AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu que M. X..., salarié de la société Everite, spécialisée dans la fabrication de produits en amiante-ciment, de 1951 à 1985, a été reconnu atteint d'asbestose professionnelle à compter du 30 janvier 1990 ; que le 27 janvier 1997, il a saisi la Caisse primaire d'assurance maladie en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, puis, le 18 mars 1997, le tribunal des affaires de sécurité sociale ; que l'arrêt infirmatif attaqué (Bordeaux, 5 juillet 2000) a déclaré l'action prescrite, mais, statuant en application de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998, a dit que la maladie professionnelle de M. X... était due à la faute inexcusable de son employeur, fixé la majoration de rente au maximum, déclaré inopposable à la société Everite, en raison du caractère non contradictoire de la procédure, la reconnaissance de la maladie professionnelle par la Caisse primaire d'assurance maladie, dit que cette Caisse ne pourrait pas recouvrer contre la société les sommes qu'elle devra verser en raison de la faute inexcusable de l'employeur, ordonné une expertise médicale, et débouté les compagnies d'assurance susceptibles de garantir la société Everite, mises en cause à la demande du tribunal, de leur demande de mise hors de cause ;
Sur le premier moyen
du pourvoi principal de la société Everite, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Everite fait grief à
la cour d'appel d'avoir déclaré recevables les demandes fondées sur les dispositions de l'article 40 de la loi n° 98-1184 du 23 décembre 1998, alors, selon le moyen :
1 / que le paragraphe II de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 vise la réouverture "des droits aux prestations et indemnités dont les organismes sociaux ont la charge", ce qui ne correspond pas aux majorations de rente et indemnités complémentaires pour faute inexcusable, lesquelles sont, en vertu des articles
L. 452-2 et
L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, remboursés par l'employeur, la Caisse se bornant à en faire l'avance, de sorte que viole l'article 40 précité l'arrêt attaqué qui décide la réouverture des délais de prescription pour les demandes fondées sur l'allégation d'une faute inexcusable et laisse s'instaurer un débat sur celle qui est imputée à la société Everite ;
2 / que si l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 dispose que les droits et indemnités auxquelles peuvent prétendre les victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante "sont rouverts", c'est uniquement pour permettre à ces victimes d'exercer lesdits droits lorsqu'elles ne les ont pas mis en oeuvre en temps utile et nullement pour permettre à celles dont l'affection a été régulièrement prise en charge de formuler distinctement des demandes de majoration de leurs prestations et indemnités en raison d'une faute inexcusable de l'employeur, demandes complémentaires qu'elles s'étaient abstenues de solliciter en laissant intervenir la prescription ;
3 / que le paragraphe III de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 dispose que "les droits qui résultent des dispositions du paragraphe II prennent effet de la date du dépôt de la demande", laquelle doit donc être instruite conformément à la procédure de l'article
L. 452-4 du Code de la sécurité sociale ; que le paragraphe II du même texte ne prévoit aucune dérogation à cette procédure ; que dès lors, en autorisant la victime à formuler directement dans le cadre d'une instance judiciaire une demande d'indemnisation au titre de l'article 40 et en la dispensant de se conformer à la procédure de l'article
L. 452-4 susvisé, qui impose la recherche préalable d'un règlement amiable auprès des Caisses, et à celle des articles
R. 441-10 et suivants du Code de la sécurité sociale, l'arrêt attaqué, qui évoque directement ces droits nouveaux, a violé les textes précités ; que la recherche d'une solution amiable avec la Caisse, exclusive d'un contentieux, s'impose d'autant plus que, selon le paragraphe IV de l'article 40, la prise en charge des prestations et indemnités allouées dans le cadre de ce texte est supportée par le régime général de sécurité sociale, sans participation de l'employeur ;
Mais attendu
que l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, tel que modifié par l'article 49 de la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001, applicable aux procédures en cours, rouvre les droits aux prestations, indemnités et majorations prévues par les dispositions du Livre IV du Code de la sécurité sociale, y compris en cas de faute inexcusable de l'employeur, au profit des victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ou provoquées par elles dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er juillet 1947 et l'entrée en vigueur de la loi, sans distinguer selon que la victime avait ou non fait constater sa maladie en temps utile ;
Et attendu, enfin, que la cour d'appel, saisie d'une demande d'indemnisation supplémentaire pour faute inexcusable a déclaré à bon droit recevable l'action tendant aux mêmes fins fondée sur les dispositions de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur les deuxième et troisième moyens
, pris en leurs diverses branches, tels qu'ils figurent au mémoire en demande et qu'ils sont reproduits en annexe :
Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article
L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Et attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Everite avait commis une faute inexcusable ; que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;
Sur les deux moyens réunis du pourvoi incident de la compagnie Mutuelles du Mans assurances, en leurs diverses branches, et sur le moyen
unique du pourvoi provoqué de la compagnie AXA Corporate Solutions, en ses deux branches, tels qu'ils figurent dans les mémoires et qu'ils sont reproduits en annexe :
Attendu, d'abord,
qu'aux termes de l'article
R. 142-19 du Code de la sécurité sociale, la comparution des parties devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est provoquée par une convocation délivrée par le secrétariat du tribunal ; que le tribunal, en ordonnant la mise en cause des compagnies d'assurances susceptibles de garantir la société Everite pour le cas où il serait établi que la maladie professionnelle est due à sa faute inexcusable, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient de l'article
332 du nouveau Code de procédure civile ;
Et attendu, ensuite, que l'intervention forcée ordonnée par le tribunal, qui ne tendait qu'à une déclaration de jugement commun, et non à une décision sur les relations entre les parties et les intervenants forcés, entrait dans la compétence des juridictions de sécurité sociale ;
D'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE les pourvois principal, incident et provoqué ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la compagnie Les Mutuelles du Mans ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille deux.