CJUE, 16 février 1989, 133/88

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Texte intégral

Avis juridique important | 61988C0133 Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 février 1989. - Casto Del Amo Martinez contre Parlement européen. - Fonctionnaire - Non concordance entre la réclamation et le recours. - Affaire 133/88. Recueil de jurisprudence 1989 page 00689 Conclusions de l'avocat général ++++ Monsieur le Président, Messieurs les Juges, M . Casto Del Amo Martinez, fonctionnaire du Parlement européen, a présenté, le 17 décembre 1987, une réclamation contre la décision par laquelle le jury du concours interne LA/104, destiné à constituer une réserve de postes de traducteur principal dans les langues espagnole et portugaise, ne l' avait pas inscrit sur la liste d' aptitude . Dans sa réclamation, l' intéressé a demandé l' annulation de la décision pour violation des règles statutaires qui régissent la procédure de concours, en faisant valoir, notamment, la violation de l' obligation du secret imposée aux membres du jury, la qualification insuffisante de ces derniers et la violation du principe d' égalité . Par un recours déposé le 10 mai 1988, après que le secrétaire général du Parlement eut rejeté expressément la réclamation, M . Del Amo Martinez a demandé l' annulation de la décision précitée, en faisant valoir uniquement l' appréciation erronée de son expérience professionnelle spécifique . Par acte du 16 août 1988, le Parlement européen a excipé de l' irrecevabilité du recours, en arguant de ce que le seul motif allégué dans le recours lui-même est différent de ceux indiqués dans la réclamation . La simplicité du cas d' espèce ne parvient pas à masquer l' importance des principes que la Cour est appelée à affirmer, concernant le rapport entre la réclamation fondée sur l' article 90, paragraphe 2, du statut et le recours juridictionnel, et donc, en définitive, la manière de concevoir dans son ensemble le système institué pour garantir les droits des fonctionnaires communautaires . Il n' est pas douteux que la jurisprudence de la Cour en la matière contient, à côté de certains principes bien établis et clairs, certaines incertitudes et contradictions qui mériteraient d' être éliminées . Un premier point a été clarifié à plusieurs reprises et, à notre avis, il ne doit pas être mis en discussion . Depuis l' arrêt Sergy ( 1er juillet 1976, affaire 58/75 ), la Cour a affirmé que la procédure ouverte par la réclamation "a pour objet de permettre et de favoriser un règlement amiable du différend surgi entre les fonctionnaires ou agents et l' administration ". C' est dans la même perspective que se place l' arrêt Herpels ( 9 mars 1978, affaire 54/77 ), dans lequel la Cour a précisé que la phase administrative préfigure un "débat" ( exchange ) entre le fonctionnaire et l' administration, et que le fonctionnaire agit seul, c' est-à-dire sans le secours technique d' un avocat; ajoutant ensuite, de manière cohérente et significative, que, au cours de cette phase, il est du devoir de l' administration d' interpréter et d' apprécier le contenu de la réclamation avec toute la diligence qu' une grande organisation bien équipée doit à ses justiciables, y compris les membres de son personnel . Il est donc désormais évident que la phase de la procédure administrative a un but conciliatoire et un caractère non technique et même informel ( no form is prescribed : Herpels ). Un autre point, plusieurs fois confirmé par la Cour, et substantiellement conforme à la nature non contentieuse et à la finalité conciliatoire de la procédure, est que le fonctionnaire doit préciser dans la réclamation adressée à l' administration ses "griefs et desiderata", de manière à rendre effective la tentative de conciliation et de faire en sorte que ce qui est demandé dans l' éventuel recours juridictionnel ultérieur ait si possible déjà fait l' objet du "débat" préalable avec l' administration . Sur ce point, toutefois, au-delà de cette affirmation générale, la jurisprudence de la Cour présente quelques incertitudes et plusieurs contradictions par rapport à l' orientation adoptée dans les arrêts rappelés sur la nature de la réclamation administrative, en particulier quant au rapport entre le contenu de la réclamation et celui du recours juridictionnel . Dans l' arrêt Razzouk, par exemple ( 20 mars 1984, affaires 75 et 117/82 ), une demande subsidiaire non formulée dans la réclamation a été déclarée recevable par la Cour, qui l' a considérée comme la conséquence du refus de la Commission d' admettre la demande principale . Dans l' arrêt Rasmussen ( 23 janvier 1986, affaire 173/84 ), la Cour a déclaré recevable une demande qui non seulement ne figurait pas dans la réclamation administrative, mais pas non plus dans les requêtes formulées précédemment et dont le rejet avait été attaqué au moyen de la réclamation . En particulier, la Cour, après avoir rappelé l' attendu de l' arrêt Sergy précité, a conclu à la recevabilité, en observant que : "S' il est exact que la demande d' être replacé dans son ancien emploi n' est pas expressément formulée dans la réclamation du requérant, elle est implicitement contenue dans la demande générale visant à régulariser sa situation administrative . Comme aucune mesure administrative formelle prévue au statut n' a été prise pour transférer le requérant, de façon régulière, dans un autre service et en présence des prises de position antérieures de l' intéressé, la Commission n' a pu ignorer que, en sollicitant la 'régularisation de sa situation administrative' , le requérant a entendu retrouver un emploi correspondant à sa catégorie et à son grade, principalement dans l' administration à laquelle, officiellement, il est toujours resté affecté ." Dans les arrêts Rihoux ( 7 mai 1986, affaire 52/85 ) et Geist ( 20 mai 1987, affaire 242/85 ), la Cour, tout en se référant aux arrêts Sergy, Razzouk et Rasmussen a, au contraire, déclaré irrecevables les moyens du recours qui ne présentaient aucun lien avec les griefs formulés dans la réclamation, bien que les demandes formulées dans la phase juridictionnelle ne fussent pas différentes de celles qui faisaient l' objet de la réclamation . Dans l' arrêt Schwiering ( 23 octobre 1986, affaire 142/85 ), les conclusions ( principales ) déjà formulées dans la réclamation ont été considérées comme recevables, tandis qu' une demande subsidiaire formulée pour la première fois dans le recours adressé à la Cour a été déclarée irrecevable . La même position a été maintenue substantiellement dans l' affaire Aldinger ( 14 juillet 1988, affaire 23/87 ). Dans les tout récents arrêts Koutchoumoff ( 26 janvier 1989, affaire 224/87 ) et Bossi ( 14 février 1989, affaire 346/87 ), la Cour a déclaré recevables des demandes qui ne figuraient pas dans la réclamation, mais qui se rattachaient aux demandes formulées dans celle-ci . Or, devant de telles variations de la jurisprudence, il faut tout d' abord, nous semble-t-il, distinguer enfin clairement entre le petitum et la causa petendi, c' est-à-dire entre la demande ( par exemple, l' annulation d' un acte de la procédure de concours, la révocation d' un transfert, la promotion, l' attribution d' une indemnité ) et les éléments de fait et de droit sur lesquels la demande se fonde ( violation d' une règle, détournement de pouvoir, violation de formes substantielles, par exemple, la composition irrégulière du jury, l' attribution erronée de points et ainsi de suite ); et cela quelle que soit la terminologie qu' on entend privilégier ( subject matter - grounds; conclusion - moyens; Streitgegenstand - Klagegroende ), même si la distinction traditionnelle en latin nous semble la plus correcte et la plus compréhensible . Cela dit, les solutions possibles sont - nous semble-t-il - les suivantes : a ) identité, dans la réclamation administrative et dans le recours juridictionnel, non seulement du petitum, mais également de la causa petendi, ce qui entraîne l' irrecevabilité absolue au stade juridictionnel de toute demande nouvelle et également de tout moyen qui n' a pas été allégué explicitement dans la réclamation ( jurisprudence Rihoux et Geist ); b ) identité du petitum et de la causa petendi, sauf la possibilité dans le recours de demandes nouvelles et de motivations nouvelles respectivement liées à celles formulées dans la réclamation ( jurisprudence Razzouk, Herpels ); c ) identité du petitum, sauf la possibilité dans le recours de demandes nouvelles liées à celles formulées dans la réclamation; et liberté substantielle quant à la causa petendi ( jurisprudence Rasmussen, Koutchoumoff, Bossi ). A notre avis, la première hypothèse doit être carrément écartée, étant donné qu' elle contredit trop manifestement la finalité conciliative et la nature informelle de la phase non contentieuse . Surtout, la nécessité que les motifs de droit sur lesquels se fonde la demande soient entièrement explicités dans la réclamation, à peine de déchéance, nous semble, en premier lieu, irrationnelle : il suffit de penser à l' absence de l' aide technique de l' avocat dans cette phase, alors que l' assistance d' un avocat est expressément requise pour le recours devant la Cour ( article 37, paragraphe 1, du règlement de procédure ). En second lieu, cette solution serait en contradiction avec l' article 90, paragraphe 2, du statut, qui prescrit une obligation de motivation uniquement pour la réponse de l' institution, et non pas également pour la réclamation du fonctionnaire, contrairement à l' article 38, paragraphe 1, sous c ), du règlement de procédure, qui pour le recours prescrit l' indication de l' "objet du litige et l' exposé sommaire des moyens invoqués ". Ajoutons encore qu' on introduirait une autre inégalité de traitement au détriment du fonctionnaire, du moment que l' institution n' est pas du tout tenue d' expliciter quoi que ce soit au cours de la phase non contentieuse, puisqu' elle peut ne révéler finalement sa position en droit qu' au stade de la procédure juridictionnelle . Enfin, il est opportun de nous rappeler que la phase ouverte par la réclamation n' est pas le premier degré d' une procédure juridictionnelle, comme c' est, en revanche, le cas dans certains ordres juridiques internes; au contraire, cette phase a précisément pour but d' éviter, par un "débat" dépourvu de toute formalité, la procédure juridictionnelle ultérieure ( 1 ). En conclusion, il ne nous semble pas cohérent avec cette finalité de préconiser la solution que nous examinons; la situation quant au rapport entre le recours à la juridiction de première instance et l' appel à la Cour sera différente . Pour les mêmes raisons, nous penchons pour la troisième solution, qui nous semble la plus claire et la moins susceptible de variations lors de son application dans l' avenir . Mais surtout, la troisième solution est celle qui satisfait le mieux à l' exigence d' une protection réelle et complète des droits du fonctionnaire communautaire, qui nous semble primordiale . Toutefois, dans le cas d' espèce, le recours est recevable soit qu' on adopte sur le plan général la troisième solution, comme nous vous le suggérons, soit qu' on adopte la deuxième . En effet, dans le cas qui nous occupe, nous nous trouvons devant le même petitum : dans la réclamation, "annulation des travaux du jury du concours interne LA/104" ( outre la vérification du caractère correct de la procédure suivie par le jury ); dans le recours, "annulation de la décision par laquelle le jury du concours interne LA/104 a refusé, etc .". Quant à la causa petendi, s' il est vrai que celle alléguée dans le recours consiste en un argument juridique ( attribution erronée de points pour l' expérience de traducteur ) non allégué dans la réclamation, il est également vrai que non seulement elle se rattache au même petitum ( annulation du concours ) et en constitue le fondement, mais elle se rattache également, puisqu' elle en est une spécification, à la causa petendi ( violation des règles statutaires qui régissent la procédure des concours ) déjà énoncée dans la réclamation : annexe 5 du recours, p . 3, sous a ). Nous proposons donc que le recours soit déclaré recevable et que la procédure sur le fond suive son cours . (*) Langue originale:l' italien . ( 1 ) Incidemment, tout parallèle en ce qui concerne le moment de la détermination définitive de l' objet du litige, entre la phase administrative prévue à l' article 90 du statut et la phase précontentieuse visée à l' article 169 du traité CEE en matière de manquement des Ëtats me semble exclu . L' obligation de préciser déjà le petitum et la causa petendi dans la phase précontentieuse des recours en manquement découle des termes mêmes de l' article 169, qui impose expressément à la Commission d' émettre n "avis motivé" ( c' est nous qui soulignons ). Cela se reflète dans la jurisprudence constante de la Cour, qui précise que l' objet du litige dans les recours en manquement est déterminé de manière définitive par l' avis motivé, c' est-à-dire dans la phase précontentieuse ( voir, par exemple, arrêt du 23 février 1988, Commission/Royaume-Uni, 353/85, Rec . 1988, p . 817 ). Rien de tout cela ne figure à l' article 90 du statut, s' agissant des conditions auxquelles est soumise la réclamation du fonction aire .