CEDH, Cour (Deuxième Section), AFFAIRE COMPANHIA AGRICOLA DO MARANHAO - CAMAR SA c. PORTUGAL, 22 février 2011, 335/10

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    335/10
  • Dispositif : Violation de P1-1
  • Importance : Faible
  • État défendeur : Portugal
  • Nature : Arrêt
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2011:0222JUD000033510
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-103600
  • Avocat(s) : FERNANDES DE BARROS J. A.
Voir plus

Résumé

Vous devez être connecté pour pouvoir générer un résumé. Découvrir gratuitement Pappers Justice +

Suggestions de l'IA

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION AFFAIRE COMPANHIA AGRÍCOLA DO MARANHÃO - CAMAR SA c. PORTUGAL (Requête no 335/10) ARRÊT STRASBOURG 22 février 2011 DÉFINITIF 22/05/2011 Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Companhia Agrícola do Maranhão - CAMAR SA c. Portugal, La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : Françoise Tulkens, présidente, Danutė Jočienė, Ireneu Cabral Barreto, Dragoljub Popović, Giorgio Malinverni, Işıl Karakaş, Guido Raimondi, juges, et de Stanley Naismith, greffier de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er février 2011, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 335/10) dirigée contre la République portugaise et dont une société de cet Etat, Companhia Agrícola do Maranhão - CAMAR, SA (« la requérante »), a saisi la Cour le 15 décembre 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. La requérante est représentée devant la Cour par Me J. A. Fernandes de Barros, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») était représenté, jusqu'au 23 février 2010, par son agent, M. J. Miguel, procureur général adjoint, et, à partir de cette date, par Mme M. F. Carvalho, également procureur général adjoint. 3. La requérante alléguait que la fixation et le paiement tardifs d'une indemnisation consécutive à l'expropriation de ses terrains avaient porté atteinte au droit au respect de ses biens. 4. Le 18 janvier 2010, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 5. Société anonyme de droit portugais ayant son siège à Algés (Portugal), la requérante était propriétaire de plusieurs terrains d'une superficie totale de 5 100,44 hectares, lesquels firent l'objet d'une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire. 6. La législation pertinente en la matière prévoyait que les propriétaires pouvaient, sous certaines conditions, exercer leur droit de « réserve » (direito de reserva) sur une partie des terrains afin d'y poursuivre leurs activités agricoles. Elle prévoyait par ailleurs l'indemnisation des intéressés. Le montant, le délai et les conditions de paiement d'une telle indemnisation restaient à définir. 7. La requérante exerça son droit de réserve et récupéra, le 3 mai 1991, l'ensemble des terrains qui avaient été expropriés, à l'exception de 5, 5 hectares. 8. Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l'Agriculture et du secrétaire d'Etat au Trésor en date du 27 juillet et du 11 décembre 2009, respectivement, portés à la connaissance de la requérante le 6 janvier 2010, l'indemnisation définitive fut fixée à 261 983 045 escudos portugais (PTE), soit 1 306 765,92 euros (EUR). 9. Le 29 octobre 2010, l'indemnisation majorée de 236 157 623 PTE, soit 1 177 949,26 EUR fut versée à la requérante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 10. L'arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (nos 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I) décrit, en ses paragraphes 31 à 37, le droit et la pratique internes pertinents en matière de réforme agraire. Il convient d'ajouter que le Tribunal constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en la matière (arrêt Almeida Garrett précité, § 37) par son arrêt no 85/03/T du 12 février 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 11. La requérante allègue que le montant de l'indemnisation ne saurait correspondre à une « juste indemnisation » et se plaint du retard dans la fixation et le paiement de l'indemnisation définitive. Elle invoque la violation du droit au respect des biens, prévu par l'article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, ainsi libellé : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » 12. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. A. Sur la recevabilité 13. En ce qui concerne le grief portant sur le montant de l'indemnisation ayant été attribuée au niveau interne, la Cour rappelle d'emblée ne pas être compétente pour examiner les questions directement liées à la privation de propriété, ni, a fortiori, celles relatives au montant des indemnisations, lesquels se trouvent en dehors de sa compétence ratione temporis (Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité, §§ 43 et 48). 14. A l'exception de ce qui précède, la Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité (voir, à cet égard, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal précité, §§ 41-43). Il convient donc de déclarer la requête recevable, hormis la partie portant sur le montant de l'indemnisation octroyée par les juridictions internes. B. Sur le fond 15. La Cour rappelle qu'elle a déjà été appelée à examiner des affaires similaires, s'agissant de la politique d'indemnisation des nationalisations et expropriations ayant eu lieu au Portugal en 1975 (voir l'arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité et, en dernier lieu, Fernandes Formigal de Arriaga et 15 autres affaires "Réforme agraire" c. Portugal, 13 juillet 2010). Dans toutes ces affaires, elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1, considérant que les intéressés avaient eu à supporter une charge spéciale et exorbitante ayant rompu le juste équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens. 16. La Cour n'aperçoit pas de motifs justifiant de s'écarter de cette jurisprudence dans la présente affaire. 17. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1. II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 18. Aux termes de l'article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. » A. Dommage 19. Le requérante réclame 1 327 982 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu'elle aurait subi. 20. Le Gouvernement conteste cette demande. 21. La Cour relève, conformément à sa jurisprudence constante en la matière, que la requérante a pu subir un préjudice matériel, correspondant à la différence entre les intérêts à recevoir aux termes de la législation pertinente et la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, qui a débuté le 9 novembre 1978, date de l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard du Portugal, et s'est terminée à la date de mise à disposition de la requérante de l'indemnisation en cause. En effet, les sommes que la requérante devait recevoir n'ont pas été mises à sa disposition dans les délais prévus par la législation interne pertinente et le taux d'intérêt moratoire était trop faible par rapport à la dépréciation de la monnaie pendant la période concernée (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable), nos 29813/96 et 30229/96, §§ 22 et 23, 10 avril 2001). 22. Le calcul précis d'un tel préjudice se heurte toutefois à des difficultés, l'indemnisation fixée à la requérante tenant en effet déjà compte, dans une certaine mesure, de l'écoulement du temps, même si le montant indiqué à titre d'intérêts, certes important, se révèle de toute évidence insuffisant pour compenser le long laps de temps en cause dans la présente affaire. Ces difficultés augmentent si l'on tient compte des différents éléments composant l'indemnisation en cause, dont le calcul a par ailleurs certainement retardé la détermination du montant de ladite indemnisation. 23. La Cour décide ainsi de calculer le préjudice de la requérante en équité, comme le permet l'article 41 de la Convention. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, elle juge raisonnable d'allouer à la requérante la somme de 350 000 EUR pour le dommage matériel. B. Frais et dépens 24. La requérante demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens. 25. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour. 26. La Cour décide, conformément à sa pratique dans ce type d'affaires et en tenant compte des documents soumis par la requérante, d'octroyer à titre de frais et dépens la somme forfaitaire de 2 000 EUR. C. Intérêts moratoires 27. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS

, LA COUR, À L'UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable pour autant qu'elle concerne le retard dans la fixation et le paiement de l'indemnisation définitive, et irrecevable pour le surplus ; 2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ; 3. Dit, a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 350 000 EUR (trois cent cinquante mille euros) pour dommage matériel et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens ; b) qu'aux sommes accordées ci-dessus, il faut ajouter tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la requérante ; c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement. Stanley Naismith Françoise Tulkens Greffier Présidente
Note...