Tribunal de Grande Instance de Paris, 3 juillet 2015, 2014/03835

Mots clés société · produits · contrefaçon · concurrence déloyale · risque · marque · inter · serrures · communautaire · astreinte · préjudice · identiques · imitation · douanes · nullité

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2014/03835
Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : BRICARD
Classification pour les marques : CL06 ; CL09 ; CL20
Numéros d'enregistrement : 3213113 ; 3206879 ; 3158598
Parties : BRICARD SA / COS INTER SARL

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 03 Juillet 2015

3ème chambre 3ème section N° RG : 14/03835

Assignation du 24 Février 2014

DEMANDERESSE Société BRICARD SA [...] 77462 LAGNY SUR MARNE CEDEX représentée par Me Caroline CASALONGA de la SELAS C avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0177.

DÉFENDERESSE Société COS INTER SARL [...] - Local 9 93300 AUBERVILLIERS représentée par Me Laurence CARLES, avocat au barreau de SEINE- SAINT-DENIS vestiaire #284

COMPOSITION DU TRIBUNAL Arnaud D. Vice-Président Carine G. Vice-Président Florence BUTIN Vice-Président assisté de Marie-Aline P. Greffier

DÉBATS A l'audience du 02 Juin 2015 tenue en audience publique

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

La société française BRICARD, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de serrures et de ferrures auprès de ses revendeurs et serruriers agréés, est titulaire de : - la marque verbale communautaire BRICARD enregistrée sous le n° 3213113, déposée le 4 juin 2003 en classes 6, 9 et 20 pour désigner notamment des « clefs et serrures »,

-la marque verbale française BRICARD enregistrée sous le n° 03 3 206 879 déposée le 29 janvier 2003 en classes 6, 9 et 20 pour désigner notamment des « clefs et serrures », -la marque semi-figurative française n°02 3 158 598

enregistrée sous le n° 02 3 158 598 déposée le 10 avril 2002 en classe 6 pour désigner notamment des « serrures », ces titres sont désignés ci-après les « marques BRICARD ».

La société Cos Inter a pour objet social le commerce de gros et demi-gros et l'import-export bazar de tous articles non réglementés ». Son siège social est situé [...].

Le 5 février 2014, la société Bricard a été informée par les services des Douanes de Marne La Vallée de la retenue douanière de 2454 produits importés de Chine par la société Cos Inter et susceptibles d'imiter sans son autorisation, la marque BRICARD dont elle est titulaire.

Par acte du 24 février 2014, la société Bricard a assigné la société Cos Inter devant ce tribunal, en contrefaçon des marques BRICARD, concurrence déloyale et parasitisme.

Dans le dernier état de ses prétentions, formées suivant conclusions du 17 novembre 2014 signifiées par voie électronique, la société Bricard demande au tribunal de : -débouter la société Cos Inter de l'ensemble de ses demandes et arguments comme étant mal fondés, -déclarer la société demanderesse recevable et bien fondée en ses demandes, -dire et juger que l'importation, la diffusion, la présentation, la commercialisation, et plus généralement l'exploitation sur le territoire de l'Union européenne, et en particulier en France, par la société Cos Inter de serrures avec le logo «BRICARD» constituent: - des actes de contrefaçon par reproduction des marques verbales BRICARD française n° 03 3 206 879 et communautaire n° 3213113 dont la société Bricard est titulaire, - des actes de contrefaçon par imitation, au regard du risque de confusion de la marque française n° 02 3 158 598, - et, à titre subsidiaire, des actes de concurrence déloyale à rencontre de la société Bricard, -dire et juger que l'importation, la diffusion, la présentation, la commercialisation et plus généralement l'exploitation sur le territoire de l'Union européenne, et en particulier en France par la société Cos Inter des produits revêtus du logo

constituent des actes distincts de concurrence déloyale et de parasitisme à l’encontre de la société BRICARD. En conséquence. -interdire à la société Cos Inter sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée et par jour de retard, à compter du prononcé du jugement à intervenir, de : -faire usage, reproduire et imiter la marque française n° 02 3 158 598, les marques BRICARD française n° 03 3 206 879 et communautaire n° 3213113, à quelque titre et sur quelque support que ce soit, pour désigner notamment des serrures ; -diffuser, importer, exporter, présenter, commercialiser ou faire commercialiser, et plus généralement exploiter sur le territoire de l'Union européenne, et en particulier en France, tout produit revêtu de la dénomination et/ou du logo imitant la marque française n° 02 3 158 598 : les marques BRICARD française n° 03 3 206 879 et communautaire n° 3213113 , -ordonner la destruction du stock de produits contrefaisants par un huissier au choix de la société Bricard et aux frais de la société Cos Inter et ce, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 5 jours à compter de la signification du jugement à intervenir. -dire que le tribunal se réserve la compétence de prononcer la liquidation desdites astreintes. -condamner la société Cos Inter à lui payer la somme de 30.000 euros, sauf à parfaire, pour atteinte portée à la marque et constitutif d'actes de contrefaçon ou, à titre subsidiaire, d'actes de concurrence déloyale, -condamner la défenderesse à lui payer la somme de 20.000 euros, sauf à parfaire, au titre des actes distincts de concurrence déloyale et de parasitisme. -ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois revues ou journaux, français ou étrangers, au choix de la société Bricard et aux frais avancés par la société Cos Inter, à concurrence de 4.500 euros HT par insertion, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires. -condamner la même à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, -condamner la société défenderesse aux dépens, -ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Au soutien de ses prétentions, la société Bricard expose que :

-elle justifie avoir fait une demande d'intervention auprès des Douanes et le Procureur a été avisé de la retenue : la procédure douanière est parfaitement régulière. -les produits appréhendés sont identiques, peu important les différences d'emballage, -la marque verbale est reproduite, la marque communautaire est imitée (dessin avec une tour, indépendamment de l'inversion des couleurs, sans incidence aucune), -il existe un risque de confusion, qui est évalué au regard du public d'attention moyenne qui constitue le public pertinent et qui est d'autant plus élevé que la marque est réputée. -les serrures sont copiées servilement, les emballages portent le même logo, vantent les qualités prétendues des produits, elles sont destinées à la même clientèle. Les actes de concurrence déloyale sont constitués et génèrent un détournement d'investissements.

Dans ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 08 septembre 2014, la société Cos Inter demande au tribunal de : In limine litis : -dire et juger que la procédure prévoie par l'article L.716-8-1 du code de la propriété intellectuelle n'a pas été respectée, -prononcer la nullité de la retenue de marchandises effectuée par les services des douanes au préjudice de la société Cos Inter. -prononcer la nullité de la procédure de saisie des marchandises subséquente. À titre principal : -dire et juger mal fondée la société demanderesse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions tant du chef de contrefaçon de marque que de celui de concurrence déloyale et de parasitisme, -dire et juger que la société Bricard ne justifie aucunement de ses prétendus préjudices tant sur le fondement de la contrefaçon que sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, -la débouter de l'intégralité de ses demandes formulées sur les chefs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale et de parasitisme. A titre subsidiaire et en cas de condamnation de la société Cos Inter: -réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts sollicités par la société Bricard, En tout état de cause : -condamner la société Bricard à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, -condamner la même aux dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Laurence CARLES, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Cos Inter expose que : -elle exploite depuis 2012 une activité d'import-export de gros non spécialisée, dite de "bazar". -elle a fait l'objet d'un contrôle inopiné des services des Douanes, les 03 et 04 février 2014 qui ont découverts non pas en magasin, mais dans l'entrepôt, les marchandises litigieuses. -elle invoque in limine litis, l'irrégularité de la procédure douanière, -elle conteste la matérialité de la contrefaçon. -elle conteste la matérialité de la concurrence déloyale, car les activités commerciales des sociétés, les clientèles respectives sont distinctes et il n'existe pas entre elles de concurrence directe. -Subsidiairement, elle invoque l'absence de préjudice de son adversaire ou plus subsidiairement, demande la réduction des prétentions de celle-ci.

La procédure a été clôturée le 12 mai 2015 et plaidée le 02 juin 2015. MOTIFS DE LA DÉCISION

Compte tenu des pièces communiquées par son adversaire en cours de procédure, la société Cos Inter indique abandonner le moyen tiré de la nullité de la procédure de saisie douanière.

Sur la contrefaçon

En application des dispositions de l'article 1.713-3 b/ du code de la propriété intellectuelle "sont interdits, sauf autorisation dit propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement"

L'article L713-2 du même code interdit quant à lui la reproduction et l'usage d'une marque reproduite, pour des produits identiques à ceux désignés dans l'enregistrement.

L'article 9, § 1 du règlement (CE) n° 207/ 2009 du 26 février 2009, applicable aux marques communautaires, dispose que " la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : a/d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée, b/ d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque".

La société Bricard est titulaire de deux marques françaises verbale et semi-figurative et d'une marque verbale communautaire, pour désigner des produits de "clefs et serrures".

La procédure douanière du 10 février 2014 a révélé que la société Cos Inter, dont le siège social est à Aubervilliers, détenait dans ses entrepôts, 2454 serrures, présumées contrefaisantes des marques de la société Bricard.

Les produits litigieux sont présentés, serrures apparentes sous blister transparent, sur un fond cartonné de couleur vert et jaune, avec dans la partie supérieure droite du packaging, la mention en lettres d'imprimerie bleues "BRICARD-SERRURE ENCASTRE (sic)"précédée d'un logo de forme ovale de couleur bleue dans lequel sont représentés en blanc les contours d'une tourelle. La société demanderesse invoque la reproduction à l'identique et l'imitation de ses marques par le signe contesté et son utilisation pour désigner des produits identiques.

* contrefaçon par reproduction

La reproduction à l'identique d'une marque pour un produit ou service identique à ceux visés dans son enregistrement ne requiert pas la démonstration d'un risque de confusion. En l'occurrence, les produits litigieux sont des produits identiques à ceux visés à l'enregistrement (à savoir des serrures) et reproduisent à l'identique les marques verbales française n° 03 3 206 879 et communautaire n° 3213113. La contrefaçon par reproduction des marques précitées est donc caractérisée.

* contrefaçon par imitation

La contrefaçon par imitation d'une marque nécessite la démonstration d'un risque de confusion résultant de l'identité ou la similitude des signes et des produits et services, lequel doit donc être apprécié globalement à partir de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte notamment de leurs éléments distinctifs et dominants.

Le public pertinent pour apprécier le risque de contrefaçon est un consommateur d'attention moyenne, normalement informé et avisé, et non pas comme le soutient la société défenderesse, un professionnel spécialisé. En effet, quand bien même il s'agit de serrures encastrées, elles sont offertes à la vente dans des magasins de bricolage ouverts au grand public et leur pose ne requiert pas de compétences professionnelles particulières.

Les produits litigieux sont strictement identiques à ceux visés par l'enregistrement de la marque n° 2 3 158 598, à savoir "serrurerie métallique non électrique".

La défenderesse ne critique pas le fait que le signe semi-figuratif présent sur les produits litigieux comporte, tout comme la marque semi-figurative de la demanderesse, le dessin de la même tour, en contours blancs, dans un ovale de couleur bleue, alors que le signe premier présente des contours noirs sur un fond blanc, dans un ovale. Ces différences entre les signes sont néanmoins accessoires.

Il n'y a pas lieu par ailleurs de discuter l'argumentation de la société Cos Inter, pointant les différences de détail relatives aux mentions portées sur l'emballage des produits, qui n'ont trait ni aux signes, ni aux produits en cause et sont sans objet avec la qualification de la contrefaçon. Ainsi, l'identité des produits concernés alliée à la forte similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble entraîne un risque de confusion, le consommateur d'attention moyenne, étant amené à attribuer aux services proposés une origine commune, ce risque étant d'autant plus accru que la marque Bricard est ancienne et identifiée par le consommateur.

La contrefaçon par imitation de la marque semi-figurative française précitée est ainsi caractérisée.

Sur la concurrence déloyale

Les agissements déloyaux d'un commerçant, autres que ceux constitutifs de la contrefaçon de marque, sont susceptibles d'être sanctionnés, au titre de la concurrence déloyale sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, dès lors qu'il existe un risque de confusion avec l'activité ou les produits du demandeur, sans qu'il soit nécessaire de qualifier entre eux, une situation de concurrence.

En l'espèce, les éléments invoqués par la société Bricard, à savoir, l'offre de copies serviles des serrures à mortaiser qu'elle commercialise, à destination de la même clientèle, la reproduction de la marque sur les emballages du logo litigieux ne constituent pas des faits distincts de ceux résultant des actes de contrefaçon, et l'apposition sur l'emballage de la mention "protection renforcée" n'est pas susceptible à elle seule d'induire en erreur le consommateur sur la qualité des produits et de qualifier les actes fautifs contraires aux usages du commerce, de sorte que la demande formée à ce titre doit être rejetée.

Sur les mesures réparatrices

L'article L716-14 du code de la propriété intellectuelle dispose dans sa version en vigueur jusqu'au 13 mars 2014 que « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ».

La société Bricard commercialise ce type de serrures, au prix unitaire de 11 euros HT et la masse contrefaisante porte sur 2454 serrures.

Cependant, les articles litigieux, objets de la retenue douanière, n'ont pas été présentés à la vente et n'ont en conséquence pas induit pour la demanderesse, un quelconque manque à gagner. Par contre, le titulaire des marques supporte un préjudice lié à l'atteinte à ses marques, qu'il convient d'indemniser au regard de la valeur de celles-ci et de leur identification par le public, en lui allouant une somme globale de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Eu égard à l'ancienneté des faits, qui ont en outre été circonscrits du fait de la procédure douanière, la mesure de publication judiciaire n'apparait pas justifiée et sera écartée. Par contre, il convient de faire droit suivant les modalités exposées au dispositif de la présente décision, à la mesure sollicitée de destruction des produits litigieux.

Sur les autres demandes

La société Cos Inter, partie perdante, sera condamnée aux dépens, ainsi qu'au paiement à la société Bricard d'une indemnité pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à la somme de 4.000 euros.

Les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire qui appâtait nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.

PAR CES MOTIFS

,

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort.

Dit qu'en important des serrures revêtues de signes verbaux et semi-figuratifs reproduisant et imitant les marques Bricard, la société Cos Inter s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon des marques françaises n° 03 3 206 879 et n° 2 3 158 598 et communautaire n° 32131 13, appartenant à la société Bricard.

Condamne la société Cos Inter à verser à la société Bricard la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant de l'atteinte à ses marques.

Fait interdiction à la société Cos Inter de poursuivre de tels agissements, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification du présent jugement.

Ordonne à la société Cos Inter de faire procéder à ses Irais sous le contrôle d’un huissier de justice choisi par la société Bricard et rétribué par la société Cos Inter à la destruction du stock de produits contrefaisants, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

Dit que le tribunal se réserve la liquidation de ['astreinte,

Condamne la société Cos Inter à payer à la société Bricard la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Déboute les parties du surplus de leurs demandes. Condamne la société Cos Inter aux dépens.

Ordonne l'exécution provisoire.