Cour de cassation, Chambre sociale, 15 mai 2013, 11-24.218, Publié au bulletin

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2013-05-15
Cour d'appel d'Orléans
2011-06-29
Cour d'appel d'Orléans
2009-07-01

Résumé

Seul habilité à se prononcer sur le coût de l'expertise prévue à l'article L. 4614-12 du code du travail, le président du tribunal de grande instance est compétent pour statuer sur la demande de l'expert dirigée contre l'employeur. Viole l'article L. 4614-13 du code du travail la cour d'appel qui refuse de faire supporter à l'employeur le coût de l'expertise dont l'annulation a été ultérieurement prononcée alors, d'une part, que, tenu de respecter un délai qui court de sa désignation pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la cour d'appel se soit prononcée sur le recours formé contre une décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert et, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le CHSCT qui l'a désigné, faute de budget pouvant permettre cette prise en charge

Texte intégral

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que par délibération du 18 décembre 2008, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'établissement Michelin a décidé d'avoir recours à la mesure d'expertise prévue par l'article L. 4614-12 du code du travail, qu'il a confiée à la société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (ISAST) ; que le président du tribunal de grande instance de Tours, statuant en la forme des référés, a débouté le 17 février 2009 l'employeur de sa contestation de la nécessité du recours à expertise ; que, le 1er juillet 2009, la cour d'appel a annulé la délibération du CHSCT et condamné l'employeur au paiement des frais irrépétibles et des dépens, en l'absence d'abus du CHSCT ; que la société ISAST a saisi le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés d'une demande de recouvrement de ses honoraires formée à l'encontre de l'employeur ; Sur le pourvoi incident formé par l'employeur, qui est préalable : Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 28 décembre 2010 par laquelle le président du tribunal de grande instance a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur alors, selon le moyen, que l'article R. 4624-19 du code du travail dispose que « le président du tribunal de grande instance statue en urgence sur les contestations de l'employeur relatives à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise » ; que ce texte ne vise strictement que les rapports entre l'employeur et le CHSCT, de sorte que le président du tribunal de grande instance et la cour d'appel statuant en la forme des référés ne pouvaient statuer dans le cadre de la procédure instituée par ce texte, pour trancher une demande en recouvrement de ses honoraires, formée par un tiers, à savoir le cabinet d'expertise comptable dont la réclamation relevait du droit commun ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé et l'article L. 4614-13 du code du travail ; Mais attendu que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le président du tribunal de grande instance, seul habilité à se prononcer sur le coût de l'expertise, était compétent pour statuer sur la demande de l'expert dirigée contre l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen

unique du pourvoi principal :

Vu

l'article L. 4614-13 du code du travail ;

Attendu que pour débouter l'expert de sa demande de paiement de ses honoraires, l'arrêt retient

qu'il a réalisé sa mission en dépit de l'absence d'exécution provisoire de l'ordonnance du 17 février 2009 et de l'effet suspensif de l'appel interjeté par l'employeur contre cette décision et que si l'article R. 4614-18 du code du travail prévoit que la mission de l'expert doit être exécutée dans les 45 jours, ce délai n'est assorti d'aucune sanction ;

Qu'en statuant ainsi

, alors d'une part, que, tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la cour d'appel se soit prononcée sur le recours formé contre une décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert, et alors, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l'a désigné, faute de budget pouvant permettre cette prise en charge, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi incident ; CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 28 décembre 2010 par laquelle le président du tribunal de grande instance a débouté la société ISAST de sa demande en paiement de ses honoraires, l'arrêt rendu le 29 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ; Condamne la société Manufacture française des pneumatiques Michelin aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne également à payer à la société ISAST la somme de 2 500 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille treize

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la société Intervention sociale et alternatives en santé au travail (demanderesse au pourvoi principal). Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société ISAST de sa demande en paiement de la somme de 28512,34 euros à titre d'honoraires de sa mission d'expertise. AUX MOTIFS propres QUE Sur l'exception d'incompétence : Attendu qu'en limitant par les articles L 4614-13, R. 4614 - 19 et R. 4614 - 20 du code du travail la compétence du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés aux contestations principalement soulevées par l'employeur quant à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, le législateur n'a nullement entendu écarter la possibilité pour le CHSCT ou l'expert de saisir également cette juridiction de ces mêmes points ; Qu'après avoir relevé que l'action engagée par la société ISAST était relative à l'expertise prescrite et à son paiement, c'est donc à bon droit que le premier juge a écarté l'exception d'incompétence soulevée par la société MICHELIN qui concluait au renvoi de l'affaire devant le tribunal de grande instance de TOURS ; Que la décision entreprise de ce chef doit être confirmée ; Sur le fond : Attendu que par son arrêt du 1er juillet 2009 ayant infirmé l'ordonnance du 17 février 2009, la cour de céans a non seulement annulé la délibération du CHSCT du 20 novembre 2008, mais a dit également n'y avoir lieu à expertise ; Que par l'effet de l'annulation prononcée, la décision du CHSCT est donc censée n'avoir jamais existé ; Qu'en dépit de l'absence d'exécution provisoire de l'ordonnance du 17 février 2009, et malgré encore l'effet suspensif de l'appel interjeté par la société MICHELIN contre cette décision, la société ISAST n'en a pas moins décidé d'entreprendre les investigations et entretiens nécessaires à l'expertise prescrite par le CHSCT et de les achever par le dépôt de son rapport la veille du prononcé de l'arrêt du 1er juillet 2009 ; Que la société MICHELIN avait pourtant pris la précaution par deux courriers des 10 décembre 2008 et 9 mars 2009 de l'informer de ses contestations ; que dans le premier, elle la mettait ainsi en garde sur le risque de ne pas être payée en cas d'annulation de la décision du 20 novembre 2008 ; que le même avertissement lui était notifié dans le second, en même temps que la société MICHELIN lui annonçait avoir formalisé un appel ; Que la règle jurisprudentielle par ailleurs invoquée par l'appelante, selon laquelle l'employeur serait tenu de prendre en charge les frais d'expertise et de procédure sauf abus du CHSCT, n'a pas lieu ici de s'appliquer puisque c'est l'expert qui a choisi de poursuivre directement en paiement l'employeur ; Que de même, si des délais figurent bien aux textes cités par l'appelante, dont celui de l'article R. 4614-18 du code du travail prévoyant que la mission de l'expert doit être exécutée dans les 45 jours, aucune sanction ne les assortit, ce qui a pour conséquence de les priver de tout caractère contraignant ; que l'appelante ne justifie d'ailleurs d'aucune mise en demeure de la part de son donneur d'ordre; Qu'est tout aussi inopérant le moyen soulevé selon lequel elle n'aurait pas été appelée en déclaration d'ordonnance commune, les textes régissant l'action en contestation n'exigeant là encore nullement la mise en cause de l'expert mandaté par le CHSCT ; Qu'aucun lien contractuel n'aurait d'ailleurs pu fonder une telle initiative procédurale ; que la production du document rédigé par la société MICHELIN le 8 juin 2009, que la société ISAST qualifie de « bon de commande », ne saurait en effet équivaloir une commande interdisant à son auteur de contester les frais d'expertise, alors en outre que les textes imposent à l'employeur de laisser l'expert conduire sa mission, sauf à être susceptible de se voir reprocher le délit d'entrave ; Que rien en définitive ne justifie la demande de condamnation de la société MICHELIN sur le fondement de l'article L. 4614-13 du code du travail à s'acquitter des frais de l'expertise réalisée par la société ISAST ; Que la décision entreprise ayant débouté cette dernière de sa prétention à ce titre, doit être confirmée ; Qu'aucun comportement procédural fautif ne pouvant toutefois lui être reproché, il n'y a pas lieu de la condamner à des dommages intérêts pour appel abusif comme le demande la société MICHELIN, qui sera donc déboutée de ce chef ; Et AUX MOTIFS adoptés QUE Attendu que par arrêt du 1er juillet 2009, la Cour d'appel d'ORLEANS a infirmé l'ordonnance rendue le 17 février précédent par cette juridiction, ordonnance qui avait rejeté la demande présentée par la société MICHELIN de voir déclarer nulle une délibération du CHSCT de son usine de JOUE LES TOURS datée du 20 novembre 2008 et qui décidait de recourir à une expertise pour analyser les conséquences d'un projet qui lui avait été soumis ; Attendu encore que par son arrêt, la cour annula la délibération en cause décidant du recours à expertise et ajouta n'y avoir lieu à expertise ; Attendu qu'antérieurement au prononcé de l'ordonnance de cette juridiction qui n'était pas assortie de l'exécution provisoire, la société ISAST chargée de procéder aux opérations de l'expertise prescrite n'avait pas estimé, informée du recours formé par la société MICHELIN, devoir entreprendre les investigations et entretiens nécessaires à celle-ci et que c'est seulement en suite de notre ordonnance du 17 février 2009 et en dépit de l'appel interjeté qu'elle effectua ses opérations, pour déposer le 30 juin 2004 le rapport de ses investigations et conclusions ; Mais attendu que par l'effet de l'annulation prononcée par l'arrêt du 1er juillet 2009, la décision du CHSCT du 20 novembre 2008 est censée ne jamais avoir existé ; qu'il importe peu que notre décision infirmée ait rejeté le recours de la société MICHELIN puisque cette décision n'était pas exécutoire par provision et que de plus l'appel tout comme le délai d'appel a un effet suspensif comme il est dit à l'article 539 du Code de procédure civile ; qu'il importe peu encore qu'aucun abus n'ait été commis par le CHSCT qui sollicita l'exécution de sa décision, ou encore que la société MICHELIN ait délivré un bon de commande, celle-ci ayant averti la société ISAST de son recours devant cette juridiction, puis de son appel ; qu'il apparait ainsi en l'absence de toute décision prescrivant une mesure d'expertise que la société MICHELIN ne saurait être tenue au visa de l'article L 4614-13 du Code du travail aux frais de l'expertise réalisée par la société ISAST ;que celle-ci sera donc déboutée de sa demande. ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert agréé dans les termes prévus par la loi ; que les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur et que si l'employeur entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, cette contestation est portée devant le président du tribunal de grande instance statuant en urgence ; qu'il en résulte que l'employeur doit supporter le coût de l'expertise dès lors qu'aucun abus du CHSCT n'est établi ; que cette règle aux termes de laquelle l'employeur supporte les frais d'expertise sauf abus s'applique même si l'expert poursuit directement l'employeur en paiement des frais d'expertise ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L 4614-13 du Code du travail. ET ALORS QUE le CHSCT peut faire appel à un expert agréé dans les termes prévus par la loi ; que l'employeur doit supporter le coût de l'expertise sauf dans le cas où un abus du CHSCT est établi ; qu'en refusant néanmoins de faire droit à la demande de paiement de l'expert de ses frais d'expertise, sans relever aucun abus du CHSCT, la cour d'appel a violé l'article L 4614-13 du Code du travail. ALORS surtout QUE la délibération du CHSCT, même contestée, est exécutoire en sorte que l'expert peut agir sur la base du mandat qui lui a été donné par le CHSCT et agit alors sans abus; qu'il est même tenu, aux termes de l'article R 4614-18 d'agir dans un délai qui ne peut excéder 45 jours ; que ni le recours formé contre cette délibération, ni l'absence d'exécution provisoire de l'ordonnance validant cette délibération ni le caractère suspensif de l'appel ne sont donc de nature à faire obstacle à l'exercice de sa mission par l'expert ; qu'en jugeant néanmoins que l'employeur n'a pas à supporter les frais de l'expertise au motif que la société ISAST avait entrepris sa mission en dépit de l'absence d'exécution provisoire de l'ordonnance du 17 février 2009 et malgré l'effet suspensif de l'appel, la cour d'appel a violé les articles L 4614-13 et R 4614-18 du Code du travail, ensemble l'article 539 du Code de procédure civile Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Manufacture française des pneumatiques Michelin (demanderesse au pourvoi incident éventuel). Le pourvoi reproche à l'arrêt d'AVOIR confirmé l'ordonnance du 28 décembre 2010 par laquelle le Président du Tribunal de grande instance de TOURS a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société MICHELIN à l'encontre de la demande de la société ISAST tendant à obtenir le paiement des honoraires d'une expertise commandée par le CHSCT ; AUX MOTIFS PROPRES QU' « en limitant par les articles L.4614-13, R.4614-19 et R.4614-20 du Code du travail la compétence du Président du Tribunal de grande instance statuant en la forme des référés aux contestations principalement soulevées par l'employeur quant à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, le législateur n'a nullement entendu écarter la possibilité pour le CHSCT ou l'expert de saisir également cette juridiction de ces mêmes points ; qu'après avoir relevé que l'action engagée par la société ISAST était relative à l'expertise prescrite et à son paiement, c'est donc à bon droit que le premier juge a écarté l'exception d'incompétence soulevée par la société MICHELIN qui concluait au renvoi de l'affaire devant le Tribunal de grande instance de TOURS » (arrêt du 20 juin 2010) ; ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « l'article L.4614-13 du Code du travail énonce que les fais de l'expertise sont à la charge de l'employeur, puisque l'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, saisit le juge judiciaire (…) ; que l'article R.4614-19 du même Code précise que le Président du Tribunal de grande instance statue en urgence sur les contestations de l'employeur relatives à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, l'article R.4614-20 ajoutant que lorsque le Président du Tribunal de grande instance est appelé à prendre la décision mentionnée au deuxième alinéa de l'article L.4614-13, il statue en la forme des référés ; qu'il se déduit de ses dispositions que le législateur a entendu limiter la compétence du Président du Tribunal de grande instance statuant en la forme des référés aux contestations principalement soulevées par l'employeur quant à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, celui-ci n'a cependant pas écarté la possibilité que cette juridiction soit aussi saisie par le CHSCT, voire par l'expert sur ces mêmes points ; or, que l'action engagée par la société ISAST est relative à l'expertise prescrite et à son paiement ; qu'il convient donc d'écarter l'exception d'incompétence présentée par la société MICHELIN » ; ALORS QUE l'article R.4624-19 du Code du travail dispose que « le Président du Tribunal de grande instance statue en urgence sur les contestations de l'employeur relatives à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise » ; que ce texte ne vise strictement que les rapports entre l'employeur et le CHSCT, de sorte que le Président du Tribunal de grande instance et la Cour d'appel statuant en la forme des référés ne pouvaient statuer dans le cadre de la procédure instituée par ce texte, pour trancher une demande en recouvrement de ses honoraires, formée par un tiers, à savoir le cabinet d'expertise comptable dont la réclamation relevait du droit commun ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé et l'article L.4614-13 du Code du travail.