Tribunal de Grande Instance de Paris, 11 mars 2010, 2009/02292

Mots clés protection du modèle · protection au titre du droit d'auteur · originalité · effort de création · combinaison · caractère fonctionnel · contrefaçon de modèle · reproduction dans un catalogue · reproduction des caractéristiques protégeables · elément inopérant · matière · qualité des modèles · offre en vente · atteinte au droit moral · droit de paternité · droit au respect de l'¿uvre · concurrence déloyale · concurrence parasitaire · fait distinct des actes de contrefaçon · préjudice · préjudice moral · succès commercial · préjudice patrimonial · absence de commercialisation du produit incriminé

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2009/02292
Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Parties : D (Jérôme) ; 1.0.9 / MINE DE RIEN

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 11 Mars 2010

3ème chambre 4ème section N° RG : 09/02292

DEMANDEURS Monsieur Jérôme D

Société 1.0.9 [...] 75012 PARIS représentée par Me Jean-Marc FELZENSZWALBE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire Cl 19

DÉFENDERESSE MINE DE RIEN [...] 75003 PARIS représentée par Me Marc BENSIMHON-SCP BENSIMHON -ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0410

COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Claude H, Vice-Présidente Agnès MARCADE, Juge Rémy MONCORGE, Juge assistés de Katia CARDINALE, Greffier

DÉBATS A l'audience du 20 Janvier 2010 tenue publiquement

JUGEMENT Prononcé par mise à disposition au greffe Contradictoirement en premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Jérôme D S est un créateur de prêt-à-porter et notamment de sacs à main et de petites maroquineries.

Il a notamment créé un sac dénommé ALDO qui a fait l'objet d'un dépôt de dessin et modèle auprès de l'INPI le 17 mars 2006. Ce dépôt n'a toutefois pas été publié.

La société 1.0.9 assure la fabrication et la commercialisation de ses créations.

Les droits patrimoniaux de Monsieur D S sur le sac ALDO ont été cédés à cette société par acte du 19 décembre 2006.

Ces produits sont vendus dans la plupart des grandes enseignes telles le Bon Marché ou Le Printemps et une boutique JEROME D a été ouverte au mois d'avril 2008 dans le quartier de Saint Germain des Prés à Paris.

Monsieur Jérôme D et la société 1.0.9 ont découvert en page 42 du n° 176 du magazine CLOSER du 25 au 31 octobre 2008, que la société MINE DE RIEN proposait à la vente un modèle de sac qu'ils considèrent comme une contrefaçon du sac ALDO.

Ils ont fait procéder à une saisie-contrefaçon le 15 janvier 2008 au siège de la société MINE DE RIEN.

C'est dans ces conditions que Monsieur Jérôme D et la société 1.0.9 ont fait assigner la société MINE DE RIEN devant le tribunal de grande instance de Paris par acte en date du 29 janvier 2009 en contrefaçon de l'œuvre constituée par la sac ALDO, concurrence déloyale et indemnisation.

Dans leurs dernières conclusions en date du 26 août 2009, Monsieur Jérôme D et la société 1.0.9 maintiennent leurs demandes au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale. Outre des mesures d'interdiction, de destruction des produits et de publication de la décision, ils sollicitent, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 50.000 € pour Monsieur D en réparation de l'atteinte à son droit moral, 50.000 € pour la société 1.0.9 en réparation de son préjudice patrimonial et 50.000 € pour la société 1.0.9 en réparation de son préjudice né des actes de parasitismes et de concurrence déloyale. Ils demandent en outre l'allocation à chacun d'entre eux de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Ils font valoir que le sac MINE DE RIEN paru dans le magazine CLOSER sous le nom de la défenderesse et avec ses références téléphoniques, présente des telles ressemblances avec le sac ALDO que celles-ci leurs confèrent un aspect quasi-identique.

Ils ajoutent qu'en raison de la notoriété du sac ALDO et de sa commercialisation depuis 2005, la société défenderesse qui est une professionnelle, ne pouvait ignorer son existence.

Ils font valoir que la commercialisation d'un modèle contrefaisant de moindre qualité porte atteinte à la réputation et à la crédibilité de Monsieur D.

Au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, ils arguent de la banalisation de la création de Monsieur Jérôme D, du risque de confusion quant à l'origine des créations ainsi que de la pratique d'un prix moindre.

Par conclusions récapitulatives en date du 12 novembre 2009, la société MINE DE RIEN entend voir Monsieur Jérôme D et la société 1.0.9 déclarés irrecevables et mal fondés en leurs demandes. A titre subsidiaire, elle demande de réduire le montant des dommages et intérêts sollicité aune somme symbolique. A titre reconventionnel, elle sollicite la somme de 20.000 € de dommages et intérêts pour procédure et dénigrements abusifs en application des articles 32-1 et 1382 du Code civil ainsi que l'allocation de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient en substance que : -elle n'est pas à l'initiative de la parution de la photo dans le magazine CLOSER et ne l'a jamais commercialisé, ni proposé à la vente ; -depuis la rupture de son contrat le 30 juin 2008 avec son attachée de presse, la société LM DARJEELING, elle n'a fait procéder à aucune parution dans la presse ; -les demandeurs ne démontrent nullement les actes de contrefaçon allégués aucun produit contrefaisant n'ayant été trouvé par l'huissier ; -ils ne démontrent pas plus l'originalité du modèle de sac qu'ils invoquent ; -la forme du sac répond à des considérations fonctionnelles et le créateur a été guidé par celles-ci et non par des critères esthétiques ; -les demandeurs ne démontrent aucun fait distinct de ceux de la contrefaçon à l'appui de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; -les demandeurs accusent à tort le dirigeant de la défenderesse d'avoir fait de fausses déclarations à l'huissier.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 7 janvier 2010.


MOTIFS

Sur l'originalité du sac ALDO

Le sac ALDO créé par Monsieur Jérôme D et révélé au public au mois de mars 2005, est une besace dont les extrémités supérieures se prolongent pour constituer l'amorce d'une bandoulière.

Cette besace comporte : -sur la face avant, deux poches assorties d'un soufflet et fermées, -sur le devant, par une fermeture à glissière dissimulée par des bourrelets ; -une lanière qui part du bas de chacune des poches et deux lanières qui débutent au milieu du dos du sac, attachées par des pressions qui permettent également de fermer la poche située au dos ; ces lanières partant des poches et du dos sont attachées entre elles au moyen de boucles en métal qui passent sous le fond du sac ; -un empiècement central de forme oblongue divisé par une fermeture à glissière et qui ferme le sac ; -une bandoulière complexe formée d'une lanière épaisse fermée par une grosse boucle et pouvant s'apparenter à une poignée, celle-ci se prolongeant tout en s'imbriquant avec deux fines lanières attachées à l'aide de boucles et pouvant entourer le sac.

Le choix et l'association de ces nombreux éléments structurants associés à un souci de souplesse ne présentent, contrairement à ce que soutient la société défenderesse, aucun caractère fonctionnel mais contribuent à conférer au sac ALDO une élégance faussement négligée et démontrent un effort créateur et un apport personnel de la part de Monsieur D.

Le sac ALDO présente donc un caractère original et doit être considéré comme éligible à la protection au titre du droit d'auteur.

Sur la contrefaçon

II ressort des éléments versés aux débats qu'en page 42 du n° 176 du magazine CLOSER daté du 25 au 31 octobre 2008, une société MINE DE RIEN propose à la vente un modèle de sac zippé en toile qui est une besace dont les extrémités supérieures se prolongent pour constituer l'amorce d'une bandoulière et qui comporte sur la face avant deux poches à soufflets fermées sur le devant par une fermeture à glissière et du bas de chacune desquelles part une lanière en cuir attachée par une boucle sous le dessous du sac. La bandoulière du sac est épaisse et fermée par une grosse boucle en métal.

Il résulte de ce qui précède que le sac reproduit dans le magazine CLOSER reprend l'ensemble des caractéristiques originales précédemment exposées du sac ALDO créé par Monsieur D.

Il s'ensuit que les deux sacs en cause présentent de grandes ressemblances d'ensemble qui leurs confèrent un aspect très proche et ce, malgré la différence de matière utilisée.

Il apparaît en outre des pièces jointes au procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître L, huissier de justice à Paris, le 15 janvier 2009 dans les locaux de la société MINE DE RIEN et ceux de la société France NOUVEAUTES, que le numéro de téléphone mentionné sur la facture de la société France NOUVEAUTES est le même que celui apparaissant en page 82 du magazine CLOSER pour indiquer les coordonnées de la société MINE DE RIEN.

Il ressort également des extraits Kbis fournis, que les sociétés France NOUVEAUTES et MINE DE RIEN ont le même dirigeant, Monsieur Maxime S qui a assisté à l'ensemble des opérations de saisie contrefaçon.

Enfin, le procès-verbal de constat en date du 9 juillet 2009 dressé par Maître L sur le site Internet de la société lmdarjeeling, qui a été le prestataire relations presse de la société France Nouveautés jusqu'en juin 2008, montre que cette agence travaille avec le magazine CLOSER.

En conséquence, bien qu'aucun sac argué de contrefaçon n'ait été trouvé par l'huissier au siège de la société MINE DE RIEN, son dirigeant et la vendeuse présente précisant que ce sac n'a pas été vendu par cette dernière, il procède de l'ensemble des éléments ci-avant exposés que la société défenderesse est bien présentée comme le vendeur du sac paru dans le magazine CLOSER et constituant la contrefaçon du modèle de sac ALDO dont Monsieur D est l'auteur et la société 1.0.9 est titulaire des droits patrimoniaux.

Le sac litigieux est exposé sans le nom de l'auteur Monsieur D et est fabriqué dans une matière de moindre qualité qui dénature l'œuvre dont celui-ci est l'auteur.

La contrefaçon du modèle de sac ALDO est ainsi constituée.

Sur la concurrence déloyale La copie quasi-servile du modèle, la dévalorisation de celui-ci par la vente à bas prix d'un produit de moindre qualité ainsi que le profit des efforts promotionnels, à supposer démontrés, ne sont pas des faits distincts de ceux de la contrefaçon et seront réparés par l'allocation de dommages et intérêt à ce titre.

En conséquence, la société 1.0.9 sera déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Sur les mesures réparatrices

Aucun sac argué de contrefaçon n'ayant été trouvé dans les locaux de la société défenderesse, il sera fait droit en tant que de besoin à la mesure d'interdiction sollicitée dans les termes du dispositif.

En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures de confiscation aux fins de destruction sollicitées.

Il ressort des éléments versés aux débats que le sac ALDO, bien qu'actuellement commercialisé sous forme de « collector », a rencontré un certain succès depuis sa création en 2005.

Au vu de ces éléments, le Tribunal est en mesure d'évaluer le préjudice lié à l'atteinte au droit moral de Monsieur Jérôme D à la somme de 10.000 €.

En revanche, aucune vente du sac en cause n'étant établie par les demandeurs, seule la reproduction dans un magazine étant démontrée, la société 1.0.9 sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice patrimonial, celui-ci n'étant pas démontré.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait droit aux mesures de publication sollicitées.

Sur les demandes reconventionnelles

L'action de Monsieur D et de la société 1.0.9 ayant partiellement prospéré, la demande de dommages et intérêts de la société MINE DE RIEN pour procédure abusive sera rejetée.

Sur les autres demandes

II y a lieu de condamner la société MINE DE RIEN, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

En outre, elle doit être condamnée à verser à Monsieur Jérôme D et à la société 1.0.9 qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5.000 € chacun.

Les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.

PAR CES MOTIFS



Le Tribunal, statuant par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et rendu en premier ressort,

Dit qu'en se présentant dans le n° 176 du magazine CLOSER du 25 au 31 octobre 2008, comme le vendeur d'un sac zippé en toile reproduisant les caractéristiques originales du sac ALDO dont Monsieur Jérôme D est l'auteur et la société 1.0.9 titulaire des droits patrimoniaux, et ce sans autorisation ni mention du nom de l'auteur, la société MINE DE RIEN a commis des actes de contrefaçon ;

En conséquence,

- FAIT INTERDICTION, en tant que de besoin, à la société MINE DE RIEN de poursuivre de tels agissements, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;

- DIT que le Tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte ; - CONDAMNE la société MINE DE RIEN à payer à Monsieur Jérôme D, à titre de dommages-intérêts, la somme de 10.000 € en réparation du préjudice subi au titre de l'atteinte à son droit moral ;

- DEBOUTE la société 1.0.9 de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial ;

- DEBOUTE Monsieur Jérôme D et la société 1.0.9 de leurs demandes au titre de la publication du présent jugement ;

- DEBOUTE la société 1.0.9 de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ;

-DEBOUTE la société MINE DE RIEN de ses demandes reconventionnelles ;

- ORDONNE l'exécution provisoire ;

- CONDAMNE la société MINE DE RIEN à payer à Monsieur Jérôme D et à la société 1.0.9 la somme de 5.000 € chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- CONDAMNE la société MINE DE RIEN aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.