Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 3 novembre 2022, 21/07555

Mots clés Demande en réparation des dommages causés par l'activité médicale ou para-médicale · préjudice · docteur · réparation · médecin · preuve · procédure civile · enfant · assureur · diagnostic · contrat · préjudice moral · rapport

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro affaire : 21/07555
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Président : Monsieur Jean-Wilfrid NOEL

Texte

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 03 NOVEMBRE 2022

N° 2022/400

N° RG 21/07555

N° Portalis DBVB-V-B7F-BHPS5

[G] [K] épouse [U]

[L] [U]

[M] [U]

[X] [U]

C/

[J] [O]

Etablissement POLYCLINIQUE [11]

Société SHAM

Compagnie d'assurance SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCE MUTUELLE

Etablissement Public CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Mina SARWARY

-Me Anne-Marie GUIGONIS

-SELARL CABINET CHAS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 20 Avril 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00693.

APPELANTS

Madame [G] [K] épouse [U]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/8321 du 29/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le [Date naissance 3] 1996 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 8]

représentée et assistée par Me Mina SARWARY, avocat au barreau de NICE.

Monsieur [L] [U]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/8324 du 29/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 9] TUNISIE (99)

de nationalité Tunisienne,

demeurant [Adresse 8]

représenté et assisté par Me Mina SARWARY, avocat au barreau de NICE.

Madame [M] [U]

Est représentée par ses représentants légaux (parents) :

Monsieur et Madame [U]

née le [Date naissance 1] 2017 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 8]

représentée et assistée par Me Mina SARWARY, avocat au barreau de NICE.

Madame [X] [U]

Est représentée par ses représentants légaux (parents) :

Monsieur et Madame [U]

née le [Date naissance 6] 2018 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 8]

représentée et assistée par Me Mina SARWARY, avocat au barreau de NICE.

INTIMES

Monsieur [J] [O],

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Anne-Marie GUIGONIS, avocat au barreau de NICE.

SA POLYCLINIQUE [11],

demeurant [Adresse 7]

représentée et assistée par Me Sophie CHAS de la SELARL CABINET CHAS, avocat au barreau de NICE substituée par Me Sandra FIORENTINI-GATTI, avocat au barreau de MARSEILLE.

Société SHAM,

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Anne-marie GUIGONIS, avocat au barreau de NICE.

Compagnie d'assurance SOCIETE HOSPITALIERE D'ASSURANCE MUTUELLE - assureur de la SA POLYCLINIQUE [11],

demeurant [Adresse 4]

représentée et assistée par Me Sophie CHAS de la SELARL CABINET CHAS, avocat au barreau de NICE substituée par Me Sandra FIORENTINI-GATTI, avocat au barreau de MARSEILLE.

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

la CPAM DU VAR Gère le dossier :

Signification de DA des conclusions et de pièces en date du 05/08/2021 à personne habilitée, demeurant [Adresse 12]

Défaillante.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2022.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2022,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS & PROCÉDURE

Mme [U] a accouché le [Date naissance 1]2017 d'une fille, [M], qui s'est avérée atteinte d'une maladie des brides amniotiques ayant pour conséquences une agénésie des doigts des deux mains et un pied bot varus équin bilatéral. L'accouchement a été pratiqué par M. [O], gynécologue-obstétricien, qui avait procédé à trois des cinq échographies pendant la grossesse.

La grossesse a débuté le 24/09/2016. La chronologie des échographies réalisées est la suivante':

- le 07/12/2016'(12 semaines d'aménorrhée)': docteur [C]-[P],

- le 02/02/2017'(échographie de contrôle du bien-être foetal)': docteur [O],

- le 28/02/2017)'(22 semaines d'aménorrhée'/ échographie de contrôle du second trimestre)': docteur [H] (substituant le docteur [O]), qui a conclu à une absence d'anomalie morphologique,

- 06/04/2017'(29 semaines d'aménorrhée / échographie de contrôle du troisième trimestre)': M. [O],

- 18/05/2017'(35 semaines d'aménorrhée / échographie de croissance)': docteur [O].

Par ordonnance du 19/04/2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nice a commis le docteur [B], ultérieurement substitué par le docteur [S], aux fins d'apprécier la conformité des actes de soins, le cas échéant l'existence d'un aléa thérapeutique, et pour évaluer le préjudice corporel de l'enfant. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 13/03/2019.

Par acte d'huissier de justice des 05, 06, 07 et 09/08/2019, M. et Mme [U] agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs filles mineures [M] et [X] [U], ont saisi le tribunal de grande instance de Nice en réparation de leurs préjudices dirigée contre M. [O], la SA Polyclinique [11] Lenval et la SHAM en sa double qualité d'assureur de M. [O] et de la polyclinique, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance-maladie des Alpes-Maritimes.

Par jugement réputé contradictoire du 20/04/2021, le tribunal judiciaire de Nice, statuant au visa des articles L.1142-1 du code de la santé publique et L.114-5 du code de l'aide sociale et des familles, a':

- dit que les époux [U] ne rapportent pas la preuve de manquements fautifs imputables à M. [O] ou à la SA Polyclinique [11] Lenval où M. [O] exerçait en libéral,

- débouté les époux [U] de leur action en responsabilité,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné les époux [U] aux dépens de l'instance,

- dit que les dépens seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle,

- rejeté toutes demandes, fins, prétentions plus amples ou contraires.

Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé en substance':

' aucune faute personnelle n'est caractérisée à l'encontre de M. [O]':

- la maladie des brides amniotiques est très difficile à détecter, et n'est généralement identifiée qu'au regard des conséquences qu'elles comportent sur le développement du f'tus'; par ailleurs, Mme [U] ne relevait pas particulièrement d'un risque obstétrical';

- les échographies ont été réalisées dans le respect des préconisations arrêtées par le comité national d'éthique d'échographie foetale (CNTE)';

- certes, le docteur [H] qui l'a substitué a noté la présence des quatre membres et en particulier l'ouverture des mains': cette dernière mention, qui n'est pas requise par le CNTE, aurait dû permettre de visualiser l'amputation des doigts'; pour autant, M. [O] n'est pas responsable des actes de sa remplaçante'; il n'a pas non plus commis de faute personnelle en choisissant le docteur [H] qui présentait toutes les compétences requises pour procéder à l'examen, et possédait un diplôme d'échographie obstétricale et un master en pathologie foetale';

' aucun défaut d'information de Mme [U] n'est caractérisé'à l'encontre de M. [O] :

- l'article L.1111-2 du code de la santé publique relatif au droit à l'information ne comporte pas l'obligation pour le médecin de mentionner le nom de son remplaçant'; en tout état de cause, Mme [U] avait la possibilité de refuser d'être examinée par le docteur [H]';

- c'est donc à tort que Mme [U] fait grief à M. [O] de ne pas l'avoir prévenue que le docteur [H] le substituerait pour l'échographie du le 28/02/2017, et c'est à tort qu'elle soutient que son droit au libre choix du médecin'n'a pas été respecté ;

' aucune faute concernant l'organisation ou le fonctionnement de la polyclinique n'est dûment caractérisé par M. et Mme [U], qui invoquent sans le prouver un défaut de soins post-opératoires de la mère par les soignants après l'accouchement.

Par déclaration du 20/05/2021 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. et Mme [U] agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs [M] et [X] [U] ont interjeté appel de tous les chefs du jugement du tribunal judiciaire de Nice du 20/04/2021.

Par décision du 29/10/2021, le bureau de l'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a admis M. et Mme [U], agissant tant en leur nom qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs [M] [U] et [X] [U], au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant n°1 notifiées par RPVA le 02/08/2021, auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens et sur l'évaluation des préjudices, les consorts [U] demandent à la cour de':

- recevoir les consorts [U] en leur appel,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leur action à l'encontre de M. [O] et de la polyclinique [11],

Statuant à nouveau,

- déclarer entièrement responsable M. [O] des erreurs de diagnostic, et de défaut d'information,

- constater que M. [O] a commis une faute,

- constater que la polyclinique [11] a manqué à son devoir d'information après l'accouchement,

- condamner solidairement M. [O] et son assureur, la SHAM, à payer à Mlle [M] [U] prise en la personne de ses représentants légaux'la somme de 1.400.000,00 €, ventilée comme suit :

' préjudice esthétique permanent 5/7': 350 000,00 €

' déficit fonctionnel temporaire': 350.000,00 €

' souffrances endurées 3/7': 350.000,00 €

' préjudice esthétique temporaire 5/7': 350.000,00 €

- condamner solidairement M. [O] et son assureur, la SHAM, à payer la somme de 300.000,00 € à M. et Mme [U],

- condamner solidairement M. [O] et son assureur, la SHAM, à payer au titre du préjudice moral la somme 5.000,00 € à Mlle [X] [U], prise en la personne de ses représentants légaux,

- condamner solidairement la polyclinique [11] et son assureur, la SHAM, à réparer le préjudice moral subi par Mme [U] en tant que victime directe, la somme de 50.000,00 €,

- condamner solidairement la polyclinique [11] et son assureur, la SHAM, à payer à M. [U] au titre du préjudice moral, en sa qualité de victime par ricochet, la somme de 20.0000,00 €,

- condamner solidairement M. [O] et son assureur, la SHAM, à réparer les frais divers non remboursés par la sécurité sociale :

' frais de médecin conseil': 1.600,00 € + 240,00 €

' frais d'acquisition de véhicule': 17.444,46 €

' frais de poussette': 6.529,00 €

' frais de chaussure spéciale': 1.500,00 €

- condamner solidairement M. [O], la polyclinique [11] et leur assureur respectif, la SHAM, à payer à M. et Mme [U] la somme de 8.000,00 € en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de l'enfant [M] [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, compte tenu de l'affaire et de l'ancienneté du préjudice (sic),

- condamner conjointement et solidairement M. [O], la polyclinique [11] et leur assureur respectif, la SHAM, aux dépens comprenant les frais d'expertise, dont distraction au profit de Maître Mina Sarwary, avocate, sous sa due affirmation de droit en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs demandes, les consorts [U] développent les moyens suivants :

- sur le plan des principes, la possibilité de demander réparation du handicap de naissance faisant suite à une erreur médicale a été admise par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 06/07/2017';

- l'expert judiciaire n'a tenu aucun compte du dire du docteur [N] du 14/02/2019':

' qui estimait que la première échographie a été un peu précoce, la seconde tardive et la troisième franchement tardive';

' que le fait d'avoir noté l'ouverture des mains le 28/02/2017 constitue une erreur d'interprétation';

' que même en admettant qu'aucune interruption médicale de grossesse n'aurait été acceptée en France par un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN), Mme [U] aurait pu y procéder en se rendant à l'étranger';

- la mention de l'ouverture des mains constitue un faux, et l'erreur de diagnostic de M. [O] a fait perdre une chance à Mme [U] de décider d'un avortement';

- l'intuitu personae qui caractérise le contrat conclu entre le patient et son médecin fait obligation à ce dernier de prévenir le premier de tout remplacement';

- l'erreur de diagnostic n'est pas sanctionnable en elle-même, mais il en va différemment si les circonstances dans lesquelles ce diagnostic a été posé démontrent que le médecin ne l'a pas élaboré dans le respect de l'article R.4127-33 du code de la santé publique';

- M. [O] propose de régler la somme de 41.600,00 €, ce qui constitue un aveu implicite du bien-fondé de leurs demandes.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions en réponse notifiées par RPVA le 16/02/2022, auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens, M. [O] et la SHAM demandent à la cour de':

- juger qu'aucune faute ne peut être reprochée à M. [O],

- juger que sa responsabilité n'est pas engagée,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions le concernant,

- rejeter l'intégralité des demandes formulées contre M. [O] et son assureur, la SHAM,

- homologuer le rapport d'expertise du docteur [S] du 15/11/2017,

- condamner les succombants à lui payer la somme de 3.000,00 € au titre des frais irrépétibles,

- condamner tout succombant aux dépens distraits au profit de Maître Guigonis, avocat.

Au soutien de ses demandes, M. [O] et la SHAM développent les moyens suivants :

' sur l'erreur de diagnostic':

- l'expert judiciaire établit que les malformations des mains et du pied résultent d'une maladie des brides amniotiques et non pas des échographies pratiquées';

- dans un arrêt du 25/03/2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a admis que le praticien commet une faute caractérisée engageant sa responsabilité lorsqu'il a donné aux parents de l'enfant à naître des assurances manifestement erronées sans laisser place à aucun doute ni réserve sur l'absence de malformations'; la faute caractérisée se définit par son intensité et son évidence'; tel n'est pas le cas en l'espèce, car le compte rendu d'échographie mentionne «'absence d'anomalie morphologique échographique visualisée ce jour mais très mauvaise échogénicité », ce qui s'apparente à une réserve';

' sur le défaut d'information': l'article L.1111-2 du code de la santé publique mentionne le droit du patient à être informé sur son état de santé mais pas de l'identité du praticien'; Mme [U] pouvait refuser l'intervention du docteur [H]';

' à titre subsidiaire, sur la réparation du préjudice corporel':

- la décision du tribunal administratif de Nancy ne peut être transposée puisqu'elle concernait un préjudice qui ne s'était réalisé que par la faute du médecin';

- aucune perte de chance de recourir à une interruption médicale de grossesse n'est caractérisée car aucune CPDPN ne l'aurait acceptée en l'état du handicap de l'enfant, et il n'est pas certain que Mme [U] aurait obtenu gain de cause à l'étranger.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions en réponse notifiées par RPVA le 20/10/2021, auxquelles il est renvoyé par application de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens, la polyclinique SA [11] Lenval et la SHAM demandent à la cour de':

- juger qu'aucune faute ne peut être reprochée à la polyclinique [11],

- juger que la responsabilité de la polyclinique Lenval n'est pas engagée,

- con'rmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions relatives à la polyclinique [11],

- rejeter l'intégralité des demandes formulées à l'encontre de la polyclinique [11] et de la SHAM,

- condamner les succombants à leur payer la somrne de 2.500,00 € au titre des frais irrepétibles,

- condamner tout succombant aux dépens distraits au profit de Maître Chas, avocat.

Au soutien de ses demandes, la SA Polyclinique [11] Lenval et la SHAM développent les moyens suivants :

- les consorts [U] font grief à la polyclinique d'avoir manqué à son obligation de fournir tous les soins pré-opératoires et per-opératoires nécessités par l'état de la mère'; pour autant, cette appréciation péjorative n'est pas étayée';

- les consorts [U] reprochent également un défaut d'information à la polyclinique, alors que ce devoir incombe personnellement aux médecins qui exercent à titre libéral en son sein, en l'espèce à M. [O] dont elle produit le contrat d'exercice de médecin gynécologue-obstétricien';

- l'expert judiciaire ne met pas en cause l'organisation ou le fonctionnement de la polyclinique.

* * *

Assignée à personne habilitée le 05/08/2021 par acte d'huissier contenant dénonce de l'appel, la caisse primaire d'assurance-maladie du Var n'a pas constitué avocat. Elle a indiqué n'avoir aucune créance à faire valoir.

* * *

La clôture a été prononcée le 06/09/2022.

Le dossier a été plaidé le 20/09/2022 et mis en délibéré au 03/11/2022.


MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur la nature de la décision rendue':

L'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.

Sur la responsabilité de M. [O] et de la SHAM :

M. et Mme [U] font grief à M. [O] d'un double manquement à son obligation de soins et à son obligation d'information.

En vertu de l'article L.1142-1 § I du code de la santé publique, le professionnel de santé n'est responsable des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute de sa part. Cette responsabilité légale pesant sur le médecin est une responsabilité pour faute prouvée, dont la charge incombe à celui qui s'en prévaut. La faute est caractérisée lorsque le comportement n'est pas celui attendu d'un médecin diligent, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas donné au patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science à la date à laquelle les soins ont été prodigués. Cette obligation légale de moyens concerne également le diagnostic du médecin, ses investigations ou mesures préalables, le traitement et le suivi du traitement. La responsabilité du médecin peut être engagée pour une faute simple. Lorsque la faute du praticien est admise et qu'il est déclaré responsable du dommage corporel directement imputable à cette faute, la victime ne peut prétendre à une indemnisation au titre d'un manquement à l'obligation d'information.

Par application des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique, le médecin est tenu de donner à son patient sur son état de santé une information portant sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Délivrée au cours d'un entretien individuel, cette information doit être loyale, claire et appropriée. La charge de la preuve de son exécution pèse sur le praticien, même si elle peut être rapportée par tous moyens. La charge de la preuve de l'exécution de l'obligation légale d'informer incombe au médecin. Elle implique que le défaut d'information sur les risques inhérents à un acte de soin ou de traitement ait fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation de l'un de ces risques en refusant qu'il soit pratiqué.

En l'occurrence, l'expertise judiciaire établit formellement, et ce point n'est pas contesté par M. et Mme [U], que le handicap de naissance de l'enfant [M] n'est nullement dû aux conditions dans lesquelles les échographies successives ont été effectuées, mais bien à une maladie des brides amniotiques': «'il s'agit d'une malformation congénitale. Si le diagnostic avait été effectué, les séquelles auraient été identiques. Il ne s'agit pas d'un l'aléa thérapeutique'», indique le docteur [S].

La décision du tribunal administratif de Nancy du 06/07/2017, qui condamnait le centre hospitalier de Remiremont au titre des préjudices subis par un nouveau-né à l'accouchement, n'a donc pas la portée que lui prêtent M. et Mme [U], dans la mesure où la tétraplégie et le retard psychomoteur de l'enfant étaient dus à une faute du centre hospitalier lors de l'accouchement.

Au contraire, le handicap de l'enfant [M] n'est pas imputable à une faute médicale. Par suite, l'action en réparation du préjudice corporel de M. et Mme [U] en qualité de représentants légaux de l'enfant [M] est irrecevable sur le fondement de l'article L.1142-1 du code de la santé publique.

Le devoir d'information incombant à M. [O] en vertu des articles L.1111-2 et R.4127-35 du code de la santé publique ne lui faisait pas obligation de communiquer à Mme [U] l'identité de son remplaçant, en l'occurrence le docteur [H], et le principe du libre choix du médecin par le patient permettait à Mme [U] de refuser d'être examinée par ce praticien.

M. et Mme [U] sont néanmoins recevables à engager la responsabilité de M. [O] sur le fondement de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles. Selon ce texte, nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice.

Cette responsabilité, qui n'ouvre droit à réparation qu'aux seuls parents de l'enfant atteint d'un préjudice de naissance, implique en tout état de cause la démonstration d'une faute caractérisée et non d'une faute simple.

Le docteur [S], expert judiciaire désigné, note à cet égard que «'le seul moyen de détecter la présence de malformations dues aux brides amniotiques est bien sûr l'échographie. Le problème, c'est que les brides en elles-mêmes ne sont que très difficilement détectables, seules les lésions qu'elles engendrent sont éventuellement visibles'». Le docteur [S] a confronté les échographies successives aux standards de qualité technique de l'échographie de dépistage, tels que définis a minima par le Comité National Technique d'Échographie Foetale. Quoique le CNTE n'imposait pas de fournir un ou plusieurs clichés représentant les quatre membres, l'échographie du 28/02/2017 affirme l'intégrité des quatre membres et des trois segments ainsi que l'ouverture des mains ' alors que les doigts ne peuvent pas avoir été visualisés. Ce manquement a privé les parents d'informations qui leur auraient permis de mieux se préparer à l'accueil de l'enfant. Toutefois, cette échographie n'a pas été effectuée par M. [O] mais par le docteur [H], dont l'expert judiciaire [S] relève qu'il était diplômé en échographie obstétricale, titulaire d'un master de pathologie foetale, et agréé pour la réalisation des examens du premier trimeste avec mesure de la clarté nucale, de sorte que M. [O] n'a pas commis de faute particulière en choisissant le docteur [H] pour le substituer.

Le docteur [S] précise (page 10) que «'le meilleur moment pour dépister une anomalie réductionnelle des membres est l'échographie de 12 semaines d'aménorrhée et plus accessoirement celle de 22 semaines d'aménorrhée ». Passé 22 semaines d'aménorrhée, il devient de plus en plus difficile pour ne pas dire impossible de bien visualiser les membres du fait du développement du f'tus, surtout si un bras ou un segment de membre est postérieur caché par le rachis'». Or, précisément, l'échographie de 12 semaines d'aménorrhée (07/12/2016) a été réalisée par le docteur [C] et celle de 22sa (28/02/2017) par le docteur [H].

M. [O] n'a personnellement procédé qu'aux échographies des 02/02/2017 (pour surveillance du bien-être foetal), 06/04/2017 et 18/05/2017': aucune d'entre elle ne fait état des doigts de la main ni ne caractérise l'état des membres inférieurs. En outre, si M. [O] a conclu à une grossesse normalement évolutive pour le terme, à une croissance et à une vitalité fortes, ainsi qu'à l'absence de toute visualisation d'une anomalie morphologique et échographique, il a assorti sa conclusion de la mention d'une restriction tenant à la «'très mauvaise échogénicité'», c'est-à-dire à la capacité du tissu de la patiente à renvoyer un signal lors de l'examen échographique.

Enfin, le docteur [S], s'il admet que l'échographie du 02/02/2017 et celle du 06/04/2017 ont été respectivement «'un peu précoce'» et «'trop précoce'», relativise la portée réelle de ces anticipations au motif que « pour autant, ces erreurs de terme n'ont eu aucune incidence sur l'existence même des malformations ou sur l'absence de diagnostic puisque le meilleur moment pour visualiser les membres est 12 semaines d'aménorrhée et 22 semaines d'aménorrhée pour leur angulation'». Il y a lieu d'observer à cet égard que le docteur [N], dans son dire à expert du 14/02/2019, ne tire lui-même aucune conséquence particulière de la date à laquelle M. [O] a procédé aux échographies.

De façon plus générale, le docteur [S] a souligné que Mme [U] ne présentait pas de risque obstétrical ou foetal qui aurait pu justifier des investigations échographiques plus approfondies, en particulier la réalisation d'une échographie dite de seconde intention.

Il s'ensuit que le fait pour M. [O] d'avoir mentionné une absence d'anomalie morphologique et échographique n'est pas constitutive de la faute caractérisée requise par l'article L.114-5 précité. Les demandes indemnitaires de M. et Mme [U] ne peuvent qu'être écartées, et le jugement confirmé.

Sur la responsabilité de la SA Polyclinique [11] Lenval et de la SHAM :

Il est constant que, si la polyclinique n'a à répondre ni d'une faute ni d'un défaut d'information imputable aux praticiens exerçant à titre libéral en son sein, elle engage néanmoins sa responsabilité si la défaillance de son organisation et/ou de son fonctionnement ont contribué à la production du dommage subi par le patient. La charge de la preuve de cette défaillance incombe à qui l'invoque.

La SA Polyclinique [11] Lenval justifie de ce que M. [O] n'est pas son salarié en produisant le contrat d'exercice libéral de médecin gynécologue-obstétricien qui la lie à M. [O]. Aucun des griefs articulés contre ce dernier n'est opposable à la polyclinique.

Les autres doléances de M. et Mme [U], concernant en particulier le fait par le personnel soignant de la polyclinique d'avoir laissé seule Mme [U] juste après l'accouchement alors qu'elle saignait encore, ne sont adossées à aucun élément de preuve en particulier.

La polyclinique produit à cet égard un document «'L'accès à votre dossier médical'» systématiquement remis aux patients lors de leur admission.

Aucun manquement de la polyclinique n'est évoqué par le docteur [S]. Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes annexes':

Les consorts [U] ayant bénéficié de l'aide juridictionnelle totale en première instance, les dispositions du jugement entrepris seront infirmées en ce qu'elles les ont condamnés aux dépens. Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'État.

L'équité ne justifie pas particulièrement l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS



La Cour,

Confirme le jugement entrepris, hormis en ce qu'il a condamné les consorts [U] aux dépens de l'instance.

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'État.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT