QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 78069/11
Adam JARKIEWICZ
contre la Pologne
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant le 24 novembre 2015 en un comité composé de :
Nona Tsotsoria, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Fatos Aracı, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 novembre 2011,
Vu la déclaration déposée par le gouvernement défendeur le 17 octobre 2013 et invitant la Cour à rayer la requête du rôle, ainsi que la réponse du requérant à cette déclaration ;
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
FAITS ET PROCÉDURE
1. Le requérant, M. Adam Jarkiewicz, est un ressortissant polonais né en 1971. À l'époque des faits, il était détenu à la maison d'arrêt de Lublin. Le requérant a été représenté devant la Cour par Me M. Palusiak, avocat à Varsovie.
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 17 mars 2011, le tribunal de district de Lublin ordonna la détention provisoire du requérant, au motif qu'il était soupçonné d'avoir commis les infractions à la loi contre les stupéfiants. Le 19 mai 2011, un recours du requérant contre la décision relative à sa détention provisoire fut rejeté. Cette mesure fut reconduite jusqu'au 19 juillet 2012. Dans leurs décisions en la matière, les juridictions internes se référaient aux éléments confirmant l'existence des raisons plausibles de soupçonner le requérant d'avoir commis les infractions reprochées, à la sévérité de la peine encourue et à la nécessité de préserver la bonne conduite de la procédure. Le 31 août 2011, un acte d'accusation dirigé contre le requérant fut déposé au tribunal régional de Lublin. La Cour n'a pas été informée de l'issue de la procédure pénale engagée à son encontre.
Il ressort du dossier qu'apparemment jusqu'au 12 avril 2012, le requérant purgea, en parallèle de sa détention provisoire, une peine de prison de deux années infligée le 31 décembre 2009 dans une procédure pénale distincte de celle susmentionnée.
4. Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant se plaignait d'avoir subi une fouille corporelle en présence d'une agente de police. Citant l'article 5 § 3 de la Convention, il se plaignait en outre de la durée de sa détention provisoire. Invoquant l'article 5 § 4 de la Convention, il alléguait une violation du principe d'égalité des armes en raison du refus des autorités de lui permettre de prendre connaissance du dossier de l'instruction le concernant et de l'impossibilité en ayant résulté pour lui de contester convenablement les décisions relatives à sa détention provisoire. Citant l'article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaignait enfin d'une violation de son droit à la présomption d'innocence en raison des motifs des décisions juridictionnelles relatives à sa détention provisoire.
5. En l'espèce, la Cour a estimé plus opportun d'examiner le grief tiré de l'article 3 de la Convention sur le terrain de l'article 8 de la Convention. La partie de la requête relative aux griefs tirés d'articles 5 § 4, 6 § 2 et 8 de la Convention a été communiquée au Gouvernement.
EN DROIT
A. Sur les griefs tirés d'articles 5 § 4, 6 § 2 et 8 de la Convention
6. Par une lettre du 17 octobre 2013, le Gouvernement a informé la Cour qu'il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par cette partie de la requête. Il a en outre invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l'article 37 de la Convention.
La déclaration était ainsi libellée :
« (...) the Government hereby wish to express - by way of the unilateral declaration - their acknowledgment of the violation of Article 5 § 4, Article 6 § 2 and Article 8 § 2 of the Convention on account of the applicant's detention between 17 March 2011 and 19 July 2012.
Consequently, the Government are prepared to pay to the applicant the sum of PLN 15 000 (fifteen thousand Polish zlotys) which they consider to be reasonable in the light of the Court's case-law. The sum referred to above, which is to cover any pecuniary and non-pecuniary damage as well as costs and expenses, will be free of any taxes that maybe applicable. It will be payable within three months from the date of notification of the decision taken by the Court pursuant to Article 37 § 1 of the European Convention on Human Rights. In the event of failure to pay this sum within the said three-month period, the Government undertake to pay simple interest on it, from expiry of that period until settlement, at a rate equal to the marginal lending rate of the European Central Bank during the default periods plus three percentage points.
...»
7. Par une lettre du 7 janvier 2014, le requérant a demandé à la Cour une satisfaction équitable plus élevée.
8. La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 37 de la Convention, à tout moment de la procédure, elle peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances l'amènent à l'une des conclusions énoncées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. L'article 37 § 1 c) lui permet en particulier de rayer une affaire du rôle si : « pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête ».
9. La Cour rappelle aussi que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.
10. À cette fin, la Cour a examiné de près la déclaration à la lumière des principes que consacre sa jurisprudence, en particulier l'arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003-VI ; WAZA Spółka z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Sulwińska c. Pologne (déc.), no 28953/03, 18 septembre 2007).
11. Eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu'au montant de l'indemnisation proposée - qui est conforme aux montants alloués dans des affaires analogues-, la Cour estime qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 c)).
12. En outre, à la lumière des considérations qui précèdent, et eu égard en particulier à sa jurisprudence claire et abondante à ce sujet, la Cour estime que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 in fine).
13. En conséquence, il convient de rayer l'affaire du rôle, pour autant qu'elle concerne les griefs tirés d'articles 5 § 4, 6 § 2 et 8 de la Convention.
B. Sur le grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention
14. Invoquant l'article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire.
15. La Cour constate que la détention provisoire s'est étendue du 17 mars 2011 au 19 juillet 2012, soit sur une durée d'environ une année et quatre mois. Il ressort du dossier que jusqu'au 12 avril 2012, le requérant a purgé, en parallèle de sa détention provisoire, une peine de prison infligée dans une autre procédure pénale (paragraphe 3 ci-dessus). La période à prendre en considération après la soustraction de la durée de la peine susmentionnée s'étend en l'espèce sur environ trois mois.
16. La Cour observe qu'en l'espèce, le requérant a été placé en détention provisoire au motif que les éléments réunis par les autorités permettaient de le soupçonner d'avoir commis les infractions à la loi contre les stupéfiants. L'application de cette mesure a été reconduite à des intervalles réguliers, au motif que les soupçons à son encontre persistaient, que les infractions reprochées étaient passibles d'une peine importante et que la détention provisoire était nécessaire pour garantir le bon déroulement de la procédure. La Cour estime que la détention provisoire du requérant a été fondée sur les raisons « pertinentes et suffisantes » et qu'au vu de la durée de la période à considérer, elle n'a pas été contraire à l'article 5 § 3 de la Convention.
17. Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, la Cour estime que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et la rejette en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur concernant les articles 5 § 4, 6 § 2 et 8 de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris ;
Décide de rayer cette partie de la requête du rôle en application de l'article 37 § 1 c) de la Convention ;
Déclare le restant de la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 17 décembre 2015.
Fatoş Aracı Nona Tsotsoria
Greffière adjointe Présidente