COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 mars 2022
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 183 F-D
Pourvoi n° E 20-18.231
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 MARS 2022
La société
Free, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 20-18.231 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société française du radiotéléphone (SFR) société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société
BFM TV, société par actions simplifiée,
3°/ à la société
RMC découverte, société par actions simplifiée,
4°/ à la société Diversité TV France, société par actions simplifiée,
5°/ à la société
Next radio TV, société par actions simplifiée,
toutes quatre ayant leur siège [Adresse 2]
6°/ à la société
Altice France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP
Spinosi, avocat de la société
Free, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Société française du radiotéléphone, des sociétés
BFM TV,
RMC découverte, Diversité TV France,
Next radio TV,
Altice France, et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2020), la Société française de radiotéléphone (la société SFR) et le groupe
Next Radio TV, appartenant au groupe Altice, qui comptent, parmi leurs filiales, plusieurs sociétés éditant des chaînes de télévision et, notamment les sociétés
BFM TV, Diversité TV France,
Next radio TV et
RMC Découverte (les chaînes), ont signé, à compter de 2005, des conventions notamment avec la société
Free, fournisseur d'accès à internet, pour une diffusion gratuite de ces chaînes sur les réseaux non hertziens.
2. Les négociations relatives à une rémunération globale des chaînes entre celles-ci et la société
Free n'ont pas abouti et les accords conclus, qui arrivaient à échéance le 20 mars 2019, n'ont pas été renouvelés.
3. Reprochant aux chaînes la diffusion, au mois d'août 2019, de messages et de communiqués relatifs au différend en cours, portant, tant sur l'arrêt de la diffusion des chaînes par la société
Free, que sur le fait que ces chaînes restaient disponibles chez d'autres opérateurs expressément cités, la société
Free a sollicité, par requête déposée devant le président d'un tribunal de commerce, visant les articles
493 et
873 du code de procédure civile, l'arrêt de ces messages.
4. Il a été fait droit à cette requête par une ordonnance du 30 août 2019 dont, par une ordonnance du 10 septembre 2019, le président du tribunal saisi a rejeté la demande de rétractation formée notamment par la société SFR.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société
Free fait grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance du 10 septembre 2019 en ce qu'elle a ordonné aux sociétés Next radio,
Altice France, SFR,
BFM TV,
RMC Découverte de cesser, dans l'attente de l'ordonnance de référé à intervenir, toute communication notamment télévisuelle, radiophonique ou par voie de publication y compris sur internet relative: 1- au différend commercial (y compris les décisions de justice ou administratives intervenues) les opposant à elle ou bien, 2- de nature comparative évoquant le fait que les offres internet de SFR donneraient un meilleur accès ou plus complet aux chaînes éditées par les sociétés mentionnées ci-dessus, ou encore, 3- et de manière plus générale toute diffusion d'informations quant à la possibilité pour ses abonnés de visualiser les chaînes concernées notamment via la diffusion de bandeaux en bas d'écran ou autres techniques d'incrustation d'images ou de contenu, et en ce qu'elle a assorti cette injonction d'une astreinte de 100 000 euros par infraction dès la signification de l'ordonnance, jusqu'au prononcé de l'ordonnance de référé à intervenir et s'est réservé la liquidation de l'astreinte, alors :
« 1°/ que le président peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ; qu'en l'espèce, en jugeant que seule la nécessité de procéder par effet de surprise permettait de déroger au principe de la contradiction, lorsque le constat tiré de l'aggravation au fil des heures d'un dommage irrémédiable peut également justifier une telle dérogation, de sorte que "le risque d'aggravation significative de la surenchère médiatique orchestrée par les sociétés du groupe Altice" était de nature à justifier l'absence de contradictoire, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé les articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en se bornant à retenir qu'aucun des faits exposés ne permettait de constater que le respect d'une procédure contradictoire aurait compromis l'efficacité de la mesure sollicitée et qu'un effet de surprise était nécessaire, puisque le seul objectif recherché était de mettre immédiatement fin aux diffusions, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la dérogation au principe de la contradiction ne pouvait être exclusivement justifiée par l'exigence d'efficacité de la mesure sollicitée, celle-ci ayant précisément pour objet d'obtenir des mesures temporaires destinées à protéger la société requérante dans l'attente d'une audience contradictoire, et ce en évitant l'aggravation au fil des heures d'un dommage irrémédiable, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé les articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile ;
3°/ que la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée si, compte tenu de l'encombrement du rôle constaté au sein du tribunal de commerce de Paris, la première date proposée pour l'audience de référé n'intervenait pas trop tardivement pour permettre à la société
Free de mettre un terme en temps utile aux agissements fautifs allégués à l'encontre des chaînes de télévision du groupe
Next Radio TV, dont il était souligné qu'ils présentaient un caractère "grave" et "irrémédiable", de sorte que les circonstances justifiant une dérogation au principe du contradictoire étaient établies. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles
493 et
875 du code de procédure civile que les mesures urgentes ne peuvent être ordonnées, sur le fondement d'une requête motivée, que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement.
7. L'arrêt relève d'abord que l'ordonnance dont la rétractation est demandée ne reprend pas le visa de la requête qui faisait référence notamment à l'article
875 du code de procédure civile et ne fait aucune mention de la nécessité de déroger au principe de la contradiction, sauf par le visa de la requête. Il en déduit que seul l'examen des motifs contenus dans la requête peut établir si la dérogation au principe de la contradiction était justifiée.
8. L'arrêt retient ensuite que la société
Free ne justifie pas dans quelle mesure, d'un côté, le respect d'une procédure contradictoire aurait compromis l'efficacité de la mesure sollicitée au regard du risque invoqué d'une aggravation significative de la surenchère médiatique orchestrée par les sociétés du groupe Altice à la suite de l'introduction d'une procédure contradictoire en référé d'heure à heure, et, de l'autre, un effet de surprise était nécessaire, quand le seul objectif recherché était de mettre immédiatement fin aux diffusions et non de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de ces diffusions dont pourrait dépendre la solution du litige, ce, d'autant que des mises en demeure de cesser ces diffusions avaient préalablement été envoyées par la société
Free aux chaînes. Il relève enfin qu'une assignation d'heure à heure permettait tout autant d'obtenir cette suspension immédiate de la diffusion, le cas échéant.
9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que la société
Free n'établissait que l'urgence des mesures qu'elle sollicitait, la cour d'appel, qui n'a pas ajouté une condition à la loi et n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, a pu retenir qu'il n'était justifié d'aucun motif de dérogation au principe de la contradiction.
10.Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS
, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société
Free aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société
Free et la condamne à payer à la Société française du radiotéléphone et aux sociétés
Altice France,
BFM TV,
RMC Découverte, Diversité TV France,
Next Radio TV la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par la SCP
Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société
Free.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 10 septembre 2019, et, statuant à nouveau, rétracté l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné aux sociétés NEXT RADIO,
ALTICE FRANCE, SFR,
BFM TV,
RMC DECOUVERTE et DIVERSITE TV de cesser, dans l'attente de l'ordonnance de référé à intervenir, toute communication notamment télévisuelle, radiophonique ou par voie de publication y compris sur internet relative: 1- au différend commercial (y compris les décisions de justice ou administratives intervenues) les opposant à
FREE ou bien, 2- de nature comparative évoquant le fait que les offres internet de SFR donneraient un meilleur accès ou plus complet aux chaînes éditées par les sociétés mentionnées ci-dessus, ou encore, 3- et de manière plus générale toute diffusion d'informations quant à la possibilité pour les abonnés de
Free de visualiser les chaînes concernées notamment via la diffusion de bandeaux en bas d'écran ou autres techniques d'incrustation d'images ou de contenu, et en ce qu'elle a assorti cette injonction d'une astreinte de 100.000 euros par infraction dès la signification de la présente ordonnance, jusqu'au prononcé de l'ordonnance de référé à intervenir et s'est réservé la liquidation de l'astreinte ;
1°) Alors que, d'une part, le président peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ; qu'en l'espèce, en jugeant que seule la nécessité de procéder par effet de surprise permettait de déroger au principe de la contradiction, lorsque le constat tiré de l'aggravation au fil des heures d'un dommage irrémédiable peut également justifier une telle dérogation, de sorte que « le risque d'aggravation significative de la surenchère médiatique orchestrée par les sociétés du groupe Altice » était de nature à justifier l'absence de contradictoire, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé les articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile ;
2°) Alors que, d'autre part, et en tout état de cause, en se bornant à retenir qu'aucun des faits exposés ne permettait de constater que le respect d'une procédure contradictoire aurait compromis l'efficacité de la mesure sollicitée et qu'un effet de surprise était nécessaire, puisque le seul objectif recherché était de mettre immédiatement fin aux diffusions, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, pp. 29 et s.), si la dérogation au principe de la contradiction ne pouvait être exclusivement justifiée par l'exigence d'efficacité de la mesure sollicitée, celle-ci ayant précisément pour objet d'obtenir des mesures temporaires destinées à protéger la société requérante dans l'attente d'une audience contradictoire, et ce en évitant l'aggravation au fil des heures d'un dommage irrémédiable, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé les articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile ;
3°) Alors que, de troisième part, en tout état de cause, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles
873,
875 et
493 du code de procédure civile en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, p. 31) si, compte tenu de l'encombrement du rôle constaté au sein du Tribunal de commerce de Paris, la première date proposée pour l'audience de référé n'intervenait pas trop tardivement pour permettre à la société
FREE de mettre un terme en temps utile aux agissements fautifs allégués à l'encontre des chaines de télévision du groupe NEXTRADIOTV, dont il était souligné qu'ils présentaient un caractère « grave » et « irrémédiable », de sorte que les circonstances justifiant une dérogation au principe du contradictoire étaient établies.