AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
I - Sur le pourvoi n° E 96-14.395 formé par M. René Y..., notaire, demeurant ...,
II - Sur le pourvoi n° T 96-14.499 formé par M. Pierre Bouthinon-Dumas, greffier du tribunal de commerce d'Angoulême, demeurant 17, place Bouillaud, 16007 Angoulême, en cassation d'un même arrêt rendu entre eux le 2 février 1996 par la cour d'appel de Paris (15e chambre, section B), et au profit :
1°/ de M. Daniel Z..., demeurant ...,
2°/ de la société Banque populaire du Val-de-France (BPVF), dont le siège est ...,
3°/ de la compagnie d'assurances La Lilloise, dont le siège est
..., defendeurs à la cassation ;
Le demandeur au pourvoi n° E 96-14.395 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi n° T 96-14.499 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 24 mars 1998, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Aubert, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Aubert, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., de Me Guinard, avocat de M. Z..., de Me Bouthors, avocat de la Banque populaire du Val-de-France (BPVF), de Me Brouchot, avocat de M. X..., de Me Delvolvé, avocat de la compagnie d'assurances La Lilloise, les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois E 96-14.395 et T 96-14.499 ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 1996), que, par un acte notarié du 25 août 1981, la Banque populaire du Berry-Orléanais, devenue la Banque populaire du Val-de-France (BPVF), a consenti à la société La Briocherie (la société), ainsi qu'à M. Z..., associé et gérant de cette société, coemprunteur, un prêt destiné pour partie à financer l'acquisition du droit au bail d'un immeuble;
que, pour garantie de sa créance, la banque a fait inscrire, puis renouveler, le privilège du vendeur de fonds de commerce et le nantissement du fonds de ladite société, qui avait alors pour activité la fabrication et la vente de viennoiseries;
que, le 24 juillet 1987, tous les associés de cette société ont cédé leurs parts et, M. Z..., ayant démissionné de ses fonctions de gérant, les nouveaux associés ont modifié l'activité de la société, sans en changer la dénomination, pour exercer le commerce de bijoux fantaisie;
que, par un acte du 25 août 1989, reçu par M. Y..., notaire, la société a cédé les droits restant à courir du bail antérieurement acquis pour un prix de 250 000 francs;
qu'après avoir présenté successivement au greffe du tribunal de commerce, les 10 juillet et 11 septembre 1989, deux réquisitions libellées au nom de la société et visant un fonds de commerce de bijouterie fantaisie, le notaire a obtenu un état "néant" pour l'inscription du privilège du vendeur et un bordereau d'inscription de nantissement pris par la Banque nationale de Paris (la BNP) le 24 décembre 1987;
qu'en l'état de ces renseignements, le notaire a procédé à la répartition du prix, payant la BNP, le solde de 95 767 francs étant remis à la société;
que, par la suite, faisant état de ce qu'elle restait créancière d'une somme de 299 546, 64 francs au titre du prêt qu'elle avait accordé le 25 août 1981, la BPVF a assigné M. Z... en paiement de cette somme;
que celui-ci a demandé la garantie de M. Y... ainsi que celle de M. Bouthinon-Dumas, greffier du tribunal de commerce;
que l'arrêt a accueilli ces demandes ;
Sur le premier moyen
du pourvoi n° E 96-14.395, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Y... reproche à l'arrêt
de s'être ainsi prononcé, alors que, d'une part, en considérant que le notaire ne pouvait se fier aux renseignement demandés au greffier, et qu'il avait, ce faisant, commis une faute, la cour d'appel aurait violé l'article
1382 du Code civil ;
et que, d'autre part, en considérant que le notaire aurait dû suspecter les renseignements donnés par le greffe du tribunal de commerce, motif pris de ce qu'il y avait discordance entre le nom de la société exploitant le fond et son activité, alors que l'activité n'avait aucune influence sur les recherches du greffier, la cour d'appel aurait encore violé ce même texte ;
Mais attendu
qu'ayant relevé, non seulement que l'attention de M. Y... aurait dû être alertée par la discordance entre la dénomination de la société "La Briocherie" et son activité de "bijouterie fantaisie", mais encore que la simple consultation de l'acte notarié du 3 septembre 1981, dont il avait fait mention dans l'acte qu'il avait lui-même établi le 25 août 1989, lui aurait permis de vérifier le nantissement consenti au profit de la BPVF, la cour d'appel a pu retenir que le notaire avait commis une faute;
que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen
unique du pourvoi n° T 96-14 499, pris en ses deux premières branches :
Attendu que M. Bouthinon-Dumas fait grief à
l'arrêt attaqué de l'avoir condamné in solidum à réparer le dommage subi par M. Z..., alors que, d'une part, en décidant que le greffier d'un tribunal de commerce, qui délivre un état des inscriptions sur un fonds de commerce désigné comme fonds de bijouterie fantaisie, commet une faute en s'abstenant de rechercher si la société propriétaire de ce fonds exploite d'autres fonds susceptibles d'avoir fait l'objet d'autres inscriptions, la cour d'appel aurait violé les articles
1382 du Code civil et 33 de la loi du 17 mars 1909;
et que, d'autre part, en retenant la responsabilité in solidum du greffier après avoir estimé que si le notaire avait fait toutes les investigations utiles il aurait eu connaissance du nantissement consenti au profit de la banque, constatant ainsi que la faute du notaire était la cause exclusive du préjudice dont la réparation était demandée, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article
1382 du Code civil ;
Mais attendu
, d'abord, qu'ayant souverainement constaté que les réquisitions du notaire comportaient suffisamment d'indications pour permettre au greffier de délivrer un état complet des inscriptions grevant le fonds de commerce, la cour d'appel a pu estimer que celui-ci avait commis une faute;
qu'ensuite, ayant ainsi relevé que M. Y... et M. Bouthinon-Dumas avait successivement commis des fautes qui se trouvaient à l'origine du dommage dont la réparation était demandée par M. Z..., c'est à bon droit que la cour d'appel les a condamnés in solidum à réparer ledit dommage;
que le moyen n'est donc pas fondé en ses deux premières branches ;
Et, sur le second moyen du pourvoi n° E 96-14.395 et le moyen unique du pourvoi n° T 96-14.499, pris en sa troisième branche, qui sont similaires :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné M. Y... et M. Bouthinon-Dumas à garantir M. Z... des condamnations prononcées contre lui au profit de la BPVF, bien qu'il ne s'agît là que de l'exécution forcée du contrat de prêt consenti par cette banque et pour lequel M. Z... s'était engagé comme coemprunteur solidaire, de sorte que la cour d'appel aurait méconnu les conséquences inhérentes à la qualité de coemprunteur de M. Z... et n'aurait pas caractérisé le préjudice subi par celui-ci, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article
1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant souverainement estimé que si la banque avait été payée lors de la vente opérée par l'acte du 25 août 1989, M. Z... n'aurait pas été poursuivi par la suite en tant que coemprunteur, la cour d'appel, qui a ainsi défini le préjudice supporté par M. Z..., a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision;
que les moyens ne sont donc pas fondés ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge respective des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de M. Z..., la BPVF et la compagnie d'assurances La Lilloise ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.