TROISIÈME SECTION
AFFAIRE NOTARNICOLA c. ITALIE
(Requête no 64264/01)
ARRÊT
(satisfaction équitable)
STRASBOURG
12 avril 2011
DÉFINITIF
12/07/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Notarnicola c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Nona Tsotsoria,
Guido Raimondi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mars 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 64264/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, Me Vito Notarnicola (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 décembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant est décédé le 3 août 2009. Par une lettre du 3 mars 2010, M. Antonio Giovanni Notarnicola et Mmes Maria Anna Antonia Notarnicola et Natalia Maria Giuseppa Laforgia ont informé le greffe de ce qu'ils avaient hérité du requérant et qu'ils souhaitaient se constituer dans la procédure devant la Cour.
2. Par un arrêt du 5 octobre 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence litigieuse n'était pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle a donc méconnu le droit au respect des biens du requérant (Notarnicola c. Italie, no 64264/01, § 34, 5 octobre 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, le requérant réclamait une somme correspondant à la valeur du terrain, moins l'indemnité accordée au plan national. En outre, il sollicitait 47 000 EUR plus intérêts pour non-jouissance du terrain. le requérant demandait également 10 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 44, et point 4 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n'aboutissent à un tel accord.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
8. A titre de préjudice matériel, compte tenu de l'impossibilité d'obtenir la restitution du terrain, et s'inspirant des affaires Pasculli c. Italie ((satisfaction équitable), no 36818/97, 4 décembre 2007) et Scordino c. Italie (no 3) ((satisfaction équitable), no 43662/98, CEDH 2007-III), les héritiers du requérant réclament la réparation intégrale du préjudice subi. A cet égard, ils sollicitent le versement d'une somme correspondant à la valeur vénale actuelle du terrain, augmentée de la plus value apportée par la présence de bâtiments. Ils ont chiffré ce préjudice à 8 845 897 EUR. Les héritiers du requérant ne demandent aucune somme au titre de dommage moral.
9. Le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées au motif que la réévaluation du terrain ne devrait pas être prise en compte afin de calculer le montant de l'indemnisation. Il affirme que l'indemnisation pour la perte du terrain s'élève à 246 964,16 EUR.
10. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
11. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
12. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
13. En l'espèce, le requérant a perdu la propriété de son terrain en 1990. Il ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale que la valeur du bien à cette date était de 1 161 060 000 ITL (paragraphe 10 de l'arrêt au principal).
14. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder conjointement aux héritiers du requérant, - qui était copropriétaire du terrain - 440 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
15. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], précité, § 107). La Cour juge qu'il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l'indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l'occupation légitime (1984) jusqu'au moment de la perte de propriété (1990). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme déjà obtenue par les requérants au niveau interne à titre d'indemnité d'occupation. Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux héritiers du requérant 35 000 EUR de ce chef.
B. Frais et dépens
16. Les héritiers du requérant demandent 10 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour sans toutefois fournir de justificatifs à l'appui de leur demande.
17. Le Gouvernement s'y oppose et fait valoir que les héritiers du requérant n'ont pas chiffré leurs prétentions.
18. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
19. En l'espèce, la Cour relève que les héritiers du requérant n'ont pas fourni de justificatifs à l'appui de leur demande et rejette cette dernière.
C. Intérêts moratoires
20. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser conjointement aux héritiers du requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention 475 000 EUR (quatre cent soixante quinze-mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 avril 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président