7ème Ch Prud'homale
ORDONNANCE N°10/2023
N° RG 21/06462 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SDSD
S.A.S. [T] [K]-FRANCE SAS
C/
Mme [D] [L]
Ordonnance d'incident
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ORDONNANCE MISE EN ETAT
DU 19 JANVIER 2023
Le dix neuf Janvier deux mille vingt trois, date indiquée à l'issue des débats du Mardi quinze novembre deux mille vingt deux, devant
Madame Isabelle CHARPENTIER Magistrat de la mise en état de la 7ème Ch Prud'homale,assisté de Madame Françoise DELAUNAY, Greffier, lors des débats et du prononcé
Statuant dans la procédure opposant :
DEMANDEUR A L'INCIDENT :
[T] [K]-FRANCE SAS Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me
Christophe LHERMITTE de la SCP
GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me
Karine RIVOALLAN, Plaidant, avocat au barreau de SAINT BRIEUC
INTIMEE
DÉFENDEUR A L'INCIDENT :
Madame [D] [L]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Dominique MORIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC substitué par Me BOUCHER, avocat au barreau de SAINT BRIEUC
APPELANTE
A rendu l'ordonnance suivante :
FAITS et PROCÉDURE
Saisi d'un litige opposant Mme [L] à la SAS [T] [K], le Conseil de prud'hommes de Saint Brieuc a, par jugement en date du 16 septembre 2021:
- jugé que le licenciement de Mme [L] est pour cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article
700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [L] aux dépens.
La cour a été saisie d'un appel formé par Mme [L] le 14 octobre 2021.
La société intimée [T] [K] a constitué avocat le 12 janvier 2022.
Mme [L] appelante a conclu sur le fond et a notifié ses écritures par RPVA le 13 janvier 2022 au greffe puis à la société intimée le 24 janvier 2022.
La société intimée [T] [K] a pris des conclusions sur le fond le 14 avril 2022.
Par conclusions d'incident n°4 notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société [T] [K] demande au conseiller de la mise en état de prononcer la caducité de l'appel au motif que l'appelante lui a notifié ses conclusions le 24 janvier 2021, au-delà du délai de trois mois prescrit par l'article
911 du code de procédure civile et que cette notification tardive est sanctionnée par la caducité de la déclaration d'appel sans qu'il puisse lui être opposé une cause étrangère ou une force majeure.
La société [T] [K] sollicite en conséquence le rejet des demandes de Mme [L] et sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Dans ses conclusions d'incident n°4 notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, Mme [L] conclut au rejet de l'exception de caducité et à la régularité de son appel. Invoquant le défaut de transmission de la constitution de l'avocat de l'intimée en raison d'un dysfonctionnement de la messagerie par RPVA, elle invoque la force majeure pour voir écarter la sanction de la caducité de l'appel et déclarer recevables ses conclusions. Elle sollicite la condamnation de la société [T] [K] au paiement de la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.
L'incident a été fixé à l'audience du 11 octobre 2022, repoussé au 15 novembre 2022 pour permettre aux parties de répondre aux dernières écritures du 10 octobre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article
455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
Au visa des articles
908 et
911 du code de procédure civile, la société [T] [K] soulève la caducité de l'appel faute pour l'appelante de lui avoir notifié ses conclusions au plus tard le 14 janvier 2022, dans le délai prévu de trois mois, alors que son adversaire avait constitué avocat le 12 janvier 2022. Elle prétend que le conseil de l'appelante avait connaissance de cette constitution, comme le confirme l'accusé réception de son message transmis par RPVA, que cet avis de réception par e-barreau valant notification au sens de l'article
673 du code de procédure civile, Mme [L] n'est plus recevable à se prévaloir d'une éventuelle nullité de cette notification pour vice de forme avant toute défense au fond. S'agissant de l'attestation à propos des interruptions du service RPVA, elle est dépourvue d'intérêt puisque l'avis de réception de l'acte de constitution a été transmis le 12 janvier 2022 au conseil de l'appelante, quand bien même et pour une raison indifférente, cette constitution aurait tardé à apparaître dans le dossier de la cour d'appel. La société [T] [K] ajoute pour preuve que l'avocat de Mme [L] était bien en possession de l'acte de constitution que ce dernier a notifié ses conclusions du 24 janvier 2022 au cabinet constitué. La société intimée fait valoir que si une cause étrangère était démontrée, ce qui n'est pas le cas, elle est sans utilité sur le litige puisqu'elle aurait dû transmettre ses conclusions à la fin des perturbations techniques alléguées, ce qu'elle n'a pas fait. Elle ajoute que l'appelante ne démontre aucune force majeure de l'article
910-3 du code de procédure civile.
Pour s'opposer à la caducité de l'appel, Mme [L] rétorque qu'elle a remis ses conclusions le 13 janvier 2022 au greffe dans le délai prévu par l'article 908 mais qu'à cette date, la constitution d'un avocat par la société intimée en appel ne lui avait pas été notifiée par RPVA; qu'en voulant faire signifier par huissier le 21 janvier 2022 ses conclusions à la société intimée en l'absence de constitution d'avocat, elle a interrompu sa démarche du fait de l'apparition dans le RPVA d'un avocat constitué pour la société [T] [K] dans l'onglet ' parties'. Elle explique le défaut de transmission de la constitution de l'avocat de l'intimée et l'absence de mention de cette constitution dans les événements du dossier sur le RPVA par un dysfonctionnement du service RPVA constaté entre le 11 janvier 2022 et le 17 janvier 2022, confirmé par le service numérique de la cour ; que cette difficulté technique, à la fois imprévisible et insurmontable pour l'appelante, ne lui a pas permis de transmettre ses conclusions à l'avocat de l'intimée, dont elle n'avait pas connaissance de l'acte de constitution à la date du 13 janvier 2022, et présente les caractéristiques d'une force majeure prévue par l'article
910-3 du code de procédure civile permettant d'écarter la sanction d'un acte tardif.
L'article
908 du code de procédure civile, prévoit que, à peine de caducité, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe.
Selon l'article
911 du code de procédure civile, sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et
908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l'expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n'ont pas constitué avocat ; cependant si entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.
Selon l'article
960 du code de procédure civile, la constitution d'avocat par l'intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d'instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats.
L'article
910-3 du code de procédure civile dispose que, en cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l'application des sanctions prévues aux articles
905-2 et
908 à
911 du code de procédure civile. Au sens de ce texte, constitue un cas de force majeure la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable.
Mme [L], en notifiant dans le délai imparti ses conclusions au greffe le 13 janvier 2022, a respecté les dispositions de l'article
908 du code de procédure civile.
En revanche, les conclusions de l'appelante ont été transmises ultérieurement le 24 janvier 2022 au conseil de l'intimée, au-delà du délai prévu par l'article
911 du code de procédure civile alors que l'intimée venait de constituer avocat le 12 janvier 2022, selon copie notifiée au greffe.
Expliquant qu'elle n'avait reçu aucun message par RPVA l'informant de la constitution régulière d'un avocat pour l'intimée
, malgré un message d'un confrère lui annonçant sa prochaine intervention, et qu'elle avait pris contact avec un huissier le 21 janvier 2022 pour faire signifier ses conclusions à son adversaire non constitué, le conseil de l'appelante s'est aperçue de manière incidente que la mention d'un avocat pour l'intimée venait d'apparaître dans le RPVA, non pas dans l'onglet 'événément' mais dans l'onglet ' parties'.
A l'appui de ses dires, Mme [L] verse aux débats :
- ses conclusions transmises au greffe le 13 janvier 2022 et les messages de transmission par RPVA au greffe,
- la copie d'écran des événements figurant dans le service RPVA se rapportant au dossier de procédure RG 21/6462 faisant apparaître qu'à la date d'enregistrement de ses conclusions du 13 janvier 2022, il n'est fait aucune mention de la transmission de l'acte de constitution d'un avocat par l'intimée. Il en est de même dans le message envoyé par le conseil de l'appelante contenant ses conclusions, ne comportant aucune copie à un avocat constitué pour l'intimée alors qu'une copie est automatiquement générée par le réseau électronique à l'avocat de l'adversaire ( Pièce h).
- l'attestation de coupure de service pour la communication électronique civile durant la période du 11 janvier 2022 à 7 heures au 17 janvier 2022 à 23h30 délivrée par le service numérique de la cour d'appel, se traduisant par 'des anomalies sur les serveurs d'hébergement d'applications de la chaîne civile avec des interruptions continues dans les échanges de pièces avec les avocats'.( Pièce f)
- le courriel du vendredi 21 janvier 2022 ( à 9h31) de son conseil Me [K] adressée à un huissier de justice lui demandant de signifier ses conclusions d'appelante à la société intimée non constituée ( pièce d)
- le courriel du 21 janvier 2022 ( à 9 h33) de son conseil Me [K] transmis à titre confraternel à l'avocat lui ayant annoncé le 12 janvier qu'il allait régulariser un acte de constitution pour la société intimée' dans la mesure où vous n'êtes apparemment pas encore constitué, je fais signifier mes conclusions à la société [T]-[K] France.'( pièces c,g)
- la notification par RPVA le lundi 24 janvier 2022 (à 9h56 ) de ses conclusions au conseil de la société intimée.
Les pièces produites permettent d'établir que le conseil de l'appelante Mme [L] lorsqu'il a transmis au greffe ses conclusions le 13 janvier 2022, n'avait pas connaissance de l'acte de constitution d'un avocat pour l'intimée qui le lui avait notifié la veille par RPVA. Si l'avocat de l'intimée justifie de ses diligences en notifiant par RPVA son acte de constitution à l'appelante le 12 janvier 2022 avec copie au greffe, la preuve est rapportée par l'appelante que des dysfonctionnements ont affecté durablement à cette même période, le système de communication électronique du RPVA pour la cour d'appel de Rennes et qu'ils ont généré des interruptions continues dans les échanges de pièces avec les avocats. Ce problème grave et avéré 'de coupure de service pour la communication électronique civile'permet d'expliquer, nonobstant la délivrance automatique d'un accusé réception du courriel par le système numérique, l'absence de réception effective par le conseil de l'appelante de la notification de l'acte de constitution de son adversaire. Le fait que le conseil de l'appelante ait entrepris dès le 21 janvier 2022 des démarches auprès d'un huissier de justice pour faire signifier ses conclusions à l'intimée non constituée aux frais de sa cliente et qu'il en ait informé son confrère' dans la mesure où vous n'êtes apparemment pas encore constitué', ne fait que conforter l'absence de réception de l'acte de constitution d'un avocat par son adversaire. La capture d'écran des événements se rapportant au dossier de procédure tenu par le greffe et les messages automatisés envoyés par le système RPVA ne faisant aucune mention de la constitution d'un avocat pour l'intimée avant le 13 janvier 2022, il est démontré que l'appelante ne pouvait pas raisonnablement prévoir qu'un acte de constitution lui avait été transmis antérieurement à ses conclusions du 13 janvier 2022 et qu'elle ne l'avait pas réceptionné. Cette situation, non imputable de son fait, présente un caractère insurmontable pour elle et son conseil et l'a empêchée de notifier par RPVA ses conclusions à l'avocat adverse et de se conformer aux prescriptions de l'article
911 du code de procédure civile.
Mme [L] dont les conclusions ont été notifiées le 24 janvier 2022 à l'intimée au-delà du délai de trois mois prescrit par l'article
908 du code de procédure civile, est fondée à invoquer la force majeure au sens de l'article
910-3 du code de procédure civile de sorte que la sanction de la caducité prévue par les articles
908 et
911 du code de procédure civile doit être écartée.
Il s'ensuit que les conclusions de Mme [L], notifiées par RPVA à l'intimée le 24 janvier 2022, seront déclarées recevables et la demande de la société [T] [K] tendant à voir déclarer caduc l'appel sera rejetée.
L'équité et la situation respective des parties ne commandent pas l'application de l'article
700 du code de procédure civile à ce stade de la procédure. Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives de ce chef.
La société [T]-[K] sera condamnée aux dépens de l'incident.
PAR CES MOTIFS
Le conseiller de la mise en état, par ordonnance contradictoire susceptible de déféré,
DECLARONS recevables les conclusions notifiées le 24 janvier 2022 par Mme [L] à la société intimée [T]- [K],
REJETONS la demande de la société [T] [K] tendant à voir déclarer caduc l'appel de Mme [L],
DEBOUTONS les parties de leurs demandes fondées sur l'article
700 du code de procédure civile,
CONDAMNONS la société [T]- [K] aux dépens de l'incident.
Le Greffier Le Conseiller de la mise en état