de l'article 6 (art. 6-1) de la
Convention, le requérant formule des griefs qui recoupent dans une
large mesure ceux qu'ils présente sur la base du paragraphe 2 (art.
6-2) ; ils consistent pour l'essentiel, à dénoncer la présomption que
les dispositions précitées du Code des douanes instituaient "au
profit" de la partie poursuivante. La Commission n'aperçoit donc, en
l'espèce, aucun motif de s'écarter, au nom du principe général du
procès équitable, de la conclusion à laquelle elle arrive en se
plaçant sur le terrain spécifique de la présomption d'innocence.
Quant au surplus, et notamment le grief tiré de la prétendue
partialité objective du juge d'instruction, l'examen du dossier ne
révèle, aux yeux de la Commission, nul manquement aux diverses
exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), même à le supposer
applicable en la circonstance au juge d'instruction. La procédure a
revêtu en première instance, en appel et en cassation, un caractère
pleinement contradictoire et judiciaire qui n'est pas contesté par le
requérant. En particulier, celui-ci avait la possibilité de réfuter
devant le juge du fond les conclusions auxquelles était parvenu le
juge d'instruction.
Il suit de ce qui précède que la requête est quant à
l'ensemble des griefs soulevés par le requérant manifestement mal
fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs
, la Commission
DECLARE LA RREQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)