Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 août et 13 septembre 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Mayotte Topo, représentée par Me Jorion, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'ensemble des décisions consécutives aux irrégularités se rapportant à la procédure de publicité et de mise en concurrence du marché public relatifs à un accord-cadre à bons de commande pour des missions de levés topographiques sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou ;
2°) d'annuler la procédure d'attribution des lots C et D du marché litigieux ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou une somme de 5 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations en s'abstenant de déclarer irrecevables, car incomplètes, les offres du cabinet Shaï Etudes ;
-le détail quantitatif estimatif (DQE) et les bordereaux de prix unitaires (BPU) prévoient l'intervention d'un géomètre expert, or ni le cabinet Shaï-Etudes ni son gérant ne sont inscrits au tableau de l'ordre des géomètres-experts de La Réunion et de Mayotte, de telle sorte qu'une solution de sous-traitance aurait pu être envisagée ou elle aurait dû s'abstenir de chiffrer le coût de l'intervention, ce qui n'est pas indiqué; la candidature de la société attributaire aurait donc dû être écartée comme incomplète ;
-la création récente du cabinet Shaï-Etudes traduit sa fragilité financière ;
-aucun des documents communiqués ne permet de déterminer la méthode de notation du critère prix des différentes offres.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2023, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Bracq, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la société requérante ne peut invoquer aucune lésion pour avoir été classée en seconde position pour les lots C et D, sachant qu'elle était déjà attributaire des lots A et B et ne pouvait obtenir plus de deux lots ;
- les moyens ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée à la société Shaï-Etudes qui n'a pas produit de mémoire en défense avant l'audience.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;
- le code des marchés publics ;
- le code de la commande publique ;
- le décret n°2015-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision en date du 1er septembre 2022, prise en application de l'article
L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 14 septembre 2023 à 14 heures 00, le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles
R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme A, étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.
Au cours de l'audience publique, M. Bauzerand a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Jorion, pour la société requérante qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
- les observations de Me Berletier, substituant Me Bracq, pour la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), qui reprend ses écritures en défense ;
- et les observations de M. B, auto-entrepreneur, pour le cabinet Shaï-Etudes, qui fait valoir que sa société a toutes les capacités pour répondre à l'appel d'offres de la CADEMA.
La clôture de l'instruction a été différée au 21 septembre 2023 à midi pour permettre au pouvoir adjudicateur de communiquer le rapport d'analyse des offres.
Par un mémoire distinct, enregistré le 20 septembre 2023 et présenté au titre des dispositions des articles
R. 611-30 et
R. 412-2-1 du code de justice administrative, la société Shaï-Etudes verse aux débats des pièces confidentielles qu'elle indique être couvertes par le secret des affaires et demande qu'elles soient soustraites au contradictoire
Par un mémoire distinct, enregistré le 25 septembre 2023 et présenté au titre des dispositions des articles
R. 611-30 et
R. 412-2-1 du code de justice administrative, la CADEMA verse aux débats des pièces confidentielles (rapport d'analyse des offres) qu'elle indique être couvertes par le secret des affaires et demande qu'elles soient soustraites au contradictoire
Considérant ce qui suit
:
1.Par un avis d'appel à la concurrence publié le 19 mai 2023 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) a lancé une consultation, sous forme d'appel d'offres, en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande comportant quatre lots (dénommés A, B, C et D) pour des missions de levés topographiques sur son territoire. Par courrier en date du 24 août 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Mayotte Topo, qui avait déposé une offre pour les quatre lots, a été informée que sa candidature n'était pas retenue pour les lots C et D et que ces lots avaient été attribués à la société Shaï-Etudes. Par la présente requête, la société Mayotte-Topo demande au juge des référés précontractuels l'annulation des décisions de rejet de ses offres et de la procédure de passation des lots C et D de cet accord cadre.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L.551-1 du code de justice administrative :
2.Aux termes des dispositions de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article
L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;
3.Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée en défense par la CADEMA :
4. Aux termes de l'article
L. 551-10 du code de justice administrative : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles
L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. " Aux termes du III de l'article 12 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " L'acheteur indique dans les documents de la consultation si les opérateurs économiques peuvent soumissionner pour un seul lot, plusieurs lots ou tous les lots ainsi que, le cas échéant, le nombre maximal de lots qui peuvent être attribués à un même soumissionnaire. Dans ce cas, les documents de la consultation précisent les règles applicables lorsque la mise en œuvre des critères d'attribution conduirait à attribuer à un même soumissionnaire un nombre de lots supérieur au nombre maximal. ". Aux termes de l'article 1.4. du règlement de la consultation : " () / Les candidats ont la possibilité de soumettre des offres pour tous les lots. / Un même candidat pourra se voir attribuer un nombre maximal de 2 lots. / Si un candidat est classé premier pour un nombre de lots supérieur à ce nombre maximal, les modalités d'attribution des lots sont les suivantes : Si un candidat se retrouvait dans la position de remporter plusieurs mêmes lots géographiques, ce dernier se verrait potentiellement attribuer les lots inscrits selon son ordre de priorité. Dans cette hypothèse, pour l'autre ou les autres lots géographiques pour lesquels ce même candidat était également pressenti pour être attributaire, le candidat suivant, le mieux disant se verrait attribuer le lot en question. "
5.En l'espèce, la CADEMA fait valoir que la société requérante ne peut être considérée comme ayant été lésée par la procédure litigieuse, dès lors qu'en vertu des dispositions précitées du règlement de la consultation, étant déjà attributaire des lots A et B, elle ne pouvait plus être déclarée attributaire des lots C et D. Toutefois, il est constant que la société Mayotte Topo a déposé une offre pour les quatre lots dont s'agit et qu'il n'est ni soutenu ni même allégué que les lots obtenus étaient conformes à son ordre de priorité. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par la CADEMA doit être écartée.
En ce qui concerne la régularité de l'offre de l'attributaire :
6. Aux termes de l'article
L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article
L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Selon l'article
R. 2152-1 de ce code : " Dans () les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. / () ". Aux termes de l'article 5 du règlement de consultation : " () 5.1 - Documents à produire / Chaque candidat aura à produire un dossier complet comprenant les pièces suivantes / () / L'offre, qu'elle soit présentée par une seule entreprise ou par un groupement, devra indiquer tous les sous-traitants connus lors de son dépôt. Elle devra également indiquer les prestations dont la sous-traitance est envisagée, la dénomination et la qualité des sous-traitants. ".
7.Il résulte de ces dispositions que le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L'administration ne peut en conséquence attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres, notamment parce que les éléments demandés ont un caractère public.
8. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société Shaï-Etudes est en fait l'entreprise créée par M. B, auto-entrepreneur et géomètre expert stagiaire, le 3 octobre 2022, entreprise qui ne comporte donc aucun autre salarié. Si, d'une part, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à un auto-entrepreneur de candidater à un marché public, et si, d'autre part, aucune autre disposition n'interdit à un géomètre expert stagiaire de se porter candidat à un marché de levés topographiques, il n'est pas contesté que pour pouvoir exécuter l'intégralité des prestations du marché litigieux, M. B devra nécessairement en sous-traiter une grande partie. Toutefois, il est également constant que l'offre présentée par le cabinet de M. B ne comporte aucune précision quant à cette question de la sous-traitance et ne précise pas plus, ainsi que le prévoit pourtant les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement de la consultation, les prestations dont la sous-traitance est envisagée et la dénomination et la qualité des sous-traitants. Il suit de là que la société requérante est donc fondée à soutenir que l'offre présentée par le cabinet Shaï-Etudes est irrégulière.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société Mayotte Topo est fondée à demander l'annulation, à compter du stade de l'examen des offres de la procédure de passation de l'accord-cadre à bons de commande en tant qu'il concerne les lots C et D.
Sur les frais du litige :
10. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Mayotte Topo, les sommes demandées par la CADEMA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
11. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la CADEMA une somme de 2 000 euros à verser à la société Mayotte Topo au titre des mêmes frais.
ORDONNE :
Article 1er : La procédure de passation des lots C et D du marché public marché public relatifs à un accord-cadre à bons de commande pour des missions de levés topographiques sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou est annulée au stade de l'examen des offres.
Article 2 : Les décisions par lesquelles la CADEMA a, d'une part, rejeté les offres de la société Mayotte Topa se rapportant à la procédure de passation des lots C et D du marché public relatifs à un accord-cadre à bons de commande pour des missions de levés topographiques sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou, et d'autre part, a retenu les offres du cabinet Shaï-Etudes pour les mêmes lots sont annulées.
Article 3 : La CADEMA versera à la société Mayotte Topo une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la CADEMA tendant au bénéfice des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Mayotte Topo, au cabinet Shaï-Etudes et à la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou.
Copie sera adressée au préfet de Mayotte conformément aux dispositions de l'article
R. 751-8 du code de justice administrative
Fait à Mamoudzou, le 24 octobre 2023.
Le juge des référés,
Ch. BAUZERAND
La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2303549