Vu la procédure suivante
:
Par une requête enregistrée le 8 mars 2023, M. B A, représenté par Me Le Bourhis, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 13 février 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine lui a fait obligation de quitter dans un délai de trente jours le territoire français à destination du Cameroun ;
2°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans les trois jours de la notification du jugement à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son avocate de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen suffisant de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa situation n'a pas été suffisamment examinée à cet égard.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Kolbert, président,
- les observations de Me Le Vaillant, substituant Me Le Bourhis, représentant M. A, et celles de M. A.
Le préfet d'Ille-et-Vilaine n'était pas représenté.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience, en application de l'article
R. 776-26 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit
:
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
1. M. A justifiant avoir introduit une demande devant le bureau d'aide juridictionnelle, il y a lieu de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. M. A, né en 2000, ressortissant du Cameroun, déclare être entré en France le 18 juin 2019 par l'Allemagne et, après l'échec d'une procédure de transfert, l'instruction de sa demande d'asile a été reprise le 13 août 2021 mais par des décisions des 18 octobre 2021 et 3 octobre 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont rejeté cette demande. Le préfet d'Ille-et-Vilaine a alors, par un arrêté du 13 février 2023 pris sur le fondement du 4° de l'article
L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, décidé de l'obliger à quitter le territoire français dans les trente jours et a fixé le Cameroun comme pays de destination d'une mesure d'éloignement forcé. C'est l'arrêté attaqué.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale () 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. A justifie, par les attestations, photographies, copies de messages et autres pièces produites au dossier, de la réalité de son orientation et de sa pratique homosexuelles tant en France que, dès sa jeunesse, dans son pays d'origine, le Cameroun où il est avéré, au regard de l'attitude des autorités de ce pays et de la législation particulièrement répressive en vigueur dans ce pays, qu'elle est susceptible de valoir aux personnes concernées des discriminations et des mauvais traitements incompatibles avec leur droit au respect de leur vie privée, tel que protégé par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne. Il en résulte qu'il est fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le Cameroun comme pays de renvoi est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle est, pour les mêmes motifs, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler, en toutes ses dispositions, l'arrêté du 13 février 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. L'exécution du présent jugement d'annulation implique seulement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un réexamen de la situation de M. A tenant compte du motif d'annulation retenu et la délivrance à l'intéressé, dans l'intervalle, d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. L'État étant partie perdante à l'instance, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à Me Le Bourhis d'une somme de 1 000 euros, en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous la double réserve que soit accordé à M. A le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif et que son avocate renonce à la part contributive de l'État à l'exercice de cette mission.
D É C I D E :
Article 1er : M. A est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 13 février 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de M. A dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'État versera à Me Le Bourhis une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous la double réserve que soit accordé à M. A le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif et que son avocate renonce à la part contributive de l'État à l'exercice de cette mission.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, à Me Le Bourhis et au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023.
Le président,
signé
E. KolbertLa greffière,
signé
P. Lecompte
La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.