CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz, 5 février 1991, C-8/90
Mots clés
Transports routiers · Dispositions en matière sociale · Disposition de renvoi. · règlement · paragraphe · national · communautaire · infraction · interprétation · renvoi · transports · états · références · membres · point · sanctions
Synthèse
Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-8/90
Date de dépôt : 12 janvier 1990
Titre : Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique.
Rapporteur : Sir Gordon Slynn
Avocat général : Lenz
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1991:42
Texte
Avis juridique important
|
61990C0008
Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 5 février 1991. - Procédure pénale contre Willy Kennes et Verkooyen PVBA. - Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie - Belgique. - Transports routiers - Dispositions en matière sociale - Disposition de renvoi. - Affaire C-8/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-04391
Conclusions de l'avocat général
++++
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
A - Les faits
1 . Le renvoi dont il s' agit, effectué par la Hof van cassatie van België, ne vise en lui-même qu' un règlement à caractère plutôt technique, le règlement ( CEE ) n 3820/85 relatif à l' harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route ( 1 ), mais touche en fait, après plus ample examen, à des questions de portée générale sur la relation entre le droit communautaire dérivé et le droit national .
2 . Les faits qui sont à l' origine de ce renvoi sont tout à fait simples . Il est reproché au défendeur au principal, un chauffeur de poids lourds, d' avoir enfreint les dispositions du droit communautaire sur les périodes de conduite et de repos . Les infractions visées auraient eu lieu les 3 et 4 novembre 1986 . A cette époque, le règlement applicable en la matière était le règlement n 3820/85, qui remplaçait, en vertu de ses articles 18, paragraphe 1, et 19, à partir du 29 septembre 1986 - en dehors de quelques exceptions temporaires - le règlement ( CEE ) n 543/69 relatif à l' harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route ( 2 ). Ces deux règlements, tant le règlement n 543/69 ( 3 ) que le règlement n 3820/85 ( 4 ), prévoient l' adoption par les États membres de dispositions portant, entre autres, "sur les sanctions applicables en cas d' infraction ".
3 . Les sanctions pénales pour infraction au règlement n 543/69 étaient prévues en Belgique par un arrêté royal du 23 mars 1970 ( 5 ), où le contenu des infractions visées par les sanctions était défini de manière globale par la formule "en cas d' infraction aux dispositions du règlement précité" ( 6 ). Cet arrêté royal a ensuite été remplacé par l' arrêté royal du 13 mai 1987 ( 7 ). Ce dernier comportait, pour les infractions au règlement n 3820/85, des dispositions identiques à celles de l' arrêté royal du 23 mars 1970 ( 8 ); il n' avait pas d' effet rétroactif . Si l' on compare ces données, il apparaît qu' au moment des infractions reprochées ( les 3 et 4 novembre 1986 ), alors que le règlement n 3820/85 avait déjà remplacé le règlement n 543/69, le libellé des dispositions pénales belges ne renvoyait qu' au règlement n 543/69, qui avait été abrogé, et non au règlement n 3820/85, le nouveau règlement adopté, sur lequel auraient porté les infractions .
4 . Le correctionele rechtbank te Turnhout ayant acquitté le défendeur au motif qu' il n' existait aucune base légale permettant de prononcer une peine, l' auditeur du travail a formé un pourvoi en cassation devant la Hof van cassatie . Celle-ci s' est demandé si la référence au règlement n 543/69 figurant dans l' arrêté royal du 23 mars 1970 ne devait pas s' entendre comme une référence au règlement n 3820/85 . Cette idée s' appuie sur l' article 18, paragraphe 2, du règlement n 3820/85, qui est libellé comme suit :
"Les références au règlement abrogé en vertu du paragraphe 1 ( 9 ) doivent s' entendre comme faites au présent règlement ."
5 . Dans ce contexte, la Hof van cassatie a adressé à la Cour de justice la question préjudicielle suivante :
"L' article 18, paragraphe 2 du règlement ( CEE ) n 3820/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, relatif à l' harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route, doit-il être interprété en ce sens que des références au règlement ( CEE ) n 543/69 dans des dispositions de droit interne portant mesures d' exécution dudit règlement doivent également être interprétées comme des références au sens de l' article 18, paragraphe 2, précité?"
B - En droit
6 . Seuls la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni ont déposé des observations . Selon eux, la réponse à cette question doit être négative . Nous partageons cette opinion .
7 . 1 . Tout d' abord, une idée nous paraît devoir être retenue dans les observations de la Commission, qui déclare que deux approches sont possibles pour l' interprétation demandée . La première serait fondée sur l' applicabilité directe des règlements dans les ordres juridiques nationaux . Dans cette approche, l' article 18, paragraphe 2 du règlement n 3820/85 serait à rattacher non seulement au droit communautaire, mais encore au droit national . La seconde approche se référerait à la finalité de cette disposition . Celle-ci serait en effet destinée à régir l' interprétation des références du droit communautaire au règlement n 543/69, et ne concernerait donc pas les dispositions du droit national . Ce serait la seconde approche qui devrait être suivie en l' espèce . Cette position nous paraît fondée, sous cette réserve qu' il ne s' agit pas de deux "approches" différentes . En réalité, la question est de savoir quel est l' objet et qui est le destinataire de chacune des dispositions réglementaires visées . Il est vrai que, comme cela résulte de l' article 189, paragraphe 2, du traité CEE, les règlements peuvent comporter des dispositions visant des rapports de droit associant directement des citoyens de la Communauté - en tant que destinataires - et engendrer ainsi notamment pour eux des droits et des devoirs ( 10 ) ( en l' espèce, le devoir de se soumettre à certaines sanctions ). Il n' existe toutefois aucun principe selon lequel, en cas de doutes sur le point de savoir si une disposition réglementaire régit un rapport de droit donné associant directement le citoyen communautaire, une présomption existe en faveur d' une telle réglementation . Au contraire, l' objet et le destinataire de chaque disposition doivent être déterminés en fonction de son libellé, de sa structure et de son contexte, ainsi que de sa finalité et de sa fonction ( 11 ).
8 . 2 . Même si, en l' espèce, le libellé de l' article 18, paragraphe 2, ne fournit aucune indication sur l' interprétation à retenir, tous les autres éléments vont néanmoins dans le sens de la solution proposée ici . Dans ce contexte, il y a lieu de distinguer entre deux types d' arguments .
9 . a ) Tout d' abord, selon nous, il ressort du règlement qu' en admettant même que la validité juridique d' une telle disposition ne fasse pas de doute, l' intention n' était manifestement pas de viser, par l' article 18, paragraphe 2, les références figurant dans le droit national .
10 . aa ) Sur ce point, un premier indice résulte de la fonction de la disposition à l' intérieur du règlement litigieux . Dans les textes de droit communautaire qui introduisent de nouvelles dispositions dans des domaines faisant déjà l' objet d' une réglementation, les dispositions finales du type de celles de l' article 18 ont pour fonction d' assurer les rectifications du droit communautaire rendues nécessaires par l' introduction des nouvelles dispositions . Cela comporte deux aspects . D' une part, il s' agit d' abroger les dispositions qui doivent être remplacées par les nouvelles règles . Dans le présent règlement, c' est le rôle de l' article 18, paragraphe 1 . D' autre part, les références faites par d' autres textes aux anciennes dispositions doivent être "déviées" vers les nouvelles règles . C' est ce que fait l' article 18, paragraphe 2, du règlement litigieux . La cohérence du droit communautaire se trouve ainsi rétablie . Il n' est pas nécessaire pour cela d' intervenir dans les dispositions d' application nationales .
11 . Inversement, on peut dire que si l' intention avait été en outre de rectifier le droit national, les dispositions adoptées auraient dû aller beaucoup plus loin . Elles auraient dû, par exemple, se prononcer sur le sort des dispositions des États membres relatives à la présentation et à la surveillance des livrets de contrôle; du fait de l' abrogation du règlement n 543/69 ( voir son article 14, paragraphe 9, ces dispositions sont devenues sans objet ( 12 ).
12 . Il apparaît donc en l' espèce que, d' une part, la rectification du droit communautaire ne supposait aucune intervention dans le droit national et que, d' autre part, la rectification du droit national, en admettant que l' article 18, paragraphe 2, se rapporte également aux dispositions de ce droit, resterait néanmoins incomplète . Cela n' incite donc pas à interpréter l' article 18, paragraphe 2, comme une disposition visant le droit national .
13 . bb ) Nous estimons, à la suite de la Commission et du gouvernement du Royaume-Uni, qu' un deuxième argument en ce sens peut être tiré du contexte du règlement n 3820/85 . Comme nous l' avons déjà signalé, on y trouve une série de dispositions qui laissent le soin ou font obligation aux États membres d' arrêter certaines mesures complémentaires . Au nombre de ces dispositions figure l' article 17 du règlement n 3820/85, déjà mentionné, qui reprend mot pour mot l' article 18 du règlement n 543/69 . Aux termes du paragraphe 1, premier alinéa, des deux articles, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à l' exécution de chaque règlement s' étendent aux "sanctions applicables en cas d' infraction ". On peut donc en conclure, en reprenant les termes de l' arrêt Hansen ( 13 ), que le soin est laissé aux États membres de définir la nature et la sévérité des sanctions applicables en cas d' infraction . Selon la jurisprudence de la Cour ( 14 ), que celle-ci a confirmée dans l' arrêt Hansen ( 15 ), précité, pour le cas de l' article 18 du règlement n 543/69, le droit communautaire ne fixe au pouvoir discrétionnaire ainsi accordé aux États membres que certaines limites extrêmes : les violations du droit communautaire doivent être sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d' une nature et d' une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif .
14 . Compte tenu de cette situation juridique, une interprétation de l' article 18, paragraphe 2, qui incluerait les références figurant dans le droit national introduirait une contradiction dans le règlement n 3820/85 . En effet, dans une telle interprétation, l' article 18, paragraphe 2, interviendrait précisément dans le domaine que l' article 17 devait laisser - dans les limites mentionnées - à la libre organisation des États membres . On ne verrait d' ailleurs pas très bien pourquoi le législateur communautaire aurait introduit cette restriction de la liberté d' organisation des États membres à l' article 18 ( dont le paragraphe 1, nous l' avons vu, vise uniquement la rectification du droit communautaire ) et non pas à l' article 17 ( ou bien dans les autres dispositions prévoyant des mesures complémentaires des États membres ). Tous ces éléments vont à l' encontre de l' interprétation visée .
15 . b ) Une deuxième série d' arguments pouvant être également invoqués dans le sens de cette solution repose sur l' idée que le législateur ne va pas édicter sans nécessité des règles dont il n' est pas certain qu' elles soient compatibles avec le droit communautaire .
16 . aa ) Sur ce point, tout d' abord, le gouvernement du Royaume-Uni a formulé une remarque pertinente, qui se fonde sur la nature juridique des normes nationales concernées . Puisque, en tout état de cause, les règles belges adoptées en matière de sanctions en application de l' article 18 du règlement n 543/69 ont un caractère pénal ( 16 ), et cela en conformité avec ce règlement ( 17 ), l' article 18, paragraphe 2, du règlement n 3820/85, en tant que norme d' interprétation visant les dispositions de renvoi du droit pénal national, relèverait lui-même, à cet égard, du droit pénal . Il est vrai que l' article 75 du traité CEE, cité en tant que base juridique du règlement n 3820/85, prévoit que le Conseil peut établir "toutes autres dispositions utiles", ce qui pourrait englober des dispositions en matière de sanctions . Il n' en reste pas moins que la Cour, dans son arrêt Casati ( 18 ), a jugé qu' "en principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres" ( 19 ). Dans ses conclusions dans l' affaire "Drexl" ( 20 ), l' avocat général M . Darmon a indiqué, au sujet des règles communautaires dans le domaine du droit fiscal, que le droit communautaire a une incidence sur le droit pénal ( uniquement ) dans la mesure où, en cas d' incompatibilité de la norme d' interdiction avec le droit communautaire, c' est la base légale de l' infraction qui disparaît et où il fixe, en ce qui concerne les sanctions, des limites pour empêcher que leur gravité constitue une entrave à l' exercice des libertés consacrées par le traité CEE .
17 . Sans qu' il soit besoin d' examiner la portée de ces considérations juridiques, on peut observer que les auteurs du règlement auraient exposé la disposition en question, si on l' entend comme régissant les références figurant dans le droit national, à des doutes manifestes et graves en ce qui concerne sa validité . En l' absence de motifs pour un tel comportement, on ne saurait considérer que telle était leur intention .
18 . bb ) Dans l' interprétation critiquée ici, de tels doutes ne seraient pas non plus à exclure a priori au regard de l' article 189 du traité CEE . Cette disposition prévoit, pour le législateur communautaire, deux possibilités d' influer sur le droit national . La première consiste à inviter le législateur national à arrêter des dispositions dans un sens donné . Cette invitation peut revêtir la forme juridique d' une décision ou d' une directive, mais peut aussi, comme le montre l' article 17 du règlement n 3820/85, être contenue dans un règlement . L' autre possibilité ouverte à la Communauté est de prendre elle-même des mesures - sous la forme de dispositions réglementaires - qui ont ensuite, on le sait, la primauté sur les règles contraires du droit national . On voit mal comment une disposition visant l' interprétation de certaines règles du droit national, à supposer que l' article 18, paragraphe 2 du règlement n 3820/85 soit entendu en ce sens, pourrait trouver sa place dans ce système . Également de ce point de vue, rien n' indique que les auteurs du règlement aient eu l' intention d' exposer leurs dispositions à de tels doutes juridiques .
19 . 3 . Pour être complet, il nous faut rappeler que la question préjudicielle vise uniquement l' interprétation de l' article 18, paragraphe 2, du règlement n 3820/85 . Il existe une question distincte, qui est celle de savoir quelles conséquences résultent du traité CEE, plus précisément de son article 5, pour l' interprétation des dispositions de droit national en cause . Toutefois, ce problème n' entre pas dans l' objet du renvoi de la Hof van cassatie .
20 . Pour l' ensemble de ces motifs, nous proposons de répondre comme suit à la question de la Hof van cassatie van België :
"L' article 18, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n 3820/85 doit être interprété en ce sens que les références au règlement ( CEE ) n 543/69 figurant dans les dispositions de droit national adoptées aux fins de l' exécution de ce règlement ne constituent pas des références au sens de l' article 18, paragraphe 2, précité ."
(*) Langue originale : le néerlandais .
( 1 ) Du Conseil du 20 décembre 1985 ( JO L 370, p . 1 ).
( 2 ) Du Conseil du 25 mars 1969 ( JO L 77, p . 49 ).
( 3 ) Article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa .
( 4 ) Article 17, paragraphe 1, deuxième alinéa .
( 5 ) Moniteur belge du 1.4.1970, p . 3136; voir l' article 3, paragraphe 1, de cet arrêté .
( 6 ) Il s' agit du règlement n 543/69 .
( 7 ) Moniteur belge du 4.6.1987, p . 8640; voir l' article 6, point 1, sur l' abrogation de l' arrêté royal du 23 mars 1970 .
( 8 ) Voir l' article 3, paragraphe 1 .
( 9 ) C' est-à-dire le règlement n 543/69 .
( 10 ) Voir l' arrêt du 14 décembre 1971, Politi/Italie, point 9 ( 43/71, Rec . p . 1039 ).
( 11 ) Ainsi, par exemple, à l' intérieur du règlement n 3820/85, les articles 5, paragraphe 5, 6, paragraphe 1, cinquième alinéa, 11, première phrase, 13 et 17 ne s' adressent directement qu' aux États membres, tandis que l' article 16 s' adresse aux institutions communautaires et aux États membres .
( 12 ) Il est vrai qu' en vertu de l' article 4 du règlement ( CEE ) n 1463/70 du Conseil du 20 juillet 1970 concernant l' introduction d' un appareil de contrôle dans le domaine des transports par route ( JO L 164, p . 1 ), l' installation d' appareils de contrôle est obligatoire pour tous les véhicules concernés à compter du 1er janvier 1978 et que les véhicules équipés d' un tel appareil sont retirés, en vertu de l' article 5 dudit règlement, du domaine d' application de l' article 14 du règlement n 543/69 . Toutefois, cette dernière disposition n' a été formellement abrogée que par le règlement n 3820/85 ( article 18, paragraphe 1, première phrase ).
( 13 ) Arrêt du 10 juillet 1990, Hansen, point 14, in fine ( C-326/88, Rec . p . I-2911 ).
( 14 ) Arrêt du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, point 24 ( 68/88, Rec . p . 2965 ).
( 15 ) Loc . cit ., point 17 .
( 16 ) Voir l' article 2 de la loi belge du 18 février 1969, Moniteur belge du 4.4.1969, p . 2988 .
( 17 ) Les États membres ont le pouvoir de définir la nature juridique des sanctions ( voir l' arrêt Hansen, loc . cit ., point 14 ), ce qui inclut la possibilité de sanctions à caractère pénal ( voir l' arrêt du 2 février 1977, Amsterdam Bulb/Produktschaap voor Siergewassen, point 32, 50/76, Rec . p . 137 ).
( 18 ) Arrêt du 11 novembre 1981, Casati ( 203/80, Rec . p . 2595 ).
( 19 ) Point 27 .
( 20 ) Conclusions du 8 décembre 1987 dans l' affaire 299/86, Rec . 1988, p . 1222, 1223 .