Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 janvier 2021 et le 6 juillet 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Vert Marine, représentée par Me
Pierre-Xavier Boyer, demande au
tribunal, dans le dernier état
de ses écritures :
1°)
de condamner la
commune de Beaufort-en-Anjou à lui verser une somme
de 300 000'euros, augmentée des intérêts
de droit à compter du 17 septembre 2020, date
de réception
de la demande préalable d'indemnisation et capitalisés dans les conditions prescrites par l'article
1343-2 du code civil ;
2°) à titre subsidiaire,
de condamner la
commune de Beaufort-en-Anjou à lui verser une somme
de 10 000 euros, augmentée des intérêts et capitalisés dans les mêmes conditions';
3°)
de mettre à la charge
de toute partie succombante la somme
de 5'000 euros en application
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
La société Vert Marine soutient que :
- la procédure
de passation est entachée d'une illégalité fautive dès lors que l'offre retenue méconnait les stipulations
de la convention collective en vigueur et était donc inacceptable ;
- cette illégalité lui a causé un préjudice dès lors que son offre a été classée en deuxième position.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, la
commune de Beaufort-en-Anjou, représentée par Me
Éric Boucher, conclut au rejet
de la requête et à ce qu'une somme
de 3'000'euros soit mise à la charge
de la société Vert Marine au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
Elle fait valoir que :
- aucune irrégularité n'a été commise lors
de la procédure d'attribution ;
- la société Vert Marine ne justifie ni disposer d'une chance sérieuse
de se voir attribuer le contrat ni
de la réalité
de son préjudice indemnisable.
Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture
de l'instruction a été fixée au
30 juillet 2023.
Des observations ont été enregistrées le 12 janvier
2024 pour la société par actions simplifiée Action Développement Loisir (ADL) - Espace Récréa, représentée par Me Christophe Cabanes, qui n'ont pas été communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le code
de justice
administrative ;
- la décision
CE n° 291545 du 16 juillet 2007.
Les parties ont été régulièrement averties du jour
de l'audience.
Ont été entendus au cours
de l'audience publique du 17 janvier
2024 :
- le rapport
de M. Jégard,
- les conclusions
de M. Simon, rapporteur public,
- les observations
de Me Philippon, substituant Me Boyer, représentant la S.A.S. Vert Marine ;
- les observations
de Me Boucher, représentant la
commune de Beaufort-en-Anjou ;
- et les observations
de Me Bernard, substituant Me Cabanes, représentant la société
ADL - Espace Récréa.
Considérant ce qui suit
:
1. La
commune de Beaufort-en-Anjou (Maine-et-Loire) a engagé le
7 juin 2018 une consultation en vue d'attribuer la délégation du service public
de gestion et d'exploitation du centre aquatique "'Phareo'" pour une durée
de cinq ans. La concession a été attribuée le 11 janvier 2019 à la société Action Développement Loisir (ADL). Par une lettre du 15 septembre 2020, reçue le surlendemain par la commune, la société Vert Marine, candidate évincée, a présenté une réclamation indemnitaire à raison du caractère irrégulier
de l'offre présentée par la société ADL. La
commune de Beaufort-en-Anjou a rejeté sa demande le 12 novembre 2020. Par sa requête, la société Vert Marine demande que la commune soit condamnée à lui verser 300 000 euros, augmentée des intérêts et capitalisation
de ceux-ci.
Sur la responsabilité
de la
commune de Beaufort-en-Anjou :
2. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'État, statuant au contentieux, par une décision n° 291545 du 16 juillet 2007, tout concurrent évincé
de la conclusion d'un contrat
administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai
de deux mois à compter
de l'accomplissement des mesures
de publicité appropriées, un recours
de pleine juridiction contestant la validité
de ce contrat ou
de certaines
de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation.
3. Il appartient au juge saisi
de telles conclusions, lorsqu'il constate l'existence
de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature
de l'illégalité éventuellement commise, soit
de prononcer la résiliation du contrat ou
de modifier certaines
de ses clauses, soit
de décider
de la poursuite
de son exécution, éventuellement sous réserve
de mesures
de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits du cocontractant, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.
4. En vue d'obtenir réparation
de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité
de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin
de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours
de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison
de l'illégalité
de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
5. Dans les deux cas, la présentation
de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai
de deux mois suivant l'accomplissement des mesures
de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation.
6. Aux termes
de l'article
1er
de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats
de concession : " I. - Les contrats
de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes
de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité
de traitement des candidats et
de transparence des procédures. / () ". Aux termes
de l'article
L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales applicable aux délégations
de service public : " I.- Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen
de leurs garanties professionnelles et financières,
de leur respect
de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles
L. 5212-1 à
L. 5212-4 du code du travail et
de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / () ". Aux termes
de l'article
L. 2261-2 du code du travail : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. / () " et aux termes
de l'article L. 2261-15 du même code : " Les stipulations d'une convention
de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, () peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application
de cette convention ou
de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé
de la Commission nationale
de la négociation collective,
de l'emploi et
de la formation professionnelle. / () ".
7. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006 la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants': organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; gestion d'installations et d'équipements sportifs. () A titre indicatif, les activités concernées par le champ d'application
de la convention collective nationale du sport relèvent notamment des codes NAF : 93. 11Z (gestion d'installations sportives) () ". Le champ d'application
de la convention collective nationale des espaces
de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini : " La convention collective nationale des espaces
de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises
de droit privé à but lucratif : () - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions
de diverse nature : manèges secs et / ou aquatiques ; spectacles culturels ou
de divertissements avec présentation ou non d'animaux ; décors naturels ou non ; expositions ; actions continues ou ponctuelles d'animation pédagogiques ou non. (). Les entreprises concernées exercent, d'une manière générale, une ou plusieurs activités ludiques et / ou culturelles, en y associant': restauration, attractions, boutiques, destinées, dans le cadre urbain et / ou rural, et / ou commercial, à un marché familial. / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes, étant précisé que bien entendu l'ensemble des codes NAF cités le sont à titre indicatif. Les entreprises répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92. 3F " manèges forains et parcs d'attractions'", remplacée par la codification suivante :
- 93. 21Z : " activités des parcs d'attractions et parcs à thème " ; - 93. 29Zp : " autres activités récréatives et
de loisirs NCA " : parc d'attractions ; parc à thème ou non ; parc aquatique ; aquarium ; transport d'agrément. () Sont exclues du champ d'application les entreprises
de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives'", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives "'; () Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : les piscines ()'".
8. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 6 qu'alors même que ni la législation alors applicable en matière
de passation
de délégations
de service public, dont l'article L.'1411-5 du code général des collectivités territoriales, ni le règlement
de consultation
de la délégation
de service public en litige ne prévoyait un examen des candidatures au regard
de la convention collective appliquée par l'entreprise candidate, une offre qui méconnait les stipulations d'une convention collective doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur et revêt, dès lors, un caractère irrégulier.
9. D'autre part, il résulte des articles
L. 2261-2 et L. 2261-15 cités du code du travail que l'application d'une convention collective étendue se fait au regard
de l'activité principale
de l'employeur, et résulte donc d'une appréciation faite au cas d'espèce, pour chaque entreprise, au regard des champs d'application des conventions collectives susceptibles d'être appliquées. Il est constant que la société ADL, attributaire
de la délégation
de service public destinée à exploiter le centre aquatique
de Beaufort-en-Anjou, ne fait pas application
de la convention collective nationale du sport mais
de celle des espaces
de loisirs, d'attractions et culturels. Pour justifier ce choix, la commune défenderesse se borne à mentionner qu'il a été déterminé par la circonstance que les activités proposées ne sont pas purement sportives mais également ludiques avec notamment l'équipement d'un bassin
de détente loisirs
de 160 mètres carrés et un toboggan avec réception par rampe à hydrofreinage, d'un espace bien-être comportant un hammam, un sauna, des douches massantes ainsi qu'une zone
de repos relaxation
de 25 m². Il résulte par ailleurs
de l'instruction que le groupe Récréa, dont fait partie la société ADL, exerce des activités tant dans les domaines sportifs que ludiques, son site Internet indiquant les domaines suivants': " piscines et centres aquatiques'", "'forme, sports
de raquette, escalade ", " patinoires'", " bases
de loisirs et activités outdoor ", "'spa et espaces bien-être " et " bowling et activités loisirs'". Il résulte
de l'instruction que l'activité confiée à l'attributaire
de la délégation
de service public en litige a principalement pour objet la gestion d'installations et d'équipements sportifs, organisée au sein d'un centre aquatique comprenant notamment un bassin
de 25 mètres comprenant quatre couloirs
de nage et une profondeur d'1,80 mètre. Le rapport d'activité
de la collectivité fait mention du planning d'occupation du centre aquatique avec les diverses activités sportives qui y sont prévues. Un tel équipement, répertorié d'ailleurs sur le site
de la commune comme équipement sportif, a donc principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et
de détente. Une telle activité ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels.
10. Il résulte
de tout ce qui précède que l'offre
de la société ADL, méconnaissant les stipulations
de la convention collective nationale du sport, doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur. Son offre était ainsi irrégulière et aurait pu pour ce motif être éliminée. Par suite, la société Vert Marine est fondée à soutenir qu'elle a été irrégulièrement évincée
de la procédure d'attribution
de cette concession et que cette circonstance est susceptible d'engager la responsabilité
de la
commune de Beaufort-en-Anjou.
Sur les préjudices subis par la société Vert Marine et leur indemnisation :
11. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né
de son éviction irrégulière
de ce contrat et qu'il existe un lien direct
de causalité entre la faute résultant
de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause
de son éviction, il appartient au juge
de vérifier si le candidat était ou non dépourvu
de toute chance
de remporter le contrat. En l'absence
de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre
de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé
de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais
de présentation
de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
12. D'une part, la société requérante, dont l'offre a été classée seconde à l'issue
de la procédure
de sélection pour l'attribution du contrat
de concession du centre aquatique en litige, sans que sa régularité ne soit remise en cause, n'était,
de ce seul fait, pas dépourvue
de toute chance
de remporter le contrat.
13. D'autre part, il ne résulte pas
de l'instruction que l'application
de la convention collective nationale du sport aurait eu en l'espèce un effet sur les offres financières des candidats ni que, en tout état
de cause, le classement final des offres aurait été différent du seul fait
de la modification
de la convention collective au sein
de l'offre
de l'attributaire. En conséquence, alors qu'il n'est pas démontré que l'offre irrégulièrement retenue était pour autant dépourvue
de toute chance
de régularisation, il n'est pas établi que, dans cette hypothèse, la société Vert Marine aurait été désignée attributaire du contrat. Par suite, la société ne démontre pas qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter celui-ci.
14. Il résulte
de ce qui précède que la société Vert Marine est seulement fondée à demander le remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre, dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant à la somme
de 10'000 euros. Il y a lieu
de condamner la
commune de Beaufort-en-Anjou à lui verser cette somme.
Sur les intérêts et la capitalisation :
15. La société Vert Marine a droit aux intérêts au taux légal sur la somme
de
10 000'euros à compter du 17 septembre 2020, date
de sa réclamation indemnitaire préalable, ainsi qu'elle le sollicite.
16. La capitalisation des intérêts a été demandée le 12 janvier 2021. À cette date, les intérêts d'une année n'étaient pas encore dus. Dès lors, conformément aux dispositions
de l'article
1343-2 du code civil, il y a lieu
de faire droit à cette demande à compter du 17 septembre 2021.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge
de la société Vert Marine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la
commune de Beaufort-en-Anjou demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances
de l'espèce,
de mettre à la charge
de la
commune de Beaufort-en-Anjou la somme demandée par la société Vert Marine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La
commune de Beaufort-en-Anjou est condamnée à verser à la société Vert Marine une indemnité
de 10 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2020, les intérêts échus étant capitalisés au 17 septembre 2021 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Vert Marine et à la
commune de Beaufort-en-Anjou.
Délibéré après l'audience du 17 janvier
2024, à laquelle siégeaient :
Mme Rimeu, présidente,
M. Jégard, premier conseiller,
Mme El Mouats St Dizier, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le
7 février 2024.
Le rapporteur,
X. JÉGARDLa présidente,
S. RIMEU
La greffière,
P. LABOUREL
La République mande et ordonne au préfet
de Maine-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires
de justice à ce requis en ce qui concerne les voies
de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution
de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,