Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 26 juin 2014, 13-18.319

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2014-06-26
Cour d'appel de Rouen
2013-03-19
tribunal de commerce ayant
2012-05-23

Texte intégral

Sur le moyen

unique, pris en ses deux premières branches : Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Rouen, 19 mars 2013), que la société Randstad, entreprise de travail temporaire, souhaitant obtenir réparation des réclamations pécuniaires de ses clients et anciens clients, qu'elle qualifie de préjudices et dont elle impute la responsabilité à la société d'audit Alma Consulting group, a saisi le juge des requêtes d'un tribunal de commerce pour obtenir, avant tout procès, une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ; que la demande a été accueillie par ordonnance du 23 mai 2012, le président du tribunal de commerce ayant rejeté la demande de rétractation par ordonnance du 18 juin 2012 ;

Attendu que la société Randstad fait grief à

l'arrêt de rétracter l'ordonnance sur requête du 23 mai 2012, d'ordonner la restitution à la société Alma Consulting group de tous les documents collectés lors de l'exécution de cette ordonnance et de dire qu'il ne pourra être conservé copie de ces documents alors, selon le moyen : 1°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction illégalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motif pris, d'une part, que « le demandeur doit justifier, pour voir sa requête accueillie sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de l'existence d'un litige susceptible de donner lieu à une action en justice » et, d'autre part, « que le préjudice dont fait état la société Randstad résultant des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle a pour origine le refus de reverser les allégements en cause qui lui est imputable » et que le mail de M. Ceulioli « tend à accréditer les observations de la société Alma selon lesquelles le groupe Parisot n'avait pas été irrégulièrement démarché par Alma et qu'il s'agissait pour M. X... d'aider la société Randstad à constituer un dossier contre la société Alma », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 145 du code de procédure civile ; 2°/ qu'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir pourtant constaté que la mission confiée aux huissiers de justice par l'ordonnance du 23 mai 2012 consistait à rechercher les documents par lesquels la société Alma avait « directement ou indirectement (...) sollicité des sociétés afin de leur proposer une mission d'audit concernant les allégements de charges sociales rétrocédées par Randstad », de sorte que cette mission ne constituait pas une mesure d'ordre général d'investigation, mais qu'elle était limitée à la recherche d'informations concernant un point particulier et était circonscrite dans son objet et dans le temps, la cour d'appel, en décidant le contraire, a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu

qu'ayant retenu que, selon la société Alma Consulting group, la requête était un moyen de la déstabiliser dans le but de faire pression sur elle et de connaître l'ampleur des actions en remboursement, que le préjudice dont fait état la société Randstad résultant des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ayant pour origine le refus de reverser les allègements en cause qui lui est imputable, et que le mail du directeur général du groupe Parisot, qui avait exercé les fonctions au sein de la société Randstad, accréditait l'idée que le groupe Parisot n'avait pas été irrégulièrement démarché par Alma et qu'il s'agissait pour M. X... d'aider la société Randstad à constituer un dossier contre la société Alma, la cour d'appel a, par ces seuls motifs non critiqués par les deux premières branches, caractérisé l'absence de motif légitime et ainsi légalement justifié sa décision ; Et attendu que les troisième, quatrième et cinquième branches du moyen ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Randstad aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Alma Consulting group la somme de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Randstad. Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 18 juin 2012 rendue par le président du tribunal de commerce d'Evreux, à la suite de l'ordonnance du 4 juin 2012, limitée à une réouverture des débats et, statuant à nouveau, d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête du 23 mai 2012, ordonné la restitution à la société Alma de tous les documents collectés lors de l'exécution de l'ordonnance du 23 mai 2012 et dit qu'il ne pourra être conservé copie de ces documents, et condamné la société Randstad à payer 4. 000 euros à la société Alma en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel ; AUX MOTIFS QUE le procès opposant la société Randstad à diverses sociétés, au nombre desquelles figure la compagnie de Saint-Gobain, qui réclamaient le remboursement de sommes correspondant aux « allégements Filion » qui ne leur auraient pas été rétrocédés par Randstad, dans lequel a été rendu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 juillet 2012- versé aux débats par la société Alma-condamnant la société Randstad à payer la somme totale en principal de 9 700 539 E, ne peut faire obstacle à la mesure d'instruction litigieuse puisque la société Alma n'est pas partie à cette procédure ; que le demandeur doit justifier, pour voir sa requête accueillie sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de l'existence d'un litige susceptible de donner lieu à une action en justice, que les faits dont la preuve est recherchée doivent avoir un caractère de plausibilité suffisant et présenter un lien en apparence fondé avec le litige futur, que la mesure d'instruction sollicitée doit permettre d'améliorer la situation probatoire du demandeur, que la protection du secret des affaires ne fait pas obstacle à l'application de l'article 145 du texte précité mais qu'il appartient au juge d'apprécier si la mesure sollicitée n'excède pas les prévisions de celui-ci ; que dans la requête du 23 mai 2012, la société Randstad soutenait qu'elle disposait d'un motif légitime pour obtenir des mesures d'instruction permettant d'établir ou de préserver la preuve de pratiques illicites d'Alma et d'en déterminer l'ampleur avant d'agir en responsabilité contre cette société, qui réaliserait selon elle des consultations juridiques à l'attention de ses clients pour les inciter à lui réclamer des sommes importantes ; que, certes, le fait que la société Alma ait pu donner des informations à des clients de la société Randstad sur les « allègements Fillion » et rétrocessions qui pourraient être réclamées à ce titre est plausible, sans qu'il y ait lieu de rechercher en la présente instance si la qualification de démarchage illicite dont se prévaut la société Randstad est fondée ; qu'il ne peut par ailleurs être contesté que de tels faits présentent un lien en apparence fondé avec le litige futur avancé dans la requête ; que, toutefois, la preuve de ce que la mesure sollicitée a véritablement pour objet de réparer un tel litige n'est pas rapportée ; qu'en effet, il doit être observé que la société appelante, qui soutient que la requête en cause était un moyen de la déstabiliser et que « c'est dans le but de faire pression sur Alma et de connaître l'ampleur de ses actions en remboursement que Randstad a sollicité la mesure d'instruction in futurum contestée », elle a à juste titre fait valoir que le préjudice dont fait état la société Randstad résultant des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle a pour origine le refus de reverser les allègements en cause qui lui est imputable ; que le mail de M. X..., directeur général du groupe Parisot, qui avait exercé les fonctions au sein de la société Randstad (pièce n° 13 de l'appelante) adressé à M. Z..., président du groupe Randstad France le 27 avril 2011, sous le titre : rejet du recours de Manpower et Randstad par la Cour de cassation-impact sur la réparation du préjudice d'entreprise « grands comptes » rapportant qu'il a regardé les mails déjà reçus d'Alma par sa DRH, ne comportant pas « de contenu » en ajoutant : « Enfin, Alma veut absolument me rencontrer. Si ça peut t'aider, on peut utiliser cet entretien », tend à accréditer des observations de la société Alma selon lesquelles le groupe Parisot n'avait pas été irrégulièrement démarché par Alma et qu'il s'agissait pour M. X... d'aider la société Randstad à constituer un dossier contre la société Alma ; que dans ces conditions, et au vu de l'ensemble des pièces produites, il ne peut être considéré que la société Randstad a justifié d'un motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile ; 1°) ALORS QUE s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction illégalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motif pris, d'une part, que « le demandeur doit justifier, pour voir sa requête accueillie sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de l'existence d'un litige susceptible de donner lieu à une action en justice » et, d'autre part, « que le préjudice dont fait état la société Randstad résultant des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle a pour origine le refus de reverser les allégements en cause qui lui est imputable » et que le mail de M. Ceulioli « tend à accréditer les observations de la société Alma selon lesquelles le groupe Parisot n'avait pas été irrégulièrement démarché par Alma et qu'il s'agissait pour M. X... d'aider la société Randstad à constituer un dossier contre la société Alma », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 145 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QU'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir pourtant constaté que la mission confiée aux huissiers de justice par l'ordonnance du 23 mai 2012 consistait à rechercher les documents par lesquels la société Alma avait « directement ou indirectement ¿ sollicité des sociétés afin de leur proposer une mission d'audit concernant les allégements de charges sociales rétrocédées par Randstad », de sorte que cette mission ne constituait pas une mesure d'ordre général d'investigation, mais qu'elle était limitée à la recherche d'informations concernant un point particulier et était circonscrite dans son objet et dans le temps, la cour d'appel, en décidant le contraire, a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 3°) ALORS QU'en rétractant l'ordonnance sur requête du 23 mai 2012, motif pris que la charge complémentaire confiée aux huissiers par l'ordonnance du 18 juin 2012 « consistant à écarter des documents collectés toute pièce couverte par un secret légalement protégé », parce qu'elle nécessitait une appréciation « au fond des pièces sélectionnées », « excédait par-là même les pouvoirs qui pouvaient être conférés à ces officiers ministériels », l'ordonnance du 23 mai 2012 n'ayant pas confié aux huissiers de justice cette « charge complémentaire », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 145 du code de procédure civile ; 4°) ALORS QUE le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en se bornant à relever que la mission confiée aux huissiers de justice par l'ordonnance du 18 juin 2012, consistant à écarter des documents collectés toute pièce couverte par un secret légalement protégé, parce qu'elle nécessitait une appréciation au fond des pièces sélectionnées, excédait les pouvoirs qui pouvaient être confiés à ces officiers ministériels, sans préciser le fondement juridique de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ; 5°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE les huissiers de justice peuvent être commis pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir uniquement constaté que la charge complémentaire confiée aux huissiers de justice, par l'ordonnance du 18 juin 2012, consistait à écarter des documents collectés toute pièce couverte par un secret légalement protégé, ce dont il ne résultait pas que les huissiers de justice étaient conduits à porter un avis sur les conséquences de fait ou de droit résultant de leurs constatations, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 249 du code de procédure civile et 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, relative aux statuts des huissiers de justice.