Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 12 mai 1998, 95-21.152

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1998-05-12
Cour d'appel d'Amiens (chambre commerciale)
1995-04-14

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par la société SPRL Décoration Design, dont le siège est ... B, 4020 Liège (Belgique), en cassation d'un arrêt rendu le 14 avril 1995 par la cour d'appel d'Amiens (chambre commerciale), au profit de la société Cagem, société à responsabilité limitée, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 mars 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Grimaldi, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société SPRL Décoration Design, de Me Bouthors, avocat De la société Cagem, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Amiens, 14 avril 1995), que, par deux contrats des 13 décembre 1985 et 8 septembre 1988, renouvelables par tacite reconduction, la société Décoration Design a adhéré, pour ses magasins situés respectivement à Liège et à Gosselie, à la société Centrale d'achat des grossistes en équipement de magasins (société Cagem) en se voyant reconnaître l'exclusivité, dans chacun de ces secteurs géographiques, de la commercialisation des produits Embaldécor distribués par la société Cagem; que les contrats prévoyaient que, suivant les commandes passées directement par les adhérents, les fournisseurs accorderaient des ristournes à la société Cagem, que celle-ci redistribuerait ensuite à ses adhérents; que la société Décoration Design a résilié les deux contrats en cours d'exécution; que la société Cagem lui a demandé paiement des redevances impayées ainsi que des indemnités de rupture ; que la société Décoration Design s'est opposée à l'action et a poursuivi reconventionnellement la nullité des contrats ainsi que le paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen

unique, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que la société

Décoration Design reproche à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Cagem et d'avoir rejeté sa demande reconventionnelle alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en concédant à un commerçant l'exclusivité, dans un secteur déterminé, de l'usage d'une enseigne commerciale, le concédant s'interdit toute commercialisation dans ce même secteur des produits diffusés sous cette enseigne; qu'en estimant que l'obligation d'exclusivité contractée par la société Cagem consistait uniquement à ne pas concéder l'enseigne Embaldécor à un autre adhérent dans la zone concernée par l'exclusivité, mais ne lui interdisait pas de commercialiser elle-même, dans cette zone de chalandise, les produits diffusés par ses adhérents, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil; alors, d'autre part, que le contrat signé le 8 septembre 1988 avec la société Cagem stipule en son article 1-2 que l'adhérent a l'obligation exclusive de s'approvisionner auprès de la société Cagem; qu'en justifiant la commercialisation directe de ses propres produits par la société Cagem à l'intérieur du secteur d'exclusivité reconnu à l'adhérent par la circonstance que celui-ci n'était tenu de son côté à aucune obligation d'approvisionnement exclusif, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat en cause et violé l'article 1134 du Code civil; alors, ensuite, que le concessionnaire exclusif d'une marque ou d'une enseigne est fondé à résilier son contrat en reprochant au concédant les faits de concurrence déloyale que celui-ci, d'une manière régulière et organisée, pratique au préjudice des concessionnaires du réseau, peu important que la preuve n'ait pas été établie que ce concessionnaire ait été personnellement victime de cette concurrence; qu'en constatant que la société Cagem procédait régulièrement à des ventes directes sur les secteurs d'exclusivité concédés, tout en estimant que la société Décoration Design n'était pas fondée à résilier son contrat pour ce motif, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil; et alors, enfin, qu'en énonçant que la société Cagem avait pris le 29 juin 1989 la décision de ne plus concurrencer ses propres adhérents, sans répondre au moyen des écritures de la société Décoration Design qui faisait valoir que cet engagement n'était que "conditionnel" et que la société Cagem avait, de fait, poursuivi son activité de vente directe postérieurement à cette date, ainsi qu'il résultait d'attestations et de documents de preuve produits aux débats et visés dans les conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

que, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé que les contrats litigieux stipulent que la société Cagem, "outre son rôle de centrale d'achats" pour les produits de la marque Embaldécor, "crée et sous-traite la fabrication" de produits Cagem dont la commercialisation à des tarifs préférentiels est réservée à ses seuls adhérents dans leur zone exclusive de chalandise, retient que la société Cagem est fondée à procéder à des ventes directes de ces derniers produits dans les secteurs concédés pour la marque Embaldécor; que, par ces seuls motifs, qui rendent inopérants les griefs des deuxième, troisième et quatrième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;

Et sur les trois dernières branches du moyen

:

Attendu que la société

Décoration Design fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se bornant à énoncer que le grief tiré de l'utilisation à des fins personnelles des catalogues financés par les adhérents n'était "pas établi", sans s'expliquer sur les documents de preuve versés aux débats et visés dans les conclusions d'où il ressortait que le catalogue "Cagem" n'était autre que le catalogue "Embaldécor", financé exclusivement par les adhérents et pour leur seul profit (art. 3-1 du contrat) dont la société Cagem interchangeait seulement la couverture, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, d'autre part, qu'un manquement de l'une des parties à l'une de ses obligations essentielles peut justifier la résiliation judiciaire du contrat à ses torts, même si cette faute n'a pas été visée au contrat comme constituant une cause de résiliation de plein droit; qu'en énonçant que le grief tiré d'une utilisation à des fins personnelles des catalogues financés par les adhérents ne pouvait constituer une faute, dès l'instant que ces faits ne figuraient pas au nombre des manquements limitativement énumérés au contrat comme constituant une cause de résiliation de plein droit, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1184 du Code civil; et alors, enfin, qu'il appartient au débiteur d'une obligation contractuelle de prouver qu'il l'a exécutée; qu'en énonçant que la société Décoration Design n'était pas fondée à demander que soient communiquées aux débats les factures des fournisseurs permettant de vérifier que la société Cagem avait respecté son obligation de reverser à ses adhérents les ristournes qui lui avaient été consenties par les fournisseurs, la cour d'appel a inversé le fardeau de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil et l'article 11 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve versés aux débats que la cour d'appel retient que le grief tiré de l'utilisation à des fins personnelles par la société Cagem de catalogues financés par les adhérents n'est pas établi; qu'il en résulte que le grief de la deuxième branche est inopérant ; Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé, par motifs adoptés, que les parties avaient stipulé que "conformément à son engagement de transparence tarifaire, la société Cagem s'oblige à laisser prendre connaissance à son adhérent de toute facture fournisseur", l'arrêt retient, sans inverser la charge de la preuve dès lors que la société Décoration Design devait établir la faute contractuelle alléguée contre la société Cagem, que l'adhérente ne rapporte pas la preuve qu'elle ait présenté à celle-ci une demande aux fins de prendre connaissance de factures de fournisseurs et que celle-ci y ait opposé un refus ; D'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société SPRL Décoration Design aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Centrale d'achats des grossistes en équipement de magasins ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.