Affaire T-13/18
Crédit Mutuel Arkéa
contre
Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle
Arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 24 septembre 2019
« Marque de l'Union européenne - Procédure de nullité - Marque de l'Union européenne verbale Crédit Mutuel - Motifs absolus de refus - Caractère descriptif - Absence de caractère distinctif - Caractère distinctif acquis par l'usage - Recours incident - Article 7, paragraphe 1, sous b) et c), et paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 - Article 59, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001 »
1. Marque de l'Union européenne - Renonciation, déchéance et nullité - Causes de nullité absolue - Enregistrement contrairement à l'article 7, paragraphe 1, sous b) à d) du règlement 2017/1001 - Exception - Acquisition du caractère distinctif par l'usage - Critères d'appréciation
[Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 7, § 1, b) à d), et 3, et 59, § 2]
(voir points 94-97, 102-105, 111, 112, 115, 129-133, 135)
2. Marque de l'Union européenne - Renonciation, déchéance et nullité - Causes de nullité absolue - Enregistrement contrairement à l'article 7, paragraphe 1, sous b) à d) du règlement 2017/1001 - Exception - Acquisition du caractère distinctif par l'usage collectif d'une marque individuelle - Critères d'appréciation - Existence d'une entreprise unique - Notion
[Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 7, § 1, b) à d), et 3]
(voir points 142, 143, 149-151, 154, 156)
3. Marque de l'Union européenne - Marques collectives de l'Union européenne - Fonction essentielle - Garantie de l'origine collective des produits et services mis sur le marché sous la marque collective de l'Union européenne
(Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 74)
(voir point 155)
4. Marque de l'Union européenne - Renonciation, déchéance et nullité - Causes de nullité absolue - Enregistrement contrairement à l'article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001 - Exception - Acquisition du caractère distinctif par l'usage - Marque verbale individuelle Crédit Mutuel
[Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 7, § 1, b) et c), et 3, et 59, § 2]
(voir points 158, 170)
5. Marque de l'Union européenne - Renonciation, déchéance et nullité - Causes de nullité absolue - Enregistrement contrairement à l'article 7, paragraphe 1, sous b) à d), du règlement 2017/1001 - Exception - Acquisition du caractère distinctif par l'usage - Critères d'appréciation - Usage par un tiers avec le consentement du titulaire de la marque - Absence d'incidence
(Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 7, § 3, et 18, § 1 et 2)
(voir points 166-168)
Résumé
Dans son arrêt du 24 septembre 2019, Crédit Mutuel Arkéa/EUIPO - Confédération nationale du Crédit mutuel (Crédit Mutuel) (T-13/18), le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) pour autant qu'elle avait conclu que la marque verbale « Crédit Mutuel », marque individuelle de l'Union européenne, avait acquis un caractère distinctif par l'usage pour des produits et services pour lesquels elle était descriptive et non distinctive.
En l'espèce, le requérant, Crédit Mutuel Arkéa, avait présenté une demande en nullité de la marque verbale « Crédit Mutuel », appartenant à la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM), au motif que cette dernière était descriptive pour les produits et services pour lesquels elle avait été enregistrée. La chambre de recours a rejeté la demande en nullité dans son ensemble en considérant, d'une part, qu'à l'égard des produits et services pour lesquels la marque était descriptive, elle avait acquis un caractère distinctif par l'usage, et, d'autre part, que ladite marque n'était pas descriptive à l'égard des autres produits et services ne relevant pas du domaine bancaire.
Après avoir confirmé les conclusions de la chambre de recours relatives au caractère descriptif de la marque à l'égard de certains produits et services, le Tribunal a examiné si, pour ces produits et services, ladite marque avait acquis un caractère distinctif par l'usage ( 1 ).
À cet égard, le Tribunal a rappelé que la marque contestée est une marque de l'Union européenne individuelle. Il a ensuite constaté que la marque contestée n'était pas utilisée par sa titulaire, la CNCM, qui, en sa qualité d'organe central du groupe Crédit Mutuel, n'exerce pas elle-même d'activités bancaires, mais par plusieurs entités réunies au sein du groupe Crédit Mutuel, structurées principalement autour de deux groupes autonomes et concurrents, le Crédit Mutuel Arkéa et le CM11-CIC. Or, s'il n'est pas exclu qu'un tel usage collectif de la marque contestée individuelle lui permette d'acquérir un caractère distinctif par l'usage, il est indispensable que cet usage soit fait conformément à la fonction essentielle de ladite marque, qui consiste à garantir l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque.
Afin d'établir l'acquisition d'un caractère distinctif pour une marque individuelle à la suite d'un usage collectif, le Tribunal a indiqué que le seul critère pertinent est celui de savoir si cette marque garantit aux consommateurs que les produits ou services en cause proviennent d'une entreprise déterminée, laquelle doit être comprise comme étant une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ces derniers sont fabriqués ou fournis et à laquelle, par conséquent, peut être attribuée la responsabilité de la qualité desdits produits ou services. Or, la CNCM n'a pas établi que tel serait le cas s'agissant du groupe Crédit Mutuel.
En outre, le Tribunal a souligné que le fait que le groupe Crédit Mutuel soit une entreprise unique au sens du droit de la concurrence ne permet pas, en soi, de conclure qu'il existe une « entreprise unique » au sens de la jurisprudence relative à l'usage d'une marque individuelle de l'Union européenne conformément à sa fonction essentielle. En effet, la responsabilité du contrôle au sens prudentiel ne permet pas de conclure que, en plus de surveiller la situation financière des banques appartenant au groupe Crédit Mutuel, la CNCM exerce également le contrôle sur les produits et les services qu'elles fournissent aux consommateurs, de sorte qu'il puisse lui être attribuée la responsabilité de leur qualité.
Ainsi, le Tribunal a constaté que la marque individuelle Crédit Mutuel n'a pas été utilisée conformément à sa fonction essentielle, mais comme l'indication d'une origine commerciale collective ou, plus précisément, comme l'indication que les produits et les services en cause proviennent d'un producteur ou d'un prestataire appartenant à l'association ou au collectif constitué des banques affiliées au groupe Crédit Mutuel. Or, un tel usage constitue une illustration de l'usage de cette marque en tant que marque collective, et non en tant que marque individuelle.
Par ailleurs, le Tribunal a souligné que la jurisprudence relative à la preuve de l'usage sérieux d'une marque avec le consentement de son titulaire ( 2 ) n'est pas pertinente dans le cadre de l'acquisition par une marque d'un caractère distinctif par l'usage, de sorte qu'il ne saurait être d'emblée considéré que l'usage d'une marque par un tiers avec le consentement du titulaire permet d'établir l'acquisition d'un caractère distinctif par l'usage d'une marque.
Par conséquent, le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours de l'EUIPO en ce qu'elle a conclu que la marque individuelle « Crédit Mutuel » avait acquis un caractère distinctif par l'usage qui en a été fait par les membres du groupe Crédit Mutuel.
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( 1 ) Au sens de l'article 7, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
( 2 ) Au sens de l'article 18, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, qui dispose que l'usage de la marque de l'Union européenne avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire.