ARRÊT
N°58
N° RG 22/00665
N° Portalis DBV5-V-B7G-GPZF
[H]
[S]
C/
[U]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 06 FÉVRIER 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 février 2022 rendu par le Tribunal Judiciaire des SABLES D'OLONNE
APPELANTS :
Monsieur [R] [H]
né le 11 Septembre 1954 à [Localité 15] (63)
Madame [ZP] [T] [S] épouse [H]
née le 29 Novembre 1954 à [Localité 14] (63)
demeurant [Adresse 17]
[Localité 16]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUÉ POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉ :
Monsieur [D] [U]
né le 19 Novembre 1948 à [Localité 16] (85)
[Adresse 8]
ayant pour avocat postulant Me Bernard LAGRANGE de la SAS LAGRANGE & ASSOCIÉS,et pour avocat plaidant Me Aristide EBONGUÉ, avocats au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles
907 et
786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
PROCÉDURE,
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 11 juillet 1953, [ZP] [KV] épouse [Y] et [B] [KV] ont procédé au partage entre eux des biens immobiliers recueillis dans la succession d'[B] [KV] leur père.
Le lot n° 1 constitué des parcelles cadastrées section Av nos [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] (anciennement n° [Cadastre 1]) et [Cadastre 2] a été attribué à [ZP] [KV] épouse [Y]. Le lot n° 2 constitué des parcelles cadastrées section AV nos [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] a été attribué à [B] [KV].
[D] [U] a recueilli la propriété des parcelles cadastrées section Av nos [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2]. Il a cédé par acte du 11 août 2023 la propriété des parcelles nos [Cadastre 7] (anciennement n° [Cadastre 1]) et [Cadastre 2]. La propriété de la parcelle n° [Cadastre 5] avait été cédée par acte du 3 février 1982 et celle de la parcelle n° [Cadastre 6] par acte du 12 octobre suivant.
Par acte de partage du 25 juin 1977, la propriété des parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 11] et [Cadastre 12] dépendant du lot n° 2 a été attribuée à [P] [KV]. Celle des parcelles nos [Cadastre 3] et [Cadastre 4] l'a été à [KC] [KV]. Celui-ci a par acte du 19 janvier 2008 vendu ces deux parcelles aux époux [R] [H] et [ZP] [S].
L'acte du 11 juillet 1953 stipulait au profit du lot n° 1 un droit de passage sur le lot n° 2 et au profit de ce dernier, un droit de passage et de puisage sur le lot n° 1.
Courant 2012, les époux [R] [H] et [ZP] [S] ont sollicité de [D] [U] le rétablissement de l'accès au puits. Les parties ne se sont pas accordées.
Par acte du 9 août 2018, les époux [R] [H] et [ZP] [S] ont fait assigner [D] [U] devant le tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne. Ils ont demandé à titre principal de :
- dire que la servitude de puisage était conventionnelle ;
- condamner sous astreinte le défendeur à supprimer tout obstacle empêchant l'accès à son fonds cadastré section AV n°[Cadastre 7] depuis leur fonds, ainsi que la dalle apposée sur le puits ;
- le condamner sous astreinte à rétablir l'exercice de la servitude de puisage.
[D] [U] a conclu au rejet de ces demandes aux motifs que :
- la servitude de passage n'avait pas été établie par destination du père de famille et ne pouvait l'avoir été que par titre ;
- le puits était hors d'usage depuis les années 1970 et avait été fermé courant 1985 ;
- les auteurs des demandeurs avaient édifié sur leur fonds un mur de clôture faisant obstacle à l'exercice des servitudes ;
- ces servitudes étaient dès lors éteintes.
Il a reconventionnellement demandé paiement de la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
Par jugement du 22 février 2022, le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) des Sables-d'Olonne a statué en ces termes :
'CONSTATE l'extinction de la servitude de puisage et de passage dont bénéficiaient les parcelles cadastrées section AV n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4] et grevant la parcelle cadastrée section AV [Cadastre 7], située sur la commune de [Localité 16], pour impossibilité d'exercice et non-usage trentenaire ;
DEBOUTE Monsieur[R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] de l'ensemble de leurs demandes au titre de l'exercice de la servitude de puisage et de leur demande subséquente de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance ;
DEBOUTE Monsieur [D] [U] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
CONDAMNE solidairement Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] à verser à Monsieur [D] [U] une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande formée par Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de Monsieur [D] [U] tendant au rappel des dispositions de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution ;
CONDAMNE solidairement Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Aristide EBONGUE, Avocat, conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision'.
Il a considéré que :
- les servitudes de puisage et de passage, établies par l'acte du 11 juillet 1953, étaient conventionnelles ;
- les auteurs des demandeurs avaient volontairement entravé le passage entre les fonds ;
- le puits avait été obturé courant 1985 ;
- ces servitudes étaient pour ces motifs éteintes.
Il a rejeté la demande reconventionnelle de [D] [U] en paiement de dommages et intérêts, la faute des demandeurs et les préjudices en étant résultés n'étant pas établis.
Par déclaration reçue au greffe le 9 mars 2022, les époux [R] [H] et [ZP] [S] ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, ils ont demandé de :
'Vu les articles
696 et
701 du Code Civil,
Vu les articles 692, 693, et
694 du Code Civil,
Vu l'article
544 du Code Civil,
Vu l'article
1240 du Code civil,
Vu l'article
700 du Code de Procédure Civile,
Vu les pièces produites aux débats suivant bordereau de pièces annexé aux présentes,
REJETER la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel principal soulevée par Monsieur [U].
RECEVOIR Monsieur et Madame [H] en leur appel et les y DECLARER bien fondés ;
RECEVOIR Monsieur [U] en son appel incident mais l'y déclarer mal fondé et l'en débouté.
REFORMER le jugement du 22 février 2022 en ce que le Tribunal a :
CONSTATÉ l'extinction de la servitude de puisage et de passage dont bénéficiaient les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 3] et [Cadastre 4] et grevant la parcelle cadastrée section AV [Cadastre 7], située sur la commune de [Localité 16], pour impossibilité d'exercice et non-usage trentenaire,
DEBOUTÉ Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] de l'ensemble de leurs demandes au titre de l'exercice de la servitude de puisage et de leur demande subséquente de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance.
CONDAMNÉ solidairement Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Aristide EBONGUE, avocat, conformément à l'article
699 du Code de Procédure Civile,
DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision,
Statuant à nouveau,
Juger que le droit de passage pour accéder à la côte Est et pour aller puiser de l'eau dépendait de la parcelle cadastrée section AV [Cadastre 3], aujourd'hui propriété de Monsieur et Madame [H], à la lecture de l'acte du 16 décembre 1935 et en tirer toutes les conséquences qui s'imposent.
En toute hypothèse,
JUGER que la servitude grevant le fonds de Monsieur [U] au profit du fonds des époux [H] est une servitude conventionnelle de puisage qui comprend un droit de passage sur la parcelle AV n°[Cadastre 7] ;
JUGER que Monsieur [U] fait obstacle à l'exercice de cette servitude de puisage en ayant dressé des obstacles empêchant le passage mais également le puisage manuel du puits ;
En conséquence,
CONDAMNER Monsieur [D] [U], sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à supprimer tout obstacle empêchant l'accès à son fonds cadastré section AV n°[Cadastre 7] depuis le fonds dominant propriété de Monsieur et Madame [H] ;
CONDAMNER Monsieur [D] [U], sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à supprimer, sur son fonds cadastré section AV n°[Cadastre 7], la dalle de béton qui a été apposée sur le puits et qui empêche actuellement le puisage manuel depuis le fonds dominant propriété de Monsieur et Madame [H] ;
CONDAMNER Monsieur [D] [U] à rétablir l'exercice de la servitude de puisage grevant son fonds cadastré section AV n°[Cadastre 7] au profit du fonds dominant propriété de Monsieur et Madame [H] section AV n°[Cadastre 3] et n°[Cadastre 4] ;
JUGER que Monsieur [U] devra faire constater par commissaire de justice la réalité des travaux de démolition réalisés, et devra en justifier à Monsieur et Madame [H].
A titre infiniment subsidiaire,
JUGER que Monsieur et Madame [H] ouvriront une porte dans leurs constructions pour rétablir un accès direct au puits situé sur la propriété de Monsieur [D] [U], afin qu'ils puissent exercer leur servitude de puisage.
En tout état de cause,
Confirmer le jugement entrepris en ce que le Tribunal a :
REJETÉ la demande de Monsieur [D] [U] tendant au rappel des dispositions de l'article
L 111-8 du Code des Procédures Civiles d'Exécution,
DEBOUTÉ Monsieur [D] [U] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
CONDAMNER Monsieur [U] à indemniser Monsieur et Madame [H] du préjudice de jouissance subi du fait de l'impossibilité d'exercice de la servitude de puisage depuis janvier 2008 à hauteur de 15.000 euros par application de l'article
1240 du Code Civil avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir jusqu'à complet règlement et avec capitalisation des intérêts ;
DEBOUTER Monsieur [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
CONDAMNER Monsieur [U] à verser à Monsieur et Madame [H] la somme de 10.000 euros, au titre de l'article
700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER Monsieur [U] aux entiers dépens de première instance et d'appel, toutes taxes comprises, lesquels seront recouvrées par la SELARL LEXAVOUE POITIERS en vertu de l'article 699 du CPC'.
Ils ont soutenu que leur appel était recevable, l'intimé confondant moyens et prétentions.
Ils ont exposé que l'acte du 11 juillet 1953 n'avait pas défini l'assiette de la servitude de passage.
Ils ont soutenu que :
- le cadastre rénové établi en 1969 n'avait pas respecté les termes des actes antérieurs, un passage ayant été inexactement rattaché au lot n° 1 ;
- l'arasement du puits en 2002 et non en 1985 ne faisait pas obstacle au pompage de l'eau ;
- le passage devant les bâtiments situés à l'ouest donnés par acte du 16 décembre 1935 par son père à [ZP] [KV] épouse [U] était demeuré sur le fonds conservé par le donateur ;
- la parcelle n° [Cadastre 9]p mentionnée à l'acte de 1953 provenait de la division de la parcelle n° [Cadastre 9] ;
- le droit de passage sur le lot n° 1 pour accéder au puits et à la côte passait, d'ouest en est, devant la chambre, le long et devant le chai, au droit du puits ;
- l'attributaire du lot n° 1 bénéficiait d'un passage sur l'autre lot pour accéder à la remise et à la dune (à l'ouest) ;
- le plan d'arpentage et de bornage réalisé en octobre 1981 et ratifié par [B] [KV] (fils) et ses enfants [P] et [KC], non publié, était inopposable aux tiers ;
- le puits avait de tout temps été utilisé par les habitants du hameau qui utilisaient pour y accéder le passage précité demeuré libre jusqu'au décès de [VG] [U], époux de [ZP] [KV] ;
- ce passage avait été établi par destination du père de famille.
Ils ont ajouté que si les portillons installés par l'intimé constituaient une gêne, l'utilisation du passage demeurait possible et que dès lors, la servitude n'était pas éteinte. Ils ont contesté la valeur probante des attestations produites par l'intimé, relative à la fermeture du puits dans lequel [D] [U] pompait de l'eau.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2022, [D] [U] a demandé de :
'- Vu les articles
682 et
683 et suivants du Code Civil,
- Vu l'article 685-1du Code Civil,
- Vu les articles
688,
689,
691,
696,
702,
706 du Code Civil,
- Vu l'article 202 du Code procédure civile,
- Vu le jugement rendu le 17.03.2004 par le Tribunal de Grande Instance des SABLES D'OLONNE,
- Vu la jurisprudence,
- Vu les pièces versées aux débats,
Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,
[...]
IN LIMINE LITIS,
DÉCLARER Monsieur et Madame [H] irrecevable en leur appel ;
AU FOND,
CONFIRMER la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce que le premier juge a :
DEBOUTE Monsieur [D] [U] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts;
CONDAMNE solidairement Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] à verser à Monsieur [D] [U] une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile;
REJETTE la demande formée par Monsieur [R] [H] et Madame [ZP] [S] épouse [H] au titre de l'article
700 du code de procédure civile;
REJETTE la demande de Monsieur [D] [U] tendant au rappel des dispositions de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution
DIT n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision
ÉVOQUANT ET STATUANT A NOUVEAU,
DÉCLARER Monsieur [D] [U] recevable et bien fondé en son appel incident ;
CONDAMNER solidairement Monsieur et Madame [H] à verser à Monsieur [U] la somme de 16.000 € à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis ;
CONDAMNER solidairement Monsieur et Madame [H] à payer à Monsieur [U] la somme de 7.560 euros au titre des frais irrépétibles d'instance ;
EN TOUTES HYPOTHÈSES,
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,
CONDAMNER Monsieur et Madame [H] solidairement à payer à Monsieur [U] la somme de 4 200 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
CONDAMNER Monsieur et Madame [H] solidairement aux entiers dépens d'instance et d'appel,
DIRE que, conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile, Maître Aristide EBONGUE pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à venir'.
Il a soutenu que l'appel était irrecevable, de nouveaux motifs ayant été développés et de nouvelles pièces ayant été produites devant la cour.
Il a soutenu :
- que les servitudes étaient conventionnelles et n'avaient pas été établies par destination du père de famille ;
- ne pas avoir modifié les lieux ;
- que l'édification par les auteurs des appelants d'un mur de clôture avait fait obstacle à l'exercice de leur droit de passage, qui s'était éteint ;
- que l'assiette de ce passage était située sur leur fonds et non au nord de celui- ci ;
- que le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne avait statué en ce sens dans un litige l'ayant opposé à [P] [KV] épouse [M], demeurée propriétaire de parcelles n° [Cadastre 11] et [Cadastre 12] ;
- que l'une des photographies produites aux débats par les appelants faisait apparaître que le passage revendiqué au nord était désaffecté depuis les années 1960 ;
- que les appelants avaient offert en décembre 2017 d'acquérir le passage aujourd'hui revendiqué et une partie des parcelles n°[Cadastre 2] et [Cadastre 7] ;
- justifier que le puits avait été couvert en 1985.
Il a maintenu que la servitude de passage était éteinte puisqu'elle ne pouvait plus être exercée et que celle de puisage l'était également en raison d'un non-usage trentenaire.
Il a maintenu sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral.
L'ordonnance de clôture est du 13 novembre 2023.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
L'intimé soutient que l'appel serait irrecevable aux motifs que devant la cour, des moyens nouveaux seraient invoqués et que de nouvelles pièces avaient été produites, alors que selon lui, le principe de concentration des moyens interdirait, sauf en cas d'évolution du litige résultant de la révélation d'une circonstance de droit ou de fait postérieure au jugement, d'invoquer de nouveaux moyens en cause d'appel et de produire des pièces nouvelles .
Cette contestation n'est pas fondée, l'article
563 du code de procédure civile édictant expressément que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.
Les appelants reprennent devant la cour les prétentions qu'ils avaient soumises au premier juge et sont en droit d'invoquer à l'appui de ces prétentions des moyens nouveaux et des pièces nouvelles.
A considérer, ce qui n'est pas invoqué, qu'ils présenteraient une demande nouvelle, ce n'est pas l'irrecevabilité de l'appel mais l'irrecevabilité de cette demande qui serait susceptible d'en découler, conformément à ce que prévoit l'article
564 du code de procédure civile.
La demande de l'intimé de : 'DÉCLARER Monsieur et Madame [H] irrecevable en leur appel', sera pour ces motifs rejetée.
RAPPEL
L'article
637 du code civil définit comme suit la servitude : 'Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire'.
L'article
686 du code civil dispose que :
'Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public.
L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après'.
L'article 691 du même code précise que :
'Les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres.
La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir, sans cependant qu'on puisse attaquer aujourd'hui les servitudes de cette nature déjà acquises par la possession, dans les pays où elles pouvaient s'acquérir de cette manière'.
L'article 703 du même code dispose que : 'Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user' et l'article 704 que : 'Elles revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse
en user ; à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant pour faire présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à l'article 707".
Par acte du 16 décembre 1935 régulièrement publié, [B] [KV] père, [B] [KV] et [ZP] [KV] épouse [U] ont procédé au partage de divers biens immobiliers situés [Localité 13], sur [Localité 16]. Il a été stipulé à cet acte que : '[KL] [U] aura droit à un passage à pied et avec brouette devant et le long des bâtiments réservés par M. [KV] père, pour accéder de la maison à l'écurie qui lui est attribuée et pour sortir par la porte donnant sur la dune du côté sud-est et qu'elle aura également droit de puisage au puits qui se trouve dans la propriété de son père'.
Les droits de passage et de puisage n'ont pas été stipulés au profit des fonds, mais au profit de personnes physiques. Ils ne constituent pas, au sens de l'article 637 précité, des servitudes grevant les fonds partagés.
L'acte du 11 juillet 1953 de partage de divers biens immobiliers situés sur [Localité 16] entre [ZP] [KV] épouse [VG] [U] et [B] [KV] époux de [N] [ZG] stipule des droits de passage et de puisage. La transcription de cet acte au service de la conservation de hypothèques est, telle que produite par les parties, partiellement illisible. Les mentions en marge de l'acte, manuscrites, ne sont que partiellement reproduites.
L'acte de partage de leurs biens par les époux [B] [KV] et [N] [ZG] au profit de leurs enfants, [P] [KV] épouse [AB] [M], [KC] [KV], [DA] [KV] épouse [V] [JT] et [GC] [KV] épouse [OV] [JT] rappelle succinctement en page 21 les droits de passage et de puisage stipulés à l'acte précédent
Ces stipulations ont été rappelées en termes identiques dans un acte du 3 février 1982 de partage entre les consorts [U] et dans un acte du 12 octobre 1990 de vente d'une maison d'habitation cadastrée section AV n° [Cadastre 6] (provenant de la division de la parcelle AV [Cadastre 1]) par [D] [U] à [UE] [Z].
Les stipulations ainsi rappelées sont les suivantes :
'Observation est ici faite que sur les n°s 70p et 74 bis p se trouvent édifiés un chais et une chambre qui font partie du présent lot (1), ainsi qu'un puits également compris dans le présent lot.
Il est, en outre, précisé que la partie du n° 74p, comprise au présent lot (1) consiste en une bande de terrain à partir de la maison, comprise dans le lot suivant d'une longueur de 23 mètres 30 centimètres, situé en face de la chambre et du chais.
Que le présent lot (1) bénéficie d'un droit de passage sur le lot suivant pour aller de ladite partie du n° [Cadastre 10]p à la propriété de Monsieur [U].
Qu'il est grevé d'un droit de passage au profit du lot suivant pour permettre l'accès au puits ainsi que d'un droit de passage pour accéder à la côte emmenant de la maison située sur la partie du n° 74bis p du lot suivant (2), le droit de passage s'exercera le long et devant le chais et la chambre'.
Les servitudes ainsi stipulées sont conventionnelles. Elles ne sont pas une servitude du père de famille constituée à raison de la division d'un fonds.
Le titre des appelants n'a pas fait le rappel de ces stipulations.
Les appelants ont produit une pièce n° 33 intitulée : 'Configuration de 1950 à 1982". Ce document contient un extrait du plan cadastral, sur lequel ils ont identifié les différents bâtiments des parcelles.
Il résulte du rapprochement de ce document et des stipulations précitées que le passage revendiqué par les appelants se situe, non au nord des bâtiments identifiées G (grange) et E (écurie) leur propriété, entre ces deux bâtiments et un bâtiment R (remise) au nord, mais au sud de ces bâtiments G et E.
Les attestations de [AR] [KV] et de [D] [U] sont insuffisamment circonstanciées pour rapporter la preuve contraire. L'attestation établie par [K] [PE], géomètre-expert retraité, est une étude et ne rapporte pas des faits d'usage du passage qu'il a lui même constatés.
SUR L'EXTINCTION DES SERVITUDES
[C] [I] a déclaré dans une attestation en date du 5 septembre 2018 que :
'Je...certifie que le puits de Monsieur [D] [U] (parcelle [Cadastre 1]-[Cadastre 2]) n'a jamais été utilisé par Madame [M] [P] (parcelle [Cadastre 11]-[Cadastre 12]) et Monsieur [KC] [KV] (son frère) parcelle [Cadastre 3]-[Cadastre 4] depuis le décès de Monsieur [VG] [U] en 1981.
Je certifie aussi que le puits concerné n'était plus en état de puisage car la margelle était devenue très dangereuse par sa vétusté (ceci en 1982).
Je certifie aussi ma présence lors du déménagement du chai en 1982 où j'ai constaté tous ces faits'.
[L] [FJ] a attesté le 3 sptembre 2018 que : 'le puits de Monsieur [U] [D] était inutilisable car j'ai habité dans la petite maison à côté du chai pendant l'année 1988".
[UX] [FT] a attesté le 4 septembre 2018 : 'n'avoir jamais vu quiconque utiliser le puits', précisant avoir occupé la maison située sur les parcelles AV [Cadastre 1] et [Cadastre 2] du 2 septembre 1993 au 3 juillet 1994.
[AR] [J] veuve [JT] a attesté le 28 septembre 2018 en ces termes :
'je... certifie avoir régulièrement fréquenté les lieux des 'sapins' et la famille [U] depuis mon jeune âge.
certifie qu'[B] [KV] père de [KC] [KV] à construit le 1er bâtiment en 1967. Puis en 1997, après le partage [KV]/ [M] [KV] a continué ses constructions :
[...]
- un mur en limite de propriété de la parcelle [Cadastre 3].[Cadastre 4] et de la parcelle [Cadastre 1].[Cadastre 2].
tout ceci a rendu impossible le passage initial'.
[FA] [TC] a attesté le 10 septembre 2018 que :
'Ayant habité [Adresse 8] de janvier 1988 à Fevrier 1998 je peux vous assurer n'avoir vu aucun puisage de qui conque pendant toutes ces années, dans le puits situé sur la parcelle AV [Cadastre 1] et [Cadastre 2]".
[G] [E] veuve [OL] a attesté le 15 septembre 2018 que : 'j'étais présente l'or de la mise en place de la plaque en béton, pour des raisons de sécurité en 1985".
[X] [F] a de même attesté le 25 septembre 2018 que la plaque avait été posée sur le puits en 1985.
[XL] [A] a attesté le 14 juillet 2019 en ces termes :
'Je soussigné, [XL] [A], Maire de [Localité 16], de mars 1983 à juin 1995, Je certifie, l'exactitude de la déclaration faite le 26/08/2018 et atteste pour valoir ce que droit avoir délivré l'autorisation de réfection de façade du chai de M. [U] [D] le 5 septembre 1984.
Et précise qu'en 1985, étant allé sur place constater la nature des travaux demandés (vu les plaintes du voisinage) au [Adresse 8]
à l'le d'Yeu, je certifie que le puits était fermé par une dalle de béton avec une trappe d'accès pour l'entretien, pour cause de sécurité humaine, par défaut d'entretien depuis plus de quarante ans'.
Il résulte de ces attestations que les auteurs des appelants :
- n'utilisaient plus le puits situé sur le fonds voisin depuis au moins 1985 ;
- avaient édifié en 1995 un mur séparatif faisant obstacle au passage sur le fonds voisin et à l'utilisation du puits ;
- n'ont pas fait rappeler à l'acte de vente les servitudes qui avaient été stipulées en 1953 au profit du fonds cédé.
L'état des lieux ne permet plus d'user de la servitude de puisage et de passage associée. Il n'en a plus été fait usage depuis plus de 30 années.
Les servitudes invoquées par les appelants sont ainsi éteintes. Le jugement sera pour ces motifs confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté les appelants de leurs prétentions.
SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS DE L'INTIMÉ
[D] [U] soutient que le comportement de ses voisins est à l'origine de son état dépressif et que ceux-ci font obstacle à la vente de son bien à laquelle il s'est décidé en raison de l'attitude des appelants.
L'exercice d'une action en justice, même mal fondée, ne dégénère en abus que si la malice ou la mauvaise foi de son auteur est démontrée. Cette preuve n'est en l'espèce pas rapportée.
[W] [O], négociatrice de l'Agence de l'Ile, agence immobilière, a déclaré dans une attestation en date du 17 septembre 2020 que :
'En date du 16 juin 2020, nous avons signé un mandat de vente avec Monsieur et Madame [U] [D]...
A deux reprises, des clients potentiels ont téléphoné à l'agence pour avoir des renseignements sur ce bien. Lors de leur passage sur les lieux, ils m'ont indiqué avoir été accueillis par une voisine leur disant que ce bien ne pourrait être vendu car il y avait une procédure en cours'.
Cette attestation est insuffisante à caractériser la faute des appelants.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a débouté l'intimé de sa demande de dommages et intérêts.
SUR LES DÉPENS
La charge des dépens d'appel incombe aux appelants. Ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile par Maître Aristide Ebongue.
SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE
700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par les appelants.
Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de l'intimé de laisser à sa charge les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à la demande formée de ce chef pour le montant ci-après précisé.
PAR CES MOTIFS
,
statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
REJETTE la demande de [D] [U] de déclarer irrecevable l'appel interjeté par les époux [R] [H] et [ZP] [S] ;
CONFIRME le jugement du 22 février 2022 du tribunal judiciaire des Sables-d'Olonne ;
CONDAMNE in solidum les époux [R] [H] et [ZP] [S] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile par Maître Aristide Ebongue ;
CONDAMNE in solidum les époux [R] [H] et [ZP] [S] à payer en cause d'appel à à [D] [U] la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,