Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL)
Publi-Street a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'administration fiscale à lui verser la somme de 7 028 328 euros augmentée des intérêts au taux légal, en raison d'une faute commise dans l'établissement de l'impôt ayant entraîné sa liquidation judiciaire.
Par un jugement n° 1800279 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 août 2020, la SARL
Publi-Street, représentée par Me
Dounies, demande à la cour :
1°) d'infirmer le jugement n° 1800279 du tribunal administratif de Limoges du 18 juin 2020 ;
2°) de condamner l'administration fiscale à lui verser la somme de 7 028 328 euros augmentée des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts, en raison d'une faute commise dans l'établissement de l'impôt ayant entraîné sa liquidation judiciaire et d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande préalable indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration fiscale a commis une faute dans l'établissement de l'impôt qui a entraîné la liquidation judiciaire de la société ; les créances produites dans le cadre des procédures collectives initiées à l'encontre des sociétés
Publi-Street, Bâtisseurs Corréziens et Drive Cars apparaissent exagérées au regard du montant de leur bilan financier ; ces créances représentent plus de trente fois le montant des rappels maintenus en fin de procédure de vérification ; les dégrèvements accordés par l'administration le 6 décembre 2011 sont révélateurs de cette faute ;
- les préjudices subis s'établissent comme suit :
- 5 395 288 euros en réparation du préjudice subi par les consorts A résultant de la moins-value réalisée lors de la cession de la SARL Drive Cars ;
- 1 452 000 euros en réparation de la moins-value réalisée lors de la cession de la société
Publi-Street ;
- 100 000 euros pour chacun des époux A au titre de leur préjudice moral ;
- 118 000 euros au titre de la quittance subrogative qui leur a été remise le 10 juillet 2015.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la société requérante n'a pas intérêt à agir pour demander la réparation des préjudices subis par la SARL Drive Cars, par les consorts A et par la SCI Les Tilleuls ;
- la requête n'est pas recevable, en l'absence de réclamation préalable présentée au nom et pour le compte de la SARL
Publi-Street ;
- les créances indemnitaires invoquées par la société requérante sont prescrites en application de la prescription quadriennale prévue par les articles
1 et
2 de la loi du 31 décembre 1968 ;
- les moyens développés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D,
- et les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration fiscale a mis à la charge de la SARL Drive Cars, société familiale ayant pour gérant M. B A, des impositions supplémentaires au titre des exercices 2003 à 2006 pour un montant total de 412 286 euros. L'échec du recouvrement des créances fiscales, dont le montant total était finalement fixé à 358 100, 99 euros, a conduit l'administration à assigner la SARL Drive Cars en liquidation judiciaire le 24 juin 2009. Par jugement du 18 septembre 2009, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Drive Cars, convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 9 avril 2010. Par un jugement du 18 juin 2010, ce même tribunal a étendu la procédure de liquidation judiciaire aux sociétés
Publi-Street et Bâtisseurs Corréziens. Le 6 octobre 2020, l'administration fiscale a émis, dans le cadre des procédures collectives, une déclaration de créances à titre provisionnel pour la somme de 2 805 750 euros. A la suite d'un contrôle fiscal de la SARL
Publi-Street dont les opérations avaient débuté en mars 2019, le service vérificateur a notifié à la société, le 29 novembre 2010, une proposition de rectification à l'impôt sur les sociétés et au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour un montant total de 87 909 euros. Le liquidateur judiciaire ayant contesté le montant des recouvrements, par décision du 6 décembre 2011, le service a prononcé un dégrèvement total de 83 795 euros. Le 5 novembre 2012, l'administration fiscale a présenté, dans le cadre des procédures collectives, un état des créances à titre définitif et privilégié, tenant compte de ce dégrèvement, pour un montant global de 21 024 euros. Par un arrêt du 19 juin 2014, la cour d'appel de Limoges a annulé l'extension à la SARL
Publi-Street de la liquidation judiciaire de la société Drive Cars, ce qui a eu pour effet l'annulation de la vente du fonds de commerce de la société
Publi-Street. Le 24 octobre 2017, la SARL
Publi-Street a adressé à l'administration fiscale une demande préalable indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la faute commise par l'administration fiscale dans l'établissement de l'impôt ayant conduit à sa liquidation judiciaire. Cette demande a été rejetée par décision implicite de l'administration. Par la présente requête, la société
Publi-Street relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'administration à réparer son préjudice.
Sur l'irrecevabilité pour absence d'intérêt à agir de la SARL
Publi-Street :
2. La société
Publi-Street ne conteste pas le bien-fondé de l'irrecevabilité qui lui a été opposée en première instance, tirée de ce qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt à demander la réparation des préjudices qui auraient été subis par les consorts A et la société civile immobilière Les tilleuls, subrogée dans les droits de la société Drive Cars à l'encontre du mandataire de cette société. Ainsi, les moyens qu'elle invoque à l'appui des conclusions qu'elle reprend en appel tendant à la réparation de ces préjudices sont sans portée utile.
Sur les conclusions de la SARL
Publi-Street tendant à la réparation du préjudice résultant de la moins-value réalisée lors de sa cession à la SAS Agence Comevents :
3. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
4. La SARL
Publi-Street, dont Mme C A est la gérante, soutient que l'administration fiscale a commis une faute dans l'établissement de l'impôt qui a conduit à sa liquidation judiciaire et demande la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la moins-value réalisée lors de sa cession le 5 novembre 2010 à la SAS Comevent, dans le cadre de la procédure collective, pour un montant de 61 000 euros, alors que sa valeur était évaluée le 12 mai 2010 à 1 469 420 euros. Cette cession ayant été annulée par voie de conséquence de l'annulation par la cour d'appel de Limoges le 19 juin 2014 de l'extension de la liquidation judiciaire aux sociétés
Publi-Street et Bâtisseurs Corréziens, la société requérante demande réparation du préjudice subi à hauteur de 1 452 000 euros.
5. Il résulte de l'instruction que les opérations fiscales concernant la SARL
Publi-Street ont débuté par un avis de vérification de comptabilité envoyé le 19 mars 2010 et qu'un nouvel avis de vérification a été adressé au liquidateur judiciaire le 25 juin 2010 suite à l'extension à la société requérante, le 18 juin 2010, de la liquidation judiciaire de la société Drive Cars. Les opérations de contrôle ayant permis de relever plusieurs manquements aux obligations comptables, deux procès-verbaux ont été établis le 8 octobre 2010 pour défaut de présentation de livres ou documents comptables et pour rejet de la comptabilité de l'exercice 2009. Le 29 novembre 2010, le service vérificateur a adressé une proposition de rectification pour une somme globale de 87 909 euros. Le 28 juin 2011, le liquidateur a contesté l'ensemble des rectifications opérées dont celle concernant la société
Publi-Street. Le 6 décembre 2011, l'administration a procédé à un dégrèvement pour un montant total de 83 795 euros dès lors que les éléments comptables ont été finalement produits par la société.
6. Il résulte de l'instruction, comme l'a estimé à juste titre le tribunal, que le préjudice d'un montant de 1 452 000 euros trouve sa cause directe dans l'extension par le juge du tribunal de commerce, sur requête du ministère public, de la liquidation judiciaire de la SARL Drive Cars à la SARL
Publi-Street et à la société Bâtisseurs Correziens du fait de la confusion des trois patrimoines des sociétés, toutes trois gérées par un ou plusieurs membres de la famille A, et non dans l'action des services d'établissement de l'impôt. En outre, la société requérante n'établit pas qu'en mettant en œuvre la procédure décrite au point 5, l'administration fiscale aurait diligenté à son encontre une procédure dilatoire et abusive ou qu'elle aurait commis une faute dans l'établissement des impositions, quand bien même elle a accordé un dégrèvement dont il n'est pas contesté qu'il a été prononcé à raison seulement de la production, pour la première fois lors de la réclamation contentieuse de la société, des éléments comptables justifiant un déficit pour l'exercice clos en 2009 et des éléments probants sur l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée. Enfin, même à considérer que la requérante invoque également la faute de l'administration fiscale dans la procédure d'imposition conduite à l'encontre de la SARL Drive Cars, rétablissant ainsi un lien de causalité entre la faute invoquée et l'extension de la procédure collective à son encontre, elle se borne à mettre en évidence la disproportion entre l'imposition initiale et l'imposition finalement retenue et à se prévaloir de l'écart entre la déclaration de créances à titre provisionnel, de 2 805 750 euros, émise dans le cadre des procédures collectives visant les trois sociétés et l'état de créances à titre définitif et privilégié d'un montant de 21 024 euros émis le 5 novembre 2012. Ce faisant, et alors que les déclarations de créances ne sont pas à l'origine de la procédure de liquidation, n'ont qu'une valeur déclarative et ne sont pas prise en compte pour déterminer le passif exigible et que le simple constat d'un écart entre imposition initiale et imposition retenue ne suffit pas à prouver un comportement fautif, la société requérante n'établit aucune faute de l'administration sur ces points.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fins de non-recevoir opposées en défense ni l'exception de prescription quadriennale, que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'administration au paiement d'une somme de 7 028 328 euros augmentée des intérêts au taux légal, en raison d'une faute commise dans l'établissement de l'impôt ayant entraîné sa liquidation judiciaire.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société
Publi-Street de la somme qu'elle demande sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL
Publi-Street est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL
Publi-Street et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information au directeur du contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2022.
La rapporteure,
Héloïse D
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°20BX0268