Vu la procédure suivante
:
Par une requête enregistrée le 8 février 2022, M. D A, représenté par la SCP Gallot Lavallée Ifrah Bègue, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours en contestation de la décision de l'autorité consulaire française à Tunis rejetant sa demande de délivrance d'un visa d'entrée en France en qualité de conjoint de ressortissante française ;
2°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un visa de long séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Ifrah en application des dispositions combinées des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision n'est pas suffisamment motivée en droit et en fait ;
- il n'est pas établi que la commission s'est régulièrement réunie pour statuer sur sa demande ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'erreur de fait dès lors que son mariage avec Mme B est réel ;
- la décision est entachée d'erreur de droit car elle cite des articles du code civil ne correspondant pas à sa situation personnelle ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C a été entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2022.
Considérant ce qui suit
:
1. M. A, ressortissant tunisien né en 1997, a épousé en France le 20 mars 2021 Mme B, de nationalité française. Par une décision du 30 septembre 2021, l'autorité consulaire française à Tunis a rejeté sa demande de délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissante française. Par la présente procédure, M. A demande au tribunal d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours en contestation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur en défense que la décision implicite de la commission est fondée sur l'absence d'intention matrimoniale du requérant et de son épouse et l'absence de maintien des liens matrimoniaux.
3. Aux termes de l'article
L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2021 : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial () ".
4. L'article L. 312-3 du même code précise : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'une ressortissante française dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, sur la base d'éléments précis et concordants, que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle à ce qu'une telle fraude soit établie.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A et Mme B se sont mariés le 21 mars 2021 au Mans et qu'ils avaient auparavant pris à bail un appartement à compter du 5 mars 2020 après s'être rencontrés, selon leurs déclarations, au cours de l'année 2019. A l'appui de leurs déclarations, les intéressés produisent également des quittances de leur loyer des mois de mai à août 2021 établies à leurs deux noms, une attestation d'un conseiller EDF du 11 novembre 2021 certifiant qu'ils sont tous deux titulaires d'un contrat d'abonnement pour leur logement et plusieurs photographies. Dans ces conditions, en relevant dans son mémoire en défense que Mme B et M. A se sont rencontrés alors que celui-ci séjournait irrégulièrement en France sans avoir encore accompli de démarche de régularisation de sa situation administrative, le ministre ne peut être regardé comme présentant des éléments suffisamment précis et concordants de nature à démontrer le caractère frauduleux du mariage.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours de M. A.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à M. A le visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui faire délivrer ce visa dans un délai maximal de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A n'a pas sollicité l'aide juridictionnelle dans le cadre de la présente affaire. Par suite, Me Ifrah ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par suite, les conclusions tendant à ce que l'Etat verse une somme à Me Ifrah en application de ces dispositions ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours de M. A est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à M. A un visa de long séjour dans un délai maximal de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Douet, présidente,
Mme Roncière, première conseillère,
Mme Chatal, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022.
La rapporteure,
A. CLa présidente,
H. DOUETLa greffière,
A.-L. LE GOUALLEC
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,