Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2024, M. C E, représenté par Me Lucile Matrand, demande au tribunal :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2024 portant refus de séjour, abrogation de l'attestation de demandeur d'asile, obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pendant un an; à tout le moins, de l'annuler en tant qu'il porte fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pendant un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile mention " réexamen " et de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à Me Lucile Matrand au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
M. E soutient que :
* l'arrêté dans son ensemble :
- a été pris en méconnaissance et de l'article
L 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu ;
- a été pris par une autorité incompétente ;
- est insuffisamment motivé ;
- méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
* les décisions portant refus de séjour et abrogation de l'attestation de demandeur d'asile :
- sont illégales car il a réintroduit une demande d'asile ;
* la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- est illégale car sa demande d'asile n'a pas été définitivement rejetée ;
* la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- méconnaît les articles
L 612-6 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2024, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu :
- la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme G comme juge du contentieux des mesures d'éloignement des étrangers et des décisions relatives à la rétention des étrangers ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir, au cours de l'audience publique du 6 septembre 2024, présenté son rapport et entendu les observations de :
- Me Bidault, substituant Me Matrand, qui demande à la magistrate désignée de statuer sur un refus d'abrogation de l'obligation de quitter le territoire français,
- M. E, assisté de M. B, interprète en pachtou.
Considérant ce qui suit
:
1. M. E, ressortissant afghan né le 11 novembre 1998, est entré en France le 18 mars 2022 et a sollicité l'asile le 5 avril 2022. Sa demande a été rejetée par une décision du 16 novembre 2023 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) prise sur le fondement de l'article
L531-27 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, décision confirmée par un arrêt du 21 mai 2024 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) statuant sur le fondement de l'article
L 532-6 du même code. Par un arrêté du 24 juin 2024, le préfet de l'Eure a rejeté sa demande d'admission au séjour, a abrogé son attestation de demandeur d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français sous trente jours, a fixé son pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. E a déposé une demande de réexamen auprès de la préfecture de la Seine-Maritime le 18 juillet 2024 et s'est vu délivrer une attestation de demande d'asile (réexamen) valable jusqu'au 17 janvier 2025. Conformément aux dispositions de l'article
L 541-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette attestation a eu pour seul effet d'empêcher la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'à ce que M. E perde le droit de se maintenir en France.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. Eu égard à l'urgence, il y a lieu, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée relative à l'aide juridique, d'admettre provisoirement M. E au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur les moyens dirigés contre l'arrêté dans son ensemble:
3. En premier lieu,, d'une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A, N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
4. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas non plus soutenu par le requérant, que la procédure administrative en cause aurait pu aboutir à un résultat différent s'il avait été mis en mesure de formuler ses observations sur l'éventualité du prononcé des mesures contenues dans l'arrêté en litige. De plus, il appartenait à M. E, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il jugeait utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'imposait pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur les décisions litigieuses. Ainsi, la circonstance que M. E n'ait pas été invité à formuler des observations avant l'édiction de l'arrêté attaqué ne permet pas de considérer qu'il aurait été effectivement privé de son droit à être entendu. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu tel que garanti par le principe général du droit de l'Union européenne doit, dès lors, être écarté.
5. D'autre part, les dispositions de l'article
L 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne sont pas applicables aux procédures d'élaboration des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur ce territoire. Par suite M. E ne peut utilement se prévaloir de leur méconnaissance.
6. En deuxième lieu, M. D F, adjoint au chef du bureau des migrations et de l'intégration de la préfecture de l'Eure avait reçu délégation, par arrêté du préfet de ce département du 2 novembre 2023 qui figure dans les visas de l'arrêté en litige, pour signer l'ensemble des décisions contenues dans cet arrêté. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit donc être écarté.
7. En troisième lieu, l'arrêté en litige vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont le préfet de la Seine-Maritime a fait application, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'autorité préfectorale, qui n'avait pas à faire référence à l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressé, y mentionne, notamment, sa situation administrative, les caractéristiques de sa vie privée et familiale et indique qu'il n'établit pas qu'il peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Enfin, s'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français, l'arrêté mentionne la durée du séjour en France de M. E, la nature de ses liens avec ce pays, l'absence d'une précédente mesure d'éloignement ainsi que l'absence de menace pour l'ordre public. L'arrêté est ainsi suffisamment motivé en droit et en fait.
8. En dernier lieu, les seules circonstances, au demeurant non établies, que M. E aurait quitté l'Afghanistan depuis trois ans et ne partagerait pas la " doctrine talibane " ni la lecture de la religion musulmane par les talibans ne suffit pas à établir, en l'absence de tout autre élément, qu'il aurait acquis un profil occidentalisé ou qu'il risquerait de se voir imputer un tel profit. Par ailleurs, le requérant, dont la demande d'asile avait, à la date de la décision attaquée, été rejetée tant par l'OFPRA que par la CNDA, n'établit pas, par les trois pièces versées au dossier dont une attestation de sa mère, qu'il serait exposé, en cas de retour en Afghanistan, au risque de subir des traitements inhumains et dégradants. Par suite, l'arrêté en litige ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le moyen dirigé contre le refus de séjour, et l'abrogation de l'attestation de demandeur d'asile :
9. La légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date de son édiction. Par suite, la circonstance que M. E ait déposé, le 18 juillet 2024, une demande de réexamen auprès de la préfecture de la Seine-Maritime, que l'OFPRA a d'ailleurs déclaré irrecevable le 2 août 2024 ainsi qu'il ressort des écritures présentées en défense, est sans incidence sur la légalité des décisions critiquées.
Sur le moyen dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. La circonstance que M. E ait déposé, le 18 juillet 2024, une demande de réexamen auprès de la préfecture de la Seine-Maritime n'est pas de nature à permettre de regarder sa demande d'asile du 5 avril 2022 comme n'ayant pas été définitivement rejetée. Le moyen tiré de la méconnaissance du 4° de l'article
L 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.
Sur le moyen dirigé contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
11. Aux termes de l'article L 612-8 du code de justice administrative : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français./Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français " et aux termes de l'article L 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles
L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français./ Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
12.. M. E n'était présent en France que depuis un peu plus de deux ans à la date de la décision attaquée et n'établit pas y disposer de liens familiaux ou de liens amicaux personnels. Par suite, et même s'il est constant qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public et qu'il n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le préfet de l'Eure a pu légalement prononcer à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur les conclusions, présentées au cours de l'audience, aux fins d'annulation du refus d'abrogation de l'obligation de quitter le territoire français :
13. Il résulte de ce qui précède que l'obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du 24 juin 2024 n'est pas illégale. Par conséquent, à les supposer recevables, les conclusions présentées oralement au cours de l'audience, aux fins d'annulation de la décision par laquelle un préfet aurait implicitement refusé de l'abroger lors du dépôt en préfecture le 18 juillet 2024 de la demande de réexamen ne peuvent être que rejetées.
14. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des conclusions de M. E aux fins d'annulation doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent être accueillies. L'Etat n'ayant pas la qualité de partie perdante, les conclusions présentées sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article
L 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : M. C E est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C E est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M C E, à Me Lucile Matrand et au préfet de l'Eure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 septembre 2024.
La magistrate désignée,
signé
A. GLe greffier,
signé
H. TOSTIVINT
La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Signé : S. Combes