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CJUE, 17 mai 2001, 85/384

Synthèse

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Texte intégral

Avis juridique important [http://europa.eu.int/eur-lex/lex/fr/editorial/legal_notice.htm] | 62000C0031 Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 17 mai 2001. - Conseil national de l'ordre des architectes contre Nicolas Dreessen. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Belgique. - Renvoi préjudiciel - Articles 10 CE et 43 CE - Législation nationale subordonnant l'accès à la profession d'architecte à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle - Ressortissant communautaire titulaire d'un diplôme ne figurant pas parmi ceux énumérés par la directive 85/384/CEE - Obligation pour l'Etat membre d'accueil, saisi d'une demande d'exercer la profession d'architecte sur son territoire, de procéder à une comparaison des compétences attestées par le diplôme et l'expérience acquise avec les qualifications exigées par sa législation nationale. - Affaire C-31/00. Recueil de jurisprudence 2002 page I-00663 CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL 1. Le présent recours préjudiciel concerne la mise en oeuvre de la liberté d'établissement des architectes. 2. Au centre de la question en interprétation soumise à votre appréciation figure la directive 85/384/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l'architecture et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services . I - Cadre juridique A - Le droit communautaire 3. L'article 1er de la directive dispose: «1. La présente directive s'applique aux activités du domaine de l'architecture. 2. Au sens de la présente directive, on entend par activités du domaine de l'architecture celles exercées habituellement sous le titre professionnel d'architecte» . 4. La directive n'a pas pour objectif de procéder à une harmonisation des règles nationales dans le domaine de l'architecture. Elle ne définit pas ce qu'est un architecte. Elle n'offre pas non plus de critères matériels de délimitation de la profession. 5. La directive organise deux types de régimes. Pour les diplômes obtenus après la date de son entrée en vigueur, le chapitre II de la directive comporte un régime définitif dans lequel les États membres s'engagent à reconnaître les diplômes délivrés par les autres États membres qui satisfont aux conditions de contenu et de durée de formation établies par les articles 3 et 4 . Chaque État doit communiquer et mettre à jour la liste des diplômes satisfaisant à ces critères, ainsi que les établissements et les autorités qui les délivrent. Un régime transitoire est prévu pour ce qui concerne les diplômes obtenus avant la date de la notification de la directive ou pour les étudiants qui avaient entrepris leur formation au plus tard au cours de l'année universitaire 1987/1988. La directive décrit un mécanisme de reconnaissance automatique des diplômes, qu'elle énumère de manière précise. 6. L'article 11 de la directive énumère les diplômes, certificats et autres titres qui, délivrés en Allemagne, doivent être reconnus par les autres États membres. 7. Concernant l'épreuve sur titres visée audit article 11, sous a), quatrième tiret, l'article 13 de la directive précise qu'elle «[...] comporte l'appréciation de plans établis et réalisés par le candidat au cours d'une pratique effective, pendant au moins six ans, des activités visées à l'article 1er». B - Le droit belge 8. La loi du 20 février 1939 porte sur la protection du titre et de la profession d'architecte. Son article 1er dispose: «1. Nul ne peut porter le titre d'architecte ni en exercer la profession s'il ne possède un diplôme établissant qu'il a subi avec succès les épreuves requises pour l'obtention de ce diplôme. 2. Sans préjudice du paragraphe 1 et des articles 7 et 12, les Belges et les ressortissants des autres États membres de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen peuvent porter en Belgique le titre d'architecte et en exercer la profession s'ils sont en possession d'un diplôme, d'un certificat ou d'un autre titre visés à l'annexe de la présente loi. 3. Les Belges et les ressortissants des autres États membres de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui satisfont aux conditions prévues à l'annexe de la présente loi ont le droit de faire usage du titre de formation licite qu'ils portent dans l'État d'origine ou de provenance et, éventuellement, de l'abréviation de ce titre, dans la langue de cet État. [...]» 9. En annexe, cette loi énumère les dispositions relatives aux diplômes, certificats ou autres titres obtenus en Allemagne, qui permettent le port du titre et l'exercice de la profession d'architecte en Belgique. 10. Enfin, les articles 4 et 5 de la loi du 26 juin 1963 , portant création d'un ordre des architectes, disposent respectivement que «[n]ul ne peut être inscrit à un tableau de l'Ordre ou sur une liste de stagiaires s'il ne réunit les conditions requises par la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre ou de la profession d'architecte» et que «[n]ul ne peut exercer en Belgique la profession d'architecte en quelque qualité que ce soit, s'il n'est inscrit à l'un des tableaux de l'Ordre ou sur une liste des stagiaires [...]». II - Les faits et la procédure au principal 11. M. Dreessen, de nationalité belge, est titulaire d'un diplôme d'ingénieur délivré le 16 février 1966 en Allemagne. Il a travaillé pendant 25 ans comme «salarié dans différents bureaux d'architectes» à Liège (Belgique). En 1991, à la suite de la liquidation de la société qui l'employait, l'intéressé a sollicité son inscription au tableau de l'ordre des architectes de la province de Liège pour s'installer à titre indépendant. 12. Sa demande a été rejetée par une décision du 29 avril 1993. Cette dernière se fonde sur la constatation selon laquelle le diplôme délivré par une section «Allgemeiner Hochbau» (bâtiment-construction) n'est pas expressément visé par l'article 11, sous a), de la directive, qui a été transposé en droit national par l'arrêté royal modificatif du 6 juillet 1990 . En effet, la section à l'origine de cette délivrance n'est pas une section d'architecture. 13. Saisi en appel de cette décision, le conseil d'appel d'expression française de l'ordre des architectes a soumis à votre Cour une question préjudicielle portant sur l'assimilation du diplôme délivré au requérant avec les diplômes, certificats et autres titres visés par la législation nationale . 14. Par arrêt du 9 août 1994, Dreessen, dit «Dreessen I» , votre Cour a conclu à l'absence d'équivalence entre le diplôme délivré à M. Dreessen et les diplômes, certificats et autres titres limitativement énumérés à l'article 11, sous a), quatrième tiret, de la directive. Selon votre Cour, «[l]e régime transitoire, applicable en l'espèce au principal, est caractérisé par une énumération exhaustive des diplômes, certificats et titres de chaque État membre susceptibles de bénéficier d'une reconnaissance» . L'arrêt Dreessen I précise que, en «ce qui concerne les écoles d'ingénieurs allemandes, cette reconnaissance se limite aux certificats délivrés par les sections d'architecture. Or, le diplôme de l'intéressé n'a pas été délivré par une telle section» . Vous avez donc clairement considéré que le diplôme délivré en 1966 par la section «Allgemeiner Hochbau» de la Staatliche Ingenieurschule für Bauwesen Aachen (École supérieure du bâtiment d'Aix-la-Chapelle) ne saurait être assimilé aux certificats visés à l'article 11, sous a), quatrième tiret, de la directive. 15. Sur le fondement de votre arrêt Dreessen I, le conseil d'appel d'expression française de l'ordre des architectes a rejeté le recours du requérant par une décision du 15 février 1995. 16. Par courrier du 25 octobre 1997, M. Dreessen a introduit auprès du conseil de l'ordre des architectes de la province de Liège une nouvelle demande d'inscription au tableau de l'ordre des architectes. Le requérant au principal justifiait le dépôt de sa demande par deux types d'arguments. D'une part, il faisait valoir que son diplôme ne figurait pas sur la liste visée à l'article 11 de la directive en raison d'une erreur des autorités fédérales allemandes. D'autre part, le conseil de l'Ordre aurait dû procéder à un examen comparatif des formations reçues, conformément à l'interprétation jurisprudentielle délivrée dans l'arrêt Vlassopoulou . 17. Par décision du 5 février 1998, M. Dreessen a été débouté au motif que le conseil de l'Ordre n'avait pas à tenir compte de ses connaissances et de ses qualifications ni à les apprécier; qu'il doit se limiter à vérifier l'équivalence de son diplôme, équivalence qui n'est pas rencontrée. Le conseil de l'ordre des architectes de la province de Liège ajoutait que la demande fondée sur l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) avait déjà été présentée et rejetée. 18. Réformant cette décision, le conseil d'appel d'expression française de l'ordre des architectes décidait, le 16 juin 1999, de donner raison à M. Dreessen en constatant qu'il justifiait des qualifications et des connaissances exigées par la loi belge. 19. Le conseil de l'ordre des architectes a formé un pourvoi en cassation contre cette décision en faisant valoir qu'il n'appartenait pas aux autorités compétentes de compléter l'énumération exhaustive visée à l'article 11 de la directive en se livrant à un examen comparatif. III - Question préjudicielle 20. La Cour de cassation (Belgique) a estimé que la solution du litige au principal dépendait de l'interprétation de certaines dispositions du droit communautaire. En conséquence, elle a décidé de surseoir à statuer et de vous poser la question préjudicielle suivante: «Les articles 5 et 52 du traité de Rome impliquent-ils que l'État membre, dont une autorité compétente a été saisie, par un ressortissant communautaire, titulaire d'un diplôme obtenu dans un autre État membre, d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, est tenu de prendre en considération le diplôme invoqué par le requérant et de procéder à une comparaison entre les compétences et qualifications attestées par ce diplôme et les compétences et qualifications exigées par les règles nationales, même dans le cas où il existe, à l'égard de la profession concernée, une directive arrêtée par le Conseil sur pied de l'article 57, premier et deuxième alinéas, dudit traité, que cette directive prévoit, pour ce qui est des cycles d'études entrepris ou poursuivis au cours d'une période transitoire, une énumération exhaustive des diplômes ou certificats, délivrés dans les divers États membres, devant permettre l'exercice de la profession concernée dans les autres États membres, que le requérant relève de ce régime transitoire et que le diplôme invoqué par lui ne figure pas dans cette énumération exhaustive?» IV - Analyse juridique 21. Par cette question, le juge de renvoi vous demande en substance si l'article 52 du traité doit être interprété en ce sens que les autorités compétentes d'un État membre, saisies d'une demande d'autorisation d'exercer la profession d'architecte dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, sont obligées de prendre en considération les compétences et les qualifications attestées par un diplôme d'ingénieur, acquis dans un autre État membre, même si ce diplôme ne figure pas au nombre des titres prévus par l'article 11 de la directive. 22. Il convient d'écarter au préalable un argument soulevé par le conseil de l'Ordre. Ce dernier considère que vous avez déjà répondu à la question de droit dans votre arrêt Dreessen I. Or, dans ledit arrêt, et contrairement à ce qui est avancé, vous vous êtes seulement exprimés sur l'appartenance formelle du diplôme d'ingénieur à la liste limitative prévue à l'article 11 de la directive. Dans la présente affaire, le requérant au principal fait valoir d'autres arguments. Il vous demande de vous prononcer sur le contenu matériel du diplôme concerné. En effet, la question est de savoir si les autorités nationales ont l'obligation d'examiner les compétences et les qualifications attestées dans le but de vérifier si elles permettent d'exercer les fonctions d'architecte. M. Dreessen réclame le bénéfice de l'application du principe dégagé dans l'arrêt Vlassopoulou, précité, alors même que le diplôme dont il est titulaire ne remplit pas les conditions de la directive. La question posée dans l'arrêt Dreessen I est distincte de celle qui est aujourd'hui déférée. Nous vous proposons donc d'écarter l'argument du défendeur au principal. 23. À titre liminaire, il convient de rappeler les principes dégagés par les arrêts Vlassopoulou, précité, et Hocsman . 24. Le principe dégagé dans l'arrêt Vlassopoulou, précité, est au centre de la question préjudicielle posée par le juge de renvoi. Dans cet arrêt, vous avez considéré qu'un État membre est tenu, lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, de prendre en considération les diplômes, certificats et autres titres que l'intéressé a acquis dans le but d'exercer cette même profession dans un autre État membre, en procédant à une comparaison entre les compétences attestées par ces diplômes et les connaissances et les qualifications exigées par les règles nationales . 25. La procédure d'examen comparatif doit permettre aux autorités de l'État membre d'accueil de s'assurer objectivement que le diplôme étranger atteste, dans le chef de son titulaire, de connaissances et de qualifications sinon identiques, du moins équivalentes à celles attestées par le diplôme national. Cette appréciation doit être faite exclusivement en tenant compte du degré des connaissances et des qualifications que le diplôme étranger permet de présumer dans le chef du titulaire , compte tenu de la nature et de la durée des études et des formations pratiques qui s'y rapportent. 26. Enfin, vous avez précisé que l'examen de cette correspondance entre les connaissances et les qualifications attestées par le diplôme étranger et celles requises par la législation de l'État membre d'accueil doit être effectué par les autorités nationales selon une procédure qui soit conforme aux exigences de droit communautaire, concernant la protection effective des droits fondamentaux conférés par le traité aux ressortissants communautaires. Il s'ensuit que toute décision doit être susceptible de recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire et que l'intéressé doit pouvoir obtenir connaissance des motifs de la décision . 27. L'arrêt Vlassopoulou, précité, a donné lieu à divers développements ultérieurs et, récemment, à l'occasion de l'arrêt Hocsman, précité. Dans ce cas d'espèce, vous avez appliqué le principe précédemment évoqué au profit d'un ressortissant communautaire, titulaire d'un diplôme de médecine acquis dans un pays tiers, qui se voyait refuser le droit de s'installer à titre indépendant sur le territoire d'un État membre, alors même que les autorités nationales compétentes lui avaient permis d'exercer, à titre de salarié, sa profession auprès de différents hôpitaux publics. Vous avez remédié à cette situation «contradictoire» en estimant qu'«il est bien établi que [dans cette hypothèse] les autorités d'un État membre [...] sont tenues de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en procédant à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience, et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale» . 28. Vous considérez à cet égard que «[...] cette jurisprudence n'est que l'expression jurisprudentielle d'un principe inhérent aux libertés fondamentales du traité» . 29. Cette nouvelle affaire Dreessen s'inscrit dans un cadre juridique et factuel spécifique. Concernant plus précisément le champ d'application territorial, nous constatons que le requérant au principal a réalisé la totalité de son expérience professionnelle au sein de l'État membre dont il a la nationalité. Toutefois, il importe de préciser que le diplôme concerné a été acquis en Allemagne. Le requérant au principal a fait usage de son droit à la libre circulation pour obtenir son diplôme d'ingénieur dans un autre État membre et revenir ensuite dans son État d'origine, pour y acquérir une expérience professionnelle . La question préjudicielle porte précisément sur le contenu de ce diplôme aux fins d'exercer la profession d'architecte. Ajoutons que ceci ne peut être détaché du fait que M. Dreessen a exercé cette profession pendant plusieurs années. Les faits de l'espèce ne constituent donc pas une situation purement interne. 30. Le cadre juridique de l'affaire appelle aussi deux types d'observations. 31. D'une part, le diplôme d'ingénieur ne constitue pas un diplôme prévu par la directive pour pouvoir bénéficier du principe de reconnaissance mutuelle automatique au sein du régime transitoire. La situation du requérant au principal n'est pas identique à celles qui prévalent dans les arrêts Vlassopoulou et Hocsman, précités. Dans le premier cas d'espèce, la requérante au principal ne relevait d'aucune directive de reconnaissance mutuelle. Le domaine d'activités visé dans cette espèce n'avait pas encore été réglementé. Quant à l'affaire Hocsman, précitée, le diplôme de l'intéressé se situait hors du champ d'application de la directive en question, car il avait été délivré par les autorités compétentes d'un pays tiers. En l'espèce, le diplôme du requérant au principal a été acquis dans un État membre, mais n'est pas un diplôme d'architecte. 32. D'autre part, rappelons les raisons pour lesquelles le diplôme ne fait pas partie de la liste limitative prévue à l'article 11 de la directive. Comme vous l'avez relevé dans votre arrêt Dreessen I, «on ne saurait objecter que les anciennes écoles d'ingénieurs, qui ne disposaient pas d'une section d'architecture, ont été intégrées, à partir de 1971, dans les Fachhochschulen dont les diplômes font partie du régime de reconnaissance établi par la directive» . Toutefois, «[...] si cette appellation était impropre ou lacunaire, il appartenait à l'État membre concerné, c'est-à-dire la République fédérale d'Allemagne, de demander et d'obtenir une modification de la directive pour rectifier cette erreur ou réparer cette omission» . 33. D'après les observations du conseil national de l'ordre des architectes, la directive n'aurait tout simplement pas entendu inclure le diplôme d'ingénieur dans son champ d'application. M. Dreessen ne serait pas apte à recevoir l'autorisation de s'installer, de façon indépendante, car il ne disposerait pas du titre d'architecte. Il ne pourrait pas demander que son expérience professionnelle soit prise en compte selon le principe retenu dans l'arrêt Vlassopoulou, précité. 34. Selon cette argumentation, lorsqu'une directive fondée sur l'article 57 du traité CE (devenu, après modification, article 47 CE) est intervenue pour réglementer l'accès à une profession, comme c'est le cas dans l'affaire au principal, les autorités nationales devraient s'en tenir aux dispositions textuelles et ne pas procéder à un examen comparatif prenant en considération les compétences et les qualifications attestées dans le respect des exigences nationales. En vertu de cette solution, la directive prévoirait de manière limitative les diplômes reconnus. La prise en considération de l'expérience professionnelle acquise reviendrait ainsi à modifier le champ d'application de la directive. 35. Dans le même sens, les gouvernements italien et français considèrent que la directive ne laisse aucune compétence discrétionnaire aux États membres. Ils estiment que les autorités nationales ont l'obligation de s'en tenir aux titres expressément énumérés par l'article 11 de la directive. Le recours à tout examen comparatif serait exclu du fait même de l'existence du mécanisme de reconnaissance automatique des titres mentionnés dans la liste visée à travers la disposition précitée. 36. Ces arguments font valoir que le recours à la règle jurisprudentielle dégagée par l'arrêt Vlassopoulou, précité, aurait pour effet de réviser le texte écrit de la directive, ce que seuls les États membres sont en droit de faire. 37. L'ensemble de ces arguments ne nous paraît pas fondé en l'espèce. 38. L'article 52 du traité vise à la suppression des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre. À cet égard, la liberté d'établissement est une liberté fondamentale dans le système de la Communauté . 39. L'objectif de la directive est clair. Les États membres ont voulu fixer un certain nombre d'exigences minimales en matière de formation et de qualification dont le respect impose aux États membres une obligation de reconnaissance mutuelle. Le but visé ne peut, en aucune façon, être atteint au prix de la limitation de l'exercice du droit à l'établissement. En effet, comme vous l'avez jugé dans l'arrêt Vlassopoulou, précité, l'article 52 du traité prescrit une obligation de résultat précise dont l'exécution doit être facilitée, mais non conditionnée , par la mise en oeuvre de mesures communautaires. L'adoption d'une directive relative à la reconnaissance mutuelle ne saurait altérer la portée juridique d'un principe fondamental inscrit dans le traité . 40. En conséquence, à la lumière de votre jurisprudence récente , et contrairement à ce que nous avons avancé dans nos conclusions dans l'affaire Erpelding , nous vous proposons d'appliquer le principe dégagé dans votre arrêt Vlassopoulou, précité. 41. Le cas de M. Dreessen se prête en effet à une nouvelle application de vos critères jurisprudentiels. Le diplôme d'ingénieur du requérant au principal ne bénéficie pas du mécanisme de reconnaissance automatique prévu par la directive. Malgré tout, les faits de l'espèce laissent apparaître le caractère paradoxal de sa situation professionnelle. En effet, les autorités nationales compétentes ont admis qu'il a exercé l'activité d'architecte pendant 25 ans et lui opposent aujourd'hui un refus d'exercer la même activité à titre indépendant. Hors du champ d'application de la directive, M. Dreessen relève directement de l'article 52 du traité. 42. Nous pensons que les autorités nationales ont l'obligation d'examiner le diplôme d'ingénieur de M. Dreessen, ainsi que son expérience pertinente acquise sur le territoire de l'État membre dont il a la nationalité, en procédant à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ce titre et l'expérience pertinente et, d'autre part, les connaissances et les qualifications exigées par la législation belge. 43. À cet égard, il importe d'apporter la précision suivante. Comme l'a rappelé la Commission le jour de la procédure orale, il ne s'agit en aucune manière d'imposer aux autorités nationales l'obligation de reconnaître l'équivalence du diplôme d'ingénieur. L'obligation ne porte pas sur le résultat du test d'évaluation comparative, mais se trouve en amont. Les autorités compétentes doivent procéder à l'examen comparatif. Les conclusions auxquelles elles aboutissent relèvent de leur seule appréciation. De la sorte, la lettre et l'esprit de la directive seront pleinement respectés. L'application de la jurisprudence Vlassopoulou, précitée, ne modifie en rien le mécanisme de reconnaissance automatique de la directive. Elle ne concerne que l'obligation de porter une appréciation objective sur le contenu matériel du diplôme considéré. 44. Toutefois, cet examen comparatif est encadré par des critères jurisprudentiels de reconnaissance. 45. Dans le but de mener à bien cette comparaison, les autorités nationales doivent d'abord tenir compte du degré de connaissances et de qualifications que le diplôme en cause permet de présumer dans le chef du titulaire . Les États membres ont la possibilité de prendre en considération des différences objectives relatives tant au cadre juridique de la profession en question dans l'État membre de provenance qu'à son champ d'application. 46. Les autorités belges sont tenues de vérifier le contenu matériel du diplôme de M. Dreessen. Elles doivent rechercher la teneur de la formation reçue et les compétences qui en découlent. Il leur appartient d'apprécier si ce diplôme, qui formellement est qualifié de «diplôme d'ingénieur», offre toutes les garanties que l'intéressé a été formé pour exercer, matériellement, des fonctions d'architecte. 47. Les autorités compétentes sont dans l'obligation d'appliquer des critères nationaux. Afin de ne pas traiter de manière discriminatoire les ressortissants des autres États membres, elles sont tenues de s'en tenir strictement aux conditions fixées par le droit national, telles qu'elles s'imposent aux ressortissants nationaux. 48. Si, au terme de l'évaluation comparative nécessaire, les autorités belges devaient aboutir à la conclusion que le titre de M. Dreessen ne correspond pas pleinement à celui exigé pour l'exercice de la profession d'architecte en Belgique, elles devraient, comme cela a été envisagé au point 19 de l'arrêt Vlassopoulou, précité, lui donner la possibilité de montrer qu'il a acquis les connaissances et les titres qui lui font défaut . 49. L'examen comparatif doit aussi comprendre l'expérience professionnelle de l'intéressé. L'appréciation des compétences du requérant au principal ne se limite pas au titre, mais englobe les attestations délivrées par les différents employeurs. 50. En outre, la décision de refus d'autorisation doit être motivée de manière claire en indiquant les motifs de rejet. Cet acte juridique doit pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel devant le juge national afin d'en vérifier la légalité par rapport au droit communautaire. 51. En conclusion, il appartient au juge de renvoi de prendre en considération le diplôme d'ingénieur du requérant au principal, ainsi que son expérience pertinente, en procédant à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ce diplôme et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et les qualifications exigées par la loi belge. 52. Pour effectuer cette comparaison, il doit se reporter aux exigences nationales qui sont appliquées dans le respect des principes de non-discrimination et de proportionnalité. Conclusion 53. Sur la base des considérations qui précèdent, nous vous proposons de dire pour droit: «L'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) doit être interprété en ce sens que, lorsque, dans une situation où le diplôme n'est pas expressément visé par une directive relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes, le ressortissant communautaire présente une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle, les autorités compétentes de l'État membre concerné sont tenues de prendre en considération le diplôme ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en procédant à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ce titre et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et les qualifications exigées par la législation nationale. Si le diplôme et l'expérience pertinente ne satisfont pas aux exigences nationales, les autorités nationales doivent donner à l'intéressé la possibilité de prouver matériellement qu'il possède les connaissances et les qualifications manquantes, dans le respect des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité.»