ARRET
N°
[W]
C/
[Z] épouse [W]
MS/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU VINGT SIX JUILLET
DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/05097 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IICO
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU JUGE DE L'EXECUTION DE SENLIS DU QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [X], [A], [K], [H] [W]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 7] (congo belge)
de nationalité Belge
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me
Mélanie CRONNIER, avocat au barreau de SENLIS
APPELANT
ET
Madame [S] [G] [Z] épouse [W]
née le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me
Sibylle DUMOULIN de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me
Audrey AVRAMO-LECHAT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
DEBATS :
A l'audience publique du 24 mai 2022, l'affaire est venue devant Mme Myriam SEGOND, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article
805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 juillet 2022.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier et de Mme Chloé GOULAIN, juriste assistante.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 26 juillet 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et le Président étant empêché, la minute a été signée par Mme Myriam SEGOND, Conseiller, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Dans le cadre d'une instance en divorce entre M. [W] et Mme [Z], M. [W] a été condamné à payer à son épouse une somme de 2 000 euros à titre de provision pour frais de l'instance par ordonnance de non-conciliation du 23 juillet 2019 et une somme de 1 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile par ordonnance du juge de la mise en état du 1er décembre 2020.
Le 12 février 2021, Mme [Z] a signifié à M. [W] un commandement afin de saisie-vente avant de mettre en oeuvre la saisie-vente par procès-verbal du 15 juillet 2021 pour le recouvrement de la somme de 3 865,51 euros, soit 3 000 euros en principal, 342,71 euros en intérêts et 522,80 euros en frais.
La liste des biens saisis a été établie comme suit :
- 1 peinture signée [M]
- 4 petites assiettes creuses en porcelaine bleue
- 2 vases en porcelaine bleue
- 1 grand pot avec couvercle en porcelaine bleue
- 2 pots de taille moyenne en porcelaine bleue
- 1 peinture signée [O] [C]
- 1 ensemble de 24 bougeoirs ou chandelier en verre (cristal)
- 2 saladiers en verre
- 1 petite peinture signée [N]
- 1 petite peinture représentant une nature morte (fleurs) pas de signature apparente
- 1 peinture sur bois (petite taille) à caractère religieux (icône)
- 1 peinture sur bois (petite taille) à caractère religieux (icône)
- 1 petite peinture représentant un berger avec moutons, la signature semble être Nietlels
- 1 petite peinture signée [E] [Y] 1879-1950
- 2 statuettes représentant un chien (style bronze)
- 1 statuette représentant un cheval (style bronze)
- 1 peinture signée [D] [R]
- 1 peinture représentant une femme qui porte un panier (pas de signature visible)
- 1 armoire en bois sculpté
- 1 petite table ovale en bois
- 3 vases en verre de couleur verte (type cristal).
Par acte du 11 août 2021, M. [W] a contesté cette saisie devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Senlis.
Par jugement du 14 octobre 2021, le juge de l'exécution a pour l'essentiel :
- débouté M. [W] de sa demande de compensation,
- débouté M. [W] de sa demande de condamnation de Mme [Z] à lui payer la somme de 411,27 euros,
- annulé partiellement le procès-verbal de saisie-vente en ce qui concerne les biens suivants qui doivent en être exclus :
- 1 peinture signée [M]
- 4 petites assiettes creuses en porcelaine bleue
- 2 vases en porcelaine bleue
- 1 peinture signée [O] [C]
- 1 ensemble de 24 bougeoirs ou chandelier en verre (cristal)
- 1 peinture signée [N]
- 1 peinture signée [E] [Y]
- 1 peinture [D] [R]
- 1 armoire en bois sculpté
- 3 vases en verre de couleur verte (cristal)
- ordonné la mainlevée de la saisie quant à ces objets,
- débouté Mme [Z] de sa demande indemnitaire pour résistance abusive,
- condamné M. [W] à payer à Mme [Z] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 22 octobre 2021, M. [W] a régulièrement fait appel.
L'affaire a été fixée à l'audience des débats du 24 mai 2022 où l'instruction a été clôturée.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Dans ses dernières conclusions du 31 janvier 2022, M. [W] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement,
- constater l'extinction de son obligation de paiement de la provision ad litem du fait de la compensation,
- condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 411,27 euros au titre du trop-versé de la provision ad litem,
- annuler la saisie et en ordonner la mainlevée,
- condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
Il soutient qu'il a fait payer à la société Ekwateur, son fournisseur d'électricité, des sommes sur le compte bancaire de Mme [Z] et qu'il a payé à l'école les frais scolaires 2019-2020 pour une part excédant celle due au titre de l'ordonnance de non-conciliation du 23 juillet 2019. Il fait valoir que les sommes ainsi versées se compensent avec sa dette à l'égard de Mme [Z] au titre de la provision ad litem, ce qui a entraîné l'extinction de son obligation au paiement de celle-ci. Il ajoute que la provision ad litem n'a pas un caractère alimentaire, de sorte que l'article
1347-2 du code civil ne trouve pas à s'appliquer. Il conclut à la nullité de la saisie, sur le fondement de l'article
R. 221-50 du code des procédures civiles d'exécution au motif qu'il n'est pas propriétaire des biens saisis appartenant à son frère M. [U] [W] qui les a mis à sa disposition pour meubler son logement suite à un précédent divorce.
Dans ses dernières conclusions du 31 janvier 2022, Mme [Z] demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a annulé partiellement le procès-verbal de saisie-vente, ordonné la mainlevée de la saisie quant aux objets énumérés et l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- débouter M. [W] de sa demande d'annulation et de mainlevée de la saisie,
- valider la saisie dans son intégralité,
- condamner M. [W] à lui payer la somme de 1 500 euros pour résistance abusive et celle de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile, outre les dépens avec paiement direct au profit de Me Sybille Dumoulin.
Elle réplique que la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes, que si M. [W] est débiteur envers elle, elle n'est débitrice d'aucune somme envers lui en l'absence de titre exécutoire. Sur les sommes payées par la société Ekwateur, elle fait valoir qu'elle n'a jamais communiqué ses coordonnées bancaires à cette société et qu'elle a refusé le virement de la somme de 495 euros. Sur le paiement des frais scolaires, elle prétend que c'est une société tierce, Luxoprototyping qui les a payés. Elle soutient qu'en tout état de cause, elle n'a pas consenti à la compensation comme l'article
1347-2 du code civil le prévoit. Sur la demande de nullité de la saisie, elle indique que M. [W] est présumé propriétaire des meubles garnissant son domicile en application de l'article
2276 du code civil, présomption qui ne peut être renversée que par la fourniture d'un titre contraire, ce qu'il ne fait pas. Elle ajoute que M. [W] résiste abusivement à l'exécution des décisions de justice, ce qui l'a contrainte à demander une aide financière à son entourage amical et à quitter son logement pour intégrer un logement social en janvier 2021.
MOTIVATION
- Sur la compensation
Aux termes de l'article
1347 du code civil, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.
La compensation ne peut s'opérer entre la créance d'une personne contre une autre et sa dette envers une troisième.
Mme [Z] a une créance de 3 000 euros à l'égard de M. [W] en exécution des ordonnances des 23 juillet 2019 et 1er décembre 2020.
Par un courriel du 21 octobre 2020, la société Ekwateur a informé son client M. [W] du remboursement de deux dettes de 8,57 et 110,05 euros, par trois virements sur le compte bancaire de Mme [Z], de 1 167,22 euros le 1er février 2020, 91,48 euros le 15 juin 2020 et 495 euros le 21 octobre 2020. Mme [Z] a rejeté le troisième virement.
Cependant, il n'est pas précisé à quel titre ces remboursements ont été faits, d'autant qu'il existe une disproportion importante entre les sommes dues par la société Ekwateur et celles qu'elle a remboursées à Mme [Z] pour le compte de M. [W]. Ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution selon l'article
1302 du code civil. Le paiement fait par la société à Mme [Z] l'a rendue débitrice, non à l'égard de M. [W], mais de la société qui est un tiers au rapport d'obligations entre les parties.
En l'absence de réciprocité, la compensation entre l'obligation de M. [W] au paiement de la provision ad litem et celle de Mme [Z] ne peut intervenir.
Si aux termes de l'article
1342-1 du code civil, non invoqué par les parties, le paiement peut être fait même par une personne qui n'y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier, le refus de Mme [Z] était légitime puisqu'elle n'a pas communiqué ses données personnelles à la société et n'a pas été informée préalablement par M. [W] des modalités de paiement de sa dette qu'il a déterminées de manière unilatérale.
En outre, selon l'article
1347-2 du code civil, les créances insaisissables ne sont compensables que si le créancier y consent.
La provision pour frais d'instance est accordée en considération du devoir de secours à celui qui n'a d'autre possibilité que de mettre en 'uvre, ou bien de défendre à la procédure de divorce. La créance à ce titre ayant un caractère alimentaire est insaisissable, ce qui fait obstacle à la compensation légale à défaut de consentement de Mme [Z].
La créance de provision de Mme [Z] ne peut donc se compenser ni avec les sommes payées par la société Ekwateur ni avec celles payées par M. [W] et excédant son obligation au paiement des frais scolaires de l'enfant commun.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de compensation et rejeté sa demande en restitution de l'indu.
- Sur la demande d'annulation de la saisie
Aux termes de l'article
R. 221-50 du code des procédures civiles d'exécution, le débiteur peut demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n'est pas propriétaire.
La saisie ayant été effectuée au domicile de M. [W], la présomption de l'article
2276 alinéa 1 du code civil s'applique. Selon cet article, en fait de meuble, la possession vaut titre. Il appartient à M. [W] d'apporter la preuve qu'il n'est pas propriétaire des biens se trouvant à son domicile, cette preuve pouvant se faire par tous moyens.
M. [W] s'appuie sur un inventaire établi le 1er janvier 2006 avec son frère M. [U] [W] des biens que ce dernier aurait mis à sa disposition pour une période indéterminée en vue de son ameublement. L'essentiel des biens saisis est mentionné parmi ceux inventoriés. M. [W] verse en outre des attestations. M. [F] a indiqué avoir, en janvier 2006, aidé M. [U] [W] à charger les meubles dans un camion pour les décharger au domicile de son frère [X]. Mme [J] [L] a affirmé que M. [W] lui avait dit que les meubles garnissant son domicile appartenait à son frère. Enfin, dans un courrier du 22 octobre 2021, M. [U] [W] a ajouté que les statuettes sont des cadeaux faits au fils de son frère [X], M. [P] [W].
Cependant, ces documents constituent pour l'essentiel des productions ou relations de déclarations de M. [W], qui a la charge de prouver son défaut de qualité de propriétaire, ou de son frère qui n'a, au demeurant, pas demandé la distraction des objets dont il se prétend propriétaire. Par ailleurs, l'attestation de M. [F] est trop imprécise quant aux objets prétendument prêtés. Aucune facture n'est produite, ce qui permettrait d'en déterminer le propriétaire de manière plus certaine.
Ces éléments ne sont pas suffisants pour renverser la présomption de propriété qui pèse sur M. [W] en sa qualité de possesseur des objets saisis.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé partiellement la saisie et en a ordonné la mainlevée partielle, ces demandes étant rejetées.
- Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
Aux termes de l'article
L. 121-3 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur en cas de résistance abusive.
Il est établi que M. [W] n'exécute pas correctement les décisions de justice alors qu'il en a les moyens financiers, l'ordonnance du 1er décembre 2020 ayant rejeté ses demandes de suppression de la pension alimentaire et de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant au motif qu'il n'était pas transparent sur sa situation financière. Il est en outre poursuivi pour des faits d'abandon de famille commis entre le 10 février 2020 et le 14 avril 2021. Mme [Z] est, de son côté, dans une situation financière délicate, ce qu'elle prouve par le courrier du 11 janvier 2021 d'attribution d'un logement social, corroboré par deux attestations d'amis, M. [B] et Mme [I], qui indiquent l'avoir aidée financièrement au cours de l'année 2020. La résistance abusive de M. [W] est établie, causant un préjudice à Mme [Z] caractérisé par ses difficultés financières.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de Mme [Z] et il lui sera alloué la somme de 1 000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
- Confirme, dans la limite du recours, le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a annulé partiellement le procès-verbal de saisie-vente, ordonné sa mainlevée quant à certains objets et débouté [S] [Z] de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
- Rejette les demandes d'annulation du procès-verbal de saisie-vente et de mainlevée de la saisie,
- Condamne [X] [W] à payer à [S] [Z] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Y ajoutant :
- Condamne [X] [W] aux dépens d'appel avec paiement direct au profit de Me Sybille Dumoulin,
- Vu l'article
700 du code de procédure civile, condamne [X] [W] à payer à [S] [Z] la somme de 3 000 euros.
LE GREFFIERP/LE PRESIDENT EMPECHE