ARRET
N° 525
S.A.S. [6] [Localité 3]
C/
CPAM DE L'OISE
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 25 MAI 2023
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N° RG 22/00394 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IKR2 - N° registre 1ère instance : 19/00087
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 31 décembre 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. [6] [Localité 3] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
MP : Madame [W] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me Sarah MACHRHOUL LHOTELLIER, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIME
CPAM DE L'OISE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée et plaidant par Mme [C] [T] dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 14 Mars 2023 devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles
786 et
945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Jocelyne RUBANTEL en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
M. Pascal HAMON, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article
450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
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DECISION
Le 16 octobre 2017, [S] [W], salariée de la société [6] [Localité 3] (anciennement [5]) de 1976 à 1990 en qualité d'ouvrière, a effectué une déclaration de maladie professionnelle pour « un nodule pulmonaire droit et métastase pleurale adenocarcinome à l'exposition de l'amiante », suivant un certificat médical initial en date du 5 septembre 2017, en vue d'une reconnaissance au titre de la législation sur les risques professionnels.
[S] [W] est décédée le 26 décembre 2017.
Par décision en date du 19 avril 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (la CPAM) de l'Oise a pris en charge la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels dans le cadre du tableau 30 bis des maladies professionnelles : « cancer broncho pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante ».
Contestant cette décision, la société [6] [Localité 3] a saisi la commission de recours amiable, puis le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais.
Par jugement en date du 31 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais a :
- débouté la société [6] [Localité 3] de sa demande en inopposabilité de la décision de prise en charge par la CPAM de l'Oise de la maladie professionnelle déclarée le 19 avril 2018 notifiée le 23 avril 2018,
- déclaré opposable à la société [6] [Localité 3] la décision de prise en charge par la CPAM de l'Oise de la maladie professionnelle déclarée le 19 avril 2018 notifiée le 23 avril 2018,
- débouté la société [6] [Localité 3] de sa demande d'expertise,
- condamné la société [6] [Localité 3] aux dépens de l'instance nés postérieurement au 31 décembre 2018.
La société [6] [Localité 3] a interjeté appel du jugement le 26 janvier 2022.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 14 mars 2023.
La société [6] [Localité 3], aux termes de ses conclusions régulièrement déposées et soutenues oralement à l'audience, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- juger que la décision de la CPAM du 19 avril 2018 de prise en charge de la maladie professionnelle de [S] [W], au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles, est irrégulière en la forme et lui est inopposable,
- juger que la preuve de la maladie professionnelle de [S] [W] retenue par la caisse, « cancer broncho-pulmonaire primitif », n'est pas établie et qu'il n'y a pas lieu de prendre en charge la maladie de [S] [W] au titre des maladies professionnelles,
- juger que la maladie de [S] [W] n'a pas été contractée chez elle, qu'elle ne lui est pas imputable et que la décision de la CPAM lui est, également pour ce motif de fond, inopposable,
A titre subsidiaire :
- nommer un expert médical aux fins de déterminer si la maladie dont a souffert [S] [W] est bien le cancer broncho-pulmonaire primitif pris en charge au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles, qu'il a bien été contracté chez elle (anciennement dénommé [5]) et qu'il lui est bien imputable, ce qu'elle conteste.
Elle souligne qu'en principe, la procédure doit être menée à l'égard de l'employeur actuel ou du dernier employeur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce car après son emploi chez [5], [S] [W] a été employée pendant plus de dix ans par plusieurs entreprises de travail temporaire qui l'ont probablement mise à disposition de multiples entreprises où elle a pu être exposée à l'amiante. Elle en déduit que la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle lui est inopposable car elle est irrégulière et la caisse a manqué son obligation d'information.
Elle précise que les certificats médicaux versés aux débats font état d'une « métastase pleurale d'adenocarcinome », non visée par le tableau 30 bis. Elle ajoute que [S] [W] était handicapée à 80 % entre 2003 et 2013 alors qu'elle avait quitté la société en 1990, du fait d'une grave maladie qui est vraisemblablement l'adenocarcinome visée dans les certificats médicaux, ayant entraîné par la suite une métastase.
Elle fait observer que les pièces médicales produites par le FIVA font état de pathologies anciennes et intercurrentes à savoir un tabagisme sevré, une artérite, une angioplastie et une embolie pulmonaire, et qu'il semble que [S] [W] ait été diagnostiquée en 2016 d'« un cancer bronchique métastasique à la plèvre ».
Elle soutient avoir mis des protections individuelles et collectives à disposition de ses salariés, avec un suivi médical, dans le respect des dispositions règlementaires applicables sur le risque amiante.
La CPAM de l'Oise, aux termes de ses conclusions régulièrement déposées et soutenues oralement à l'audience, demande à la cour de :
- confirmer dans son intégralité le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Beauvais le 31 décembre 2021,
Par voie de conséquence,
- débouter la société [6] [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Elle rappelle les dispositions de l'article
R. 441-11 II du code de la sécurité sociale et précise que l'employeur a été informé de la déclaration de la maladie professionnelle et a été associé à l'enquête menée, jusqu'à la fin de l'instruction portée à sa connaissance, ainsi que de sa possibilité de venir consulter le dossier, avant la décision de prise en charge de la maladie au titre du tableau 30 bis qui lui a été notifiée le 19 avril
2018.
Elle indique qu'aux termes de l'article
L. 461-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, une maladie est présumée d'origine professionnelle lorsqu'elle est désignée dans un tableau et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau, à charge pour l'employeur de rapporter la preuve contraire.
S'agissant de la désignation de la maladie, elle fait état de la jurisprudence, notamment celle de la deuxième chambre civile de la cour cassation du 21 janvier 2016 selon laquelle il n'est pas exigé que soit indiqué sur le certificat médical initial, la pathologie correspondant strictement à la pathologie désignée au tableau.
Elle précise que le certificat médical initial et l'avis du médecin conseil de la caisse établissent parfaitement le diagnostic d'un « cancer broncho-pulmonaire primitif » visé par le tableau 30 bis des maladies professionnelles.
Elle fait observer que la société [6] [Localité 3] avance que [S] [W] souffrait d'une invalidité et de pathologies anciennes et intercurrentes, sans pour autant démontrer que son activité n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie.
Elle souligne que la présomption d'imputabilité n'implique pas de tenir compte des dispositions particulières à contracter la maladie.
Elle soutient qu'il ressort de son enquête administrative que l'activité de [S] [W] pendant 14 ans, consistant à la fabrication de plaquettes de frein contenant de l'amiante, répond aux travaux de la liste limitative du tableau 30 bis des maladies professionnelles.
Elle relève que l'employeur ne conteste pas l'exposition à l'amiante mais expose les mesures individuelles et collectives de protection mises en place pour limiter l'exposition.
Elle fait observer que l'employeur sollicite une expertise médicale judiciaire alors que la présomption d'imputabilité de l'article
L. 461-1 du code de la sécurité est établie et qu'il ne rapporte aucun élément objectif permettant de l'écarter.
Conformément à l'article
455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs
Sur l'instruction contradictoire
La société [6] [Localité 3] avance que la CPAM de l'Oise a manqué à son obligation d'information, au motif qu'elle n'est pas le dernier employeur de [S] [W] qui a été employée pendant plus de dix ans par plusieurs entreprises de travail temporaire qui l'ont probablement mise à disposition de multiples entreprises où elle a pu être exposée à l'amiante ;
La cour fait observer que la maladie doit en principe être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale ;
Il ressort toutefois des éléments de l'enquête diligentée par la CPAM de l'Oise que [S] [W] a travaillé pour la société [6] [Localité 3] de janvier 1976 à juillet 1990. A la suite de cette de cette période, selon l'audition de son époux, [S] [W] a travaillé par le biais de l'intérim sur divers secteurs d'activité : l'entretien, le ménage, le soin aux résidents de maison de retraite et un travail à la chaîne dans une usine de roulette ;
Dans le cadre de l'instruction du dossier, la CPAM de l'Oise a informé la société [6] [Localité 3] par courrier du 22 janvier 2018 de la déclaration de la maladie professionnelle effectuée par l'assurée ; il n'est pas contesté que la société [6] [Localité 3] a été associée à l'enquête menée ; par courrier en date du 3 avril 2018, la société [6] [Localité 3] a été informée par la CPAM de l'Oise de la fin de l'instruction et de sa possibilité de venir consulter le dossier ; enfin la décision de prise en charge de la maladie au titre du tableau 30 bis a été notifiée le 19 avril 2018 à la société [6] [Localité 3] ;
L'instruction a été menée conformément aux dispositions des articles
R.441-11 et
R.441-14 du code de la sécurité sociale ;
Il est constant que l'employeur qui a reçu une information complète sur la procédure d'instruction, n'est pas recevable à se prévaloir, aux fins d'inopposabilité à son égard de la décision de la caisse, des manquements de celle-ci dans l'instruction du dossier à l'égard du dernier employeur de la victime ;
La société [6] [Localité
3] qui ne démontre aucun manquement au devoir d'information de la part de la caisse, sera déboutée de sa demande d'inopposabilité sur ce point ;
Sur le caractère professionnel de la maladie
En application de l'article
L461-1 alinéas 2 et 3 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, « est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. »
L'article L. 461-5 alinéa 3 dudit code prévoit que le praticien remet à la victime un certificat indiquant la nature de la maladie, notamment les manifestations mentionnées aux tableaux et constatées ainsi que les suites probables ;
En l'espèce, la société [6] [Localité 3] conteste la désignation de la maladie au motif que les certificats médicaux versés aux débats font état d'une « métastase pleurale d'adenocarcinome », alors que le tableau 30 bis vise un « cancer-broncho pulmonaire primitif » ;
Le certificat médical initial en date du 5 septembre 2017 établi par le docteur [F], pneumologue, mentionne : « exposition professionnelle à l'amiante = contrôle plaquettes de frein, scanner thoracique réalisé à titre systématique en novembre 2016 = nodule pulmonaire droit - pleurésie en juillet 2017 ' pleuroscopie (illisible) = métastase pleurale adenocarcinome » ;
Si les indications visées par le certificat médical initial doivent correspondre au libellé de la maladie dans le tableau, une correspondance littérale n'est toutefois pas exigée, à la condition que la pathologie visée sur le certificat remplisse les critères tenant à la désignation de la maladie dans le tableau ;
La cour rappelle que la caisse n'est pas tenue par les termes employés dans la déclaration de la maladie professionnelle ou le certificat médical, mais elle doit s'assurer que la maladie déclarée correspond à l'une de celle désignée par l'un des tableaux des maladies professionnelles ;
La cour constate que dans la fiche de colloque médico-administratif du 3 avril 2018, le médecin conseil mentionne le libellé complet de la maladie à savoir un « cancer broncho pulmonaire primitif », le code syndrome « 030BAC34 », et précise que les conditions règlementaires de prise en charge de la maladie sont remplies ;
Le médecin conseil ne précise toutefois pas à l'aide de quel examen il a pu apprécier le caractère primitif du cancer, ni la date de la première constatation médicale, mais se contente d'opérer un renvoi au certificat médical initial, lequel fait état de pathologies constatées à des dates différentes, ce qui génère un doute sur le caractère primitif de la maladie ;
L'avis favorable du médecin conseil à la prise en charge de la maladie n'est pas corroboré par un quelconque élément médical extrinsèque établissant le caractère primitif de la maladie déclarée par la salariée ;
La condition relative à la désignation de la maladie du tableau 30 bis n'est pas remplie ;
La maladie professionnelle de [S] [W] sera donc déclarée inopposable à la société [6].
Sur la demande d'expertise :
La Cour, suffisamment informée, estime inutile de recourir à une procédure d'examen complémentaire. La demande de ce chef sera donc rejetée.
Sur les dépens
Aux termes de l'article
696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La CPAM de l'Oise qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par sa mise à disposition au greffe, en dernier ressort,
INFIRME le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
DECLARE inopposable à la société [6] [Localité 3], la décision de prise en charge par la CPAM de l'Oise de la maladie professionnelle déclarée le 19 avril 2018,
CONDAMNE la CPAM de l'Oise aux dépens de l'instance.
Le Greffier, Le Président,