Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2024, Mme A B et M. D C, agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, M. E né le 12 Août 2023, représentés par Me Djemaoun, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'octroyer les conditions matérielles d'accueil à leur fils et d'attribuer à la famille un hébergement en Île-de-France et de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile allouée en leur délivrant la carte prévue par l'article
D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans délai, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros à verser au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie, car leur enfant, né en août 2023, souffre d'une maladie nécessitant une prise en charge rapide et spécialisée à l'hôpital Necker. Or la famille vit en situation de détresse et sans ressource dans la rue malgré leurs appels quotidiens au 115 ;
- le fait de les laisser dans cette situation avec leur enfant demandeur d'asile et qui bénéficie des conditions matérielles d'accueil, sous des températures hivernales glaciales, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, notamment le droit d'asile, l'intérêt supérieur de l'enfant, l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et le respect de la dignité de la personne humaine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les conditions prévues par l'article
L. 521-2 du code de justice administrative ne sont pas réunies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Bachoffer, vice-président de section, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Boudina greffière d'audience, M. Bachoffer a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Djemaoun, représentant les requérants, qui reprend et développe ses écritures.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.
Considérant ce qui suit
:
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative :
1. Aux termes de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
En ce qui concerne la condition d'extrême urgence :
2. Il résulte de l'instruction que le jeune E, âgé de 5 mois, est demandeur d'asile depuis le 31 octobre 2023. L'enfant est atteint d'une affectation grave nécessitant une prise en charge rapide et spécialisée à l'hôpital pour enfant F. Or il n'est pas sérieusement contesté en défense que cet enfant vit actuellement avec ses parents dans la rue, par des températures hivernales particulièrement basses, et que ces derniers sont sans ressource, comme l'attestent le rapport social établi le 9 janvier 2024 ainsi que la fiche des appels réguliers au 115. Ainsi la situation de cet enfant et de ses parents, qui sont privés du bénéfice effectif des conditions matérielles d'accueil, justifie que le juge des référés statue sur leur demande d'injonction d'hébergement d'urgence et de versement de l'allocation de demandeur d'asile dans un délai de quarante-huit heures.
En ce qui concerne la condition relative à l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale :
3. Aux termes de l'article
L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III. " Aux termes de l'article
L 552-1 du même code : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article
L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article
L. 322-1 du même code ". Aux termes de l'article L. 552-8 de ce code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration propose au demandeur d'asile un lieu d'hébergement. / Cette proposition tient compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation des besoins et de la vulnérabilité prévue au chapitre II du titre II, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région. ".
4. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration et des diligences qu'elle a déjà accomplies.
5. Il résulte de l'instruction, et n'est pas sérieusement contesté, que le jeune E, ressortissant ivoirien, âgé de 5 mois, demandeur d'asile depuis le 31 octobre 2023, d'après les certificats médicaux produits, en date des 28 novembre 2023 et 8 janvier 2024, présente une maladie complexe nécessitant une prise en charge rapide et spécialisée à l'hôpital pour enfant F, afin de préserver son pronostic visuel, et bénéficie d'un accompagnement social dont le dernier rapport, en date du 9 janvier 2024, fait état de ce que " la famille est toujours sans solution d'hébergement et alterne rue et courts séjours au 115 " et de ce qu'à la date dudit rapport " aucune proposition n'a été faite à la famille ". Or aucune pièce du dossier n'établit que cet enfant et ses parents auraient été récemment mis à l'abri, la fiche des appels réguliers au 115 mentionnant une absence récurrente de prise en charge, faute de place. De plus, les parents de l'enfant font valoir, sans être sérieusement contredits, qu'ils ne disposent actuellement d'aucune ressource ni d'aucun hébergement. Ainsi l'OFII, en s'abstenant de verser au jeune E l'allocation pour demandeur d'asile et de lui proposer un hébergement d'urgence en région Ile-de-France, compte tenu des contraintes médicales de l'enfant, alors que la famille est vulnérable, dans une saison hivernale particulièrement froide, doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, notamment au droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au directeur de l'OFII de verser au jeune E l'allocation pour demandeur d'asile, par la délivrance de la carte prévue à l'article
D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de lui proposer un hébergement, dans les plus brefs délais, en région Ile-de-France, compte tenu des nécessités particulières de prise en charge médico-sociale de l'enfant et de sa famille et des conditions météorologiques actuelles. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. En application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'OFII à verser la somme de 1 200 euros à Mme A B et à M. D C.
O R D O N N E
Article 1er : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au titre des conditions matérielles d'accueil dont bénéficie le jeune E, de proposer à Mme A B et M. D C un hébergement pour eux et leur enfant mineur, en région Ile-de-France, et d'octroyer l'allocation pour demandeur d'asile, par la délivrance de la carte prévue à l'article
D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans les plus bref délais, à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à Mme A B et M. D C la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A B et à M. D C, à Me Djemaoun et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Fait à Paris, le 11 janvier 2024.
Le juge des référés,
B. BACHOFFER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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