SOC. / ELECT
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 881 F-D
Pourvoi n° G 21-16.835
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
La société CSF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° G 21-16.835 contre le jugement rendu le 6 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Toulouse (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Union des syndicats Gilets jaunes, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ au syndicat Gilets jaunes commerce restauration hôtellerie et services, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ au syndicat Commerce indépendant et démocratique, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à Mme [P] [N], domiciliée [Adresse 2],
5°/ à M. [L] [Y], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor et Périer, avocat de la société CSF, après débats en l'audience publique du 1er juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Toulouse, 6 mai 2021) la société CSF (la société) a saisi le tribunal judiciaire, le 14 janvier 2021, aux fins d'annuler la désignation par l'Union des syndicats Gilets jaunes de Mme [N] en qualité de représentant de section syndicale au sein de la direction opérationnelle Sud Ouest de la société CSF, en invoquant le caractère frauduleux de cette désignation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. La société fait grief au jugement de rejeter sa requête en annulation de la désignation de la salariée en qualité de représentant de section syndicale de l'Union des syndicats Gilets jaunes, alors :
« 1°/ que la faculté reconnue aux syndicats non-représentatifs de désigner un représentant de section syndicale vise à leur permettre de développer une action syndicale propre et de préparer les prochaines élections pour acquérir la qualité de syndicat représentatif ; qu'en conséquence, la désignation d'un représentant de section syndicale est détournée de son objet et présente un caractère frauduleux lorsqu'elle émane d'un nouveau syndicat constitué par certains des membres dirigeants d'un ancien syndicat présent et représenté dans l'entreprise, et que ce nouveau syndicat ne dispose ni d'une section syndicale propre, ni de dirigeants distincts de ceux de cet autre syndicat, de sorte que la désignation ne vise pas à déployer une action syndicale concurrente de cet autre syndicat ; qu'en l'espèce, il est constant que le syndicat Gilets jaunes commerce, restauration, hôtellerie, service (RCHS) a été créé à la suite de la modification des statuts de l'Union des syndicats Indépendants démocratique, devenue l'Union des syndicats des Gilets jaunes dont le syndicat Démocratique indépendant du commerce (SCID) était membre ; qu'il est également constant que le syndicat Gilets jaunes CRHS, dont les membres fondateurs et dirigeants font partie du comité exécutif du syndicat SCID, a donné mandat au représentant de la section syndicale du SCID dans l'établissement pour notifier la désignation du représentant de section syndicale Gilets jaunes et que, pour justifier de l'existence d'une section syndicale, il s'est prévalu de deux adhérents, en la personne du salarié désigné et du représentant de section syndicale SCID ; qu'en refusant de reconnaître l'existence d'une fraude, alors que les conditions de la désignation litigieuse conduisent à détourner l'institution du représentant de section syndicale de son objet, le tribunal judiciaire a violé l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle ;
2°/ que la circonstance que la désignation d'un représentant de section syndicale réponde à toutes les conditions légales n'exclut pas l'existence d'une fraude ; qu'en se bornant à relever, pour affirmer que la désignation d'un représentant de section syndicale par le syndicat Gilets jaunes n'était pas frauduleuse, que ce syndicat avait été régulièrement créé et que ses statuts et ceux du syndicat SCID ne comportent aucune clause d'exclusivité syndicale, le tribunal judiciaire, qui s'est fondé sur des motifs impropres à écarter l'existence d'une fraude et n'a pas recherché si les conditions de la désignation d'un représentant de section syndicale Gilets jaunes, distinct du représentant de section syndicale SCID déjà présent dans l'établissement, n'avaient pas été artificiellement créées pour détourner l'institution du représentant de section syndicale de son objet en permettant à deux syndicats qui, ayant des dirigeants en commun, n'étaient pas véritablement concurrents, de se doter de moyens d'action dédoublés dans l'établissement, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle ;
3°/ que la faculté reconnue aux syndicats non-représentatifs de désigner un représentant de section syndicale vise à leur permettre de développer leur propre action syndicale en vue de la préparation des prochaines élections ; qu'elle suppose en conséquence que le syndicat ait la faculté effective d'exercer une action propre et de défendre une ligne syndicale propre, distinctes de celle des autres syndicats présents dans l'entreprise ou l'établissement ; qu'en retenant encore, pour refuser de reconnaître l'existence d'une fraude, que la ''consanguinité'' entre les instances dirigeantes du syndicat des Gilets jaunes RCHS et l'Union des syndicats Gilets jaunes à laquelle il est affilié était ''normale'' et qu'il appartenait aux syndicats SCID et Gilets jaunes CRHS, qui ont des dirigeants et adhérents communs, d' ''éclaircir leur position'', sans que le juge ou l'employeur puisse le faire à leur place, cependant que la ''consanguinité'' entre les instances dirigeantes de deux syndicats ''de base'' prétendant défendre une ligne syndicale distincte n'était pas normale et qu'il appartenait précisément aux deux syndicats, pour prétendre disposer chacun d'une représentation propre dans l'entreprise, d'opérer une scission nette entre leurs dirigeants et lignes syndicales, le tribunal judiciaire a violé l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle. »
Réponse de la Cour
Vu
les articles
L. 2133-3,
L. 2142-1 et
L. 2142-1-1 du code du travail et le principe selon lequel la fraude corrompt tout :
3. D'une part, aux termes de l'article
L. 2142-1-1, alinéa premier, du code du travail, chaque syndicat qui constitue, conformément à l'article
L. 2142-1, une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement d'au moins cinquante salariés peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement.
4. Selon l'article
L. 2142-1 du code du travail, chaque organisation syndicale qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance et est légalement constituée depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l'entreprise concernée peut constituer au sein de l'entreprise ou de l'établissement une section syndicale.
5. D'autre part, il résulte de l'article
L. 2133-3 du code du travail que, sauf stipulation contraire de ses statuts, une union de syndicats à laquelle la loi a reconnu la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes peut exercer les droits conférés à ceux-ci et que l'affiliation d'un syndicat à une union permet à cette dernière de se prévaloir des adhérents du syndicat pour l'exercice des prérogatives découlant des articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1. Toutefois, une union de syndicats et un syndicat affilié à cette union ne peuvent désigner ensemble dans la même entreprise un nombre de délégués et représentants syndicaux supérieur à celui fixé par la loi.
6. Pour écarter toute fraude et rejeter la demande en annulation de la désignation par l'Union des syndicats Gilets jaunes de Mme [N] en qualité de représentant de section syndicale, le jugement retient que l'Union des syndicats Gilets jaunes, le syndicat des Gilets jaunes du commerce, de l'hôtellerie, de la restauration et des services et le syndicat Commerce indépendant et démocratique ont chacun déposé leurs statuts et la liste de leur bureau en préfecture, que la relative jeunesse du mouvement Gilets jaunes et des syndicats créés sous cette dénomination explique l'apparente consanguinité dans la composition des bureaux, qu'il n'est pas anormal que les membres de chaque syndicat Gilets jaunes en fonction des branches professionnelles, affilié à l'Union des syndicats Gilets jaunes, fassent partie des membres du conseil de l'Union, qu'il appartient au syndicat Commerce indépendant et démocratique, aux électeurs et aux organisations syndicales d'éclaircir leur position, mais pas à la juridiction saisie ni à l'employeur et que la désignation de plusieurs personnes avec des mandats de plusieurs syndicats ne constitue pas une fraude et la création d'une section syndicale pour chacun d'entre eux non plus.
7. En se déterminant ainsi
, par des motifs inopérants pour écarter toute fraude au regard du critère d'indépendance exigé par l'article
L. 2142-1 du code du travail, alors qu'il avait constaté que M. [Y], Mme [S], Mme [F] et M. [Z] sont membres élus de la commission exécutive du syndicat Commerce indépendant et démocratique, que ces trois derniers élus sont également les trois membres du conseil de l'Union des syndicats des Gilets jaunes, que Mme [S] et M. [Z] sont également membres du conseil syndical du syndicat des Gilets jaunes du commerce, de l'hôtellerie, de la restauration et des services et que M. [Y] a été désigné par M. [Z] en qualité de secrétaire général de l'Union des syndicats Gilets jaunes, pour procéder aux désignations, pour déposer des listes de candidats et pour négocier les réunions des protocoles préélectoraux au nom de l'Union des syndicats Gilets jaunes, ce dont il ressortait une communauté de dirigeants, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher, comme il lui était demandé, s'il existait une fraude à la loi afin de faire bénéficier au sein du même établissement, à des organisations syndicales relevant de la même affiliation, d'un nombre de représentants syndicaux supérieur au nombre fixé par la loi, le tribunal a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS
, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Albi ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société CSF
La société CSF fait grief au jugement attaqué d'AVOIR rejeté sa requête en annulation de la désignation de Mme [P] [N] en qualité de représentante de la section syndicale de l'Union des Syndicats Gilets Jaunes.
1. ALORS QUE la faculté reconnue aux syndicats non-représentatifs de désigner un représentant de section syndicale vise à leur permettre de développer une action syndicale propre et de préparer les prochaines élections pour acquérir la qualité de syndicat représentatif ; qu'en conséquence, la désignation d'un représentant de section syndicale est détournée de son objet et présente un caractère frauduleux lorsqu'elle émane d'un nouveau syndicat constitué par certains des membres dirigeants d'un ancien syndicat présent et représenté dans l'entreprise, et que ce nouveau syndicat ne dispose ni d'une section syndicale propre, ni de dirigeants distincts de ceux de cet autre syndicat, de sorte que la désignation ne vise pas à déployer une action syndicale concurrente de cet autre syndicat ; qu'en l'espèce, il est constant que le syndicat Gilets Jaunes Commerce, Restauration, Hôtellerie, Service (RCHS) a été créé à la suite de la modification des statuts de l'Union des syndicats Indépendants Démocratique, devenue l'Union des Syndicats des Gilets Jaunes dont le Syndicat Démocratique Indépendant du Commerce (SCID) était membre ; qu'il est également constant que le syndicat Gilets Jaunes CRHS, dont les membres fondateurs et dirigeants font partie du comité exécutif du syndicat SCID, a donné mandat au représentant de la section syndicale du SCID dans l'établissement pour notifier la désignation du représentant de section syndicale Gilets Jaunes et que, pour justifier de l'existence d'une section syndicale, il s'est prévalu de deux adhérents, en la personne du salarié désigné et du représentant de section syndicale SCID ; qu'en refusant de reconnaître l'existence d'une fraude, alors que les conditions de la désignation litigieuse conduisent à détourner l'institution du représentant de section syndicale de son objet, le tribunal judiciaire a violé l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle ;
2. ALORS QUE la circonstance que la désignation d'un représentant de section syndicale réponde à toutes les conditions légales n'exclut pas l'existence d'une fraude ; qu'en se bornant à relever, pour affirmer que la désignation d'un représentant de section syndicale par le syndicat Gilets Jaunes n'était pas frauduleuse, que ce syndicat avait été régulièrement créé et que ses statuts et ceux du syndicat SCID ne comportent aucune clause d'exclusivité syndicale, le tribunal judiciaire, qui s'est fondé sur des motifs impropres à écarter l'existence d'une fraude et n'a pas recherché si les conditions de la désignation d'un représentant de section syndicale Gilets Jaunes, distinct du représentant de section syndicale SCID déjà présent dans l'établissement, n'avaient pas été artificiellement créées pour détourner l'institution du représentant de section syndicale de son objet en permettant à deux syndicats qui, ayant des dirigeants en commun, n'étaient pas véritablement concurrents, de se doter de moyens d'action dédoublés dans l'établissement, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle ;
3. ALORS QUE la faculté reconnue aux syndicats non-représentatifs de désigner un représentant de section syndicale vise à leur permettre de développer leur propre action syndicale en vue de la préparation des prochaines élections ; qu'elle suppose en conséquence que le syndicat ait la faculté effective d'exercer une action propre et de défendre une ligne syndicale propre, distinctes de celle des autres syndicats présents dans l'entreprise ou l'établissement ; qu'en retenant encore, pour refuser de reconnaître l'existence d'une fraude, que la « consanguinité » entre les instances dirigeantes du syndicat des Gilets Jaunes RCHS et l'Union des syndicats Gilets Jaunes à laquelle il est affilié était « normale » et qu'il appartenait aux syndicats SCID et Gilets Jaunes CRHS, qui ont des dirigeants et adhérents communs, d' « éclaircir leur position », sans que le juge ou l'employeur puisse le faire à leur place, cependant que la « consanguinité » entre les instances dirigeantes de deux syndicats « de base » prétendant défendre une ligne syndicale distincte n'était pas normale et qu'il appartenait précisément aux deux syndicats, pour prétendre disposer chacun d'une représentation propre dans l'entreprise, d'opérer une scission nette entre leurs dirigeants et lignes syndicales, le tribunal judiciaire a violé l'article
L. 2142-1-1 du code du travail, ensemble le principe selon lequel la fraude fait exception à toute règle.