Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2021, M. B A, représenté par Me Eon, demande au tribunal :
1°) à titre principal :
- d'annuler la décision du 11 février 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de révision de pension pour aggravation de l'infirmité de lombalgies, ainsi que la décision du 4 novembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire du 9 juillet 2020 ;
- d'ordonner une expertise médicale confiée à un neurochirurgien qui aura pour mission de déterminer le taux d'invalidité résultant de cette infirmité au 12 octobre 2018 et de proposer un descriptif complet de cette infirmité après analyse de son dossier médical ;
2°) à titre subsidiaire, de fixer le taux d'invalidité à 50% à compter du 12 octobre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- la décision du 11 février 2020 est entachée d'incompétence ;
- les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de droit en ce que l'administration aurait dû écarter l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité qui a estimé que le taux d'invalidité de 40% a été surévalué en 1988 au motif que cet avis méconnaît l'autorité de la chose décidée et remet en cause une décision de concession de pension définitive ;
- en faisant totalement abstraction de l'existence de l'expertise réalisée en 2015 et de son argumentation se rattachant à cette expertise, l'administration a entaché ses décisions d'un défaut d'examen de sa situation ;
- les décisions attaquées sont entachées d'une erreur d'appréciation dès lors que son dossier médical établit l'existence d'une aggravation de son infirmité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 mai 2021 et le 18 octobre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la décision du 4 novembre 2020 de la commission de recours d'invalidité s'étant substituée à la décision du 11 février 2020 qui n'est plus susceptible d'être contestée, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cette dernière décision est irrecevable ;
- le moyen tiré de ce que l'administration a dénaturé les faits en ayant délibérément fait abstraction de l'expertise réalisée en 2015 est irrecevable, voire inopérant, puisque cette expertise ne rapportait pas d'élément en faveur de l'aggravation du taux de la pension ;
- les autres moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés ;
- les documents médicaux fournis par le requérant postérieurs à la date du dépôt de sa demande de révision de pension ne sont pas opposables à l'administration.
M. A a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pauline Muller, conseillère ;
- les conclusions de M. Hanafi Halil, rapporteur public ;
- et les observations de Me Eon, avocat de M. A.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B A est titulaire d'une pension d'invalidité au taux global de 55% qui lui a été concédée à titre définitif par un arrêté du 22 juin 1988 avec entrée en jouissance à compter du 21 septembre 1987. Il a sollicité, le 12 octobre 2018, la révision de sa pension en raison de l'aggravation d'une infirmité dont il est atteint à savoir " Lombalgies - station debout très pénible " pensionnée au taux de 40%. La ministre des armées a, par une décision du 11 février 2020, rejeté cette demande. L'intéressé a alors formé, le 9 juillet 2020, un recours administratif préalable obligatoire contre cette décision, lequel a été rejeté par une décision de la commission de recours de l'invalidité du 4 novembre 2020. M. A demande au tribunal d'annuler la décision du 11 février 2020 et la décision du 4 novembre 2020.
Sur l'objet du litige :
2. Aux termes de l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les recours contentieux contre les décisions individuelles prises en application du livre Ier et des titres Ier à III du livre II sont précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 711-1 du même code : " Tout recours contentieux formé à l'encontre des décisions individuelles prises en application des dispositions du livre Ier et des titres Ier à III du livre II du présent code est précédé, à peine d'irrecevabilité, d'un recours administratif préalable obligatoire examiné par la commission de recours de l'invalidité, placée conjointement auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget () ".
3. L'institution par les dispositions ci-dessus rappelées d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite de ce recours se substitue en principe à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge. Toutefois, s'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge qu'après l'exercice d'un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l'y ait invité, produit la preuve de l'exercice de ce recours ainsi que, s'il en a été prise une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l'annulation de la décision, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée.
4. Ainsi que cela a été dit au point 1, le recours formé par l'intéressé a été expressément rejeté par une décision du 4 novembre 2020 de la commission de recours de l'invalidité. Par suite, les conclusions de la requête dirigées contre la décision initiale du 11 février 2020 de la ministre des armées doivent être regardées comme dirigées exclusivement contre cette décision du 4 novembre 2020 qui s'y est substituée.
Sur les droits à pension de l'intéressé :
5. Aux termes de l'article
L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle () ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit se placer à la date de la demande de l'intéressé pour évaluer ses droits à révision de sa pension militaire d'invalidité, et notamment le taux d'invalidité résultant de l'infirmité au titre de laquelle cette révision est sollicitée, soit, en l'espèce, à la date du 12 octobre 2018.
6. Aux termes de l'article L. 154-1 du même code : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif. ". Il résulte de ces dispositions que la pension d'invalidité concédée à titre définitif dont la révision est demandée pour aggravation n'est susceptible d'être révisée que lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités se trouve augmenté d'au moins dix points.
7. Aux termes de l'article L. 125-1 du même code : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. ". Aux termes de l'article L. 125-3 de ce même code : " () L'indemnisation des infirmités est fondée sur le taux d'invalidité reconnu à celles-ci en application des dispositions d'un guide-barème portant classification des infirmités d'après leur gravité. () " et aux termes de son article L. 125-5 : " Lorsqu'il s'agit d'amputations ou d'exérèses d'organe, les pourcentages d'invalidité figurant aux barèmes mentionnés à l'article L. 125-3 sont impératifs. / Dans les autres cas, ils ne sont qu'indicatifs. ".
8. Il résulte de l'instruction, notamment de la comparaison du rapport d'expertise du 15 janvier 1988 et de celui du 24 décembre 2019 résultant de l'expertise menée par le neurochirurgien consulté par l'administration, dans le cadre de la demande de révision de pension en litige, que cet expert fait notamment état en 2019 d'une démarche guindée avec une attitude antalgique, d'une aggravation de la cyphose dorsale avec une attitude penchée en avant, de ce que l'épreuve talon pointe est très difficile à réaliser, de signes de Lasègue douloureux à 20° des deux côtés, d'une palpation des épineuses douloureuse, de muscles para-vertébraux contractés ou encore d'un déficit du quadriceps gauche et du jambier antérieur et conclut à une aggravation de l'infirmité pouvant être évaluée à 10%. Si l'administration se prévaut de l'avis, du 17 janvier 2020, du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité estimant que la lecture comparative des expertises de 1988 et de 2019 ne retrouve pas d'élément clinique nouveau et pertinent justifiant une majoration de 10%, l'existence de nombreux symptômes mentionnés précédemment et figurant dans le rapport de l'expertise réalisée le 24 décembre 2019, qui, au demeurant, ne souffre d'aucune imprécision, ne ressort pas de l'expertise du 15 janvier 1988 qui fait état d'une station debout très pénible, d'une limitation des mouvements de flexion, d'une bascule du bassin et d'une attitude scoliotique lombaire à convexité gauche avec nette raideur sur le film de profil où la flèche de lordose a pratiquement disparu. Par ailleurs, si par cet avis, le médecin en charge des pensions militaires d'invalidité a estimé que le taux d'invalidité de 40% a été surévalué au cours de l'expertise du 15 janvier 1988 par rapport aux indications figurant dans le guide-barème des invalidités et que le taux de 40% correspond aux séquelles fonctionnelles actuelles de l'intéressé, de sorte qu'il n'y aurait pas lieu de l'augmenter, une telle surévaluation du taux d'invalidité, à la supposer établie, ne saurait priver M. A du droit à révision du taux de pension dont il bénéficiait jusqu'alors en cas d'aggravation de son infirmité.
9. Il résulte ainsi de ces éléments que l'infirmité des lombalgies dont souffre M. A s'est aggravée. Le degré d'invalidité proposé par l'expert de dix points, qui n'est pas sérieusement contesté par l'administration, par rapport au pourcentage antérieur, ouvre droit à la révision de la pension d'invalidité concédée à l'intéressé en application de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni d'ordonner l'expertise sollicitée, M. A est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque et que lui soit reconnu un taux d'invalidité de 50% au titre de l'infirmité dont il est atteint.
Sur les frais liés au litige :
11. Aucun dépens n'ayant été exposé au cours de l'instance, il s'ensuit que les conclusions tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat ne peuvent qu'être rejetées.
12. M. A n'établissant pas avoir exposé d'autres frais que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée par décision du 23 février 2021, sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 4 novembre 2020 de la commission de recours de l'invalidité est annulée.
Article 2 : Il est reconnu un taux d'invalidité de 50 % à M. A s'agissant de l'infirmité " Lombalgies - station debout très pénible " à compter du 12 octobre 2018.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Thierry Vanhullebus, président ;
Mme Christine Castany, première conseillère ;
Mme Pauline Muller, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.
La rapporteure,
Signé
P. MULLER
Le président,
Signé
T. VANHULLEBUS
La greffière,
Signé
H. NICAISE
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Signé
H. NICAISE