N° Z 21-81.687 F-D
N° 00053
CK
18 JANVIER 2022
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 JANVIER 2022
L'association [7], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 82/2021 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 4 mars 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [L] [S] du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'association [7] et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M.Soulard, président, M.Dary, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article
567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du juge d'instruction, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par l'association [7] (UFC-Que choisir), M. [S] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef susvisé, en raison de la diffusion, d'une part, sur son blog internet, d'un article intitulé « [5] : L'UFC-Que choisir a organisé sa propre corruption et trahi les consommateurs » contenant les propos suivants : « l'UFC-Que choisir a organisé sa propre corruption et trahi les consommateurs (...) pour ses propres intérêts financiers (...). La direction de l'UFC-Que choisir semble donc avoir organisé un nouveau genre de corruption, dans lequel c'est le corrupteur qui est démarché et choisi par le corrompu, en l'occurrence l'UFC, qui trahit au passage ses propres missions (...) », d'autre part, sur sa page [6] du commentaire suivant : « (...) comment l'@UFCQUECHOISIR a organisé sa propre corruption et trahi les consommateurs ».
3. Le tribunal correctionnel a relaxé M. [S] et a prononcé sur les intérêts civils.
4. L'UFC-Que choisir a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article
567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement, débouté l'UFC-Que choisir de ses demandes, alors :
« 1°/ qu'en matière de diffamation, la bonne foi est appréciée moins strictement lorsque les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ; qu'en relevant, pour dire que les propos poursuivis reposaient sur une base factuelle suffisante, apprécier moins strictement la bonne foi et in fine la retenir au bénéfice de M. [S], que les conditions générales de la société [3], fournisseur sélectionné par l'UFC-Que choisir au terme d'un processus d'appel d'offres ouvert à tous les fournisseurs d'énergie électrique ayant accepté le cahier des charges proposé, lors de l'opération « Energie moins chère ensemble », garantissaient le libre accès aux compteurs [1], quand une telle circonstance, dès lors qu'elle résultait de ce que la loi impose au fournisseur de reproduire les conditions générales de [1], gestionnaire du réseau en situation de monopole, n'était pas de nature à accréditer l'idée d'une collusion entre cette dernière et l'UFC-Que choisir, les juges du fond ont violé les articles
29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,
1240 du code civil et
591 à
593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en matière de diffamation, la bonne foi est appréciée moins strictement lorsque les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ; qu'en relevant, pour dire que les propos poursuivis reposaient sur une base factuelle suffisante, apprécier moins strictement la bonne foi et in fine la retenir au bénéfice de M. [S], que les conditions générales de la société [3], fournisseur sélectionné par l'UFC-Que choisir, lors de l'opération « Energie moins chère ensemble », garantissaient le libre accès aux compteurs [1], sans rechercher, comme ils y étaient invités, s'il n'était pas exclu qu'une telle circonstance, dès lors qu'elle résultait de ce que la loi impose au fournisseur de reproduire les conditions générales de la société [1], gestionnaire du réseau en situation de monopole, soit de nature à accréditer l'idée d'une collusion entre cette dernière et l'UFC-Que choisir, les juges du fond ont violé les articles
29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 6, § 1, et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,
1240 du code civil et
591 à
593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en matière de diffamation, la bonne foi postule que l'auteur des propos ait mené une enquête sérieuse ; qu'en retenant la bonne foi au bénéfice de M. [S], sans s'interroger sur le point de savoir s'il n'avait pas omis de mener une enquête sérieuse, laquelle aurait révélé que la circonstance que les conditions générales de la société [3], fournisseur sélectionné par l'UFC-Que choisir lors de l'opération « Energie moins chère ensemble », garantissaient le libre accès aux compteurs [1] résultait de ce que la loi impose au fournisseur de reproduire les conditions générales de la société [1], gestionnaire du réseau en situation de monopole et, partant, qu'elle était étrangère à toute collusion entre la société [1] et l'UFC-Que choisir, les juges du fond ont violé les articles
29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 6, § 1, et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,
1240 du code civil et
591 à
593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en matière de diffamation, la bonne foi postule que l'auteur des propos ait fait montre de prudence dans l'expression ; que si le militantisme de l'auteur des propos invite à apprécier cette condition moins strictement, il ne la fait pas disparaître pour autant ; qu'en retenant que M. [S], militant anti-compteurs [5], avait fait preuve d'une certaine prudence, quand les propos litigieux, dont le ton est péremptoire, présentent la corruption de l'UFC-Que choisir comme un fait établi, les juges du fond ont violé les articles
29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,
1240 du code civil et
591 à
593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le premier moyen
, pris en ses trois premières branches
Vu
l'article
593 du code de procédure pénale :
7. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. L'arrêt attaqué retient que les propos poursuivis imputent à la partie civile d'avoir organisé sa propre corruption et d'avoir délibérément trahi les consommateurs pour privilégier ses propres intérêts financiers en contradiction totale avec ses actions de défense des consommateurs et qu'ils présentent, donc, un caractère diffamatoire.
9. Pour rejeter néanmoins l'existence d'une faute civile, au bénéfice de la bonne foi de M. [S], et débouter en conséquence l'UFC-Que choisir de ses demandes, les juges énoncent, d'une part, que ces propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général portant sur l'implantation des compteurs électriques [5], d'autre part, par motifs adoptés, qu'ils reposent sur une base factuelle suffisante, l'article du blog renvoyant à des liens vers différents articles de la revue Que choisir, du journal [4], d'une émission de [2] et du propre blog du prévenu, l'un d'eux concernant l'annonce de l'opération « Energie moins chère » sur le site de la partie civile et un autre, les conditions générales de vente de Lampiris, garantissant le libre accès aux compteurs [1].
10. Ils ajoutent que la partie civile n'établit pas d'animosité personnelle du prévenu et que celui-ci montre une certaine prudence dans ses propos, en employant des termes comme « semble » et « un nouveau genre ».
11. En se déterminant ainsi
, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
12. En premier lieu, les juges n'ont pas répondu aux conclusions de la partie civile qui les invitaient à rechercher si la reproduction de la clause de libre accès aux compteurs par la société [1], gestionnaire du réseau en situation de monopole, mentionnée dans les conditions générales de vente de la société [3], comme de ses concurrents, n'était pas la conséquence d'une obligation imposée par la loi.
13. En second lieu, il appartenait à la cour d'appel, au-delà de leur simple énumération, d'analyser précisément les pièces invoquées par M. [S] au soutien de l'exception de bonne foi, afin d'énoncer les faits et circonstances lui permettant de juger si les propos reposaient ou non sur une base factuelle suffisante, et de mettre, ainsi, la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle.
14. La cassation est par conséquent encourue de ces chefs.
PAR CES MOTIFS
, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 4 mars 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit janvier deux mille vingt-deux.