COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 25 F-B
Pourvoi n° H 21-10.440
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 JANVIER 2023
La société TBS, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-10.440 contre le jugement rendu le 30 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CDC Habitat,
2°/ à la société CDC Habitat social, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société TBS, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat des sociétés CDC Habitat et CDC Habitat social, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 30 décembre 2020) rendu selon la procédure accélérée au fond, le 8 novembre 2019, la société CDC Habitat a publié au Journal officiel de l'Union européenne un appel d'offres portant sur un accord-cadre relatif à des prestations de menues réparations, entretien courant, dépannages et remises en état de logements à la suite duquel la société TBS a déposé une offre pour plusieurs lots.
2. Après l'annulation de la première procédure d'attribution, une nouvelle procédure a été lancée pour laquelle la société TBS a déposé une offre identique à la première.
3. Par lettre du 30 octobre 2020, la société CDC Habitat a informé la société TBS qu'elle était pressentie pour le lot menuiserie sur l'ensemble des secteurs géographiques pour lesquels elle s'était portée candidate, mais que ses offres relatives à d'autres lots pour lesquels elle avait été pressentie lors du premier appel d'offres n'avaient pas été retenues.
4. La société TBS a assigné la société CDC Habitat devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond en demandant la suspension de la procédure de passation de l'accord-cadre portant sur les prestations de remise en état de logements pour un certain nombre de lots géographiques, l'annulation de chaque décision d'attribution de l'accord-cadre pour ces prestations et pour ces lots et qu'il soit enjoint à la société CDC Habitat de reprendre la procédure pour ces lots à l'étape de la publication d'un avis d'appel public à la concurrence, subsidiairement à celle de l'analyse des offres.
5. La société CDC Habitat social est intervenue volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014
, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen
, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société TBS fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « qu'il résulte de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique qu'"En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat. La demande est portée devant la juridiction judiciaire" ; qu'il résulte de l'article
1441-2 du code de procédure civile que "Le juge statue dans un délai de vingt jours sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance mentionnée ci-dessus" ; qu'en l'espèce, par acte de saisine en date du 4 décembre 2020, le président du tribunal judiciaire a été saisi des demandes de la société TBS prises sur le fondement de l'article 2 de l'ordonnance du 7 mai 2009 selon la procédure accéléré au fond ; que le jugement ayant été rendu le 30 décembre 2020, soit plus de vingt jours après la saisine, le président du tribunal a méconnu les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
8. Le délai de vingt jours dans lequel, en application de l'article 1441-2, I°, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire doit statuer sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, n'est pas prescrit à peine de nullité, de sorte que son inobservation ne peut pas donner lieu à cassation.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen
, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
10. La société TBS fait le même grief au jugement, alors :
« 2°/ que constitue un traitement inégal l'attribution de notes différentes à des offres identiques concernant des lots identiques ; qu'en l'espèce, le président du tribunal a constaté qu'une première procédure d'attribution du lot n° 7 "remise en état de logements" divisé en 26 lots géographiques en Île-de-France avait eu lieu, avec une date limite de dépôt des offres le 6 janvier 2020, qu'à l'issue de cette procédure, la société TBS avait obtenu les notes de 9,9 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 13,2 pour les modes opératoires et 3,3 pour la démarche responsabilité sociétale des entreprises (RSE), que cette procédure ayant été annulée, une nouvelle procédure d'attribution avait eu lieu, avec date limite de dépôt des offres le 7 août 2020, à l'issue de laquelle la société TBS, qui avait présenté les mêmes offres pour les mêmes lots, avait obtenu les notes de 3,75 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 15 pour les modes opératoires et 2,5 pour la démarche RSE, soit une différence de 5,15 points sur la note finale, constitutive d'une lésion par la perte de l'attribution des lots ; qu'en retenant néanmoins que la seule différence de points ne pouvait constituer, en l'absence d'autres éléments, et alors même que la société est attributaire d'autres lots du marché, une discrimination illégale, le président du tribunal a méconnu l'article
L. 3 du code de la commande publique, ensemble l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures applicables aux contrats de la commande publique ;
3°/ que le défaut de motivation de la lettre de rejet constitue une méconnaissance de l'obligation de publicité et de mise en concurrence, et entraîne en conséquence la nullité de la procédure ; que la seule communication des notes obtenues par les sociétés attributaires ne satisfait pas à l'obligation de motivation du rejet de l'offre ; qu'en retenant néanmoins que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n'avait pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le président du tribunal a méconnu l'article
R. 2181-3 du code de la commande publique ;
4°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que celles-ci, dans la procédure accélérée au fond, ne sont soumises à aucune forme ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées, la société TBS avait demandé au président du tribunal d'enjoindre à la société CDC Habitat de communiquer à la société TBS les motifs du rejet de chacune de ses offres ; qu'en retenant qu' "il n'y a pas lieu d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de communiquer ces motifs, ce qui n'est en tout état de cause pas demandé", le président du tribunal a méconnu l'article
4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, ayant énoncé que la seule différence de notes obtenues entre une première candidature et une seconde, identique à la première, à un appel d'offres dont la procédure a dû être recommencée, ne peut constituer une discrimination illégale entre les candidats, le jugement en déduit exactement que la société TBS n'invoquant pas d'autre élément à l'appui de sa demande d'annulation, elle n'établit aucune erreur de droit dans l'attribution des offres.
12. En second lieu, après avoir rappelé que selon l'article
R. 2181-3 du code de la commande publique, la notification prévue à l'article R. 2181 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre et que lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre de même que la date à laquelle il est susceptible de signer le marché, le jugement retient que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
13. Par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux surabondants critiqués par la quatrième branche, le juge délégué par le président du tribunal, appréciant souverainement la portée des précisions contenues dans le récapitulatif des notes attribuées aux sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, a pu estimer que les éléments figurant dans la notification du rejet d'une partie de l'offre de celle-ci lui permettaient suffisamment d'en connaître et d'en apprécier les motifs.
14. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS
, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société TBS aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société TBS et la condamne à payer à la société CDC Habitat et à la société CDC Habitat social la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société TBS.
La Selarl TBS reproche au jugement attaqué d'avoir rejeté les demandes de la société TBS tendant à voir suspendre la procédure de passation de l'accord-cadre de la société CDC Habitat portant sur les prestations de remise en état de logements pour les lots géographiques A à Z à l'exception des lots C, U et V, annuler chaque décision d'attribution de l'accord-cadre de la société CDC Habitat portant sur les prestations de remise en état de logements pour les lots géographiques A à Z à l'exception des lots C, U et V, enjoindre à la société CDC Habitat de reprendre la procédure de passation de l'accord-cadre précité pour les lots précités au stade de la publication d'un avis d'appel public à la concurrence, et subsidiairement au stade de l'analyse des offres ;
Alors 1°) qu'il résulte de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique qu' « En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat. La demande est portée devant la juridiction judiciaire » ; qu'il résulte de l'article
1441-2 du code de procédure civile que « Le juge statue dans un délai de vingt jours sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance mentionnée ci-dessus » ; qu'en l'espèce, par acte de saisine en date du 4 décembre 2020, le président du tribunal judiciaire a été saisi des demandes de la société TBS prises sur le fondement de l'article 2 de l'ordonnance du 7 mai 2009 selon la procédure accéléré au fond ; que le jugement ayant été rendu le 30 décembre 2020, soit plus de vingt jours après la saisine, le président du tribunal a méconnu les textes susvisés ;
Alors 2°) que constitue un traitement inégal l'attribution de notes différentes à des offres identiques concernant des lots identiques ; qu'en l'espèce, le président du tribunal a constaté qu'une première procédure d'attribution du lot n° 7 « remise en état de logements » divisé en 26 lots géographiques en Île-de-France avait eu lieu, avec une date limite de dépôt des offres le 6 janvier 2020, qu'à l'issue de cette procédure, la société TBS avait obtenu les notes de 9,9 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 13,2 pour les modes opératoires et 3,3 pour la démarche RSE, que cette procédure ayant été annulée, une nouvelle procédure d'attribution avait eu lieu, avec date limite de dépôt des offres le 7 août 2020, à l'issue de laquelle la société TBS, qui avait présenté les mêmes offres pour les mêmes lots, avait obtenu les notes de 3,75 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 15 pour les modes opératoires et 2,5 pour la démarche RSE, soit une différence de 5,15 points sur la note finale, constitutive d'une lésion par la perte de l'attribution des lots ; qu'en retenant néanmoins que la seule différence de points ne pouvait constituer, en l'absence d'autres éléments, et alors même que la société est attributaire d'autres lots du marché, une discrimination illégale, le président du tribunal a méconnu l'article
L. 3 du code de la commande publique, ensemble l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures applicables aux contrats de la commande publique ;
Alors 3°) que le défaut de motivation de la lettre de rejet constitue une méconnaissance de l'obligation de publicité et de mise en concurrence, et entraîne en conséquence la nullité de la procédure ; que la seule communication des notes obtenues par les sociétés attributaires ne satisfait pas à l'obligation de motivation du rejet de l'offre ; qu'en retenant néanmoins que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n'avait pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le président du tribunal a méconnu l'article
R. 2181-3 du code de la commande publique ;
Alors 4°) que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que celles-ci, dans la procédure accélérée au fond, ne sont soumises à aucune forme ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées, la société TBS avait demandé au président du tribunal d'enjoindre la société CDC Habitat de communiquer à la société TBS les motifs du rejet de chacune de ses offres ; qu'en retenant qu' « il n'y a pas lieu d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de communiquer ces motifs, ce qui n'est en tout état de cause pas demandé » (arrêt, p. 5, antépénultième §), le président du tribunal a méconnu l'article
4 du code de procédure civile ;
Alors 5°) que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société TBS faisait valoir, preuve à l'appui, qu'elle avait sollicité de l'acheteur la communication des caractéristiques et avantages des offres retenues, que cette demande avait été laissée sans réponse et qu'il lui était donc impossible de pouvoir contester le rejet de ses offres dans le cadre de la procédure accélérée au fond (conclusions, p. 14, avant-dernier §) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, le président du tribunal a méconnu l'article
455 du code de procédure civile ;
Alors 6°) qu'en outre, la société TBS soutenait que la lettre de rejet des offres de la société TBS n'indiquait pas la date à laquelle la société CDC Habitat était susceptible de signer les accords-cadres conformément à l'article
R. 2181-3 du code de la commande publique (conclusions, p. 14, antépénultième §) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, le président du tribunal a méconnu l'article
455 du code de procédure civile.