Cour de cassation, Chambre sociale, 12 décembre 2002, 01-20.361

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2002-12-12
Cour d'appel de Grenoble (Chambre sociale)
2001-01-29

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu que M. X..., salarié de la société Everitube, puis de la société Saint-Gobain PAM, dans l'usine d'Andancette, de 1985 à 1997, a été reconnu atteint depuis le 30 novembre 1995 de plaques pleurales, maladie professionnelle du tableau n° 30, avec un taux d'invalidité de 0 %, porté ultérieurement à 5 % ; qu'il a formé le 1er décembre 1999 une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; que l'arrêt attaqué (Grenoble, 29 janvier 2001) a dit que la demande était prescrite, mais recevable en application de l'article 40-II de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, a dit que la maladie était due à la faute inexcusable de l'employeur, a fixé au maximum la majoration de la rente, et a ordonné une expertise médicale afin de déterminer l'importance des préjudices personnels ;

Sur le premier moyen

, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Saint Gobain PAM fait grief à

la cour d'appel d'avoir déclaré l'action recevable, alors, selon le moyen : 1 / que le paragraphe II de l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 vise la réouverture "des droits aux prestations et indemnités dont les organismes sociaux ont la charge", ce qui ne correspond pas aux majorations de rente et indemnités complémentaires pour faute inexcusable, lesquelles sont, en vertu des articles L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale, remboursées par l'employeur, la Caisse se bornant à en faire l'avance, de sorte que viole l'article 40 précité l'arrêt attaqué qui décide la réouverture des délais de prescription pour les demandes fondées sur l'allégation d'une faute inexcusable et laisse s'instaurer un débat sur celle qui est alléguée à l'encontre de la société Pont à Mousson ; 2 / que si l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 dispose que les droits aux prestations et indemnités auxquelles peuvent prétendre les victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante "sont rouverts", c'est uniquement pour permettre à ces victimes d'exercer lesdits droits lorsqu'elles ne les ont pas mis en oeuvre en temps utile et nullement pour permettre à celles dont l'affection a été régulièrement prise en charge de formuler distinctement des demandes de majoration de leurs prestations et indemnités en raison d'une faute inexcusable de l'employeur, demandes complémentaires qu'elles s'étaient abstenues de solliciter en laissant intervenir la prescription ;

Mais attendu

que l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, tel que modifié par l'article 49 de la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001, applicable aux procédures en cours, rouvre les droits aux prestations, indemnités et majorations prévues par les dispositions du livre IV du Code de la sécurité sociale, y compris en cas de faute inexcusable de l'employeur, au profit des victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ou provoquées par elles dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er juillet 1947 et l'entrée en vigueur de la loi, sans distinguer selon que la victime avait ou non fait constater sa maladie en temps utile ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième et le troisième moyens

réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu que la société fait grief à

la cour d'appel d'avoir dit que la maladie professionnelle était due à la faute inexcusable de l'employeur, alors, selon le deuxième moyen : 1 / que viole les articles L.451-1 et L.452-1 du Code de la sécurité sociale l'arrêt qui, après avoir rappelé la définition de la faute inexcusable, prétend qualifier celle-ci par un manquement quelconque à l'obligation de sécurité qui pèserait sur l'employeur même en l'absence de règlement sur la prévention et la sécurité ; 2 / que viole l'article 5 du Code civil l'arrêt attaqué qui, pour caractériser la faute inexcusable imputée à la société Pont à Mousson, au lieu de procéder à un examen individuel de chaque affaire, comme l'exige la constatation de la faute inexcusable, retient, dans les vingt et une décisions du même jour, la même appréciation syncrétique visant, toutes époques confondues, la même attestation concernant la manipulation de l'amiante à la main et des insuffisances dans le système d'aspiration ou dans le port des masques de protection, ou encore "de très forts dépassements sur certains postes de travail des normes prescrites" en 1986, 1988, 1990 et 1995 sans autre précision, concernant de manière indéfinie différents locaux et différentes activités de l'établissement d'Andancette, et qui statue par voie de disposition générale, constituant ainsi l'entreprise en état de faute permanente à l'égard de tout le personnel, quels qu'aient été les périodes d'emploi et les postes occupés par chaque demandeur ; 3 / qu'au surplus, le recours à une motivation systématique, dont l'effet est d'éluder par avance les moyens de défense ponctuels concernant la réalisation de chaque sinistre, ne correspond pas à un "procès équitable" au sens de la Convention européenne des droits de l'homme ; 4 / que selon les textes généraux relatifs au traitement des poussières industrielles, la constatation d'une faute de l'employeur dans le traitement et l'évacuation des poussières (prévus par l'article 6 du décret du 10 juillet 1913 et les textes qui l'ont modifié) est subordonnée à l'appréciation préalable d'un fonctionnaire compétent, pour décider si, au regard de l'activité considérée, l'empoussièrement est excessif ou non, et pour imposer, le cas échéant, des mesures supplémentaires de dépoussiérage aux termes d'une mise en demeure préalable, et que l'employeur n'est constitué en faute que s'il n'obtempère pas dans le délai d'un mois, ce qui doit faire l'objet d'un procès-verbal de l'inspecteur du travail ; que, dès lors, en substituant au dispositif légal d'appréciation du niveau d'empoussièrement de simples attestations non précisées, l'arrêt attaqué a violé ensemble les dispositions précitées, devenues les articles R.232-12, R.232-13 et R.232-14 du Code du travail ; 5 / qu'au surplus, prive sa décision de base légale au regard des textes précités la cour d'appel qui, pour caractériser une faute inexcusable, se borne à faire état d'une lettre de l'inspecteur du travail en date du 21 décembre 1976 sans constater, ni qu'il s'agissait d'une mise en demeure, ni que le problème ponctuel d'aspiration ainsi signalé n'aurait pas reçu immédiatement un traitement approprié, comme le soulignait la société dans ses conclusions se fondant sur le rapport du Comité d'hygiène et de sécurité ; 6 / que violent l'article 455 du nouveau Code de procédure civile les juges du fond qui énoncent que "les salariés de l'usine d'Andancette ont travaillé continuellement dans l'atmosphère de poussières d'amiante tant avant le décret du 17 août 1977 et même après", et que "l'ensemble du personnel" avait été tenu par la direction de l'usine dans "l'ignorance... sur la dangerosité particulière du produit mis en oeuvre et manipulé quotidiennement", sans s'expliquer sur la multitude des documents invoqués par la société Pont à Mousson dans ses écritures et versés aux débats (devis et factures de fournisseurs d'équipements de dépoussiérage, inventaire historique des immobilisations, procès-verbaux de réunions des délégués du personnel, rapports du Comité d'hygiène et de sécurité, rapports annuels du médecin du travail, notes d'information du directeur de l'usine au personnel, etc...) qui établissaient, non seulement la préoccupation constante de l'entreprise dans la limitation de l'empoussièrement de l'établissement, qui fabriquait des produits constitués à raison de 90 % de ciment et de 10 % d'amiante, mais également le traitement effectif du problème, puisque les mesures d'empoussièrement effectuées dès l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977 avaient révélé des taux d'empoussièrement bien inférieurs au taux maximum autorisé, ainsi que l'information effective des salariés sur les risques pour la santé de l'inobservation des règles de sécurité ; 7 / qu'au surplus, pour la période postérieure au décret du 17 août 1977, l'arrêt attaqué ne pouvait déduire l'existence d'une faute inexcusable de la circonstance qu'en 1986, 1988, 1989 et 1995, il avait été relevé dans l'usine de forts dépassements sur certains postes de travail par rapport aux normes prescrites, et retenir que le salarié en cause avait été exposé "massivement tout au long de sa carrière aux poussières d'amiante", sans s'expliquer sur les moyens des conclusions de la société faisant valoir : que le seuil réglementaire de concentration de fibres d'amiante dans l'atmosphère fixé par le décret de 1977 et ceux qui l'ont suivi pouvait être dépassé, puisque les textes précisaient que, si le seuil ne pouvait être respecté, il y avait lieu d'utiliser un procédé de fabrication par voie humide ou par capotage des machines, et que s'il était techniquement impossible de respecter en aucune circonstance le seuil réglementaire, l'employeur devait mettre à la disposition de son salarié des moyens de protection individuelle, que lorsqu'une dégradation du dépoussiérage avait été constatée, la direction avait immédiatement pris des mesures techniques pour y remédier, que les dépassements du seuil réglementaire n'avaient jamais été que ponctuels et n'avaient jamais affecté que certains postes ; et alors, selon le troisième moyen : 1 / que prive sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale la cour d'appel qui déclare que "l'entreprise ne pourrait justifier d'aucune cause justificative", sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en présence d'un risque officiellement reconnu et accepté du fait même de son inscription au tableau des maladies professionnelles et de l'évolution très lente des connaissances scientifiques et médicales, ainsi que de l'inertie des pouvoirs publics qui avaient tardé à commander les études médicales nécessaires et à mettre en place la réglementation de 1977, d'ailleurs reconnue ultérieurement inefficace, la société Saint-Gobain PAM n'avait pas été empêchée de prendre conscience du danger particulier résultant de l'amiante et de mettre en place des mesures réellement efficaces pour le combattre ; 2 / que viole les articles L.201-15, L.221-1, L.231-2 et suivants, L.263-1, L.611-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, d'où il résulte que les inspecteurs du travail, et plus particulièrement les médecins du travail, ont, en propre, la charge de veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs, voire d'interrompre la production lorsque celle-ci présente un danger, et que les caisses régionales et nationales d'assurance maladie ont pour mission particulière d'édicter les mesures de prévention professionnelle, l'arrêt qui, pour caractériser une faute inexcusable, impute, en l'absence de diligences des services publics concernés, leurs missions personnellement à l'employeur, le rend responsable d'une prétendue "absence de suivi médical" ainsi que d'avoir laissé l'ensemble du personnel dans l'ignorance des dangers encourus ; 3 / qu'au surplus, l'arrêt attaqué laisse dépourvues de toute réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code procédure civile, les conclusions prises sur ce point ;

Mais attendu

qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; Et attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Saint-Gobain PAM avait commis une faute inexcusable ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Saint-Gobain PAM aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Saint-Gobain PAM à payer à M. X... la somme de 150 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille deux.