Vu, 1°) sous le n° 109 868, la requête sommaire et les mémoires complémentaires enregistrés les 18 août, 18 décembre 1989 et 10 mai 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le Comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86, représenté par le président en exercice de l'association ; le Comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86 demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler le décret du 20 juin 1989 déclarant d'utilité publique les travaux de construction de la section d'autoroute A 86 comprise entre l'échangeur de Saint-Maurice et la bifurcation de Nogent et modifiant le plan d'occupation des sols de la ville de Paris (XIIème arrondissement) ;
- d'ordonner qu'il sera sursis à son exécution ;
Vu, 2°) sous le n° 110 005, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 25 août 1989, présentée par l'Association "Sauvons le Bois de Vincennes", représentée par sa présidente en exercice ; l'Association "Sauvons le Bois de Vincennes" demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 20 juin 1989 déclarant d'utilité publique les travaux de construction de la section de l'autoroute A 86 comprise entre l'échangeur de Saint-Maurice et la bifurcation de Nogent ; elle soutient que ces travaux sont incompatibles avec l'affectation du Bois de Vincennes à la promenade publique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu le code de la route ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 ;
Vu le décret n° 56-1425 du 27 décembre 1956 ;
Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu le décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Broglie, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Scanvic, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que
les requêtes susvisées présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu'il y ait lieu de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la requête n° 110 005 :
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Sur la régularité de la procédure de concertation prévue à l'article L.300-2-II et III du code de l'urbanisme :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article
L.300-1 du code de l'urbanisme : "Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels" ; que le projet de construction de la section de l'autoroute A 86 comprise entre l'échangeur de Saint-Maurice et la bifurcation de Nogent ne constitue pas une action ni une opération d'aménagement au sens des dispositions précitées du code de l'urbanisme et n'avait donc pas à être soumis à la procédure de concertation prévue à l'article
L.300-2 du même code ;
Considérant que si l'administration ayant néanmoins engagé une procédure de concertation devait procéder à celle-ci de façon régulière, il résulte de l'instruction que les conditions dans lesquelles a été organisée la consultation sur le projet déclaré d'utilité publique n'ont pas été de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué ; que notamment cette consultation a eu lieu dans l'ensemble des communes et des secteurs intéressés par l'opération et qu'elle a duré pendant une période suffisante pour permettre à l'ensemble des personnes et groupements d'émettre leur avis ; que l'étude d'impact comportait les justifications du parti retenu d'un tronc commun entre l'autoroute A 4 et l'autoroute A 86 dans la section concernée avec les différentes variantes envisagées ; qu'enfin la circonstance que le préfet du Val-de-Marne, qui coordonnait en fait l'ensemble de l'opération intéressant les communes du Val-de-marne et le XIIème arrondissement de la ville de Paris, avant d'être désigné comme préfet coordinateur par décision interministérielle du 29 décembre 1987, ait dressé un bilan de la concertation n'a pas entaché la procédure d'irrégularité ;
Sur la régularité de l'enquête publique :
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enquête publique aurait été conduite par des fonctionnaires qui n'auraient pas été à la retraite depuis au moins cinq ans ;
Sur l'insuffisance de l'étude socio-économique et de l'étude d'impact :
Considérant que le dossier soumis à l'enquête publique contient des documents annexes comprenant notamment l'étude socio-économique répondant aux prescriptions réglementaires ; que le document intitulé étude d'impact, assorti de plans et de photographies, présente l'analyse des effets des ouvrages sur l'environnement, les sites et les paysages, la commodité du voisinage, notamment les nuisances acoustiques dans les différentes sections de l'ouvrage, l'aménagement des espaces sous viaduc, l'écoulement et l'assainissement des eaux collectées par l'autoroute ; que cette étude satisfait aux exigences des dispositions du décret du 12 octobre 1977 ;
Sur le défaut d'autorisation du ministre chargé des sites :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des sites a fait savoir au préfet du Val-de-Marne, par lettre du 8 février 1988, qu'il n'avait pas d'observations particulières à formuler sur le projet ; qu'ainsi le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas donné l'autorisation prévue par l'article 12 de la loi du 2 mai 1930 sur les sites naturels, manque en fait ;
Sur le défaut de consultation du ministre chargé des monuments historiques :
Considérant qu'en vertu de l'article 13 bis de la loi de 1913, repris à l'article
L.421-6 du code de l'urbanisme, le ministre chargé des monuments historiques doit donner son autorisation préalablement à toute modification d'un immeuble situé dans le champ de visibilité d'un édifice classé ou inscrit ; que le décret attaqué, qui déclare d'utilité publique des travaux, n'entraîne pas de modification des immeubles ; que par suite la circonstance que le décret attaqué déclare d'utilité publique la réalisation d'ouvrages situés dans le champ de visibilité du pavillon de Baltard à Nogent-sur-Marne n'est pas de nature à entacher ledit décret d'irrégularité ;
Sur le défaut de consultation des autorités ayant approuvé le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de Paris :
Considérant qu'aux termes de l'article 18 du décret du 17 juillet 1984 : "Lorsqu'un grand projet d'infrastructures (de transports) affecte l'économie générale d'un ou plusieurs schémas directeurs d'infrastructures, il est soumis aux autorités ayant adopté ce ou ces schémas" ; qu'ainsi qu'il sera dit ci-dessous, les travaux envisagés de construction de l'autoroute A 86 n'affectent pas l'économie générale du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de Paris qui, en vertu de l'article 25 du décret du 17 juillet 1984, vaut schéma d'infrastructures pour sa partie concernant les grands équipements d'infrastructures de transport ; qu'ils n'avaient, dès lors, pas à être soumis aux autorités ayant approuvé ce schéma directeur ;
Sur la régularité de la conférence mixte interministérielle :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, la conférence mixte interministérielle prévue par l'article 6 du décret du 4 août 1955 s'est régulièrement réunie le 5 septembre 1988 ; qu'ainsi le moyen invoqué manque en fait ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Sur la compatibilité des travaux envisagés avec le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de Paris :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs et des articles 17, 18 et 25 du décret du 17 juillet 1984, de l'article L.122-1, 5ème alinéa du code de l'urbanisme et de l'article
R.122-27 du même code pris pour son application que les grands projets d'équipement doivent être compatibles avec le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme ; que le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de Paris, approuvé par décret du 17 mars 1977, a prévu, dans son rapport 3, que "deux actions majeures de réaménagement seront entreprises dans les Bois de Boulogne et de Vincennes de manière à y réduire les nuisances de circulation automobile, en y condamnant résolument les principaux flux de transit, à y reconstituer des lieux de nature véritable, à y assurer des promenades calmes et variées (trames d'eau, voies cyclables, promenades hippomobiles, etc) et à y réorganiser les espaces de grande fréquentation autour des principaux équipements inclus dans ces espaces" ; que par le Sénatus-Consulte du 28 mai 1858, le Bois de Vincennes, compris dans la dotation de la couronne, a été affecté à une promenade publique, puis, par la loi du 24 juillet 1860, concédé à la ville de Paris à la condition pour celle-ci de conserver et entretenir le bois et ses annexes en promenades publiques à perpétuité ; qu'il constitue un espace boisé protégé et un site classé en vertu de la loi du 2 mai 1930 ;
Considérant, d'une part, que si, dans le projet initial soumis à l'enquête publique, les travaux envisagés risquaient d'accroître les flux de la circulation automobile dans le Bois de Vincennes, des modifications y ont été apportées à la clôture de l'enquête en vue de réduire ces inconvénients ; que, selon les estimations figurant au dossier, il devrait résulter de la suppression de la bretelle reliant l'autoroute A 86 à la RN 186 dans le sens Paris-province, de la suppression de la possibilité de tourner à gauche au débouché de la bretelle reliant l'autoroute A 4 au carrefour de Beauté dans le sens province-Paris et de la réduction à une voie du débouché de cette bretelle, une diminution globale de la circulation automobile amenée dans le Bois de Vincennes par les voies autoroutières ; que, d'autre part, la réalisation des travaux envisagés n'entraîne qu'une augmentation des emprises et une réduction du boisement très limitées par rapport aux ouvrages existants ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les travaux envisagés seraient incompatibles avec le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de Paris ;
Sur la compatibilité des travaux avec les plans d'occupation des sols des communes du Val-de-Marne :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les plans d'occupation des sols des communes de Joinville-le-Pont, de Champigny-sur-Marne et de Nogent-sur-Marne ont été modifiés pour tenir compte du projet, respectivement les 27 février 1987, 15 février 1987 et 29 février 1984 ; que le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec ces plans d'occupation des sols manque en fait ;
Sur l'utilité publique de l'ouvrage :
Considérant que l'urgence de la réalisation d'une rocade reliant les autoroutes A 1 et A 6, les aéroports de Roissy et d'Orly, et les villes situées à la périphérie de l'agglomération parisienne, a été retenue par le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France approuvé par décret du 1er juillet 1976 ; que le croisement de l'autoroute A 86 avec l'autoroute A 4 constitue une section essentielle de cette rocade à l'Est de Paris ; que le passage de l'autoroute A 86 au-dessus de la Marne selon un tracé parallèle à celui de l'autoroute A 4 a été retenu dès la construction de cette dernière autoroute, et s'inscrit dans un site aménagé et des emprises réservées pour le recevoir ; qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat de se prononcer sur les mérites du contre-projet de passage de l'autoroute A 86 en tunnel sous la Marne et l'autoroute A 4 présenté par l'association requérante ;
Considérant, toutefois, que les requérants soutiennent que les inconvénients d'ordre social apparaissent excessifs eu égard à l'intérêt que présentent les travaux envisagés ; que les inconvénients résultant nécessairement de la présence de l'ouvrage pour les quartiers traversés ont été réduits par les aménagements prévus, écrans de protection acoustique, buttes de terre, occultation acoustique des espaces entre les viaducs, revêtements routiers spéciaux ; que ces précautions permettent d'attendre, sur la plus grande partie du tracé retenu, une diminution des nuisances acoustiques existantes malgré une augmentation globale du trafic ; que des dispositions ont été prises en ce qui concerne le traitement architectural de l'ouvrage pour qu'une atteinte excessive ne soit pas portée aux sites naturels qu'il traverse ni au monument historique dans le périmètre de protection duquel il pénètre ; qu'ainsi, eu égard à l'importance de l'opération et aux précautions prises, les inconvénients allégués ne sont pas de nature à retirer au projet son caractère d'utilité publique ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ;
Article 1er
: Les requêtes du Comité de défense des riverains du Tronc commun A4-A86 et de l'Association "Sauvons le Boisde Vincennes" sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86, à l'Association "Sauvons le Bois de Vincennes", au Premier ministre et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace.