Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 octobre 2020, 7 février 2022 et 12 avril 2022, le
département de la Charente-Maritime, représenté par Me
Izembard, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 16 juin 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société
Enertrag Poitou Charentes VII une autorisation environnementale concernant un parc de neuf aérogénérateurs et trois postes de livraison sur le territoire de la commune des Eduts ;
2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société SCS
Enertrag Poitou Charentes VII une somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il justifie d'un intérêt à agir ; il constitue un tiers intéressé au sens des dispositions de l'article L. 514-3-1 du code de l'environnement ; il résulte de l'article
L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales que le département concourt notamment à la protection de l'environnement et à l'amélioration du cadre de vie ; en vertu des articles
L. 3211-1 et
L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, le département est chef de file pour assurer la solidarité des territoires et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, or l'implantation des projets éoliens principalement sur le nord du territoire du département pose un grave problème de cohésion territoriale ; la concentration d'éoliennes dans un périmètre restreint constitue une atteinte à la commodité du voisinage et un problème d'utilisation rationnelle de l'énergie, lesquelles sont au nombre des intérêts visés par l'article
L. 511-1 du code de l'environnement ; la saturation d'éoliennes pose un problème en termes de paysage et de préservation des espaces naturels et porte atteinte tant au patrimoine qu'à l'image du
département de la Charente-Maritime ; les articles
L. 141-2 et suivants du code de l'urbanisme confient aux départements la compétence en matière de préservation des espaces naturels sensibles sur leur territoire et le site d'implantation des éoliennes se situe non loin d'une zone écologique riche comme en témoigne la présence d'une ZNIEFF frontalière de l'aire d'implantation du projet et de trois autres dans le périmètre de 10 kilomètres ; ces préoccupations ont conduit le département à voter en octobre 2018 la création d'un observatoire de l'éolien et le 22 mars 2019, un moratoire de deux ans quant à l'implantation d'éoliennes sur le territoire du département ; en outre, le département est compétent en matière d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement en vertu du l'article
L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales ; l'article
L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales donne aux départements une compétence partagée en matière de tourisme ;
- la capacité d'ester en justice du représentant du conseil départemental pour engager le présent recours ressort de la décision du 25 juin 2020 prise en vertu de la délégation accordée au président du département par son assemblée délibérante le 2 avril 2015 ;
- les dispositions des articles
R. 181-32 du code de l'environnement et de l'article
R. 244-1 du code de l'aviation civile ont été méconnues dès lors qu'aucune pièce du dossier ne permet de s'assurer que les signataires de l'avis de la direction générale de l'aviation civile du 24 janvier 2018 et de l'accord de la préfecture de la zone défense sud-ouest du 11 janvier 2018 avaient reçu une délégation régulière ;
- l'évaluation environnementale produite par le porteur de projet demeure lacunaire sur de nombreux effets essentiels du projet en méconnaissance de l'article
R. 122-5 du code de l'environnement ; l'état initial de l'environnement a été insuffisamment étudié notamment l'inventaire des espèces animales présentes sur le secteur ; les conséquences sur l'environnement des travaux de raccordement électrique des éoliennes à un poste source ne sont pas présentées ; les modalités de démantèlement du parc éolien et la remise en état du site ne sont pas précisées ; l'évaluation environnementale ne contient pas les éléments d'appréciation nécessaires relatifs à l'efficacité des mesures destinées à prévenir les atteintes à l'environnement ; l'analyse des impacts cumulés avec notamment d'autres projets éoliens à proximité n'est pas suffisamment étayée ; la méthodologie suivie ne permet pas d'avoir une idée de l'impact réel du fonctionnement des futures éoliennes en ce qui concerne le respect des seuils réglementaires d'émissions sonores ; la pertinence du choix d'implantation des éoliennes au regard des impacts sur le milieu naturel n'est pas explicitée ;
- les conclusions du commissaire enquêteur ne présentent pas un caractère personnel et motivé en méconnaissance des articles
L. 123-15 et
R. 123-20 du code de l'environnement ;
- le projet est incompatible avec les orientations du schéma régional d'aménagement de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) de la région Nouvelle-Aquitaine ;
- à la date du 24 janvier 2020, le préfet n'ayant pas adopté de position, la demande de la société
Enertrag Poitou Charentes VII était implicitement mais nécessairement rejetée en application des articles
R. 181-41 et
R. 181-42 du code de l'environnement ; à la date à laquelle le préfet a statué, le 16 juin 2020, il était dessaisi du dossier de demande et ne pouvait plus se prononcer ;
- le projet porte atteinte aux intérêts visés à l'article
L. 511-1 du code de l'environnement notamment en ce qui concerne les paysages et le patrimoine culturel, l'avifaune et les chiroptères, ainsi que la commodité du voisinage, la santé publique et la sécurité publique ;
- l'impact du projet sur l'avifaune rend nécessaire une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées ; à défaut, la décision méconnaît l'article
L. 411-2 du code de l'environnement ;
- l'arrêté méconnaît l'article
R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- l'arrêté méconnaît l'article
R. 111-27 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires, enregistrés le 22 janvier 2021, le 2 février 2022, 11 mars et 5 mai 2022 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), la société
Enertrag Poitou Charentes VII, représentée par Me Guiheux, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du
département de la Charente-Maritime d'une somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le
département de la Charente-Maritime ne justifie pas d'un intérêt à agir au sens de l'article
R. 181-50 du code de l'environnement ;
- la requête est irrecevable en ce que le
département de la Charente-Maritime ne démontre pas que son président aurait été dûment habilité par le conseil départemental pour ester en justice à l'encontre de l'arrêté contesté ;
- les moyens soulevés par le département ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 17 février 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- faute pour le requérant de justifier de l'existence d'une délibération donnant autorisation au président du conseil départemental d'agir en justice, la requête est irrecevable ;
- le
département de la Charente-Maritime ne justifie pas d'un intérêt à agir au sens de l'article
R. 181-50 du code de l'environnement ;
- les moyens soulevés par le département ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du tourisme ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B A,
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,
- et les observations de Me Evano, représentant le
département de la Charente-Maritime et de Me Guiheux, représentant la société
Enertrag Poitou Charentes VII.
Considérant ce qui suit
:
1. Le 25 octobre 2017, la société
Enertrag Poitou Charentes VII a présenté une demande d'autorisation environnementale en vue de créer et d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, comprenant neuf éoliennes et trois postes de livraison, située sur le territoire de la commune de Les Eduts. Le
département de la Charente-Maritime demande l'annulation de l'arrêté du 16 juin 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré l'autorisation sollicitée.
2. En vertu du 2° de l'article
15 de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017, les autorisations délivrées au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 obéissent, après leur délivrance, au régime de l'autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles elles sont contestées. En application de l'article
R. 181-50 du code de l'environnement, les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative " par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article
L. 181-3 ". L'article
L. 511-1 du même code, auquel renvoie l'article
L. 181-3, vise les dangers et inconvénients " soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Pour pouvoir contester une autorisation environnementale, les collectivités territoriales doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour elles l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de leur situation, de la configuration des lieux et des compétences que la loi leur attribue.
3. Aux termes de l'article
L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département dans les domaines de compétences que la loi lui attribue. / Il est compétent pour mettre en œuvre toute aide ou action relative à la prévention ou à la prise en charge des situations de fragilité, au développement social, à l'accueil des jeunes enfants et à l'autonomie des personnes. Il est également compétent pour faciliter l'accès aux droits et aux services des publics dont il a la charge. / Il a compétence pour promouvoir les solidarités, la cohésion territoriale et l'accès aux soins de proximité sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes ". En admettant même que, comme le soutient le
département de la Charente-Maritime, le territoire du département accueillerait un nombre de parcs éoliens relativement plus important que la plupart des autres départements et que le nord du département en accueillerait beaucoup plus que le sud, la compétence du département en matière de promotion des solidarités et de la cohésion territoriale, sur laquelle il n'est pas allégué que le projet de la société
Enertrag Poitou Charentes VII serait de nature à avoir des conséquences directes, ne lui confère pas par elle-même un intérêt direct à l'annulation de l'arrêté attaqué. La promotion des solidarités et de la cohésion territoriale n'est, au surplus, pas au nombre des intérêts protégés par l'article
L. 511-1 du code de l'environnement.
4. Le département requérant ne peut davantage se prévaloir de l'atteinte que le projet porterait à la commodité ou au cadre de vie de ses habitants.
5. Aux termes de l'article
L. 113-8 du code de l'urbanisme : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2 ".
6. Le département, qui invoque ces dispositions, ne fait cependant état d'aucun espace naturel sensible au sens desdites dispositions auquel le projet serait susceptible de porter atteinte.
7. Aux termes de l'article
L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales : " Les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence. / Ils concourent avec l'Etat à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, à la promotion de la santé, à la lutte contre les discriminations, à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu'à la protection de l'environnement, à la lutte contre l'effet de serre par la maîtrise et l'utilisation rationnelle de l'énergie, et à l'amélioration du cadre de vie. Ils peuvent associer le public à la conception ou à l'élaboration de ces politiques, selon les modalités prévues à l'article
L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration () ".
8. Si le département se prévaut de son rôle en matière d'aménagement du territoire, d'utilisation rationnelle de l'énergie et de protection de l'environnement, les dispositions précitées se bornent à donner vocation aux départements à agir dans le sens de la promotion des intérêts qu'elles visent, sans leur conférer aucune compétence dans ces domaines. Par suite, et alors au surplus que, s'agissant de l'aménagement du territoire, cet intérêt ne figure pas parmi ceux visés à l'article
L. 511-1 précité du code de l'environnement et que, s'agissant de l'utilisation rationnelle de l'énergie, le département ne fait état d'aucune caractéristique du projet susceptible de porter atteinte à cet intérêt, l'article
L. 1111-2 précité du code général des collectivités territoriales ne lui confère pas un intérêt direct à l'annulation de l'arrêté contesté.
9. L'article
L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, qui désigne le département comme chef de file quant à l'exercice des compétences relatives à l'action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique, l'autonomie des personnes et la solidarité des territoires, ne donne aux départements aucune compétence dans des domaines d'action relatifs aux intérêts visés à l'article
L. 511-1 du code de l'environnement.
10. Si le code du tourisme donne compétence aux départements pour élaborer et mettre en œuvre une politique touristique sur leurs territoires, le département requérant n'invoque en l'espèce aucune atteinte particulière que le projet, de par son implantation ou ses caractéristiques, serait susceptible de porter à sa politique touristique ou à un élément de son patrimoine. Il ne résulte par ailleurs d'aucun élément de l'instruction que le parc éolien en litige, de par son implantation ou ses caractéristiques, serait susceptible de porter atteinte à l'image du
département de la Charente-Maritime.
11. Enfin, si le conseil départemental de la Charente-Maritime a voté, au mois d'octobre 2018, la création d'un observatoire de l'éolien et, le 22 mars 2019, une demande de moratoire de deux ans quant à l'implantation de parcs éoliens sur le territoire du département, ces délibérations ne confèrent pas davantage, par elles-mêmes, un intérêt direct au département pour contester l'arrêté préfectoral du 16 juin 2020.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le département n'est pas recevable à demander l'annulation de l'arrêté du 16 juin 2020.
13. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la société
Enertrag Poitou Charentes VII, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que demande le
département de la Charente-Maritime au titre des frais d'instance qu'il a exposés. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du
département de la Charente-Maritime le versement à la société
Enertrag Poitou Charentes VII d'une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du
département de la Charente-Maritime est rejetée.
Article 2 : Le
département de la Charente-Maritime versera à la société
Enertrag Poitou Charentes VII la somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au
département de la Charente-Maritime, à la société
Enertrag Poitou Charentes VII et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 31 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Mme Laury Michel, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.
La rapporteure,
Nathalie ALa présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.